Layla Wa Jeïel
Par : Warser
Genre : Action , Fantastique
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 14
Publié le 05/03/13 à 21:33:01 par Warser
Tsvao recula d'un pas, son sabre jaillit du fourreau. Il n'avait jamais vu son ami dans cet état. Si un autre mage noir provoquait cette crise, il devait être proche, puissant, et animé de mauvaises intentions. Jeïel avait mis pied à terre, immobile. Ses mains refermées sur le pommeau de ses khopeshs, elle guettait le moindre signe d'activité alentour.
Les dents d'Erena s?allongeaient à vue d'oeil, ses yeux viraient au rouge sang. Ses griffes aiguisées muaient en de petites dagues métalliques. Elle s'avança vers Eagal. Le mage s'était affaissé sur le sol, son visage déformé de souffrance. Les arbres se mouvaient lentement, comme bercés par le vent, mais il n'y avait pas de vent. Les cris d'animaux avaient laissé place au craquement du bois et au bruissement des feuilles.
Le sang gicla du poignet d'Erena lorsqu'elle en déchira la chair. Un sang noir et épais, qui luisait au soleil et s'écoulait lentement. Tenant son bras au-dessus du visage d'Eagal, elle en fit couler quelques gouttes dans sa gorge. Le mage s'anima, son visage morbide reprit des couleurs. Il fut pris d'une incontrôlable quinte de toux, des larmes coulaient sur ses joues. Entre deux inspirations, il parvint à articuler un merci reconnaissant.
Erena avait immédiatement détourné son attention du mage qui se remettait de ses émotions. La blessure de son poignet s'était refermée.
Tsvao et Jeïel reculaient vers le corps d'Eagal, qui bougeait faiblement. Le mage était incapable de bouger, et malgré le sang d'Erena, plus faible que jamais. Si un danger imminent surgissait, il ne serait pas en état de se battre. Les arbres s'étaient immobilisés. La jungle était plongée dans un silence pesant, effrayant. Le regard de Tsvao balaya les alentours, et il la vit. Dans l'ombre d'un jeune palmier. Une petite silhouette frêle, adossée à l'écorce.
- On vient pas souvent me voir, ici...
C'était une voix douce, enfantine, rieuse, qui retentissait comme le tintement d'un grelot dans la forêt silencieuse. Tsvao saisit une baïonette d'argent, qu'il fit glisser dans sa main gauche. Les démons majeurs aimaient prendre des formes incongrues et originales, pour marquer leur noblesse. L'apparence de fée ou de petits elfes n'était pas exclue. La silhouette sortit de l'ombre. Elle avait un joli visage bronzé, aux traits finement dessinés. Son sourire malicieux, sa petite taille, et la couronne de fleurs qui couronnait ses boucles brunes rappelaient à Tsvao les jeunes princesses des pays du sud. Elle portait une robe d'algues tressées, qui brillaient au soleil sans pour autant se dessécher. Le jeune homme ne pût s'empêcher de ressentir une forme de respect mêlé de peur pour l'esprit qui parvenait si bien à dessiner et former les traits d'êtres aussi purs que les enfants. Erena, elle, était incapable d'une telle prouesse.
- Le chat vous a mangé la langue?
L'enfant éclata de rire, et s'approcha de Tsvao, Erena et Jeïel, qui faisaient cercle autour d'Eagal. Son assurance face aux armes des deux guerriers et à la forme de combat d'Erena confirmait les doutes de Tsvao. Cette petite fille ne pouvait être qu'un démon.
- C'est pas drôle, si je parle toute seule, remarqua-t-elle avec une moue boudeuse. T'es qui toi ? T'es un vampire ?
Erena répondit en montrant les dents.
- Je ne suis pas d'humeur à la fine plaisanterie, mon frère. Prends une forme décente, et on pourra parler.
L'enfant recula d'un pas, et baissa les yeux.
- Tu fais peur. Rentre tes dents.
- Ah, parce que tu n'avais pas peur avant ? Courageuse, pour une petite fille, ironisa Jeïel.
