<h1>Noelfic</h1>

Le diable au panama


Par : Warser

Genre : Fantastique , Sentimental

Status : Terminée

Note :


Chapitre 2

Publié le 28/08/12 à 11:36:34 par Warser

Je suis étendu sur le sable. Le soleil chauffe. En fait, il tape, même. C'est rare en hiver. Je sais pas combien de temps j'ai dormi, comme ça. Ma chemise me gratte. Je sens plus mon genou, ça a du cicatriser pendant la nuit. Heureusement que j'ai pas dormi dessus. J'ouvre les yeux, la lumière m'éblouit. Il doit pas être loin de midi...
J'essaie de reconstituer les évènements de la soirée. Une soirée un peu différente des autres. Enfin, elle avait commencé comme d'habitude. Un passage au pub, la pluie, la marée... Juste une marée un peu plus forte et rapide que les autres. Je savoure un moment le soleil qui me réchauffe la peau. Je me relève, mon genou me lance, un peu. La blessure devait pas être bien grave.
La lande de sable s'étend devant moi. Du sable encore mouillé par la tempête de la nuit, parsemé d'algues et de coquillages. Des rochers solitaires, un peu ternes, blanchis par l'écume. On dirait qu'elle est dévastée, la lande. Comme si y' avait eu un ouragan. En fait, c'était juste un orage un peu violent. Une pleine lune... Enfin, que la lune soit pleine ou pas, ça change rien pour la marée, je crois.
Le soleil dessèche ma peau. Enfin, ça doit faire un moment déjà, mais je le sens que maintenant. Faut que je me mette à l'ombre, sinon je risque l'insolation. j'attrape la poignée, j'ouvre la porte. Un peu de fraîcheur, c'est agréable. Une fraicheur humide et iodée. Ouais, ben j'ai pas fermé les volets hier. Le parquet est couverts de flaques d'eau, d'algues emportées par le vent, de petites pierres. J'ai de la chance que mes vitres aient pas été brisées. Un rideau arraché traine par terre, dans une flaque d'eau.
Y a aussi une flaque rouge sombre sur le sol. Du vin, ma bouteille a du tomber. Je m'affale sur un canapé mouillé. Faudrait que je remette de l'ordre, mais j'ai pas envie. Mon genou me fait toujours mal, mon dos aussi. Je jette un œil à mes murs blancs éclaboussés d'eau salée. La tapisserie, un peu jaunie, commence à se décoller... Bah, avec une journée de soleil comme ça, ça sèchera tout seul. Tant que ma maison tient debout, je m'en fiche, en fait.
Mon chevalet est resté debout, lui, avec une toile dessus. Elle est un peu mouillée, grise, posée de travers sur l'échafaudage de bois. Les couleurs sont déjà prêtes, mélangées. ça me redonne du courage. J'ai envie de peindre... La lande, peut être, qui vient de renaître après cette mort de la nuit dernière. Brute, primaire, sauvage. La nature qui reprend ses droits. Sauf chez moi, elle a pas tout à fait réussi.
Je suis fatigué, mais je me lève quand même. J'apporte ma toile, mes couleurs, mon crayon, dehors. Il me faut un café, aussi, mais j'ai la flemme d'en préparer un. Donc je ferai sans. J'enfonce les pieds du chevalet dans le sable, et je commence à dessiner les grandes lignes. Le sable, le ciel, l'horizon, la mer, les rochers... Ce gros rocher, au milieu de la lande, surtout. ça fait bizarre de le dessiner. Il est surdimensionné, à peine érodé, un peu couvert de nacre. Laissé là, au milieu de la plage, comme une épave. Une épave majestueuse.
