Cela fait maintenant un bout de temps que je ne me suis pas rendue en cours aussi tôt et d’aussi mauvais poil. Mon imbécile de frère a trouvé particulièrement attrayant de se jeter sur mon lit à six heures du matin, me réveillant du même coup. Comme je n’ai émis que quelques grognements en me retenant de le liquéfier pour l’enfermer dans une fiole de parfum, il a eu l’idée remarquable de renverser une bouteille d’eau glaciale sur mon crâne. Cette fois-ci, je me suis bel et bien levée, furieuse, et ce crétin de Luce s’est tordu de rire. Il m’a ensuite trainée dans la salle de bain où il m’a clairement expliqué avec un sourire entendu et effrayant que si je continuais à sécher les cours je passerais un sale quart d’heure. Je n’ai pas peur de mon frère puisqu’il craint la magie, mais je suis incapable de l’utiliser contre lui, l’idée qu’il soit blessé, pire blessé par ma faute me met au supplice. Par conséquent, je n’ai eu d’autre choix que d’obéir et de me préparer pendant qu’il est allé agresser Hell.

Mais le résultat est là, il est huit heures passée (de peu) et je m’apprête à toquer à la porte de la salle de classe. J’ai l’impression que mon cerveau est une grosse boule électrique prête à exploser tellement je suis énervée. Alors que je tends mon billet de retard au professeur abasourdi par ma présence à l’aurore, j’évite de le regarder tant son sourire satisfait pourrait me donner l’envie irrépressible de le brûler vif et de balancer ses cendres à des cochons grassouillets. Je me détourne pour aller à ma place lorsqu’il m’interrompt :

« Simple formalité : vous n’avez pas fait votre devoir ? me demande-t-il en s’apprêtant à noter « non rendu » sur son carnet de notes.
_ Si. » je lâche à contrecœur tout en fouillant dans mon sac à la recherche de ma copie.

Je note plusieurs mouvements brusques du côté des élèves, comme si toute la classe se réveillait d’un coup. Un petit rigolo trouve même judicieux d’applaudir, et le reste suit, en bons moutons de Panurge. Péniblement, je me retiens de faire exploser les tables et lance un regard exaspéré aux alentours. Je vois déjà le large sourire satisfait qui doit barrer le visage d’Alex, fier de son coup : hier, ce petit malin et mes frères m’ont ficelée à la chaise de mon bureau et ne m’ont détachée que lorsque j’ai fini ce devoir. Bien entendu, ces gros malins sont restés à mes côtés pendant toute la durée de mon calvaire du coup je n’ai pas pu enlever mes liens, pas sous les yeux d’Alex, et j’ai accompli la tâche qu’ils m’ont imposée ces salauds. Ligoter une fille, a-t-on jamais vu pareilles manières ?

Je lance un regard assassin vers le blondinet avant de me rendre compte que sa place est vide. Malgré moi je marque une pause puis me reprends et retiens un air intrigué avant de me rendre à ma place d’un air que je veux digne.

Tout en détaillant la nuque de Pamela Martin, je m’interroge : Où est passé cet idiot ? Ce n’est pas son style de sécher ou du moins ne l’a-t-il jamais fait depuis que je le connais. Il est peut être malade. Pourtant, il pétait la forme hier. Goût amer dans ma bouche au souvenir de la torture qu’il m’a fait subir avec délectation. Je me prends à souhaiter qu’il ait été victime d’un accident : douce vengeance pour les évènements d’hier. Bien fait pour ce petit con. En plus, comme ça je peux à nouveau profiter de ma solitude dans le fond de la classe. Quel bonheur de pouvoir observer sans qu’il m’interrompe avec ses questions incessantes.

De fait, je poursuis attentivement mon examen, savourant la bulle de silence à ma table. Dès la fin de l’heure, je quitte le lycée, trop énervée pour rester une journée entière en cours. Après tout je n’en ai pas besoin, Hell me dispense un enseignement bien plus intéressant et complet. Cela dit, si Luce apprend que je n’ai pas fait d’efforts, je vais m’en prendre plein la gueule. Soit, j’irais en cours l’après-midi, ce sera amplement suffisant, d’autant plus que je serais plus apte à écouter si je suis reposée et ça Luce ne pourra pas le contrer.

Du coup, lorsque je reviens au lycée l’après-midi, je m’attends à retrouver Alex et à pouvoir lui faire la tête au carré mais il n’est pas revenu. Donc je me prélasse avec délectation dans le fond des salles de classe, ravie. J’ai trouvé une occupation autre que d’observer aujourd’hui : j’imagine les scénarios expliquant la disparition de mon voisin. Ma thèse préférée est celle de l’enlèvement extraterrestre vers une planète lointaine où Alex est utilisé comme base de recherche sur les espèces vivantes de l’univers. J’imagine toutes les expériences que ces êtres venus d’ailleurs pourraient effectuer : résistance à la douleur en l’écartelant par exemple, test émotif sur la peur, ouverture sans anesthésie pour comprendre le système organique humain… J’en frémis de plaisir.

Malheureusement, dès le lendemain ce jeu-là ne m’amuse plus, ma colère s’est éteinte. Alex n’est toujours pas revenu, il doit être cloué au lit. Je me suis attendue à ce qu’il prévienne Luce ou Hell mais aucun d’entre eux n’a de nouvelle du blondinet à lunettes, celui-ci a bel et bien disparu, pour ma plus grande joie.