Dépôt de bilan
Par : Zangetsu05
Genre : Fantastique
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 2
Publié le 28/08/10 à 04:18:43 par Zangetsu05
II/
Arth devrait dormir. C'est d'ailleurs ce pourquoi il s'est étendu par terre, près de la fenêtre. Evidemment, il n'y a pas de lit dans sa chambre. Arth est plutôt du genre à avoir du mal à se réveiller. Beaucoup de mal. La dernière fois, il lui a fallu sept ans pour se décider à sortir de sa couche chaude et moelleuse. Quelle raison, plus importante que ce sentiment de sûreté absolue, aurait pu le motiver à se réveiller ? Heureusement, Chron était venu le tirer de son sommeil à coups de pied dans le cul. Alors maintenant, il est prévenu. Il ne s'assoupit que très rarement, terrifié à l'idée de rester captif de son sens du confort sur-développé. Et quand cela s'impose, il s'allonge à même le sol, rassuré de savoir qu'il sera tôt ou tard tiré de ses délicieuses rêveries par une injonction nerveuse de son dos entortillé et torturé. Seulement, il affronte à présent le problème inverse. Arth se fait violence, conscient qu'il se doit de permettre à son corps de recharger ses batteries. Il se rend compte que laisser la fenêtre ouverte était un mauvais choix. Il ne peut s'empêcher de se laisser distraire par les bruits nocturnes. Notamment celui du vent, qui souffle légèrement sur le pâle rideau. Arth sent les poils de sa nuque se hérisser alors qu'un long frisson remonte son échine le plus lentement du monde. Autant de signes avant-coureurs d'une explosion prochaine. Ça le tue de devoir l'admettre, mais il ne peut se laisser submerger par la Verve. Pas dans un moment pareil. Il se lève donc à contrecoeur et ferme douloureusement les volets.
Voilà, c'est le silence maintenant.
Il tient très exactement trois minutes. Ce qui fait trois minutes de plus qu'à l'ordinaire. D'un geste fébrile, maladif, il s'empare du petit cylindre en métal posé sur sa table de nuit. Consciencieusement, il s'emploie à démêler les écouteurs. Ça l'apaise un peu, même si le silence est toujours aussi assourdissant. Arth garde cependant son calme, réprimant les tremblements presque imperceptibles de ses mains. Ça y est, il a fini. Avec un soupir de soulagement, il place les petits ronds dans ses oreilles. La musique ne s'y écoule pas encore, mais le bourdonnement chaleureux du lecteur lui tire un sourire satisfait. Il laisse durer le plaisir, caressant doucement le bouton en forme de triangle. Au dernier moment, il se rend compte qu'il ne dormira probablement pas. Peu importe, il n'aurait de toute façon jamais pu. Pas avec ce vide sonore occupé à lui rappeler à chaque instant qu'il n'y a rien à entendre.
Une petite pression du pouce. Et c'est parti.
« Arth... »
Arth est dans un état second et met donc un peu de temps à comprendre que c'est à lui qu'on s'adresse. Il ressent alors une irrépressible envie de crier. De pleurer aussi. C'est ce qui se passe quand quelqu'un interrompt son inspiration. Il sent la Verve bouillonner dans son sang, mécontente de ne pouvoir s'exprimer. Dommage, il avait l'impression que cette fois-ci, il allait réaliser un véritable chef d'oeuvre. Résigné, il déchire la feuille qu'il venait de saisir et sur laquelle il avait tracé quelques traits et écrit un peu plus de mots.
« Quoi ? grommelle-t-il, tournant un regard excédé vers son interlocuteur.
- Réunion..., répond simplement Chron. »
Bizarre. Arth aurait juré avoir décelé une pointe d'embarras dans la voix de l'impassible, de l'imperturbable Chron.
« Que se passe-t-il ? demande-t-il, soupçonneux. »
Pas de réponse. Ou bien Chron se fout de lui, ou alors quelque chose de grave est arrivé. Il opterait plutôt pour la deuxième option, au vu de l'incertitude, du léger vague qu'il lit dans ses yeux. Arth retire ses écouteurs.
