L'Echiquier de Papier
Par : Roi_des_aulnes
Genre : Réaliste
Status : Terminée
Note :
Chapitre 12
Journal Bleu, dernière page.
Publié le 04/05/12 à 01:36:06 par Roi_des_aulnes
« J'ai échoué.
Toutes les ouvertures se sont fermées devant moi. Il y a quelques mois (où est-ce des années ? Des décennies ? Tout me semble si loin...), je semblais tenir la partie. Je tracais des milliers de pages avec l'orgueil de ceux qui aiment leur futur et ceux qui ont une ambition. Dans une encre jeune, je bâtissais des mondes et je les faisais vivre, mais je me faisais vivre, moi, à travers eux.
Aujourd'hui, je suis seul, oublié sur un recoin de l'Echiquier. Mes coups ont perdu de leur signification, et je sais qu'il ne s'agit désormais que de retarder l'échéance. Tout autour de moi est sombre, désespérément sombre, et des mains obscures font bouger des colosses sur le damier. Je suis un roi seul et je cours, mais je sais que bientôt, ces mêmes mains me feront ployer.
Il n'y a plus de journaux rouges. Ils ont été dévasté dans leur haine contre moi. Ils ont choisis de se supprimer. Pari risqué, mais c'est un véritable coup de génie. Depuis le départ, les Juges avaient compris que ma volonté exterminatrice serait un danger pour leur univers. Mais ils avaient aussi su qu'une âme humaine ne peut être représentée seulement par la rationalité. En mourant, ils m'ont donné un devoir, celui d'honorer leur combat. Et lentement, leurs volontés ont, ruisselées, ruisselées, jusqu'à m'atteindre en plein cœur. Construisez des citadelles d'encres, fondez votre propre monde, détruisez l'univers, le temps, les hommes et les regards, et régnez enfin sur votre royaume, suivez vos lois, vos morales et vos stupides obsessions ; perdez une partie de vous-mêmes et vous serez perdu. Le Soleil vient de se lever et ce matin, le lendemain de la mort de Rouge et le jour de ma mort définitive, le 17 février 2009, en mémoire de ce que je suis et de ce que j'ai été, je vais parler.
C'est tellement stupide. J'aurais pu être tellement plus. Je SUIS tellement plus ! Je peux sentir dans ces mains une confiance et une fureur infinie, je me retourne et dans chaque souffle je sens une énergie et pourtant quelque chose de glacé, comme l'étoffe d'un roi qui recouvrirait mon cœur. Je suis celui qui a pris un jour le parti de la rationnalité, je suis celui qui l'a mené jusqu'à son terme, je suis ce que j'écris et ce que j'écris est tellement, tellement plus fort que tout ce que j'ai jamais lu. Que valent les slogans des publicitaires, que valent les grands romans, les poésies merveilleuses, les constellations de personnages et les équations de l'univers face à mes empires de papiers et la gigantesques partie d'échec que pas à pas j'ai mené avec moi-même ? Je pensais être faible, fuyard, et tellement puéril quand je suis entré ici, et que le 8 décembre 2006, j'ai écrit les premières pages de ma grande œuvre. Mais qu'ai-je bâti, qu'ai-je été prêt à sacrifier ? J'ai été honnête jusqu'au bout. J'ai menti ? Oui, j'ai menti, sur la couleur du ciel, sur l'état du monde, sur les regards monstrueux de la rue et sur ces incessants doutes qui me saisissaient à chaque instant. J'ai dissous la réalité, éparpillé le temps, crée des hideuses complexités pour créer une barrière invincible entre moi et l'Univers. Je l'ai fait parce que je devais le faire.
Mais je n'ai jamais brûlé une page. Jamais fais une seule rature. Je n'ai jamais renié ce que j'ai écrit, et chaque moment reste gravé en moi. Demandez à cette humanité qui se tient derrière ces murs, demandez à ces hommes et à ces femmes : qui aurait été capable de faire cela ? Accepter l'univers, ce n'est rien, à coté de s'accepter soi-même. Et j'ai tout accepté. Tout. De l'espoir du premier jour au Grand Schisme, de la Chute de Noir à la Stratégie du Clair, des symphonies dissonantes du Vert Noir aux beautés des Cinq centres, du Gouvernement des Juges Rouges au dernier grand et beau trône Bleu. Tout cela, TOUT CELA, je l'ai pris avec moi et je l'ai porté, lentement, patiemment, sans une faiblesse, sans une pause, dans l'espoir du dénouement final !