Un sourire passa sur le visage de sa jeune interlocutrice.
- Je suis gentille, moi. Donc les gens n'ont pas peur, et ils me font pas de trucs méchants. Donc j'ai pas peur d'eux. Mais les dents, là, elles sont un peu longues.
Tsvao restait perplexe. Les démons, même les plus raffinés et sophistiqués, avaient leur fierté. Ils appréciaient la beauté, l'art, le charisme et la puissance. Ils pouvaient, comme Erena, prendre la forme de femmes magnifiques. Ils aimaient se transformer en chefs éclatant de pouvoir, en tribuns capables d'exécuter de beaux discours. Ils prenaient même parfois la forme des anges, ce qui représentait le summum de la subtilité provocante, mais jamais des enfants, qui pour eux n'avaient aucun intérêt. L'illusion était si bien réalisée... Le jeune homme se doutait bien qu'il ne s'agissait pas d'une petite humaine. Elle aurait fui en pleurant. Et que ferait-elle ici de toute façon?
Erena tendit la main, et une flamme noire crépita au creux de sa paume, avant de se diriger rapidement vers la jeune fille. La masse de braises ardentes virevoltait autour de l'enfant, qui fixait la succube avec des yeux écarquillés d'angoisse.
- Qu'est ce que tu fais ? Arrête !
- Si tu n'es pas un démon, tu ne sentiras rien, assura Erena.
La petite fille regardait la succube sans comprendre. Alors qu'une autre flamme venait rejoindre la première, des larmes pointaient dans ses grands yeux verts. Elle sanglotait faiblement au milieu du cercle de feu formé par Erena, qui la regardait en haussant les sourcils. Une voix faible et rauque, accentuée de raclements de gorge, retentit derrière elle.
- Arrête, Erena. Ce n'est pas un démon. Pas une humaine non plus, mais pas un démon.
- Ah, tu te réveilles. Et pour me donner un ordre. Qu'est ce que c'était?
- Je ne sais pas moi même. Laisse cet esprit tranquille.
La petite fille jeta un regard reconnaissant au mage, qui se relevait lentement. La succube ferma son poing, et les cendres noires tombèrent au sol, inertes. Résignée, elle reprit la forme d'une jeune noble en robe blanche.
La petite fille sanglotait toujours au sol. Elle jetait parfois des regards à Tsvao qui était resté silencieux, comme pour l'appeler au secours, au milieu de ces gens qui parlaient d'elles en des termes qu'elle ne semblait pas comprendre. Le jeune homme avait rengainé son sabre, et ses muscles s'étaient détendus. Il faisait toute confiance à Eagal pour repérer les démons.
- On avait juste peur pour notre ami. Pardon. On ne te fera pas mal, je te le promets.
Tsvao ouvrit les mains, paume vers le ciel, et retira ses gants de cuir. Il gardait soigneusement une baïonnette dans sa manche.
- Moi c'est Tsvao, dit-il en s'approchant doucement, de la voix la plus tranquille qu'il put adopter. Et toi? Tu t'appelles comment?
Elle eut un mouvement de recul, et baissa à nouveau les yeux, toujours prise de hoquets. Tsvao n'avait pas eu d'interaction avec des enfants depuis ses années à la cour d'Akhyat, où il avait été nommé garde du corps d'une très jeune noble. Il avait du agir comme un chevalier servant des comtes, jouer avec elle, et surtout, accéder à ses moindres volontés, ce qui pour lui avait été une épreuve sans précédent.
Il s'accroupit devant elle, et approcha la main de son épaule, un sourire aux lèvres.
- Tu vas bien? Tu as besoin de quelque chose?
Elle leva ses grands yeux timides et mouillés vers le jeune homme, et fit non de la tête.
- Tu as un nom?
Tsvao posa sa main avec gentillesse sur le bras de l'enfant, qui trembla imperceptiblement.
- Namie. Moi c'est Namie.
La jungle revenait lentement à son état normal. Le silence s'effaçait à nouveau dans le concert de piaillement des osieaux et de hurlement des singes.