« Chron... »
Chron inspire longuement. Comme pour rassembler son courage. Puis il crache le morceau.
Au début, Arth ne le croit pas. Son cerveau embrumé refuse d'abord d'intégrer cette information pourtant si simple. Mais il se fait rapidement une raison.
Arth vacille. Le lecteur lui échappe, tintant plusieurs fois sur les carreaux.
« Il est mort. Le vieux est mort. »
-**-
A peine ouvre-t-il un oeil que Hated se rend compte du changement. Il essaie de reprendre son souffle, régulant les mouvements saccadés de sa cage thoracique. Il n'arrive pas à y croire. Chacun de ses sens lui crie pourtant la vérité.
Enfin.
Il se redresse sur sa couche, essuyant d'un geste qui se veut tranquille son pâle front inondé de sueur. Il a une furieuse envie de crier, d'exprimer sa joie, son soulagement. Mais il ne peut pas. Ce n'est pas le moment de céder. Il a tenu trois mille ans ; il peut bien se retenir quelques minutes de plus. Un détail l'amuse : pendant tout ce temps, il a gardé l'espoir. Cette flamme qui le rongeait de l'intérieur et qu'il s'était employé en vain à éteindre. Car il était conscient que son sort n'en serait que plus atroce s'il passait ses journées à chercher un moyen de sortir. Mais maintenant, il se rend compte qu'il n'a fait que la recouvrir d'une couche plus ou moins épaisse d'un mélange d'indifférence et de résignation. Couche qui a volé en éclat dès le moment où il a compris qu'il pourrait s'échapper, il y a une poignée de secondes. Par conséquent, le feu se répand en lui, nourri par la rancoeur et la haine qu'il a accumulées pendant ces années de captivité.
Il n'a pas encore digéré l'affront qui lui a été fait. Trahi par ses propres congénères. On ne l'avait non pas enfermé pour quelque chose qu'il avait fait, mais pour ce qu'on redoutait qu'il fasse. Ils avaient peur de ses capacités. Ce qui est aisément compréhensible. Cela avait dû être un choc d'apprendre tout d'un coup qu'ils n'étaient pas immortels. De toute façon, il ne leur en veut pas. En tout cas, pas à eux. A l'autre, par contre...
Ses épaules se mettent à trembler de rage. Il expire longuement, réprimant la vague de fureur qui menace de le submerger.
A l'heure qu'il est, l'autre est sûrement mort, ce qui expliquerait que la barrière spirituelle soit levée. Jamais il n'aurait changé d'avis. Hated se souvient du regard qu'il lui avait lancé juste avant de le sceller dans cette cave. Un regard impitoyable, sans appel. Lui était à genoux, demandait à celui qu'il avait toujours considéré comme un père de lui expliquer pourquoi on l'emprisonnait. Il n'avait pas répondu. Hated s'était jeté à ses pieds, implorant la grâce divine. Mais l'autre s'était défait brusquement de son emprise, puis avait claqué la porte sans rien ajouter. Hated entendait encore, plusieurs secondes plus tard, le fracas de métal entrechoqué. A vrai dire, il n'avait cessé d'entendre ce putain de bruit depuis.
Par contre, il a l'impression que cela ne durera plus longtemps. Cette fois-ci, il est vraiment libre. D'ailleurs, sa maîtrise l'impressionne. Ça fait bientôt une heure qu'il est assis sur son tas de paille alors que quelques pas le séparent de l'extérieur. Finalement, ce n'est pas si étonnant que ça. Il ne fait pas partie de ces gens qui regretteraient de ne plus pouvoir sentir le doux souffle du vent sur leur visage. En toute franchise, il se plaisait bien ici. L'atmosphère était sombre à souhait, il y avait même des rats sur qui exercer ses talents, ce qui lui avait permis de ne pas devenir complètement fou. C'était surtout l'injustice de la situation qu'il ne peut supporter.