Mais la vérité a pris le dessus. Il ne peut y avoir de raison sans réalité, pas d'Echiquier sans univers. Et les citadelles que j'ai établies s'effondrent sous l'effet de cette gravité de l'encre que j'ai toujours recherché.
Etait-ce si difficile de me donner ce que je voulais ? Les forces des ombres qui jouaient contre moi ne pouvaient-elles me laisser un répit ? L'affreuse logique qui m'a conduit jusqu'ici n'aurait-il pas pu prendre un autre chemin ? Au départ, je ne souhaitais pas tout cela. Qu'est-ce que je voulais ? Quelques lois morales, quelques... astuces pour mieux vivre. Je voulais être capable de découvrir de quoi j'étais capable. Je voulais vivre, je voulais fuir, fuir tout ce que j'avais été et courir vers un futur que j'espérais radieux. Et j'ai échoué, parce que les yeux ne vivent que sous des masques, que toutes les mains de l’humanité sont griffues et parce que le monde a toujours vécu sans grand auteur.
Non. Ce n'est pas la faute de l'univers. L'univers n'est pas différent d'un autre échiquier. Les cartes ne sont pas distribuées équitablement, et ses règles sont plus complexes, sans doute. Mais tout est possible, et dans le fluide de mon encre je sens encore la force conquérante que j'avais il y a deux ans. Non, c'est ta faute si tu n'as pas réussi à vaincre. Toi. Toi, l'homme de l'extérieur, le sujet de ce journal, toi qui tiens le stylo et qui chaque jour s'enferme dans un monde fait de papier et d'encre. JE suis rationnel,mais TU n'as pas réussi à t'accorder, tu n'as pas réussi à convaincre l'univers de la bonne foi de l'échiquier. Je sais que c'est toi, l'ombre qui me dévaste et me nuit, je sais que c'est toi, le joueur des ténèbres qui cherche à me tuer. Je t'ai cherché et je t'ai combattu, mais ta lâcheté a été plus forte que mon courage. Et nous en sommes là, aujourd'hui, à écrire les derniers cycles de notre bataille, deux fous qui combattent sur un damier de néant et de lumière, sans regard pour les voir, sans larmes pour les pleurer. Nous sommes seuls, cher auteur, et tu as gagné.
Je dois chercher les causes rationnelles, les éléments qui te rendent invincible, je dois trouver cette réalité hideuse que tu avais dissimulé en mon sein et les révéler au grand jour. Parce que nous nous connaissons bien. Je connais ta passion pour l'Echiquier, et je sais que tu auras une foi absolue en ce qui sera inscrit plus bas. Parce qu'il s'agit du dernier coup, celui qui me condamnera à la défaite, et que je n'ai pas d'autre choix, bloqué dans un corridor d'ombre.
Mais il y a encore un espoir. Je pourrais renverser tout cela. Je pourrais te faire saisir un briquet, et enflammer ce journal, et tout les autres, je pourrais casser ma plume, te souffler des espoirs et des vérités que tu rêverais d'entendre, je pourrais m'arrêter et fuir, regarder la belle journée qui m'attend et toute cette vie qui fourmille de possibilités et de bonheurs. Je pourrais t'oublier pour toujours. Je pourrais vivre heureux, maintenant, j'en suis sur. Mais je ne le ferais pas. Parce que je suis, de tout ce que tu es, ce qu'il y a de plus moral et de plus beau, et quel qu'en soit les conséquences, je m'en tiendrais à ce que tu as rêvé pour moi. Tu cherchais un ami ; tu en as trouvé un.
Le 5 décembre 2006, j'ai tué Sani Aubra alors que nous rentrions ensemble, tard le soir. J'ai enterré le corps. J'ai menti aux policiers quand ils sont allés me voir, j'ai menti à ses parents, à sa famille, et je t'ai menti, mon journal, à qui j'avais promis ma vie. Tout cela pour rien : Il n'y avait aucune raison.
