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Red Brenn


Par : Conan
Genre : Polar, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 39 : La route


Publié le 11/05/2013 à 00:32:14 par Conan

Bébert insère une à une les six grenades que peuvent contenir son lanceur en mâchant son chewing-gum d'un air exaspéré.
-Qu'est-ce qu'on va foutre là-bas, sérieux ? Demande Vinny en vérifiant que ses pochettes soient bien accrochées à son gilet.

-Non mais sans déconner les mecs, vous voulez sérieusement laisser des mecs crever là-bas comme des merdes ? S’énerve Karl. Ça fait deux jours qu'ils tiennent bon, en attendant qu'on les aide, et vous voulez leur cracher dessus ? Moi j'y vais, et rien à foutre si j'crève en essayant.

D'un air déterminé, il enfile son brelage, boucle son ceinturon, et ramasse son AKM, puis se dirige vers la sortie de la pièce. Le nez de Gros Yo pousse un soupir, et l'imposant personnage se lève à son tour avec sa mitrailleuse sur l'épaule. Assis juste à coté, je le suis, imité par le reste du groupe. Mourir ici et maintenant, ou demain à trois kilomètres de là, quelle importance ? Le résultat sera le même. Alors, si on peut changer la donne pour des mecs qui sont condamnés sans notre assistance, ça vaut peut-être le coup.

Nous descendons dans la rue déserte, respectueusement salués par les combattants affectés à la défense de l'hôpital, appuyés contre leurs sacs de sable et leurs barrages routiers de fortune. Ils savent que demain, ce sera leur tour de faire une sortie.

C'est Vinny qui dirige le commando. Il fait séparer nos deux groupes de chaque coté de la rue. Je me retrouve à marcher entre Karl et Gros Yo, les deux gars de mon équipe.

Chacun sait ce qu'il a à faire pendant nos patrouilles. Greg est l'éclaireur, en tête, suivi par Titi et son fusil à lunette. Vinny, se tournant vers le reste de ses gars toutes les dix secondes, vérifie que les intervalles soient respectées, que personne ne traîne la patte. Bébert ferme la marche. Karl et moi, nous observons les fenêtres et les toits des bâtiments qui nous entourent. C'est une machine bien huilée, qui nous fait gagner pas mal de temps, et sécurise nos itinéraires. Du moins, autant qu'il en est possible.

-Tu sais quoi ? Après la guerre, j'pense que je vais acheter du Haussmannien. Même si ça doit être le dernier immeuble ancien encore debout à Paris, c'est moi qui l'aurait. Dis-je à Bébert, qui ricane.
-Ha ! T'es con. On sera tous crevé bien avant que ça soit fini.

Notre petite troupe d'une vingtaine de combattants arrive jusqu'aux Invalides, accueillis par les soldats dissidents du 93ème régiment d'Artillerie de Montagne postés à coté de leurs pièces d'artilleries, notamment des mortiers de 120 et des canons Caesar de 155, ainsi qu'un reliquat de fantassins de divers régiments d'infanterie et de parachutistes.

L'un de leurs chefs, un adjudant, coiffé de l'emblématique tarte des troupes de montagne, et les yeux masqués par une paire de lunettes de soleil, nous accueille chaleureusement. Vinny s'avance vers lui.
-Bonjour mon adjudant. Sergent-chef Vinyard. Je dirige ce groupe.
Le montagnard répond d'une voix franche et affirmée.
-Salut, adjudant Capdelerme. Les gars sont à un kilomètre d'ici.Une compagnie. On a perdu toute liaison radio avec eux. Y'a de fortes chances que ce soient les troupes loyalistes qui aient brouillé leurs communications.
-Des mouvements de troupe ennemis ont-ils été observés sur place ?
-Pas depuis la fin des bombardements, mais d'autres observateurs ont annoncé la présence d'un véhicule blindé et de troupes à pied, peut-être deux sections, se déplaçant en direction du pont. Mais rien ne dit qu'ils sont là pour eux.
-Ok, on va reprendre la marche sans perdre de temps dans ce cas. Vous êtes en mesure de nous appuyer ?
-Vous n'aurez qu'a demander.
L'adjudant sort un talkie-walkie d'une de ses poches.
-Je suis sur le canal 3. En cas de problème, donnez-moi vos coordonnées, et je verrais c'que je peux faire.

Ceux qui en avaient allumées écrasent leurs clopes sous leurs brodequins, et notre troupe se remet en marche.
-Bon, les gars, on entre en zone ennemie maintenant. On passe en sûreté. Annonce Vinny après cinquante mètres.

Le rythme de marche se ralenti, des écarts plus importants se forment entre les hommes. Dix mètres environ, soit le rayon létal d'une grenade défensive. Jusqu'à l'avenue de la Motte Piquet.