Jeïel, Erena, et Eagal, restaient silencieux, mais ils avaient baissé leur garde. Il valait mieux, pensaient-ils à l'unisson, qu'ils fassent oublier leur présence.
- C'est un joli nom. Qu'est ce que tu fais ici?
La jeune fille se dégagea de la paume de Tsvao.
- C'est chez moi, ici !
Etrangement, Tsvao la comprenait. Pour une raison quelconque, cette jeune fille ou cet esprit considérait la jungle comme sa maison. Et eux, ces quatres personnages menaçants, étaient des intrus effrayants. C'était à eux de se justifier.
- On ne fait que passer, assura le jeune homme. On va te laisser tranquille, si tu veux.
Namie acquiesça en ravalant un sanglot.
- Mais je veux te poser une question ? si tu veux me répondre -.
Devant l'absence de réaction, Tsvao poursuivit.
-Tu sais ce qui vient de se passer? Le vent? Le silence?
Le jeune fille acquiesça en silence.
- Oui, reprit-elle finalement. C'est le grand lamantin. Il m'a dit qu'il aimait pas les démons et les magiciens. Vous êtes des magiciens?
Tsvao jeta un regard interrogateur à Eagal, qui lui répondit en haussant les épaules. Le grand lamantin?
- Mon ami est magicien. Qui est le grand lamantin?
Eagal et Erena échangeaient une conversation discrète. La surprise et l'incompréhension sur leur visage, et Erena semblait s'être calmée. La petite fille avait retrouvé un peu de son assurance initiale, et séchait peu à peu ses larmes.
- C'est mon maître, il veut qu'on l'appelle comme ça. Je sais pas ce que ça veut dire.
- C'est un animal, intervint Eagal, qui s'était approché. Un habitant des mers. Sans doute le nom que se donne le maître de cet esprit.
Namie jeta un regard au mage, à mi chemin entre la peur et la curiosité.
- C'est vous le magicien?
Eagal fit oui de la tête. Il se tenait debout encore difficilement, dans sa robe noire salie par la boue du chemin.
- C'est moi. Qui est ton maître ?
Namie le fixa de ses grands yeux d'enfant, et ouvrit la bouche, comme surprise.
- Tu as mal. Tu as très mal.
Eagal laissa échapper un geste d'agacement. Sa patience était limitée, surtout lorsqu'il venait de subir l'attaque d'un mage plus puissant que lui.
- Ne t'inquiète pas pour moi. Je n'ai plus mal.
L'enfant croisa les bras et fronça les sourcils.
- Si, tu as toujours mal. Je vois à l'intérieur, c'est tout noir. Enfin, pas au fond, mais y a une grosse couche noire qui cache tout.
Le mage détourna les yeux. Il ne pouvait plus soutenir le regard de cette petite. Il se sentait mis à nus par ces grands yeux verts, qui fixaient les tréfonds de son âme. Littéralement, pensait-il. Elle n'était pas un esprit démoniaque, ni un esprit angélique, pensait Eagal. Du peu qu'il savait des anges de Shay'la, ils pouvaient prendre la forme d'enfants, mais ils ne descendaient que très rarement sur terre.
- Je peux t'enlever la poussière au dessus, insista l'enfant.
Elle semblait captivée par le mage. Toute trace de peur et d'angoisse avait disparu. Il ne restait plus que de la curiosité, et de l'inquiétude.
Namie approcha d'un geste vif sa main droite de la robe d'Eagal. À l'index, un anneau rouge brillait d'une lueur douce.
Un mince filet d'eau s'échappa de l'ongle, et disparut dans le col d'Eagal, qui sursauta et recula d'un pas. La main de Tsvao tressaillit, saissant la baïonette d'argent qu'il cachait toujours dans sa manche, sans pour autant la réveler. Eagal tendit le bras, et une flamme sombre se forma au creux de sa paume.
Namie ne s'en formalisa pas. Au contraire, elle regardait toujours le mage avec un soupçon d'inquiétude
- ça va mieux ?
