- Tu ne dors pas ?
- Le bruit de la mer rend fou. Jamais au début...
- N'y pense pas.
- Trop tard. Je n'entends plus que ça.
- Moi aussi, avoue Chloé. C'est horrible. Et il fait trop froid. Quelle drôle d'idée la plage en janvier.
- Le bruit de la mer rend fou, murmure à nouveau David.

Il cherche à se rendormir. C'est impossible. Il se recolle contre la jeune fille. Elle s'est déjà rendormie.

- Le ressac balayera tout ça. La seule chose que tu garderas de cette excursion, c'est du sable dans tes chaussures pendant des mois. Et chaque grain te semblera une infamie. La somme de tes échecs. Ce sont les seules choses qui restent. Ne te méprends pas dessus.

David ne répond pas au démon. Il ferme les yeux. L'attente. Interminable. Et enfin le noir complet.

Chloé s'étire dans la lumière des premiers rayons. Quelques pas timides dans le sable. La mer n'a pas atteint le fond de la crique finalement. Le grand rocher continue de la narguer. David la rejoint.

- On a survécu, annonce-t-elle joyeuse !
- J'espère un jour ne plus entendre ce bruit. J'ai l'impression qu'il sera ancré à jamais dans ma tête.

Chloé sourit. Un sourire doux. Celui qui n'existe pas sur les lèvres. David le décèle fugacement et le regarde s'évanouir quelque part. Où ? Il ne sait pas. Qu'importe, le sourire a existé. Il sait à présent qu'il sera toujours là. Et voilà déjà que Chloé s'élance sur la plage.

- Je reviens.

David la regarde s'éloigner. Puis entreprend de replier la tente ensablée. Il la secoue. S'évertue à ne laisser aucun grain de sable à l'intérieur. Il recommence. Rien à faire, il en reste toujours un peu. Tant pis, il s'y reprend. Encore et encore. Patiemment. Jusqu'à ce que la voix féline mette fin à son entreprise.

- Il restera toujours du sable.
- Autant de bons souvenirs.
- La mer reviendra. Tu n'oses quand même pas croire le contraire.
- Elle n'est pas venue cette nuit.
- Crois-tu ? Regarde autour de toi, tu es seul avec moi sur cette plage.
- Elle va revenir, souffle David.
- On parle encore de la mer, rétorque le démon à tête de chat ?
- Chloé sera là dans un instant.
- Bien sûr qu'elle va revenir. Mais comment ? Mais quand ? Toi, tu es tombé amoureux une nouvelle fois, sombre idiot.
- C'est toi qui te trompes cette fois-ci. Un jour peut-être oui. Dans cinq ans quand au coin d'une rue elle fera tomber son rouge à lèvre dans une flaque d'eau. Que je la verrai alors rire de sa maladresse et que je me dirai que je veux passer le reste de ma vie avec cette fille un peu imparfaite. J'en tomberais amoureux alors. Mais j'en suis pas là. Loin de là même. J'aime sa présence, j'aime savoir qu'elle est bien et que parfois elle pense à moi également. Juste un peu. Ca me suffit amplement et j'en demande pas plus. Juste que ses yeux s'illuminent quand on est ensemble. Couchers de soleils, ballades au clair de lune ne sont rien à côté. Je n'en veux pas ! Je veux juste qu'on s'embrasse en se disant que le monde est pas si moche que ça. J'ai pas envie d'être mal à me demander ce qu'elle fait quand elle est pas avec moi ni être jaloux de toute personne l'approchant. On est juste bien ensemble. Elle reviendra. Et ça me suffira.
- Pourquoi elle ?
- Parce qu'elle est réelle. Et toi non.

David tourne le dos au démon à tête de chat et part dans la direction de Chloé. Il se retourne pour voir ses pas dans le sable mouillé. Un sourire s'esquisse sur le visage du garçon, le démon s'estompe déjà.
Il rattrape Chloé. Et cette fois-ci ne se retourne pas. Ca ne servirait à rien.

- C'est déjà l'heure du retour, dit-elle.
- Il fallait bien que ça arrive.
- Le bruit de la mer va cesser ?
- Je l'espère.




Le paysage défile par la fenêtre du bus. Des inconnus en partance. D'autres histoires potentielles. La plage qui s'éloigne doucement. Et Chloé et David au milieu de tout ce monde.

Le garçon regarde un coquillage dans sa main. Souvenir d'un froid week-end de janvier, artefact sentimental d'instants passés.

Ils sont maintenant de retour. Chloé regarde le garçon. Embrasse une joue puis se dirige vers chez elle. David s'assoit sur le banc et la regarde s'en aller à nouveau. Il redoute d'entendre la voix du démon à tête de chat. Il se laisse tomber dans l'herbe et ferme les yeux. Le temps s'écoule lentement.

Homme libre, toujours tu chériras la mer ! lui souffle-t-on.

David entrouvre la paupière pour découvrir la jeune fille au-dessus de lui.

- Baudelaire, dit-elle.
- Je n'entends plus le bruit de la mer.