Nous voilà arrivés sur l'important carrefour, encerclé d'immeubles d'habitations. L'une des parties les plus délicates du déplacement. Un tireur isolé ou une mitrailleuse embusquée peuvent tous nous envoyer au tas en moins d'une minute. Il nous faut porter un œil sur tout, être réactifs et surtout regarder où on met les pieds.

Je met mon équipe d'appui feu en position vers la zone supposée dangereuse, à savoir celle où nous nous rendons. Gros Yo déplie les bipieds de sa mitrailleuse, et Karl se couche sur le sol. Titi surveille un coté de l'avenue, Bébert l'autre. Le reste du groupe traverse rapidement, au pas de course.

-Hé Karl. Chuchote Gros Yo.
-Ouais ? Répond l’intéressé en fixant les étages des bâtiments face à nous.
-Tu sais quelle est l'espérance de vie d'un groupe de combat en milieu urbain ?
-Nan, j'en sais rien... Vingt minutes ?
-Six secondes.

Gros Yo pousse un ricanement aiguë, comme seuls les fumeurs savent le faire. Karl ne répond rien.

L'autre partie du groupe atteint le coté opposé de l'avenue et se et en appui pour nous permettre de traverser à notre tour.
-Allez les gars, on y go ! Dis-je en me levant.

-Putain, j'déteste courir. Surtout avec un flingue et vingt kilos se le dos. Suffoque Karl.

A peine avons-nous fini de traverser la petite vingtaine de mètres qui nous séparent de l'autre coté que le groupe se remet en marche, silencieusement et aux aguets.

Nous arrivons dans la zone frappée par les tirs d'artillerie. Et ça se voit. De la fumée plane encore doucement à ras du sol. Des cratères sont enfoncés dans le bitume, comme des pustules sur une peau déjà bien abîmée, et des crevasses éventrent le sol, découvrant parfois de gros câbles électriques ou des canalisations.

Les pans de murs non-encore effondrés sont criblés d'impacts de tous genres. Pas une fenêtre n'est encore intacte, pas une toiture n'est crevée par un obus. Les rues vides sont couvertes de gravats et de débris. Et c'est dans ce chaos urbain que nous nous engouffrons.

Nous longeons une partie de l'avenue Blosquet en passant à travers les boutiques fermées et les hall d'immeubles. Chaque couverture est bonne à prendre. Dans l'un des halls, Titi quitte notre groupe sur ordre de Vinny, et monte les escaliers pour couvrir notre avancée qui touche à son bout.

Nous arrivons enfin au croisement avec la rue du champ de Mars.

Derrière ce mur auquel tout le groupe est appuyé, le pâté de maisons dans lequel sont emprisonnés nos hommes.

Greg se met à plat ventre, et se décale légèrement du mur pour faire son ouverture d'angle. Il revient vers nous aussi sec.
-Alors ? Demande Vinny.
-Blindé. A cinquante mètres, à peine.
-Bordel ! Peste Vinny. Ils doivent sûrement encercler l'immeuble.

-On peut toujours faire appel à l'artillerie. Suggère une voix parmi nous.
-Nan, c'est trop risqué pour nous, et pour nos potes. Ils sont juste à coté. Répond Gro Yo.


Vinny pose l'arrière de sa tête contre le mur.
-Bon. On tente quand même. Quel type de blindé ?
-Transport de troupe, style VAB, avec un canon de 20 télé-opéré.
-Et les gars autours ?
-Une grosse dizaine, peut-être plus. Bien armés.
-Y'a sûrement de la ressource pas loin. Fais-je remarquer.

Vinny se tourne vers moi, et me désigne un long bloc de béton, posé au milieu de la rue. Certainement un morceau de la façade de l'immeuble de l'autre coté de l'avenue.
-Red, toi et ton équipe vous allez traverser, et vous poster. Tir de suppression sur l'infanterie. Guilhem, combien d'AT-4 t'as sur toi ?

Le casseur de char se tourne et nous dévoile deux lance-roquettes sanglés à son dos. Ça en fait trois pour le groupe en comptant celui de Vinny.

-Dès que le véhicule est HS, tir massif sur l'infanterie. On traversera et on rejoindra l'objectif. Termine notre chef.
-Un peu simpliste comme vision des choses. Note notre grenadier.
-On n'a pas trop le choix. Si seulement on avait pu prévenir les gars de notre arrivée, ça aurait été plus simple.
-Ils seront bien assez au courant quand ils entendront les coups de feu.

Mes deux potes et moi nous plaçons, prêts à bondir tel des lévriers. Des lévriers de quatre-vingt dix kilos équipés de gilets-pare balles, de fusils mitrailleurs et de sacs à dos.
-Ok les gars, prêts ?