La seconde qui avait suivi l'ntrusion du filet d'eau dans son corps, le mage avait senti ses forces revenir. Le sortilège ? si c'en était bien un ? avait parcouru tous ses membres, rétabli les connexions nerveuses, reconstruit les articulations, et surtout, effacé la douleur.
- Oui, reprit Eagal, toujours méfiant. Qu'est ce que tu as fait?
- J'ai fait le ménage, répondit Namie d'un air sérieux. Mais il reste du travail. Je peux pas tout faire, je suis une petite fille. Il faut que tu viennes voir mon maître.
Erena, Tsvao et Jëiel échangèrent des regards perplexe. Se présenter devant le mage qui avait causé la transe d'Eagal était pour le moins risqué.
- Merci de la proposition, mais je n'en ai plus besoin, répliqua Eagal.
Namie esquissa une moue renfrogné
- Tu t'es fait mal en faisant de la magie ici, sur le territoire de mon maître. Mais c'est pas pour ça, le noir. C'était déjà avant.
Le mage réfléchit un instant. Il n'avait aucune envie de se mettre à la merci d'un homme si puissant que ce mystérieux ?grand lamantin?. Pourtant il aurait voulu en apprendre plus sur cette magie qu'il n'avait jamais vue à l?½uvre. Il s'agissait, sans doute, de l'Essence de l'Un, qu'il avait intensément ressentie dans cette jungle. La magie Une, si c'était bien elle que le sorcier pratiquait, primait sur toutes les autres. Elle était à la racine de tout. Le monde, les enfers, le ciel, étaient nés d'elle, où plutôt émanaient d'elle, comme d'une source intarissable. A la connaissance d'Eagal, nul homme n'avait jamais pu la manier, ni l'utiliser.
Bien sur, cette invitation pouvait être un piège grossier, tendu par un rival. Pourtant, si ce mage avait voulu le tuer, ce serait déjà fait. Le contrecoup qui l'avait mis à terre avait été d'une violence inouie. Sans l'intervention d'Erena, il serait sans doute encore dans le coma. Les intentions de ce mage restaient un mystère : le sortilège qui l'avait terrassé était un bouclier tissé à l'avance, qui avait réagi à sa tentative de détection magique.
Et puis, le noir... Une allusion à la magie démoniaque? Il avait envie de se dire qu'il s'agissait des élucubration d'un esprit des jungles, mais la curiosité le dévorait. La curiosité devant l'inconnu et la puissance, que partageaient tous les mages dignes de ce nom. L'angoisse, également, l'avait gagné. L'expression de peur, et d'inquiétude de Namie lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois inspiraient en son esprit des questions, des doutes intolérables. La clairvoyance de certains esprits leur donnait le pouvoir de mesurer les âmes et les passions. Le mage s'était toujours posé la question des conséquences de la magie sur son être, sur ses pensées, sur ses intentions et ses désirs. Il voyait la démonologie comme un art dangereux pouvant corrompre ses pratiquants, mais n'avait jamais eu le courage de pousser plus loin l'étude de ces effets secondaires, sans doute parce que les éventuels résultats d'une telle recherche le concernaient au plus au point. Quelque soit la corruption provoquée par la magie démoniaque, il en était nécessairement victime. Cette "couche noire" dont parlait cet esprit représentait peut-être une telle corruption, qui suintait dans son sang, ou pire, dans son âme. Aujourd'hui, on lui proposait d'apporter des réponses à ces questions qui le torturaient et qu'il n'osait pas résoudre lui même. C'était une proposition beaucoup trop tentante pour être refusée. Bien sur, il pouvait se tromper dans son interprétation. Mais la chance, même minime, de satisfaire sa curiosité et de soulager ses doutes, surmontait les risques de l'entreprise.
- Je vais te suivre.
- Vous m'avez pas fait mal, alors personne vous fera mal, assura Namie.
