Note de la fic : Non notée

2044


Par : Garyu
Genre : Polar, Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3 : Dernier rapport.


Publié le 05/10/2014 à 15:52:07 par Garyu

02 Mars 2044 ; 14h17 : Dernier rapport.

- Christian Gauthier, repose en paix. La vie ne dure qu'un instant, notre amour est éternel. Amis, connaissances, parents proches… Nous ne t'oublierons pas. Nous t'aimons à jamais…

Le prêtre se racla la gorge, la voix rouée et les larmes lui montant aux yeux. Le père Grégoire était le prête familiale, du haut de ses soixante-dix neuf ans, il avait vu Christian naître, il avait enterrer ses parents et Élise, la femme de Gauthier et à présent il le mettait en terre, alors qu'il aurait espéré partir avant lui. C'était une dure épreuve pour le vieil homme.

- Puisse...Puisse le Seigneur t'ouvrir ses portes, déclara-t-il finalement après quelques secondes, Amen.
- Amen, répéta l'assemblée.

D'un seul mouvement, les gens se levèrent et commencèrent à se diriger vers le cimetière. Les porteurs, quatre policiers en uniformes, des proches de Christian transportèrent le cercueil. Victor et Chollet étaient parmi eux, ils avaient tout deux la casquette de policier fermement ancrée sur leur tête et leurs médailles étincelaient. Après la découverte du cadavre, et le témoignage de Deckan, les forces de polices étaient restées indécises sur les motivations de Gauthier. Beaucoup pensaient qu'il n'avait jamais trahi la police et qu'en agent double, il avait tenté d'infiltrer le groupe terroriste Pureté. Les hauts-placés, allant de le même sens, avaient finalement déclaré le commandant lavé, et l'avait promu commissaire, à titre posthume. « Une maigre consolation. » avait déclaré Deckan, accablé par cette perte. Surtout que la décision n'était que temporaire, l'enquête étant en cours. Quant à Chollet, il n'avait pas beaucoup parlé depuis, il avait insisté auprès de Victor pour aller voir la fille de Christian, et lui annoncer la mauvaise nouvelle. La jeune femme, endurcie depuis la mort de sa mère, n'avait pas lâché un sanglot en publique, mais d'après les dires de Chollet, elle avait été inconsolable lorsqu'il était venu la voir. La pluie avait cessé dans la nuit, et le sol du cimetière était boueux. Les porteurs progressèrent prudemment jusqu'au trou creusé pour Gauthier. Le cercueil sous terre, chacun prit une petite pelle de terre pour symboliquement enterré le défunt en la reposant sur le coffre mortuaire. Puis lorsque tous furent passés, les porteurs finirent de boucher le trou funèbre. Les adieux étaient finis.

Dans la demi-heure qui suivit la mise en terre, la plupart des invités avaient quitté le cimetière. Victor et Chollet étaient restés, observant les dernières personnes restantes aborder Anna, la fille de Christian, et lui présenter leurs condoléances. Elle avait porté ses cheveux bruns en un chignon et elle gardait de son père les yeux bleus étincelant d'intelligence, elle adressait à chacun un sourire triste, sans un mot, écoutant leurs paroles réconfortantes puis serrait leurs mains chaleureuses. Chollet se tourna vers son ami, des cernes énormes sous les yeux, une barbe de trois jours ornant son visage :

- Je te laisse lui parler, Victor. Besson veut me voir ce soir, et j'aimerais passer dormir chez moi, je suis navré.
Deckan acquiesça et prit l'homme dans ses bras, le tapotant dans le dos.
- Il n'y a pas de soucis, répondit-il tout en se détachant de son coéquipier, Tu passes tes journées au poste à étudier les dossiers de ses anciennes affaires, tu mérites quelques heures de repos. Je te vois demain.

Chollet gratta sa barbe noire et lui fit au revoir de la main, il s'avança vers Anna, lui prit les mains et échangea quelques mots avec elle. Puis il la salua et il quitta le cimetière. La jeune femme se retourna, et aperçut Victor, puis elle se plaça dos à lui, face à la tombe de son père. Le capitaine de police avait les mains dans les poches de son manteau, la fatigue le rendant incapable de réfléchir à une façon de l'aborder. Il soupira légèrement et se frotta les yeux. « Demander à une femme qui vient de perdre son père en cavale depuis deux semaines, accusé de trahison et de coopération avec des terroristes, si il n'a pas pris contact avec elle et par tout hasard laissé des choses chez elle. Quelle idée de merde, je vais me faire sérieusement rembarrer. » pensa-t-il, nerveux. Finalement, il se décida à avancer vers elle, les bras pendants. A un mètre d'elle, il l'observa. Elle fixait la tombe, l'air impassible, comme si elle regardait celle d'un inconnu.