La nostalgie n'étant pas non plus son principal trait de caractère, il se décide enfin à se lever et titube péniblement en direction de la porte. Il ne sait pas combien de temps il est resté allongé, à regarder fixement le plafond humide, mais les mouvements maladroits de ses pieds lui donnent un ordre de grandeur. Ses longs cheveux noirs glissent sur le sol en pierre, produisant un léger chuintement.
Il s'arrête, se met à caresser la poignée en fer. Une légère appréhension l'envahit alors qu'il l'actionne. Et si tout ça n'était que le fruit de son imagination ?
Son coeur rate un battement. La porte ne veut pas bouger. Il déglutit difficilement. Un tremblement incontrôlable s'empare de ses membres.
Pas ça.
Calme-toi. Pendant tout ce temps, les gonds ont bien dû rouiller...
Il réessaie, appuyant plus fort sur le bout de fer. Toujours rien. Il sent qu'il va craquer. Il tire, encore et encore, et son visage se déforme en un rictus incrédule.
PAS ÇA !
Il est proche de la limite lorsqu'il est pris d'un énorme doute. Il interrompt brusquement ses mouvements frénétiques, puis pousse simplement la porte. Cette dernière tourne lentement sur ses gonds, produisant un affreux grincement.
Hated éclate d'un rire dément.
Il se dirige vers la sortie, d'un pas désormais assuré. Les idées fusent dans son cerveau atrophié par le manque d'activité. Il commence à réfléchir à un plan. Il ne veut pas se venger. Ce serait du sang versé pour pas grand-chose. Non, il est au-dessus de ça. Et puis, il est loin d'être impulsif. En fait, ce qu'il veut, c'est diriger. L'autre n'étant plus là, il leur faut un nouveau maître. Quelqu'un qui pourra faire l'unanimité au sein du Conseil.
Et qui de mieux que la Mort pour ça ?
-**-
La petite fille se rapprocha du cadavre d'un pas traînant. Etait-il vraiment mort ? Elle l'avait pourtant prévenu... Quand les adultes accorderaient-ils enfin l'importance qui leur est due aux propos des enfants ? Elle secoua la tête, déçue. Il lui avait pourtant paru différent des autres. Il n'avait pas ce ton exaspéré que les personnes âgées prenaient quand elles lui adressaient la parole. Mais finalement, il était comme ses semblables. Borné et incapable de voir qu'il court à sa perte.
Elle décida de s'en aller, réprimant le sentiment de fascination morbide qui l'avait poussée à descendre. Au moment où elle tourna les talons, elle décela un mouvement presque imperceptible à l'extrémité de son champ de vision. Incrédule, elle posa à nouveau son regard sur le corps flasque. Non, c'était son imagination. Il était bel et bien m...
Elle sursauta. Ça avait bougé. Pas le cadavre, mais au-dessus. Comme si l'air avait été déplacé. Pendant un court moment, elle resta immobile, hésitant entre pousser un cri d'effroi et prendre ses jambes à son cou. Elle opta pour la troisième option.
Elle se vit faire marche arrière. Mus par ce qui semblait être leur propre volonté, ses pieds parcouraient tranquillement la distance les séparant du tas de chair inerte. Une véritable rébellion. Maintenant, c'était ses mains, battant lentement au-dessus du Monsieur décédé. Présumé décédé. Ses yeux se plissèrent et elle identifia ce qu'elle avait aperçu un instant plus tôt. Une fine brume grisâtre s'échappait du crâne fendu du vieil homme et s'entortillait autour des bras graciles de la petite fille. C'était froid, visqueux. Son visage aux traits enfantins se crispa en une mimique dégoûtée tandis qu'elle tentait en vain de se défaire de cette emprise surnaturelle.
« Détends-toi, petite... »
C'était sa voix. Bizarrement, elle se sentit soulagée, se surprit même à esquisser un sourire rassuré.