Tsvao jeta à Eagal un regard chargé de reproches. Il désapprouvait totalement ce type de prise de risques inconsidérés, que le mage ne prenait pas d'habitude. Il ne connaissait pas grand chose à la magie, mais il savait que les occultistes se plaisaient à inventer les stratagèmes les plus raffinés et sophistiqués pour tuer ou pire, asservir leurs pairs.
Les dents d'Erena s?allongeaient à vue d'oeil, ses yeux viraient au rouge sang. Ses griffes aiguisées muaient en de petites dagues métalliques. Elle s'avança vers Eagal. Le mage s'était affaissé sur le sol, son visage déformé de souffrance. Les arbres se mouvaient lentement, comme bercés par le vent, mais il n'y avait pas de vent. Les cris d'animaux avaient laissé place au craquement du bois et au bruissement des feuilles.
Le sang gicla du poignet d'Erena lorsqu'elle en déchira la chair. Un sang noir et épais, qui luisait au soleil et s'écoulait lentement. Tenant son bras au-dessus du visage d'Eagal, elle en fit couler quelques gouttes dans sa gorge. Le mage s'anima, son visage morbide reprit des couleurs. Il fut pris d'une incontrôlable quinte de toux, des larmes coulaient sur ses joues. Entre deux inspirations, il parvint à articuler un merci reconnaissant.
Erena avait immédiatement détourné son attention du mage qui se remettait de ses émotions. La blessure de son poignet s'était refermée.
Tsvao et Jeïel reculaient vers le corps d'Eagal, qui bougeait faiblement. Le mage était incapable de bouger, et malgré le sang d'Erena, plus faible que jamais. Si un danger imminent surgissait, il ne serait pas en état de se battre. Les arbres s'étaient immobilisés. La jungle était plongée dans un silence pesant, effrayant. Le regard de Tsvao balaya les alentours, et il la vit. Dans l'ombre d'un jeune palmier. Une petite silhouette frêle, adossée à l'écorce.
- On vient pas souvent me voir, ici...
C'était une voix douce, enfantine, rieuse, qui retentissait comme le tintement d'un grelot dans la forêt silencieuse. Tsvao saisit une baïonette d'argent, qu'il fit glisser dans sa main gauche. Les démons majeurs aimaient prendre des formes incongrues et originales, pour marquer leur noblesse. L'apparence de fée ou de petits elfes n'était pas exclue. La silhouette sortit de l'ombre. Elle avait un joli visage bronzé, aux traits finement dessinés. Son sourire malicieux, sa petite taille, et la couronne de fleurs qui couronnait ses boucles brunes rappelaient à Tsvao les jeunes princesses des pays du sud. Elle portait une robe d'algues tressées, qui brillaient au soleil sans pour autant se dessécher. Le jeune homme ne pût s'empêcher de ressentir une forme de respect mêlé de peur pour l'esprit qui parvenait si bien à dessiner et former les traits d'êtres aussi purs que les enfants. Erena, elle, était incapable d'une telle prouesse.
- Le chat vous a mangé la langue?
L'enfant éclata de rire, et s'approcha de Tsvao, Erena et Jeïel, qui faisaient cercle autour d'Eagal. Son assurance face aux armes des deux guerriers et à la forme de combat d'Erena confirmait les doutes de Tsvao. Cette petite fille ne pouvait être qu'un démon.
- C'est pas drôle, si je parle toute seule, remarqua-t-elle avec une moue boudeuse. T'es qui toi ? T'es un vampire ?
Erena répondit en montrant les dents.
- Je ne suis pas d'humeur à la fine plaisanterie, mon frère. Prends une forme décente, et on pourra parler.
L'enfant recula d'un pas, et baissa les yeux.
- Tu fais peur. Rentre tes dents.
- Ah, parce que tu n'avais pas peur avant ? Courageuse, pour une petite fille, ironisa Jeïel.
Un sourire passa sur le visage de sa jeune interlocutrice.
- Je suis gentille, moi. Donc les gens n'ont pas peur, et ils me font pas de trucs méchants. Donc j'ai pas peur d'eux. Mais les dents, là, elles sont un peu longues.