- Anna.

Elle sembla sursauter, puis elle regarda Deckan, soudainement attristée. Victor, lui, regardait ses pieds, gêné. Il se demanda si elle le reconnaissait, elle devait à peine avoir quatorze ans la dernière fois. Puis elle prit la parole :

- Allons chez moi, monsieur Deckan, j'habite pas loin en voiture.

Prit au dépourvu par l'invitation d'Anna, Victor ne sut que répondre. Remarquant son gêne, elle décida de prendre le pas vers la sortie du cimetière, en accordant tout d'abord un dernier regard à la tombe. L'homme fit de même, rongé pas un certain regret de ne pas plus se recueillir.

Pendant le voyage, Deckan regarda par la fenêtre, évitant de croiser le regard d'Anna. Il se sentait honteux. Honteux de ne pas avoir pu trouver son père avant, il pensait qu'il aurait pu le sauver, empêcher tout ça. Victor repensait sans cesse à son arme de service. Pourquoi n'avait-elle pas pu tirer ? Les dysfonctionnements étaient rares, surtout sur des armes de la police, toutes de dernier cri. Tout ce que pouvait faire Victor, c'était attendre la résolution de l'enquête, le commissaire Besson avait insisté pour que l'homme prenne du repos, Deckan n'étant donc pas en charge de l'affaire. Anna se gara sur un parking privé, juste à côté du groupe de résidences qui comprenait sa maison. Le moteur électrique arrêta de ronronner, stoppant les rêveries du policier. Ils sortirent de la voiture d'un même mouvement et claquèrent leurs portières. Pendant le trajet vers la porte d'entrée, le même silence les accompagnait. Anna ouvrit la porte et pénétra dans la demeure, ses talons claquant contre le parquet.

- Trésor ? C'est Maman, annonça-t-elle alors qu'elle enlevait sa veste.

Un gamin, les mêmes yeux bleus, la bouche ouverte, débarqua en courant dans l'entrée et sauta dans les bras de sa mère en poussant un cri de joie, un sourire naissant sur ses lèvres. Sa mère le leva jusqu'à son visage et lui fit un bisou sur la joue, puis l'enfant aperçu Victor et son visage se décomposa, reconnaissant l'uniforme.

- Le policier va encore te faire pleurer, questionna-t-il, effaré.

Sa mère le reposa sur le sol et se pencha vers lui, accroupie.

- Non, Thomas, il est là pour discuter entre adultes. Et tu ne veux pas embêter les adultes ?

Le gamin fit non de la tête, et courut vers la salle de jeux. Sa mère soupira et se releva puis elle se tourna vers l'homme et lui proposa d'enlever sa veste, l'air étant bien moins frais dans la maison qu'à l'extérieur. Victor déclina, jugeant qu'il se sentirait plus confortable ainsi, et ils se dirigèrent vers la cuisine.

- Un café, proposa-t-elle.

Victor observa la machine, et accepta avec plaisir la boisson. Un café pourrait l'éveiller et pallier à son manque de sommeil. La femme inséra deux capsules dans les fentes à cet usage, et elle pressa le bouton où figuraient deux petites tasses. Des tasses firent leur apparition et du café chaud coula instantanément dans celles-ci. Anna posa le sucrier et un du lait sur la table, puis se dirigea vers l'appareil pour prendre les deux tasses. Deckan jouait avec son briquet dans sa poche, le fermant et le refermant, pensif et il remarqua un cendrier où figuraient une dizaine de mégots et une fine couche de cendre,. La jeune femme déposa les deux tasses sur la table, l'une en face de Deckan et l'autre à son opposé, où elle prit place sur une chaise. Elle remarqua le regard que portait le policier au cendrier et le léger bruit que produisait son briquet lors de sa fermeture.

- Le filtre à air est installé, vous pouvez fumer, lui dit-elle.

Victor releva les yeux, un peu dérangé, puis sans un mot il sortit son paquet de cigarettes et en porta une à sa bouche, il prit ensuite son briquet et l'ouvrit dans un déclic commun à tous les Zippos, marque du briquet qu'il possédait, et il alluma finalement le tube de tabac. Après quelques taffes, il ferma les yeux, évacuant son stress puis il s'éclaircit la gorge.

- Toutes mes condoléances, Anna.