« Je t'emprunte ça... »
Elle crut comprendre ce qu'il voulait dire, mais n'en était pas vraiment sûre. De toute façon, il était inutile de poser des questions. Elle avait conscience que les réponses qu'il lui apporterait dépasseraient son humble entendement. Alors elle se laissa faire car, aussi étrange que cela puisse paraître, elle lui vouait une confiance absolue.
La petite fille ferma lentement les paupières, le sentit s'installer à l'intérieur d'elle. Y aura-t-il assez de place pour eux deux ? Probablement. Il avait l'air de savoir ce qu'il faisait. Et puis, il n'oserait jamais lui faire de mal.
Les dernières barrières de son esprit cédèrent, et elle sombra.
-**-
Arth aimait beaucoup la salle du Conseil. En partie pour le brouhaha qui y régnait à chaque fois qu'il assistait à une réunion. Si il y avait bien une chose qui caractérisait ses semblables, c'était leur propension à ne jamais être d'accord sur quoi que ce soit.
Mais pas cette fois-ci. Une très belle illustration du pouvoir fédérateur de la peur. Arth reconnaissait quelques têtes. Moneh, juste à sa droite, se grattait la nuque. D'habitude si pragmatique, si efficace, il avait les yeux dans le vide, avait cet air hébété emprunté par plusieurs autres autour de la grande table ovale. Arth avait aussi aperçu Lucsuhr. Les cheveux en bataille, elle n'avait pas eu le temps de se maquiller. Elle n'en était pas moins superbe, substituant à son habituel aspect soigné une beauté farouche, animale. Et bien sûr, il y avait Chron. Celui-ci s'était vite repris, s'appropriant le plus naturellement du monde la place de chef temporaire. Le rôle lui seyait à merveille. Maintenant plus que jamais, ils avaient besoin d'entendre sa voix monocorde, apaisante et ses paroles inutiles. D'ailleurs il était en train de parler. Personne ne semblait l'écouter, mis à part une jeune personne proche de la panique qui l'interrompit, proférant des insultes d'une violence incroyable.
Arth comprenait sa colère. Le vieux avait pris d'énormes risques en récupérant sa forme humaine. Mais il était sûr que Deus avait une bonne raison.
« Vous pensez que... Qu'il sera énervé ? »
Arth se surprit à sourire, impressionné. Il n'aurait jamais cru que ce serait Pax qui oserait formuler de vive voix la question que tous se posaient en silence. Le courage n'était pas la qualité la plus développée chez Pax...
« Sûrement. Reste à savoir ce qu'il prévoit de faire... »
La phrase tombe comme une sentence. Les membres du Conseil commencent à envisager l'inenvisageable. Arth, lui, garde son calme. Comme les autres, il a bien sûr une peur profonde, impérieuse de la mort. C'est un sentiment qu'ils n'ont jamais été conditionnés à gérer. Il garde cependant en lui l'espoir de le voir revenir indemne, avec son sourire gêné des jours où il fait une mauvaise blague. Et quand bien même il serait décédé pour de bon, ça l'étonnerait qu'il n'ait pas prévu d'issue de secours pour eux. Il n'était pas irresponsable au point de les laisser dans un pétrin p...
MERDE.
Arth se rappelle, maintenant. Tout sera de sa faute si ça dégénère. Il tire de sa poche le papier que lui a remis Deus avant de descendre chez les humains. Une adresse.
« Là où tu dois aller s'il y a le moindre problème. »
PUTAIN DE MERDE.
Il pousse violemment la chaise et se précipite vers la sortie, conscient que les précieuses minutes qu'il a perdues lui feront sûrement défaut. Les membres du Conseil se tournent vers lui, étonnés. Il n'a pas le temps de leur expliquer. Alors qu'il saisit la poignée en or, il commence à croire qu'il y arrivera. Plus que quelques mètres...
« Où vas-tu, mon petit ? »
Il manque de tomber. Son coeur fait un bond dans sa poitrine. Puis s'arrête.
Hated lève la main, ébouriffant tendrement les cheveux blonds d'Arth.
« Tu n'allais pas partir sans saluer ton vieil ami ? »
Sa vue se trouble, il tombe lourdement au sol.