J'ai pas fini de dessiner la lande, mais je finis ce rocher. Je crois que c'est important qu'il soit parfait. je gomme, je repasse, je colore. J'essaie de trouver le bon dosage de blanc et de gris pour rendre cette drôle de couleur nacrée. La chaleur est dure à supporter, mais je veux au moins finir mon croquis. Je le travaillerai plus tard. La tête me tourne, mais je continue quand même. Tant pis pour le soleil... Un flash. Un sourire, des cheveux noirs. Mes jambes tremblent un peu. Je la revois, sur ce rocher, assise, sous un ciel zébré d'éclairs, au milieu de la mer déchainée.
J'esquisse sa silhouette en deux traits de crayons. Drôle de rêve. Faut que j'en aie le cœur net. Je pose mon crayon sur le chevalet, et je titube vers le rocher. Il a l'air comme les autres, ce rocher, de loin. Un peu plus gros, peut être, nacré. Il doit être là depuis longtemps, mais je l'avais jamais vraiment remarqué. Même de près, il est normal. Il brille un peu au soleil. J'ai rêvé. Ou j'ai halluciné, ce qui serait plus ennuyeux. La lande est déserte. Pas un chat, certainement pas une femme. Encore moins une naïade... Bien sûr que j'ai rêvé. Quel idiot. Un idiot solitaire.
Je rentre chez moi, avec le vertige. Ma toile est restée dehors, mais c'est pas grave, je la reprendrai plus tard. Elle risque pas grand chose. J'ouvre machinalement le tiroir de mon vieux bureau, j'attrape un carnet et un autre crayon. Le visage de la jeune fille apparaît dans mon esprit, et se déverse sur le papier. Longs cheveux, sourire lointain et amusé. J'ajoute quelques tâches de rousseur, ça lui va bien, même si je suis pas sûr qu'elles étaient là. L'image est nette, précise, poignante.
J'aime bien ce dessin. C'est rare... Je le termine en trois coups de crayon. Je tourne la page, et je recommence. Le deuxième est meilleur que le premier, je crois. Plus réel? Je sais pas. Après tout, elle n'est qu'un rêve, un souvenir fugace. En tout cas, elle a l'air plus vivante dans cet essai que dans l'autre. Je crois que j'ai mieux réussi les yeux, c'est pour ça.
Un autre? Pourquoi pas. Le corps entier, peut être, cette jolie silhouette fine. Mais d'abord, une bière fraiche. Heureusement, mon frigo est intact, et il doit en rester une ou deux. J'attrape la bouteille de verre fumé, je laisse couler le liquide amer et frais dans ma gorge. Ça me fait du bien, ça me réveille un peu.
Je me rassieds à mon bureau, et je dessine encore. Un souvenir de quelques secondes... Mon imagination fait le reste. Le temps défile devant mes yeux, les pages de mon carnet aussi. Son image se précise dans mon esprit. Elle se raffine, se détaille. De plus en plus belle, je crois. De plus en plus réelle, aussi. Y a juste le corps, que je sais pas trop comment dessiner. En fait, je l'ai pas vraiment bien vu. Elle avait l'air humaine, c'est tout. Par contre, le sourire et les yeux, ça je me souviens bien. Comme si... Comme si ils étaient réels. Comme si une jolie fille m'avait vraiment souri, hier soir, depuis son rocher au milieu de la tempête.
je ferme mon carnet et jette un œil à la fenêtre. J'ai pas vu le temps passer... le soleil est déjà en train de mourir à l'horizon. Orange brillant, avec des reflets rouges et roses. Quelques petits nuages flottent paresseusement devant lui. Je commence à avoir un peu faim. Faut dire que j'ai pas mangé de la journée...
Il me reste des pommes de terre, un morceau de lard, et du chou. Je sais pas vraiment pourquoi j'ai du chou, j'aime pas trop ça. Mais bon, tant pis, parait que ça va bien avec les patates au lard. Je laisse l'eau frémir, avec du sel. Le lard est fumé, mais il vaut mieux mettre du sel dans l'eau quand même. Sinon, le chou va pas être bon.
