<h1>Noelfic</h1>

Quand Viendra l'An Mille après l'An Mille (Vae Victis)


Par : Conan

Genre : Action , Réaliste

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 29

Publié le 04/09/14 à 17:59:31 par Conan



Les plafonds de la salle de bal, d'un blanc immaculé, sont si hauts que les immenses lampadaires en cristal blanc dont ils sont ornés semblent être des boules de lumière flottant au-dessus de sa tête. Louis baisse le regard sur ses mains, et réajuste une dernière fois les boutons dorés qui ferment la veste qu'il porte par-dessus sa chemise blanche. Au même instant, un domestique en gants blancs lui ouvre la double-porte, dévoilant une assemblée d'une centaine de personnes en plein cocktail, piaillant, buvant et picorant autours d'une large table à buffet.
-Si monsieur veut bien se donner la peine. Fait le valet en invitant le capitaine à entrer d'un geste fluide et gracieux.
Le militaire le remercie d'un signe de la tête et fait son premier pas sur le parquet de la grande salle. Parcourant l'assemblée du regard à la recherche d'un visage familier, ou du moins amical. Mais tout ce qui s'offre à lui sont des politiciens, petits et bouffis ou grands et longilignes, magnats et industriels, le cigare au bec et le costume trois pièces bien rempli, en compagnie d'épouses dont ils ont le double d'âge et de poids, ainsi que quelques officiers de carrière qui, à son sens, auraient plus leur place dans un service de gérontologie qu'à la tête d'un état-major militaire, accompagnés, eux, de leurs femmes dont l'allure semble aussi stricte et autoritaire.

Ayant troqué son vieux treillis de combat sale et usé pour la tenue de cérémonie aux couleurs de son arme, l'infanterie, Louis se sent quelque peu désemparé, dans cette foule guindée, et serait fort mieux à son aise si un minimum de temps d'adaptation avait pu le préparer à affronter ce qu'il déteste le plus au monde après les communistes : les apéritifs dînatoires de la Haute. Se frayant un chemin au milieu de cette foule dont il est à la fois familier et tellement éloigné, il tente de passer le plus inaperçu possible, tandis que le bruit de ses chaussures noires ainsi que le tintement des trois rangées de médailles qu'il porte sur la poitrine vissent tous les regards sur l'officier distingué, aux cheveux gominés et aux yeux aussi noirs que la moustache qu'il porte parfaitement entretenue.
Soudain, une voix dont il ne connaît que trop le timbre, le sort de son embarras. Il tourne alors la tête et reconnaît le visage avenant de son ami, le jeune et fringuant capitaine de Montigny.
-Louis, on ne t'attendait plus ! Lui lance le militaire à la grande mèche blonde. Entouré à sa gauche de deux hommes petits, bedonnants et dégarnis, et à sa droite de leurs équivalents féminins, il semble être l'objet de leur curiosité, comme un lion que l'ont viendrait visiter au zoo pour l'apprivoiser et l'examiner au plus près.
En pinçant les lèvres, Berger s'avance vers eux, et prend dans sa main gantée les doigts sertis de bagues des femmes qui sourient lorsqu'il les porte à ses lèvres.
-Louis, je te présente messieurs Gustave, Rosen, ainsi que Bernard de Montingny, mon oncle, et leurs délicieuses épouses. S'écrie le capitaine entre deux gorgées de champagne.
-Mesdames, messieurs, c'est un honneur pour moi que de vous rencontrer. Dit machinalement Berger en finissant ses poignées de mains.
-Louis est un officier exceptionnel ! Le meilleur qui n'ait jamais commandé la première compagnie même ! C'est lui qui m'a tout appris alors que je sortais tout juste de Saint-Cyr !
Alors que le jeune Montigny risque moins de manquer d'éloges que de champagne, le vieux, avec lequel d'ailleurs son neveu ne partage que peu de caractéristiques physique, se tourne vers Berger.
-Alors c'est donc vous qui avez eu affaire à ces sauvages, à ces païens ?
-Effectivement, notre entrée dans Paris fut assez difficile. J'y ai d'ailleurs perdu un homme. Répond-t-il sobrement en attrapant au passage une coupe de champagne que porte un serveur sur un plateau.
-Paris ? Rétorque l'homme en arrondissant les yeux. Mais je pensais que vous aviez été pris en embuscade en Auvergne !
De grands éclats de rire sortent alors des poitrines des trois hommes. Berger, lui, n’esquisse qu'un léger sourire.
-Ah, trêve de plaisanterie. Reprend l'homme en jetant un coup d’œil à ses décorations. Antoine m'a dit que vous aviez une belle carrière militaire derrière vous.
-J'espère qu'elle sera tout aussi belle devant que derrière. Répond Louis, provoquant une nouvelle crise d'hilarité.
-Mon oncle, dit Antoine après avoir séché les larmes de rire qui coulaient sur ses joues, est le président directeur général des entreprises Rhode & Associés.
-Sachant que l'Associé, c'est moi. Sourit le chef d'entreprise. Mais cela me fait penser, les premiers exemplaires du MAS MSE modifié 90, notre dernier fusil, ont commencé à être livrés il me semble ?
-Uniquement aux troupes du front, si je ne m'abuse. Répond Louis.
-Ah ! Hé bien vous pourrez mettre les mains dessus en arrivant en Alsace ! Vous m'en direz des nouvelles ! S'exclame l'industriel en tapant du plat de sa main sur l'épaule de Berger.
-Quelle belle tenue ! Quels beaux apparats ! Lance une dame coiffée d'un orgueilleux chapeau aussi bleu que sa robe. On dirait une sorte de beige ou blanc cassé... Dit-elle en touchant la manche de Berger, en profitant pour palper les muscles qu'elle recouvre.
-Couleur Terre de France pour être plus précis, chère madame.
-Bien ! Mon oncle, messieurs-dames, notre ami Louis n'a rien dans le ventre depuis des heures, je vous le retire le temps que nous allions nous sustenter ! S'exclame Antoine en prenant son ami par le bras afin de l'emmener vers le buffet.
Tandis qu'il se sert un toast de foie gras, Louis ne peut s'empêcher d'admirer l'aisance avec laquelle le capitaine de Montigny se déplace dans l'assemblée. Il va et vient, toujours au point nommé, avec la grâce d'un danseur et l'assurance d'un vrai militaire. Lui qui, il y a sept ans encore, n'était qu'un jeune élève officier à l'école militaire de Saint-Cyr. Issu d'une famille aristocrate, deuxième fils d'une fratrie de sept enfants, son père, colonel de cavalerie, ne lui a jamais pardonné d'avoir choisi comme arme l'infanterie, avant de mourir quelques semaines plus tard, tué par un obus Soviétique sur le front. Sorti premier de sa promotion, il aurait pourtant pu finir chez les hussards ou les dragons. Mais c'est bien l'infanterie, la biffe, l'arme de la piétaille, aux traditions et aux coutumes rugueuses, celles des paysans et des prolétaires, qu'Antoine a préféré rejoindre. Aimé des femmes, respecté par les hommes, envié par ses pairs. Ce n'est clairement pas par quelque obscur favoritisme familial qu'il est, du haut de ses vingt-sept ans, commandant de compagnie, mais bien parce que derrière cet enfant terrible, ce rebelle, dont le panache n'égale que le charisme, il y a un militaire hors-pair, qui a plusieurs fois prouvé sa bravoure et ses qualités de chef.
C'est pour ces raisons, cette double-facette si particulière, que Louis l'a pris pour protégé et ami. Un jour, il le sait, le capitaine Antoine de Montigny le dépassera. Il est né pour être un grand parmi les grands. Et alors, tandis que perdu dans ses pensées Louis ne rêve que de se glisser dans des draps propres et s'endormir dans un vrai lit, son attention est attirée par un être plus bouffi et plus bavard que les autres.