Finalement, il n'a pas été assez rapide.
Arth devrait dormir. C'est d'ailleurs ce pourquoi il s'est étendu par terre, près de la fenêtre. Evidemment, il n'y a pas de lit dans sa chambre. Arth est plutôt du genre à avoir du mal à se réveiller. Beaucoup de mal. La dernière fois, il lui a fallu sept ans pour se décider à sortir de sa couche chaude et moelleuse. Quelle raison, plus importante que ce sentiment de sûreté absolue, aurait pu le motiver à se réveiller ? Heureusement, Chron était venu le tirer de son sommeil à coups de pied dans le cul. Alors maintenant, il est prévenu. Il ne s'assoupit que très rarement, terrifié à l'idée de rester captif de son sens du confort sur-développé. Et quand cela s'impose, il s'allonge à même le sol, rassuré de savoir qu'il sera tôt ou tard tiré de ses délicieuses rêveries par une injonction nerveuse de son dos entortillé et torturé. Seulement, il affronte à présent le problème inverse. Arth se fait violence, conscient qu'il se doit de permettre à son corps de recharger ses batteries. Il se rend compte que laisser la fenêtre ouverte était un mauvais choix. Il ne peut s'empêcher de se laisser distraire par les bruits nocturnes. Notamment celui du vent, qui souffle légèrement sur le pâle rideau. Arth sent les poils de sa nuque se hérisser alors qu'un long frisson remonte son échine le plus lentement du monde. Autant de signes avant-coureurs d'une explosion prochaine. Ça le tue de devoir l'admettre, mais il ne peut se laisser submerger par la Verve. Pas dans un moment pareil. Il se lève donc à contrecoeur et ferme douloureusement les volets.
Voilà, c'est le silence maintenant.
Il tient très exactement trois minutes. Ce qui fait trois minutes de plus qu'à l'ordinaire. D'un geste fébrile, maladif, il s'empare du petit cylindre en métal posé sur sa table de nuit. Consciencieusement, il s'emploie à démêler les écouteurs. Ça l'apaise un peu, même si le silence est toujours aussi assourdissant. Arth garde cependant son calme, réprimant les tremblements presque imperceptibles de ses mains. Ça y est, il a fini. Avec un soupir de soulagement, il place les petits ronds dans ses oreilles. La musique ne s'y écoule pas encore, mais le bourdonnement chaleureux du lecteur lui tire un sourire satisfait. Il laisse durer le plaisir, caressant doucement le bouton en forme de triangle. Au dernier moment, il se rend compte qu'il ne dormira probablement pas. Peu importe, il n'aurait de toute façon jamais pu. Pas avec ce vide sonore occupé à lui rappeler à chaque instant qu'il n'y a rien à entendre.
Une petite pression du pouce. Et c'est parti.
« Arth... »
Arth est dans un état second et met donc un peu de temps à comprendre que c'est à lui qu'on s'adresse. Il ressent alors une irrépressible envie de crier. De pleurer aussi. C'est ce qui se passe quand quelqu'un interrompt son inspiration. Il sent la Verve bouillonner dans son sang, mécontente de ne pouvoir s'exprimer. Dommage, il avait l'impression que cette fois-ci, il allait réaliser un véritable chef d'oeuvre. Résigné, il déchire la feuille qu'il venait de saisir et sur laquelle il avait tracé quelques traits et écrit un peu plus de mots.
« Quoi ? grommelle-t-il, tournant un regard excédé vers son interlocuteur.
- Réunion..., répond simplement Chron. »
Bizarre. Arth aurait juré avoir décelé une pointe d'embarras dans la voix de l'impassible, de l'imperturbable Chron.
« Que se passe-t-il ? demande-t-il, soupçonneux. »
Pas de réponse. Ou bien Chron se fout de lui, ou alors quelque chose de grave est arrivé. Il opterait plutôt pour la deuxième option, au vu de l'incertitude, du léger vague qu'il lit dans ses yeux. Arth retire ses écouteurs.