J'aime bien cuisiner. Ça change les idées, et puis au moins ça donne l'impression de créer quelque chose d'utile... Pas comme les dessins. Ça se mange pas, un dessin.
On tambourine à la porte pendant que je coupe mes patates. Igor, sans doute. Y a personne d'autre pour me rendre visite. A part Will, des fois. Je laisse mon torchon sur une chaise, et je vais ouvrir. La silhouette longiligne du russe apparaît dans l'embrasure de la porte. Il porte un trench coat noir, boutonné jusqu'au col, et un drôle de chapeau haut de forme, un peu ridicule. Il m'adresse un sourire. Un sourire russe, c'est à dire un faible mouvement des lèvres.
- Danny, je voulais m'assurer que tu vas bien. Will dit que tu es rentré malgré la tempête.
Voix profonde, accent prononcé. Je lui rend son sourire.
- Ouais Je vais bien, à part une égratignure au genou. Tu veux rentrer?
Igor acquiesce d'un hochement de tête. il baisse la tête pour passer l'embrasure, et pose son chapeau sur la table.
- Je dérange pas, j'espère ?
- Non, non. J'allais manger. Si tu veux, y'en a pour deux je pense.
- Ce serait grande impolitesse de refuser.
J'acquiesce en silence. et je mets les pommes de terres, le chou, et le lard à cuire en vrac. Normalement, faudrait que je mettre le lard et les patates d'abord, et le chou après, mais j'ai la flemme. Igor est resté debout, devant la porte fermée.
- Ben assieds-toi.
Il prend une chaise, sans enlever son manteau noir. En fait, je l'ai jamais vu sans son manteau.
- Je te proposerais bien une bière, mais je sais que t'aime pas ça.
- J'ai toujours réserve de secours.
Il sort un flacon terne et rayé de sa poche. La flasque de vodka d'Igor. Je crois que je l'ai jamais vu sans elle.
- Tu en veux?
Il connait pertinemment ma réponse. c'est même pour ça qu'il me fait la proposition.
- Pas aujourd'hui. J'ai eu ma dose.
Il hausse les épaules, et en boit une gorgée lui- même. Je mets deux assiettes, des couverts. C'est bien, d'avoir des invités. On se force à être civilisés.
- Tu as pas fermé les volets, cette nuit, constate Igor.
- Non. J'ai dormi sur le palier.
Il fait pas de remarque. Il respecte. Si je veux dormir sur le palier, c'est mon problème. Il est comme ça, Igor, il respecte.
On se fixe en silence, lui avec sa vodka, moi avec ma bière. Y a juste le frémissement de l'eau qui bout, rien d'autre. Un léger bourdonnement.
- Les affaires tournent?
- Comme ça, mon ami. J'ai des partenaires volatiles, tu sais, dans métier comme ça... Mais ça s'arrange, avec le temps.
Igor est expert en art. Enfin, c'est comme ça qu'il aime se présenter. Il dit toujours qu'il reconnait les "chefs d'œuvre de la nature". Il a l'œil pour ça.
Il remarque mon carnet à dessins ouvert, en tourne quelques pages.
- C'est qui, la fille ?
- Je sais pas. Je crois pas qu'elle existe.
Il hausse les sourcils.
- Je crois tu es un peu seul, mon ami.
Il ferme le carnet de sa main gantée, et se rassoit.
- Si tu cherches vrais modèles féminins, tu peux demander à ton vieux camarade Igor, tu sais. J'ai superbe blonde de Sibérie, elle posera pour toi si tu veux.
- Non, merci.
Le russe a un sourire en coin. Il s'amuse bien, ça se voit.
- Tu préfères jeunes kazhake brune? J'ai aussi, mais plus dur à trouver.
- J'en resterai à mon modèle imaginaire, Igor.
- Comme tu veux, mon ami. Mais si tu changes d'avis, mon offre tient toujours.
- Tu sais, ça se fait pas trop en France...
Il éclate de rire.
- Tu crois en Russie ça se fait ?
- Je sais pas.

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