Aussi gras que vulgaire, l'odieux personnage se pavane impunément dans l'assemblée, ne cessant ses pitreries grotesques que pour se goinfrer d'arachides qu'il enfourne par poignées entières entre ses grosses lèvres lippues, riant grassement et se caressant le ventre d'un air béat lorsqu'un petit four le satisfait plus que la dizaine d'autres qu'il a absorbés.
Cette grossière entité est suivie dans ses moindre faits et gestes par un androgyne aux yeux rouges et embrumés, ainsi que par celui qui parait être son garde du corps, dont le regard bovin semble plus absorbé par la croupe de son louche acolyte qu'a sa propre sécurité.
Tout est réuni pour que le capitaine Berger éprouve un sentiment de méfiance, voire de détestation à l'encontre de ce personnage qu'il ne connaît pourtant pas, mais dont l'allure et l'attitude suffisent à lui couper l'appétit. Il fait donc le tour de la table dans le sens inverse de celui du sinistre triumvirat, espérant se perdre dans la foule avinée qui les englobe.

Quelle ne fut pas sa surprise et son dégoût lorsqu'il se retrouve nez-à-nez avec la face huileuse qu'il tente d'éviter !
Dévoilant dans son sourire jaune de grosses dents parsemées de miettes, l'individu s'exclame soudain : ''Bonjour capitaine !'' postillonnant au passage sur l'uniforme de Louis, qui n'a d'autre choix que de tendre sa main, que le glouton malappris enserre entre ses doigts boudinés et gras.
-Léonard Constantinovitch ! Attaché au Ministère de la Guerre ! Mais vous pouvez m'appeler Lélé ! S'écria-t-il, pensant peut-être que malgré la distance à laquelle se trouvait son visage de celui de son interlocuteur, ce dernier aurait du mal à l'entendre.
-Capitaine Louis Berger. Commandant la première compagnie du cent dix-septième Régiment d'Infanterie. Répondit-il, froidement.
-Hm hm ! Hm hm ! Fait Lélé, l'air faussement intéressé.

Commentaires

Droran

09/10/14 à 22:55:06

Joliment décrit

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