Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Novels Dynamic


Par : MassiveDynamic
Genre : Sentimental, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1 : Quelque Part


Publié le 22/09/2010 à 19:32:25 par MassiveDynamic

C'est arrivé si vite que j'ai encore beaucoup de mal à réaliser. Ça doit être cette même sensation de vide et de décalage que tu dis avoir ressentie quand ta sœur est morte : t'apercevoir que tu parles à quelqu'un qui n'est pas là, trouver un lit qui n'a pas été défait.

Je me souviens encore de tes craintes. Je te promettais que nous ne serions jamais séparés, que oui, notre enfant sera heureux, et que quand tout ça aura cessé, nous irons nous installer quelque part en province. Ou en montagne. Loin de tout. Je n'arrive pas à croire ce qu'il m'est arrivé, mais élément m'aide à admettre que tout ça s'est bel et bien produit : précisément ce que je suis en train de faire : j'écris. J'écris pour de bon, avec de l'encre, sur du papier. Et alors que l'avenir est à présent incertain, je dois faire le vide dans ma tête. Le vide, oui, car tu sais aussi bien que moi où l'on me conduit. J'espère que tu as pu rejoindre ta mère, je ne sais pas où ils t'ont emmenés, je ne sais pas où tu es. Le coulissement fréquent des portes me trouble, j'ai du mal à me concentrer, à penser à toi. Il y a du bruit, ici, beaucoup de bruit.
Ce carcan va finir par me rendre fou. Fou, je le deviens petit à petit, d'ailleurs. J'épuise cette dernière feuille de papier à son maximum, je fais couler l'encre sur chaque parcelle de feuille...

Tu te souviens de notre rencontre ? Je revenais de mon service militaire, nous prenions un café dans le même endroit. J'avais un sale hématome sur le visage ce jour là, et tu me l'avais d'ailleurs fait remarqué en t'en amusant. Puis j'ai remarqué tes yeux. Et, de la manière la plus étrange qu'elle soit, ton petit nez. Puis à nouveau tes yeux noisettes qui pétillaient. Et je faisais enfin attention à ta voix. Elle m'embrasait. Littéralement. Tu te rappelles de mes phases de bégaiement intenses ? Et surtout, de ma maladresse pour te séduire ? "Je vous trouve vraiment magnifique !" C'était cliché, irrévérencieux, et pourtant ça t'a amusé, mon manque de tact t'a tout de suite fait jubilé, tu riais même bêtement parfois.

La suite tu la connais. Nous nous sommes revus, encore et encore. Quand la grande crise a dévastée l'Europe et nous a mis au chômage, tu as connu la débrouille avec moi. Les petits boulots, les agressions, la hausse du racisme, surtout. On en avait vu de belles, hein ? Enfin, on a vu beaucoup de choses, toi et moi. Mais j'ai peur, tu sais. J'ai peur, aujourd'hui, maintenant, à cet instant précis. Parce que lors de toutes ces épreuves, j'étais avec toi. Nous surmontions tout ensemble. Nous étions unis. Et maintenant, ma main tremble, si bien que des tâches d'encre grossières apparaissent sur le papier. Désolé, par ailleurs, tu sais que je n'ai jamais eu un don prononcé dans ma manière d'écrire. D'ailleurs, le papier commence à manquer. Et l'ambiance ici devient insoutenable... J'entends des hurlements. Je crois qu'ils ont déjà commencé, avant même que nous soyons arrivés. J'ai peur, j'ai besoin de toi.

Tu te souviens de ce que tu m'as dis, il y a encore deux semaines ? La grande évasion ! Tu voulais qu'on se tire de ce pays sans avenir, qu'on aille quelque part à l'autre bout du monde, quitter notre travail qui nous rapportait des clopinettes... Si seulement tu avais eu raison. Si seulement tout était si simple. Alors, j'aurai pu t'apporter le bonheur que tu recherchais tant, cette nouvelle vie qui t'attirait, loin des souffrances et des compromis. Nous aurions construit un moulin, pourquoi pas, au bord d'une rivière. Vivant de notre culture du potager et de l'eau naturelle. Avec notre enfant. Tu en parlais avec tant de passion... Et j'aurai tellement souhaité pouvoir voir tes lèvres me conter cette histoire une dernière fois, entendre ta voix pleine d'espoir juste le temps d'un requiem...

Mais le sifflotement aiguë et assourdissant du train me ramène à la réalité qui elle est tout autre. Ma gorge est nouée, j'ai le coeur lourd. A vrai dire, j'ai envie de fondre en larmes. Des larmes de désespoir, puisque les dernières pensées que j'ai de toi vont à une lettre qui n'arrivera jamais et s'en ira avec moi. J'ai envie de pleurer, vraiment. Quand je regarde à travers la fenêtre, que je vois cette nature florissante, m'évoquant la liberté, et qu'à ma gauche se dressent des hommes en uniforme qui commencent à évacuer les gens, fusils en main. Je dois d'ailleurs faire vite si je ne veux pas attirer l'attention sur moi. Même écrire est devenu un crime pour les humains que nous sommes, jugés inférieurs, mais à quel prix ? Dans quel but ? Tout cela n'a aucun sens.

Je revois notre séparation. Je te revois une dernière fois. Quand ils ont investis notre maison, que tu as hurlé, tenté de te libérer de leur étreinte. Et que tu m'as vu partir. Sans que tu saches où ils m'emmenaient. J'espère que tu ne recevras jamais cette lettre, que tu ne sauras jamais que, comme des millions d'autres, j'ai été forcé à monter dans un train sans retour.

Je suis aux portes de la mort, et pourtant un dernier regret me pèse. Je t'aime. Tu te souviens de la première fois où je te l'ai dit ? Fais un effort. Maintenant, je ne peux plus te le dire. Pardonne-moi de ne pas te l'avoir murmuré assez souvent, au creux de ton oreille. Pardonne-moi de ne pas te l'avoir prouvé régulièrement. Et pardonne-moi de ne pas nous avoir sortis de cet enfer. Mais ce mot a un sens, à présent. J'ai besoin de toi. Les larmes qui coulent le long de mon visage en témoignent. Le fossé qui nous sépare m'étreint. La simple idée que tu ne sois déjà plus de ce monde me brise. Mais je ne sais pas où tu es. Et je suis effondré.

L'espace commence à manquer sur cette feuille. Je te laisse mes derniers mots. Je t'ai perdue de vue, mais nous nous reverrons. Cette fois, ça sera compliqué de revenir, de te retrouver, mais j'y arriverai. On a surmonté tellement de choses ensemble... J'y arriverai. Je ne peux pas mourir dans cet endroit. Pas ici. Pas sans toi à mes côtés pour me rendre heureux même dans le calvaire le plus total. Je ne sais pas où tu es, mais je ne peux pas simplement t'oublier, sous prétexte que nous sommes tous deux séparés. Même dans ce camp, je ne t'oublierai pas. Le soldat allemand se dirige dans ma rangée. Je n'ai plus le temps, je suis désolé... Je ne peux pas mourir ici. Si je me dépêche, je peux peut-être sortir en brisant la fenêtre et rejoindre la lisière de la forêt toute proche avant d'être abattu. Je viens te chercher. Même si ça parait dingue. Même si je n'ai aucune chance.

Je porterai toujours cette lettre sur moi, pour ne pas oublier la promesse que je t'ai faite. Je te retrouverai un jour, quelque part. Même dans la mort s'il le faut. Attends-moi.

M.


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