Tsvao restait perplexe. Les démons, même les plus raffinés et sophistiqués, avaient leur fierté. Ils appréciaient la beauté, l'art, le charisme et la puissance. Ils pouvaient, comme Erena, prendre la forme de femmes magnifiques. Ils aimaient se transformer en chefs éclatant de pouvoir, en tribuns capables d'exécuter de beaux discours. Ils prenaient même parfois la forme des anges, ce qui représentait le summum de la subtilité provocante, mais jamais des enfants, qui pour eux n'avaient aucun intérêt. L'illusion était si bien réalisée... Le jeune homme se doutait bien qu'il ne s'agissait pas d'une petite humaine. Elle aurait fui en pleurant. Et que ferait-elle ici de toute façon?
Erena tendit la main, et une flamme noire crépita au creux de sa paume, avant de se diriger rapidement vers la jeune fille. La masse de braises ardentes virevoltait autour de l'enfant, qui fixait la succube avec des yeux écarquillés d'angoisse.
- Qu'est ce que tu fais ? Arrête !
- Si tu n'es pas un démon, tu ne sentiras rien, assura Erena.
La petite fille regardait la succube sans comprendre. Alors qu'une autre flamme venait rejoindre la première, des larmes pointaient dans ses grands yeux verts. Elle sanglotait faiblement au milieu du cercle de feu formé par Erena, qui la regardait en haussant les sourcils. Une voix faible et rauque, accentuée de raclements de gorge, retentit derrière elle.
- Arrête, Erena. Ce n'est pas un démon. Pas une humaine non plus, mais pas un démon.
- Ah, tu te réveilles. Et pour me donner un ordre. Qu'est ce que c'était?
- Je ne sais pas moi même. Laisse cet esprit tranquille.
La petite fille jeta un regard reconnaissant au mage, qui se relevait lentement. La succube ferma son poing, et les cendres noires tombèrent au sol, inertes. Résignée, elle reprit la forme d'une jeune noble en robe blanche.
La petite fille sanglotait toujours au sol. Elle jetait parfois des regards à Tsvao qui était resté silencieux, comme pour l'appeler au secours, au milieu de ces gens qui parlaient d'elles en des termes qu'elle ne semblait pas comprendre. Le jeune homme avait rengainé son sabre, et ses muscles s'étaient détendus. Il faisait toute confiance à Eagal pour repérer les démons.
- On avait juste peur pour notre ami. Pardon. On ne te fera pas mal, je te le promets.
Tsvao ouvrit les mains, paume vers le ciel, et retira ses gants de cuir. Il gardait soigneusement une baïonnette dans sa manche.
- Moi c'est Tsvao, dit-il en s'approchant doucement, de la voix la plus tranquille qu'il put adopter. Et toi? Tu t'appelles comment?
Elle eut un mouvement de recul, et baissa à nouveau les yeux, toujours prise de hoquets. Tsvao n'avait pas eu d'interaction avec des enfants depuis ses années à la cour d'Akhyat, où il avait été nommé garde du corps d'une très jeune noble. Il avait du agir comme un chevalier servant des comtes, jouer avec elle, et surtout, accéder à ses moindres volontés, ce qui pour lui avait été une épreuve sans précédent.
Il s'accroupit devant elle, et approcha la main de son épaule, un sourire aux lèvres.
- Tu vas bien? Tu as besoin de quelque chose?
Elle leva ses grands yeux timides et mouillés vers le jeune homme, et fit non de la tête.
- Tu as un nom?
Tsvao posa sa main avec gentillesse sur le bras de l'enfant, qui trembla imperceptiblement.
- Namie. Moi c'est Namie.
La jungle revenait lentement à son état normal. Le silence s'effaçait à nouveau dans le concert de piaillement des osieaux et de hurlement des singes.
Jeïel, Erena, et Eagal, restaient silencieux, mais ils avaient baissé leur garde. Il valait mieux, pensaient-ils à l'unisson, qu'ils fassent oublier leur présence.