« Chron... »
Chron inspire longuement. Comme pour rassembler son courage. Puis il crache le morceau.
Au début, Arth ne le croit pas. Son cerveau embrumé refuse d'abord d'intégrer cette information pourtant si simple. Mais il se fait rapidement une raison.
Arth vacille. Le lecteur lui échappe, tintant plusieurs fois sur les carreaux.
« Il est mort. Le vieux est mort. »
-**-
A peine ouvre-t-il un oeil que Hated se rend compte du changement. Il essaie de reprendre son souffle, régulant les mouvements saccadés de sa cage thoracique. Il n'arrive pas à y croire. Chacun de ses sens lui crie pourtant la vérité.
Enfin.
Il se redresse sur sa couche, essuyant d'un geste qui se veut tranquille son pâle front inondé de sueur. Il a une furieuse envie de crier, d'exprimer sa joie, son soulagement. Mais il ne peut pas. Ce n'est pas le moment de céder. Il a tenu trois mille ans ; il peut bien se retenir quelques minutes de plus. Un détail l'amuse : pendant tout ce temps, il a gardé l'espoir. Cette flamme qui le rongeait de l'intérieur et qu'il s'était employé en vain à éteindre. Car il était conscient que son sort n'en serait que plus atroce s'il passait ses journées à chercher un moyen de sortir. Mais maintenant, il se rend compte qu'il n'a fait que la recouvrir d'une couche plus ou moins épaisse d'un mélange d'indifférence et de résignation. Couche qui a volé en éclat dès le moment où il a compris qu'il pourrait s'échapper, il y a une poignée de secondes. Par conséquent, le feu se répand en lui, nourri par la rancoeur et la haine qu'il a accumulées pendant ces années de captivité.
Il n'a pas encore digéré l'affront qui lui a été fait. Trahi par ses propres congénères. On ne l'avait non pas enfermé pour quelque chose qu'il avait fait, mais pour ce qu'on redoutait qu'il fasse. Ils avaient peur de ses capacités. Ce qui est aisément compréhensible. Cela avait dû être un choc d'apprendre tout d'un coup qu'ils n'étaient pas immortels. De toute façon, il ne leur en veut pas. En tout cas, pas à eux. A l'autre, par contre...
Ses épaules se mettent à trembler de rage. Il expire longuement, réprimant la vague de fureur qui menace de le submerger.
A l'heure qu'il est, l'autre est sûrement mort, ce qui expliquerait que la barrière spirituelle soit levée. Jamais il n'aurait changé d'avis. Hated se souvient du regard qu'il lui avait lancé juste avant de le sceller dans cette cave. Un regard impitoyable, sans appel. Lui était à genoux, demandait à celui qu'il avait toujours considéré comme un père de lui expliquer pourquoi on l'emprisonnait. Il n'avait pas répondu. Hated s'était jeté à ses pieds, implorant la grâce divine. Mais l'autre s'était défait brusquement de son emprise, puis avait claqué la porte sans rien ajouter. Hated entendait encore, plusieurs secondes plus tard, le fracas de métal entrechoqué. A vrai dire, il n'avait cessé d'entendre ce putain de bruit depuis.
Par contre, il a l'impression que cela ne durera plus longtemps. Cette fois-ci, il est vraiment libre. D'ailleurs, sa maîtrise l'impressionne. Ça fait bientôt une heure qu'il est assis sur son tas de paille alors que quelques pas le séparent de l'extérieur. Finalement, ce n'est pas si étonnant que ça. Il ne fait pas partie de ces gens qui regretteraient de ne plus pouvoir sentir le doux souffle du vent sur leur visage. En toute franchise, il se plaisait bien ici. L'atmosphère était sombre à souhait, il y avait même des rats sur qui exercer ses talents, ce qui lui avait permis de ne pas devenir complètement fou. C'était surtout l'injustice de la situation qu'il ne peut supporter.
