il ont chanté en coeur:
-EPIC FAIL!

ils se tordaient de rire en me montrant du doigt, Jacob reproduisait des imitations de la scène, Théodore, du revers de la main, essuyait le filet de morve qui avait explosé hors de son nez et Barnabé, hilare, me lançait les boulettes mâchées dispersées près de son verre, dont le papier baveux restait collé à la surface de mon t-shirt.

Derrière moi, je sentais les regards alourdis qui pesaient sur mon dos, accusateurs du bide le plus résonant de la toute la galaxie.


À dire la vérité, j'aurais préféré warp au milieu d'un nid de chancre plutôt que d'avoir à essuyer cette honte qui cuisinait mes tripes en sanwich.


Mais, étant donné qu'à l'exception de mon chat Dark-Viktor, cette bande de raclures qui se bidonnaient de mon fail étaient mes seuls amis, et que je ne voulais pas finir le reste de ma soirée à me remettre de mon bide derrière un écran, je me suis assis à la table avec eux, en leur lançant un regard plus noir que les tréfonds de l'âme d'une kerrigan.

-OMG, elle était trop pourrie ta blague a dit Barnabé.

Jacob, pour la troisième fois consécutive, a réitéré sa piètre imitation de ce qu'il avait pu observer, en posant son coca sur le rebord:

-Je t'offre un verre ?

La table a explosé de rire; ils avaient recommencé leur déluge de quincaillerie.

-ça va, ça va, ai-je marmonné, on va pas en faire un fromage non plus.

Théopolde m'a regardé derrières ses petites lunettes rondes, et de son rictus de rat, il a déclaré:

-Pas un fromage, mais une fromagerie carrément, ouai! T'avais parlé d'epic win, eh ben nom d'un ponnay, c'est réussit, en tout cas la pour la partie epic

Nouveaux éclats de rire. Ils commençaient sérieusement à me gonfler les roubignoles ces oiseaux-là

-Vos geule ou je me casse, ai-je coupé sèchement.

-Rooh, tu vas pas ragequit quand même, m'a dit Théopolde, qui, d'habiles pichnettes, faisait éjecter les boulettes de papier qui s'étaient perdues dans mes cheveux.


-Vous me faites chier, bande de connards, je me fous la honte devant un pseudo rose et vous trouvez rien de mieux à faire que d'enfoncer le clou.

-Ouai, mais on rigole, a dit Jacob, il faut pas s'énerver vieux.

-Ouai, faut pas s'énerver, a bêtement répété Barnabé, en lançant une boulette de papier dans mon verre encore plein.

Je me suis violemment dégagé de la main de théopolde, qui commençait à trifouiller dans ma touffe à la recherche d'autres boulettes égarées.

-Non mais je vous emmerde, je sais pas, j'étais si sûr de moi, et là je me retrouve comme une merde c'est quand même putain de hard IRL

-Tu l'as dit, a renchéri Jacob en vidant le cul de son verre, c'est pour ça qu'un noob ne doit jamais s'attaquer à un level aussi élevé.

-Mais, mais... Pourquoi on est des noob? Je veux dire, depuis le temps qu'on vit dans cet IRL, on devrait quand même avoir un peu de skill non?

-Ben on peut pas être un GM partout, faut savoir faire des choix dans la vie, a dit mon gros acolyte, qui s'essuyait le front en épiant du coin de l'oeil la carte des desserts.

-Mais regardez nous, bordel, on a chacun 18 piges, pas de copine, pas de vie sociale, merde, faut réagir un peu vous croyez pas? Tout ce qu'on a c'est nos comptes steam et battlenet, mais ça va pas nous aider à chasser du V ça, merde!

-Te fais pas de bill ( de boomer ), tu oublies qu'on a un souag du tonnerre a dit Barnabé en désignant sa paire de Géox toute neuve, desquelles une magnifique paire de chaussettes « snoopie » en ressortait pour mouler ses maigres chevilles.

Mes collègues ont ris à nouveau et m'ont laissé seul à mes soucis existentiels qui resurgissaient à la surface de mon fail.


Ils étaient décidément trop bornés pour voir la tristesse qui les attendait au seuil de leur complaisance, parce que moi, depuis quelques temps, je connaissait un mal de vivre à en crever le pneu d'un char. C'était d'ailleurs moi qui avait poussé mes camarades à sortir dans au bar ce soir, dans l'espoir qu'on se sociabilise un minimum, et histoire qu'on passe une soirée à peu près dans la norme. Mais eux, on dirait qu'ils s'en moquaient, qu'ils pensaient qu'un jour une fille allait tomber sous les charmes de leur barbe pubienne mal rasée et autres beautés physionomiques dignes de leur illustre relâchement. Leurs délires vidéoludiques, ils étaient les seuls à les partager, ils vivaient dans leur monde, bien au chaud, mais moi, j'en avais marre de tout ce merdier, je voulais autre chose, aller plus loin, évoluer, sortir de mon état de putain de larve humain au final.

Du sucre s'est répandu sur mon visage, paf, ma bulle a éclatée.

-Tank en mode siège, boooom a crié Barnabé

il avait fait exploser un sachet de sucre sur la table, et disait qu'on étais tous mort, parce qu'on s'était approché de sa ligne de mire.

Théodore renchérit en balançant sur son adversaire des cuillères a café:

-Non! Parce que moi je suis un immortel, et je te canonise ta face de terran arriéré, et vlan, et vlan!

Barnabé, horrifié, s'est réfugié sous sa capuche pour éviter les projectiles.

Jacob, qui n'en pouvait plus de rire, a arraché mon verre des mains et a bu le récipient à pleine gorgées, comme un chameau, sans se soucier de la boulette maintenant toute dilatée qui flottait à la surface du liquide. Quand il a reposé le verre, elle n'était plus là. Puis, comme s'il allait passer inaperçu, il s'est éclipsé d'un bloc sous la table.

Intrigué, Jacob a interrompu la fusillade et s'est penché vers lui.

-Eh, c'est de la triche de se cacher sous la table. a dit Jacob.

-Ouai, c'est de la triche ça, c'est de la triche, a répété bêtement Barnabé, qui collectait tous les objets potentiellement catapultables traînant à portée de ses doigts osseux.

Tout à coup,les joues en hamster, Jacobe a émergé des abysses de la table et a craché toutes ses réserves de coca stockées dans sa bouche en hurlant:

-Goûtez au perfide courroux du roach furieux


Pris au jeu, ému de leur niaise joie, j'ai écarté mes bras et crié:

-Petits lamasticots que vous êtes, tremblez devant la puissance de l'ultralisk

puis, je les ai refermé en faucille sur le gros bide de Jacob, en faisant mine de lui dévorer toute son adiposité.

Mais encore une fois, je me suis retrouvé tout seul Toute l'assemblée avait arrêté le délire et me fixait d'une immense stupidité. Ou non, ils fixaient plutôt un point juste derrière moi. Je me suis retourné, et là, je l'ai aperçue de tout sa splendeur, en train de m'observer d'un oeil plutôt inquiet.