- C'est un joli nom. Qu'est ce que tu fais ici?
La jeune fille se dégagea de la paume de Tsvao.
- C'est chez moi, ici !
Etrangement, Tsvao la comprenait. Pour une raison quelconque, cette jeune fille ou cet esprit considérait la jungle comme sa maison. Et eux, ces quatres personnages menaçants, étaient des intrus effrayants. C'était à eux de se justifier.
- On ne fait que passer, assura le jeune homme. On va te laisser tranquille, si tu veux.
Namie acquiesça en ravalant un sanglot.
- Mais je veux te poser une question ? si tu veux me répondre -.
Devant l'absence de réaction, Tsvao poursuivit.
-Tu sais ce qui vient de se passer? Le vent? Le silence?
Le jeune fille acquiesça en silence.
- Oui, reprit-elle finalement. C'est le grand lamantin. Il m'a dit qu'il aimait pas les démons et les magiciens. Vous êtes des magiciens?
Tsvao jeta un regard interrogateur à Eagal, qui lui répondit en haussant les épaules. Le grand lamantin?
- Mon ami est magicien. Qui est le grand lamantin?
Eagal et Erena échangeaient une conversation discrète. La surprise et l'incompréhension sur leur visage, et Erena semblait s'être calmée. La petite fille avait retrouvé un peu de son assurance initiale, et séchait peu à peu ses larmes.
- C'est mon maître, il veut qu'on l'appelle comme ça. Je sais pas ce que ça veut dire.
- C'est un animal, intervint Eagal, qui s'était approché. Un habitant des mers. Sans doute le nom que se donne le maître de cet esprit.
Namie jeta un regard au mage, à mi chemin entre la peur et la curiosité.
- C'est vous le magicien?
Eagal fit oui de la tête. Il se tenait debout encore difficilement, dans sa robe noire salie par la boue du chemin.
- C'est moi. Qui est ton maître ?
Namie le fixa de ses grands yeux d'enfant, et ouvrit la bouche, comme surprise.
- Tu as mal. Tu as très mal.
Eagal laissa échapper un geste d'agacement. Sa patience était limitée, surtout lorsqu'il venait de subir l'attaque d'un mage plus puissant que lui.
- Ne t'inquiète pas pour moi. Je n'ai plus mal.
L'enfant croisa les bras et fronça les sourcils.
- Si, tu as toujours mal. Je vois à l'intérieur, c'est tout noir. Enfin, pas au fond, mais y a une grosse couche noire qui cache tout.
Le mage détourna les yeux. Il ne pouvait plus soutenir le regard de cette petite. Il se sentait mis à nus par ces grands yeux verts, qui fixaient les tréfonds de son âme. Littéralement, pensait-il. Elle n'était pas un esprit démoniaque, ni un esprit angélique, pensait Eagal. Du peu qu'il savait des anges de Shay'la, ils pouvaient prendre la forme d'enfants, mais ils ne descendaient que très rarement sur terre.
- Je peux t'enlever la poussière au dessus, insista l'enfant.
Elle semblait captivée par le mage. Toute trace de peur et d'angoisse avait disparu. Il ne restait plus que de la curiosité, et de l'inquiétude.
Namie approcha d'un geste vif sa main droite de la robe d'Eagal. À l'index, un anneau rouge brillait d'une lueur douce.
Un mince filet d'eau s'échappa de l'ongle, et disparut dans le col d'Eagal, qui sursauta et recula d'un pas. La main de Tsvao tressaillit, saissant la baïonette d'argent qu'il cachait toujours dans sa manche, sans pour autant la réveler. Eagal tendit le bras, et une flamme sombre se forma au creux de sa paume.
Namie ne s'en formalisa pas. Au contraire, elle regardait toujours le mage avec un soupçon d'inquiétude
- ça va mieux ?
La seconde qui avait suivi l'ntrusion du filet d'eau dans son corps, le mage avait senti ses forces revenir. Le sortilège ? si c'en était bien un ? avait parcouru tous ses membres, rétabli les connexions nerveuses, reconstruit les articulations, et surtout, effacé la douleur.