La nostalgie n'étant pas non plus son principal trait de caractère, il se décide enfin à se lever et titube péniblement en direction de la porte. Il ne sait pas combien de temps il est resté allongé, à regarder fixement le plafond humide, mais les mouvements maladroits de ses pieds lui donnent un ordre de grandeur. Ses longs cheveux noirs glissent sur le sol en pierre, produisant un léger chuintement.
Il s'arrête, se met à caresser la poignée en fer. Une légère appréhension l'envahit alors qu'il l'actionne. Et si tout ça n'était que le fruit de son imagination ?
Son coeur rate un battement. La porte ne veut pas bouger. Il déglutit difficilement. Un tremblement incontrôlable s'empare de ses membres.
Pas ça.
Calme-toi. Pendant tout ce temps, les gonds ont bien dû rouiller...
Il réessaie, appuyant plus fort sur le bout de fer. Toujours rien. Il sent qu'il va craquer. Il tire, encore et encore, et son visage se déforme en un rictus incrédule.
PAS ÇA !
Il est proche de la limite lorsqu'il est pris d'un énorme doute. Il interrompt brusquement ses mouvements frénétiques, puis pousse simplement la porte. Cette dernière tourne lentement sur ses gonds, produisant un affreux grincement.
Hated éclate d'un rire dément.
Il se dirige vers la sortie, d'un pas désormais assuré. Les idées fusent dans son cerveau atrophié par le manque d'activité. Il commence à réfléchir à un plan. Il ne veut pas se venger. Ce serait du sang versé pour pas grand-chose. Non, il est au-dessus de ça. Et puis, il est loin d'être impulsif. En fait, ce qu'il veut, c'est diriger. L'autre n'étant plus là, il leur faut un nouveau maître. Quelqu'un qui pourra faire l'unanimité au sein du Conseil.
Et qui de mieux que la Mort pour ça ?
-**-
La petite fille se rapprocha du cadavre d'un pas traînant. Etait-il vraiment mort ? Elle l'avait pourtant prévenu... Quand les adultes accorderaient-ils enfin l'importance qui leur est due aux propos des enfants ? Elle secoua la tête, déçue. Il lui avait pourtant paru différent des autres. Il n'avait pas ce ton exaspéré que les personnes âgées prenaient quand elles lui adressaient la parole. Mais finalement, il était comme ses semblables. Borné et incapable de voir qu'il court à sa perte.
Elle décida de s'en aller, réprimant le sentiment de fascination morbide qui l'avait poussée à descendre. Au moment où elle tourna les talons, elle décela un mouvement presque imperceptible à l'extrémité de son champ de vision. Incrédule, elle posa à nouveau son regard sur le corps flasque. Non, c'était son imagination. Il était bel et bien m...
Elle sursauta. Ça avait bougé. Pas le cadavre, mais au-dessus. Comme si l'air avait été déplacé. Pendant un court moment, elle resta immobile, hésitant entre pousser un cri d'effroi et prendre ses jambes à son cou. Elle opta pour la troisième option.
Elle se vit faire marche arrière. Mus par ce qui semblait être leur propre volonté, ses pieds parcouraient tranquillement la distance les séparant du tas de chair inerte. Une véritable rébellion. Maintenant, c'était ses mains, battant lentement au-dessus du Monsieur décédé. Présumé décédé. Ses yeux se plissèrent et elle identifia ce qu'elle avait aperçu un instant plus tôt. Une fine brume grisâtre s'échappait du crâne fendu du vieil homme et s'entortillait autour des bras graciles de la petite fille. C'était froid, visqueux. Son visage aux traits enfantins se crispa en une mimique dégoûtée tandis qu'elle tentait en vain de se défaire de cette emprise surnaturelle.
« Détends-toi, petite... »
C'était sa voix. Bizarrement, elle se sentit soulagée, se surprit même à esquisser un sourire rassuré.
« Je t'emprunte ça... »
Elle crut comprendre ce qu'il voulait dire, mais n'en était pas vraiment sûre. De toute façon, il était inutile de poser des questions. Elle avait conscience que les réponses qu'il lui apporterait dépasseraient son humble entendement. Alors elle se laissa faire car, aussi étrange que cela puisse paraître, elle lui vouait une confiance absolue.