Elle resta silencieuse face à cette phrase qu'elle entendait maintenant depuis presque une semaine, inlassablement. Puis comme à tous elle lui adressa un sourire triste.

- Sa mort semble autant vous atteindre que moi, lui répondit-elle.
- Christian était comme un père pour moi, rétorqua Victor.

Un silence gêné s'installa entre les deux personnes. Deckan se sentit stupide, dire cela à sa fille génétique… Il tira comme un forcené sur sa cigarette. Un léger clic détonna dans la cuisine annonçant la mise en marche du filtre à air. Il écrasa sa cigarette, puis sorti un petit cube qu'il posa sur la table. Il posa son doigt sur ce dernier et l'objet émit un son avant d'émettre une légère lumière bleue. La femme observa le phénomène, intéressée. Deckan eut un moment d'hésitation, puis il pressa à nouveau le cube, la lumière s'arrêta instantanément.

- Ceci est un cube de données audiovisuelles, on l'utilise pour stocker nos réflexions, nos discussions...et les interrogatoires. C'est comme un journal, conclu le policier.

Victor gratta sa barbe naissante, observant la réaction de la fille de Gauthier. Son visage ne laissait paraître aucune émotion. Elle ne semblait pas énervée, ou irritée par la tournure que prenait les événements. Elle déclara alors simplement, à la surprise de l'homme :

- Je comprends. Ne perdons pas de temps, faisons-le.
Victor la fixa quelques instants, hébété. Puis il lui sourit légèrement, la remerciant silencieusement. « Elle est bien la fille de son père, elle a la tête sur les épaules. » pensa-t-il.
- Ce cube m'appartient, c'est-à-dire que ce qui suit n'arrivera pas entre les mains de mes supérieurs, sauf si je le juge nécessaire. Voyez-ça comme une simple discussion...

Finalement, il tendit la main vers le cube et le mit en route une bonne fois pour toute.

- Nous sommes le 02 Mars 2044, il est…, commença-t-il en observant sa montre numérique, 16h53.

Il leva les yeux vers Anna, incertain, et elle lui fit signe de continuer, sûre d'elle.

- J'interroge Anna Gauthier, fille légitime de Christian Gauthier. Journaliste, vingt-trois ans. Marié, un enfant.

Encore une fois, il chercha l'approbation de la femme, mais cette fois il la formula à l'oral :

- Vous confirmez ?
- Je suis divorcé, je suis seule avec Thomas, déclara-t-elle.

Le policier hocha la tête de haut en bas, cherchant ses mots. Il lui fallait tout d'abord savoir si Christian était entré en contact avec sa fille avant ou pendant sa cavale, et donc à quand remontait sa dernière visite.

- A quand remonte la dernière fois où vous avez vu votre père, questionna-t-il.

La journaliste sembla réfléchir, elle se mordilla les lèvres.

- Il est venu le 13 Février, au soir. Il était très tard, vers minuit probablement. C'était la nuit de l'orage.

Le cœur de Deckan ne fit qu'un tour, et l'excitation balaya toute fatigue en lui. Le 13 Février, c'était la veille de sa désertion ! Peut-être avait-il laissé un indice ici ?

- A ce moment-là, depuis quand n'était-il pas venu ici ?

Cette fois-ci, Anna réagit au quart de tour, répondant du tac au tac.

- Il était venu pour Noël puis à de nombreuses reprises pendant le mois de Janvier, cela n'était pas arrivé depuis cinq ans, c'est à dire pour la naissance de Thomas , finit-elle la voix un peu brisée.

Victor croisa ses mains, pensif et préféra attendre que la femme se calme avant de parler à nouveau. Subitement, Gauthier se décidait à rendre visite à sa fille, après des mois d'absence. Il avait prévu son coup ? Ou avait-il simplement voulu rattraper le temps perdu ? Simple coïncidence ? Toutes ces questions animaient l'esprit fatigué de Deckan, mais l'envie de savoir l'avait réveillé, et il se sentait énergétique. Le café y était aussi peut-être pour quelque chose, il porta la tasse à ses lèvres et en prit une longue gorgée. Anna semblait moins bouleversée, et il posa une dernière question tout en posant sa tasse :

- Vous a-t-il donné quelque chose ? N'importe quoi, un cadeau, un jouet pour votre fils ? Même le plus simple des objets peut avoir ses secrets.
- Non, répondit-elle catégorique.

Victor acquiesça : « Voilà qui met fin à cette séance de questions-réponses. ». Il délia ses mains et prit le cube entre ses doigts puis le rangea dans la poche de sa veste. Il se leva, sa tasse à la main et finit de boire son contenu d'un trait. Il s'adressa à la femme qui s'était levée pour vider le cendrier dans la poubelle :

- Je vous remercie, désolé d'avoir abordé le sujet aussi rapidement.

