PARTIE I : LES LUBIES DE YUN




Mon téléphone sonne, et encore à moitié endormi, je l’attrape les yeux fermés.

-Allô ? lançais-je d’une voix de toxico.
Un putain de bruit me fait sursauter, et la personne répond en hurlant presque :

-Salut, c’est Maman !
-Laquelle ? (Oui, j’ai deux mamans. )
-Sandra. On est dehors là, y a pas mal de bruit. Je t’appelle pour te rappeler qu’aujourd’hui, tu dois aller chercher Yune à l’aéroport.
-Ouais t’inquiète, j’ai pas oublié…
-Bon. Bisous, appelle s’il y a un problème.
-Bye, bisous à Maman.
Je raccroche, et me lève en gémissant de douleur. Je suis une larve.

Mais laissez-moi me présenter vite fait : je m’appelle Steph, j’ai vingt-et-un an, et je passe en troisième année de médecine. Mais là c’est l’Été, on est le 14 Août, donc osef des cours.


Je suis un gros fils de riche : mes mamans ont une énorme baraque à Lyon qui va être à moi seul pour toute l’année. Elles sont architectes et ont obtenu un super poste en Angleterre. La belle vie, me direz-vous ! Mais c’est là qu’il y a un hic. Elles n’ont jamais eu le comportement de bourges, et c’est leur passion pour le boulot qui a fait couler tout ce fric. Du coup, elles ne m’ont jamais vraiment gâté, je suis un riche frustré.


Pour me remuer un peu et m’apprendre à gagner ma vie, elles ont eu une super idée : inscrire la maison comme chambre d’hôtes pour des étudiants étrangers venant en France. Ça m’oblige à tenir la maison suffisamment propre pendant leur absence, et l’argent que nous filent les universités françaises concernées part directos sur mon compte. Du coup tout le monde est content.


Mais voilà, en ce lundi brûlant d’Aout, j’ai vraiment la flemme de me traîner jusqu’à l’aéroport pour attraper ma première colocataire. Ce que je sais d’elle c’est que c’est une Coréenne de vingt ans qui a intégré une école d’ingénieurs de Lyon. Apparemment, elle parle très mal français et baragouine vite fait en anglais. Le pied quoi, je vous raconte pas quand il faudra aller lui acheter des tampons. Elle commence l’école comme les autres en Septembre, mais elle doit venir plus tôt pour étudier le français avant. Ça peut servir, même si je vois pas ce qu’elle va apprendre en deux semaines.


J’essaie de me l’imaginer, une petite planche à pain toute timide, ou un boudin plein de boutons. Dans les deux cas, je la vois avec un appareil photo qu’elle spam en permanence pour prendre les pigeons dans la rue. Et je pense qu’elle va se trouver un groupe de potes asiatiques et qu’ils vont passer leurs week ends à Ikéa. (Bien les préjugés ? )


Bref. Je me lève vers onze heures, je prends une douche rapide, et je file dans la cuisine manger un morceau. Je suis un peu sec, un mètre quatre-vingt-cinq pour soixante-dix kilos environ. Je suis un geek (pas un no life, attention ) et je n’ai pas beaucoup d’amis. La différence avec les autres individus de mon espèce ( ), c’est que je suis excellent en sport, et bien musclé. La raison ? Les sports de combat. Quand j’étais petit, j’étais turbulent, violent même, et donc mes mamans m’ont inscrit au karaté ET au Kung-fu. Du coup ça fait quinze ans que je pratique, et bien qu’étant geek, les seuls qui font l’erreur de me traiter comme une victime ne me connaissent pas. Car je peux éclater la gueule de n’importe qui avec une main dans le slip.

Bon, j’arrête de me la péter. Je décide de ne pas prendre la voiture, évitons les dépenses inutiles tant que le compte n’est pas plein. L’aéroport est à vingt minutes en bus, je vais donc pour le prendre à cinquante mètres de chez moi. Je m’assieds au fond comme un Wesh et là mon téléphone sonne, je l’attrape en soupirant :

-Allô ?
-Hey ! I’m Yune.
Oh putain.
Je me redresse et tente de rassembler mes 7 neurones en vacances pour essayer de répondre. J’ai un anglais correct, mais voilà quoi, comme ça, au dépourvu, au téléphone, avec une coréenne, euh…

-Ah euh… Hello ! How are you doing ?
-I’m fine, thank you ! I’m still in the plane, I will arrive at 12h06.
-Oh, your English is good ! I’m currently in the bus, I will wait for you. I’m tall and I wear a black t-shirt and a blue jean. Anyway, I will find a sheet of paper and write your name on it.
-Okay, see you in a few minutes !

Je raccroche, tout tremblant. Elle a une voix douce, et elle a pas l’air si timide que ça. Au moins, on peut communiquer, c’est déjà bien.

J’arrive à l’aéroport à 11h50, je demande à l’accueil une pancarte et un marqueur. J’écris Yune et je vais à la bonne Porte pour l’attendre. J’ai un peu le stress, j’essaie d’imaginer de quoi on va bien pouvoir parler en anglais pendant les 20 minutes du retour. L’avion a atterrit, et les premiers passagers arrivent. Je lève ma pancarte comme un connard, pressé de rentrer chez moi pour jouer à LoL (non je ne suis pas un nolife, j’ai dit. ).

La salle se vide peu à peu, et là j’aperçois une putain de bombe. Elle semble un peu perdue, regardant autour d’elle. Des gens passent devant moi, je la perds de vue. Et là, c’est le drame. Elle marche dans ma direction, mais sans me regarder. Un peu devant elle, une énorme asiatique d’au moins cent kilos vient aussi vers moi, mais celle-ci en me regardant et en souriant.

J’hésite à balancer ma pancarte et à me barrer en courant mais l’argent et toutes les bières que je vais pouvoir m’enfiler me font rester sur place. Je serre les dents et j’attends…