La petite fille ferma lentement les paupières, le sentit s'installer à l'intérieur d'elle. Y aura-t-il assez de place pour eux deux ? Probablement. Il avait l'air de savoir ce qu'il faisait. Et puis, il n'oserait jamais lui faire de mal.
Les dernières barrières de son esprit cédèrent, et elle sombra.
-**-
Arth aimait beaucoup la salle du Conseil. En partie pour le brouhaha qui y régnait à chaque fois qu'il assistait à une réunion. Si il y avait bien une chose qui caractérisait ses semblables, c'était leur propension à ne jamais être d'accord sur quoi que ce soit.
Mais pas cette fois-ci. Une très belle illustration du pouvoir fédérateur de la peur. Arth reconnaissait quelques têtes. Moneh, juste à sa droite, se grattait la nuque. D'habitude si pragmatique, si efficace, il avait les yeux dans le vide, avait cet air hébété emprunté par plusieurs autres autour de la grande table ovale. Arth avait aussi aperçu Lucsuhr. Les cheveux en bataille, elle n'avait pas eu le temps de se maquiller. Elle n'en était pas moins superbe, substituant à son habituel aspect soigné une beauté farouche, animale. Et bien sûr, il y avait Chron. Celui-ci s'était vite repris, s'appropriant le plus naturellement du monde la place de chef temporaire. Le rôle lui seyait à merveille. Maintenant plus que jamais, ils avaient besoin d'entendre sa voix monocorde, apaisante et ses paroles inutiles. D'ailleurs il était en train de parler. Personne ne semblait l'écouter, mis à part une jeune personne proche de la panique qui l'interrompit, proférant des insultes d'une violence incroyable.
Arth comprenait sa colère. Le vieux avait pris d'énormes risques en récupérant sa forme humaine. Mais il était sûr que Deus avait une bonne raison.
« Vous pensez que... Qu'il sera énervé ? »
Arth se surprit à sourire, impressionné. Il n'aurait jamais cru que ce serait Pax qui oserait formuler de vive voix la question que tous se posaient en silence. Le courage n'était pas la qualité la plus développée chez Pax...
« Sûrement. Reste à savoir ce qu'il prévoit de faire... »
La phrase tombe comme une sentence. Les membres du Conseil commencent à envisager l'inenvisageable. Arth, lui, garde son calme. Comme les autres, il a bien sûr une peur profonde, impérieuse de la mort. C'est un sentiment qu'ils n'ont jamais été conditionnés à gérer. Il garde cependant en lui l'espoir de le voir revenir indemne, avec son sourire gêné des jours où il fait une mauvaise blague. Et quand bien même il serait décédé pour de bon, ça l'étonnerait qu'il n'ait pas prévu d'issue de secours pour eux. Il n'était pas irresponsable au point de les laisser dans un pétrin p...
MERDE.
Arth se rappelle, maintenant. Tout sera de sa faute si ça dégénère. Il tire de sa poche le papier que lui a remis Deus avant de descendre chez les humains. Une adresse.
« Là où tu dois aller s'il y a le moindre problème. »
PUTAIN DE MERDE.
Il pousse violemment la chaise et se précipite vers la sortie, conscient que les précieuses minutes qu'il a perdues lui feront sûrement défaut. Les membres du Conseil se tournent vers lui, étonnés. Il n'a pas le temps de leur expliquer. Alors qu'il saisit la poignée en or, il commence à croire qu'il y arrivera. Plus que quelques mètres...
« Où vas-tu, mon petit ? »
Il manque de tomber. Son coeur fait un bond dans sa poitrine. Puis s'arrête.
Hated lève la main, ébouriffant tendrement les cheveux blonds d'Arth.
« Tu n'allais pas partir sans saluer ton vieil ami ? »
Sa vue se trouble, il tombe lourdement au sol.
Finalement, il n'a pas été assez rapide.
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