Elle posa le cendrier près de l'évier, puis se retourna vers le policier, et en s'adossant au plan de travail, tout en croisant les bras.

- Je vous dis que je comprenais, monsieur Deckan. Il vous faut autre chose à présent, demanda-t-elle, pressée d'en finir.
- Serait-ce trop demandé d'utiliser vos toilettes ?
La femme haussa les épaules et fit un signe de la tête en parlant :
- A l'étage, vous trouverez pas vous-même.

Le policier la remercia d'un signe de tête et monta les escaliers, alors que la femme se dirigeait vers la salle de jeux, en quête de son fils.

L'homme descendit les escaliers, un peu déçu de ce qu'il avait tiré de la fille Gauthier. Il pensait réellement que Christian aurait laissé quelque chose ici, un indice, une preuve de son innocence… Mais tout ce qu'il avait récupéré ici, c'était le témoignage de sa fille abattue. Alors qu'il débarquait dans le séjour, Anna était là, debout, un dossier à la main.

- Vous vouliez me parler d'autre chose, demanda-t-il.
- En effet, j'ai menti, déclara-t-elle immédiatement.

Victor ne chercha pas à cacher sa surprise, et il commença à sortir son cube de données, afin d'enregistrer ses paroles. La femme l'intima immédiatement de ne pas faire ceci par quelques pas en avant, afin de porter sa main vers sa poche.

- Non, s'exclama-t-elle, n'enregistrez pas ce qui va suivre. Je connais ces engins-là, c'est si facilement piraté… Prenez juste ce porte-documents, mon père l'a laissé quand il est venu le 13. Je pense qu'il vous sera utile, je ne l'ai pas ouvert, je ne veux pas savoir ce qu'il y a dedans.

Puis sans qu'il ait l'occasion de protester, elle lui mit le dossier entre les mains. L'homme l'observa un instant puis déglutit. Non mécontent, il posa sa main sur l'épaule d'Anna :

- Merci, déclara-t-il avant de prendre son manteau et de l'enfiler par dessus sa veste.

Deckan s'avança vers la porte d'entrée, le visage soucieux malgré ce cadeau bienvenu. Il prit la poignée dans sa main, puis se figea un instant, sur le pas de la porte. Finalement, il se tourna vers Anna, la bouche ouverte alors qu'il amorçait sa question :

- Pourquoi m'avoir donné ce dossier ? Je suis de la police, si jamais il y a des choses qui compromettent Christian là-dedans…

Anna, les cheveux à présent détachés le coupa d'un geste de la main, puis croisa ses bras tout en se posant contre le mur.

- Mon père est mort, Victor, commença-t-elle l'appelant par son prénom, Qu'importe si son nom est souillé, ce dossier doit vous revenir.

Sa voix n'indiquait aucune hésitation, mais son regard trahissait le fond de sa pensée. Victor baissa les yeux, indécis face à la décision à prendre, et il posa son regard sur le porte-documents fermé où il était écrit de la main de Christian « Dernier rapport. ». Victor sourit intérieurement en pensant à son mentor qui n'avait jamais rien laissé au hasard : « Il savait depuis le début qu'il ne reviendrait pas de cette affaire… vieux gribou.» se dit-il. Il se racla la gorge, les yeux se fermant de fatigue, l'excitation passée et croisa le regard d'Anna, ses iris lui rappelant sans cesse le vieux policier.

- Je vous remercie de votre confiance, finit-il par dire, lui témoignant une fois de plus sa reconnaissance.

Il ouvrit finalement la porte, et sortit dehors. Quelques voitures passèrent, au bout du parking, alors qu'il descendait les marches qui donnaient sur l'extérieur, un gamin passa en vélo et Victor le regarda, distrait. Une voix tremblante l'interpella :

- Il m'a dit de vous le donner si jamais vous veniez, c'est lui qui vous faisait confiance, dit-elle entre deux sanglots. Et je pense que je peux vous accorder la mienne.

Victor se retourna, ému, il n'avait parlé à personne de sa peine et les pleurs d'Anna l'avait fait resurgir, il voulait la prendre dans ses bras et la consoler, comme Gauthier l'aurait fait, comme un père. Il aurait souhaiter jurer qu'il éluciderait l'affaire et laverait tout soupçon qui pesait sur Christian. Mais la porte se refermait déjà, comme une barrière entre l'orpheline et l'homme.


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