Gros Yo souffle un coup. Et la poussée d'adrénaline fait son boulot. Nous nous levons et nous ruons à l'abri derrière le mur. Mon mitrailleur met un temps record pour mettre son ANF1 en batterie, et tire sans prendre de visée vers les soldats.

Je pourrais presque voir le blanc de leurs yeux. Ils sont à cinquante mètres, tout au plus. J'épaule mon fusil et tire trois, quatre cartouches sur ces uniformes mouvants qui ne tardent pas à se mettre à couvert en ripostant. La fusillade commence fort.

Le canon crachant 950 projectiles de 7,62 à la minute de Gros Yo me souffle dans les oreilles et m'étourdit. La Kalachnikof de Karl crépite elle-aussi tout ce qu'elle peut. A l'angle du mur, Guilhem et Vinny se mettent à découvert, un genou au sol, lance-roquettes sur l'épaule.

Vinny lance son projectile, qui part en un sifflement se figer sur le coté du blindé en train de manœuvrer.

Sa tourelle tourne sa gueule vers nous. A peine ai-je eu le temps d'entendre quelqu'un hurler « au sol ! » que nous sommes soufflés par une pluie d'obus explosifs.

Je me retrouve à terre, plus à cause du choc que pour me mettre à couvert. Des gravats me tombent dessus. D'un coup d’œil, je regarde si tout le monde va bien. Guilhem foire son coup, et sa roquette part se perdre dans l'horizon.

Dans le même temps, les tirs des fantassins face à nous redoublent d'intensité. Notre chef hurle des ordres, mais je ne les entends pas. A vrai dire, je n'entends plus rien. Je ne comprends plus rien. Si ce n'est cette sensation que je vais mourir, là, maintenant, écrasé par un projectile capable de me priver de la moitié de mon corps en une fraction de seconde.

Guilhem jette son tube gâché et récupère le second dans le même temps. Mais un obus explose à seulement un mètre devant lui. Il est projeté en arrière, laissant une moitié de jambe et quelques bouts de chair à sa place. Greg se précipite sur lui, tandis que Bébert et ses grenades tentent sans succès de mettre à mal le monstre d'acier en train de nous clouer au sol avec sa gueule crachant le feu.
Greg parvient à débarrasser notre antichar de son arme, et déploie les organes de visée et la poignée de l'AT-4 CS. Il se met à son tour en position face au blindé et lui administre une dragée de 84 millimètres qui touche un réservoir de carburant. Une gerbe de flamme sort de la carcasse en train de s'enflammer. L'incendie atteint rapidement la soute à munitions, puis c'est l'explosion, spectaculaire, magistrale, répandant boules de feu et débris de métal dix mètres à la ronde.

-Reprenez le tir ! Feu ! Feu à volonté ! Hurle Vinny.
Une main agrippe mon épaule et me soulève.
-Allez mec, on continue ! Je reconnais la voix de Karl. Je me redresse, l'esprit encore embrumé, et me remet en position, prêt à tirer.
Gros Yo reprend son balayage. A nous de montrer nos bites.

Tout le groupe se déploie en ligne face à l'ennemi, couvert par divers débris. Ça un bloc de ciment, ça un muret, ça une machine a laver posée en plein milieu de la rue.

Je repère justement un trinôme se mettre à couvert derrière une carcasse de voiture. Je tape sur l'épaule de mon mitrailleur et lui désigne de la main.
-Derrière la bagnole blanche ! Trois mecs !

Il fait pivoter son arme et envoie la purée. Les balles traçantes perforent la tôle et rebondissent contre les murs en direction du ciel.

Au cours de la fusillade, un des nôtres est touché à l'épaule. Je n'ai pas vu de qui il s'agissait. Mais, de manière générale, la puissance de feu est définitivement en notre faveur.

Je continue de tirer sur ces formes qui se déplacent rapidement et ripostent précisément. Jusqu'au « clac ! » caractéristique du percuteur qui frappe dans le vide. Seigneur, déjà vingt balles.
J'annonce mon changement de chargeur et me baisse derrière mon abri. Je retire le magasin enclenché en chambre et en sort un autre dans la foulée d'une des dizaines de pochettes accrochées à mon gilet. Mon regard se lève et se pose sur Guilhem, étendu au sol. Protégé derrière un mur, il trouve encore la force de se faire un garrot à la jambe, malgré le choc qu'a du lui faire subir l'explosion qui lui a coûté la moitié de sa jambe gauche, qui se résume maintenant à un genre de tronc de viande finissant sur un moignon mal défini d'où sort un os brisé, et répandant encore quantité de sang sur le trottoir.


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