Dois partir. Peut plus continuer. »
Toutes les ouvertures se sont fermées devant moi. Il y a quelques mois (où est-ce des années ? Des décennies ? Tout me semble si loin...), je semblais tenir la partie. Je tracais des milliers de pages avec l'orgueil de ceux qui aiment leur futur et ceux qui ont une ambition. Dans une encre jeune, je bâtissais des mondes et je les faisais vivre, mais je me faisais vivre, moi, à travers eux.
Aujourd'hui, je suis seul, oublié sur un recoin de l'Echiquier. Mes coups ont perdu de leur signification, et je sais qu'il ne s'agit désormais que de retarder l'échéance. Tout autour de moi est sombre, désespérément sombre, et des mains obscures font bouger des colosses sur le damier. Je suis un roi seul et je cours, mais je sais que bientôt, ces mêmes mains me feront ployer.
Il n'y a plus de journaux rouges. Ils ont été dévasté dans leur haine contre moi. Ils ont choisis de se supprimer. Pari risqué, mais c'est un véritable coup de génie. Depuis le départ, les Juges avaient compris que ma volonté exterminatrice serait un danger pour leur univers. Mais ils avaient aussi su qu'une âme humaine ne peut être représentée seulement par la rationalité. En mourant, ils m'ont donné un devoir, celui d'honorer leur combat. Et lentement, leurs volontés ont, ruisselées, ruisselées, jusqu'à m'atteindre en plein cœur. Construisez des citadelles d'encres, fondez votre propre monde, détruisez l'univers, le temps, les hommes et les regards, et régnez enfin sur votre royaume, suivez vos lois, vos morales et vos stupides obsessions ; perdez une partie de vous-mêmes et vous serez perdu. Le Soleil vient de se lever et ce matin, le lendemain de la mort de Rouge et le jour de ma mort définitive, le 17 février 2009, en mémoire de ce que je suis et de ce que j'ai été, je vais parler.
C'est tellement stupide. J'aurais pu être tellement plus. Je SUIS tellement plus ! Je peux sentir dans ces mains une confiance et une fureur infinie, je me retourne et dans chaque souffle je sens une énergie et pourtant quelque chose de glacé, comme l'étoffe d'un roi qui recouvrirait mon cœur. Je suis celui qui a pris un jour le parti de la rationnalité, je suis celui qui l'a mené jusqu'à son terme, je suis ce que j'écris et ce que j'écris est tellement, tellement plus fort que tout ce que j'ai jamais lu. Que valent les slogans des publicitaires, que valent les grands romans, les poésies merveilleuses, les constellations de personnages et les équations de l'univers face à mes empires de papiers et la gigantesques partie d'échec que pas à pas j'ai mené avec moi-même ? Je pensais être faible, fuyard, et tellement puéril quand je suis entré ici, et que le 8 décembre 2006, j'ai écrit les premières pages de ma grande œuvre. Mais qu'ai-je bâti, qu'ai-je été prêt à sacrifier ? J'ai été honnête jusqu'au bout. J'ai menti ? Oui, j'ai menti, sur la couleur du ciel, sur l'état du monde, sur les regards monstrueux de la rue et sur ces incessants doutes qui me saisissaient à chaque instant. J'ai dissous la réalité, éparpillé le temps, crée des hideuses complexités pour créer une barrière invincible entre moi et l'Univers. Je l'ai fait parce que je devais le faire.
Mais je n'ai jamais brûlé une page. Jamais fais une seule rature. Je n'ai jamais renié ce que j'ai écrit, et chaque moment reste gravé en moi. Demandez à cette humanité qui se tient derrière ces murs, demandez à ces hommes et à ces femmes : qui aurait été capable de faire cela ? Accepter l'univers, ce n'est rien, à coté de s'accepter soi-même. Et j'ai tout accepté. Tout. De l'espoir du premier jour au Grand Schisme, de la Chute de Noir à la Stratégie du Clair, des symphonies dissonantes du Vert Noir aux beautés des Cinq centres, du Gouvernement des Juges Rouges au dernier grand et beau trône Bleu. Tout cela, TOUT CELA, je l'ai pris avec moi et je l'ai porté, lentement, patiemment, sans une faiblesse, sans une pause, dans l'espoir du dénouement final !