- Oui, reprit Eagal, toujours méfiant. Qu'est ce que tu as fait?
- J'ai fait le ménage, répondit Namie d'un air sérieux. Mais il reste du travail. Je peux pas tout faire, je suis une petite fille. Il faut que tu viennes voir mon maître.
Erena, Tsvao et Jëiel échangèrent des regards perplexe. Se présenter devant le mage qui avait causé la transe d'Eagal était pour le moins risqué.
- Merci de la proposition, mais je n'en ai plus besoin, répliqua Eagal.
Namie esquissa une moue renfrogné
- Tu t'es fait mal en faisant de la magie ici, sur le territoire de mon maître. Mais c'est pas pour ça, le noir. C'était déjà avant.
Le mage réfléchit un instant. Il n'avait aucune envie de se mettre à la merci d'un homme si puissant que ce mystérieux ?grand lamantin?. Pourtant il aurait voulu en apprendre plus sur cette magie qu'il n'avait jamais vue à l?½uvre. Il s'agissait, sans doute, de l'Essence de l'Un, qu'il avait intensément ressentie dans cette jungle. La magie Une, si c'était bien elle que le sorcier pratiquait, primait sur toutes les autres. Elle était à la racine de tout. Le monde, les enfers, le ciel, étaient nés d'elle, où plutôt émanaient d'elle, comme d'une source intarissable. A la connaissance d'Eagal, nul homme n'avait jamais pu la manier, ni l'utiliser.
Bien sur, cette invitation pouvait être un piège grossier, tendu par un rival. Pourtant, si ce mage avait voulu le tuer, ce serait déjà fait. Le contrecoup qui l'avait mis à terre avait été d'une violence inouie. Sans l'intervention d'Erena, il serait sans doute encore dans le coma. Les intentions de ce mage restaient un mystère : le sortilège qui l'avait terrassé était un bouclier tissé à l'avance, qui avait réagi à sa tentative de détection magique.
Et puis, le noir... Une allusion à la magie démoniaque? Il avait envie de se dire qu'il s'agissait des élucubration d'un esprit des jungles, mais la curiosité le dévorait. La curiosité devant l'inconnu et la puissance, que partageaient tous les mages dignes de ce nom. L'angoisse, également, l'avait gagné. L'expression de peur, et d'inquiétude de Namie lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois inspiraient en son esprit des questions, des doutes intolérables. La clairvoyance de certains esprits leur donnait le pouvoir de mesurer les âmes et les passions. Le mage s'était toujours posé la question des conséquences de la magie sur son être, sur ses pensées, sur ses intentions et ses désirs. Il voyait la démonologie comme un art dangereux pouvant corrompre ses pratiquants, mais n'avait jamais eu le courage de pousser plus loin l'étude de ces effets secondaires, sans doute parce que les éventuels résultats d'une telle recherche le concernaient au plus au point. Quelque soit la corruption provoquée par la magie démoniaque, il en était nécessairement victime. Cette "couche noire" dont parlait cet esprit représentait peut-être une telle corruption, qui suintait dans son sang, ou pire, dans son âme. Aujourd'hui, on lui proposait d'apporter des réponses à ces questions qui le torturaient et qu'il n'osait pas résoudre lui même. C'était une proposition beaucoup trop tentante pour être refusée. Bien sur, il pouvait se tromper dans son interprétation. Mais la chance, même minime, de satisfaire sa curiosité et de soulager ses doutes, surmontait les risques de l'entreprise.
- Je vais te suivre.
- Vous m'avez pas fait mal, alors personne vous fera mal, assura Namie.
Tsvao jeta à Eagal un regard chargé de reproches. Il désapprouvait totalement ce type de prise de risques inconsidérés, que le mage ne prenait pas d'habitude. Il ne connaissait pas grand chose à la magie, mais il savait que les occultistes se plaisaient à inventer les stratagèmes les plus raffinés et sophistiqués pour tuer ou pire, asservir leurs pairs.
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