Mais la vérité a pris le dessus. Il ne peut y avoir de raison sans réalité, pas d'Echiquier sans univers. Et les citadelles que j'ai établies s'effondrent sous l'effet de cette gravité de l'encre que j'ai toujours recherché.
Etait-ce si difficile de me donner ce que je voulais ? Les forces des ombres qui jouaient contre moi ne pouvaient-elles me laisser un répit ? L'affreuse logique qui m'a conduit jusqu'ici n'aurait-il pas pu prendre un autre chemin ? Au départ, je ne souhaitais pas tout cela. Qu'est-ce que je voulais ? Quelques lois morales, quelques... astuces pour mieux vivre. Je voulais être capable de découvrir de quoi j'étais capable. Je voulais vivre, je voulais fuir, fuir tout ce que j'avais été et courir vers un futur que j'espérais radieux. Et j'ai échoué, parce que les yeux ne vivent que sous des masques, que toutes les mains de l’humanité sont griffues et parce que le monde a toujours vécu sans grand auteur.
Non. Ce n'est pas la faute de l'univers. L'univers n'est pas différent d'un autre échiquier. Les cartes ne sont pas distribuées équitablement, et ses règles sont plus complexes, sans doute. Mais tout est possible, et dans le fluide de mon encre je sens encore la force conquérante que j'avais il y a deux ans. Non, c'est ta faute si tu n'as pas réussi à vaincre. Toi. Toi, l'homme de l'extérieur, le sujet de ce journal, toi qui tiens le stylo et qui chaque jour s'enferme dans un monde fait de papier et d'encre. JE suis rationnel,mais TU n'as pas réussi à t'accorder, tu n'as pas réussi à convaincre l'univers de la bonne foi de l'échiquier. Je sais que c'est toi, l'ombre qui me dévaste et me nuit, je sais que c'est toi, le joueur des ténèbres qui cherche à me tuer. Je t'ai cherché et je t'ai combattu, mais ta lâcheté a été plus forte que mon courage. Et nous en sommes là, aujourd'hui, à écrire les derniers cycles de notre bataille, deux fous qui combattent sur un damier de néant et de lumière, sans regard pour les voir, sans larmes pour les pleurer. Nous sommes seuls, cher auteur, et tu as gagné.
Je dois chercher les causes rationnelles, les éléments qui te rendent invincible, je dois trouver cette réalité hideuse que tu avais dissimulé en mon sein et les révéler au grand jour. Parce que nous nous connaissons bien. Je connais ta passion pour l'Echiquier, et je sais que tu auras une foi absolue en ce qui sera inscrit plus bas. Parce qu'il s'agit du dernier coup, celui qui me condamnera à la défaite, et que je n'ai pas d'autre choix, bloqué dans un corridor d'ombre.
Mais il y a encore un espoir. Je pourrais renverser tout cela. Je pourrais te faire saisir un briquet, et enflammer ce journal, et tout les autres, je pourrais casser ma plume, te souffler des espoirs et des vérités que tu rêverais d'entendre, je pourrais m'arrêter et fuir, regarder la belle journée qui m'attend et toute cette vie qui fourmille de possibilités et de bonheurs. Je pourrais t'oublier pour toujours. Je pourrais vivre heureux, maintenant, j'en suis sur. Mais je ne le ferais pas. Parce que je suis, de tout ce que tu es, ce qu'il y a de plus moral et de plus beau, et quel qu'en soit les conséquences, je m'en tiendrais à ce que tu as rêvé pour moi. Tu cherchais un ami ; tu en as trouvé un.
Le 5 décembre 2006, j'ai tué Sani Aubra alors que nous rentrions ensemble, tard le soir. J'ai enterré le corps. J'ai menti aux policiers quand ils sont allés me voir, j'ai menti à ses parents, à sa famille, et je t'ai menti, mon journal, à qui j'avais promis ma vie. Tout cela pour rien : Il n'y avait aucune raison.
Dois partir. Peut plus continuer. »
Vous devez être connecté pour poster un commentaire