Osaka no way
Par : Gregor
Genre : Sentimental
Status : Terminée
Note :
Chapitre 2
Publié le 11/04/10 à 09:22:35 par Gregor
Troisième Mouvement.
Paul était violoncelliste. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, l’instrument avait toujours eu sa place entre ses doigts, l’archet volant de cordes en cordes. Le conservatoire de sa ville natale l’avait accueilli, puis quelques orchestres ambulants. Dix ans durant, il suivit la grande troupe des « Enfants de Budapest » avant de tout quitter.
Il ne lui restait que la solitude de sa reconnaissance mondiale. D’Est en Ouest, Il allait et venait sans cesse, privé par une gloire harassante d’un domicile fixe, de doux rapports humains, de toute normalité.
Paul était violoncelliste, mais après le concert ce soir-là à Osaka, il n’était pas allé au Port chercher un peu de plaisir. Un poids mort rongeait son envie et entrainait par la même le génie de son jeu musical. Privé d’amour, Paul avait tari la source de son inspiration, et petit à petit, son jeu s’en était ressentait.
Osaka fut le concert de trop.
Groggy, il n’accusa pas le coup des regards suspicieux qui cisaillaient sa pauvre nuque, coincé dans un magnifique et sobre costume trois pièces.
Il aurait du finir au fond de l’eau sale. Retenir sa respiration et couler, cela lui semblait si simple.
Sans Danielle, quelque chose dans la mécanique de son âme aurait sans doute été brisée.
Mais Danielle, elle, sans vouloir le faire exprès, avait retenu son regard.
Il avait sourit. Las, certes, mais son geste suicidaire fut reporté de quelques heures. Puis d’un jour.
La casette usée lui rappelait cet amour en trompe l’œil. Mutuellement, Strauss les avait sauvés.
Danielle semblait si heureuse. Toute simple, toute fine, même dans ses mouvements peu assurés, elle sentait le bonheur pur et sincère.
Paul se demanda si elle aussi, elle vivait la même chose à une autre échelle.
Le lendemain, il attendit la nuit avec impatience. La pluie lava les restes d’hiver sur les toits d’Osaka, tandis que lui regardait par la fenêtre, en attendant son avant-dernier concert. Quelque chose qu’il semblait avoir oublié depuis longtemps se remit à battre en lui. Et depuis si longtemps, des années peut-être, sa musique vibra d’une ultime sonorité, insaisissable. La perfection habituelle, amplifiée par ce sentiment, résonna plus fort dans son cœur à lui qu’aux oreilles du public.
Mais l’équilibre revenait. C’était cela le plus important.
Tristement, Danielle découvrit ce que l’amour pouvait engendrer. Elle connaissait ce plaisir, celui qui se monnaye, mais s’interdisait le moindre sentiment qui aurait put surpasser une simple satisfaction.
La musique usée crissait dans les lames du magnétophone.
Elle attendit tard cette nuit, et lorsque Paul reparut enfin à son hôtel, elle était détrempée. Il lui adressa un léger sourire, avant de l’inviter à entrer. Le lourd maquillage avait coulé, mais il n’y fit pas attention. Lui-même arborait de larges cernes de fatigues, grisâtres, qui vieillissaient ses traits encore fin d’une décennie.
La pluie ne cessait plus. Cette fois, Paul avait eut le temps de trouver une casette plus neuve, plus propre. Le son ne sauta pas, et il emmena Danielle dans le monde de ses jours. Une valse, puis deux, puis trois. Elle se laissa aller, en silence, dans cette pudeur sublime qui avait fait naitre un désir platonique au cœur de Paul.
Tout était si simple. Rien ne viendrait briser les règles convenues de ce jeu romantique. Il n’y avait plus de tristesse, de drogue, d’argent sale ou absent là où il l’emmenait. Juste la danse, quelques violons, et le contact extrêmement fin de l’Autre.
Encore une fois, il arrêta la danse. Une mèche des cheveux de Danielle s’était décrochée de son chignon. Il effleura du bout des lèvres son cou, elle caressa sa nuque, puis, sans mot dire, embrassa son front.
- Demain, une dernière fois, …
- Danielle. Je m’appelle Danielle.
- Oh, fit-il, légèrement surpris. Moi c’est Paul.
- Eh bien, Paul, à demain.
Elle ne demanda aucun billet ce soir là.
Quatrième mouvement.
Le concert fut annulé. Cette fois, ce serait lui qui arriverait en premier.
Un sourire merveilleux détendait ses traits. Les lourds cernes avaient disparu de son visage.
Peut-être Danielle osera-t-elle faire comme si ils formaient un couple normal ? A-t-elle au moins compris qu’après cette nuit, il s’en irait, et que la chance qu’il se revoient un jour équivalait à zéro ?
Il l’espérait tout comme il le redoutait.
Pourquoi ne pas se fixer ?
La question n’était pas si stupide qu’elle pouvait y paraitre. Paul ne rêvait plus que de s’arrêter quelques temps, non pas pour créer une famille ou trouver la stabilité, mais se reposer tel que son corps lui demandait. Son dos le martyrisait depuis bientôt six mois, et il avait déjà du reporter deux fois sa présence pour des concerts.
Mais pas ce soir.
Un problème de billetterie, à la fois simple et stupide, avait contraint l’organisateur du gala de valse à reporter la dernière soirée prévue. Trois jours d’attentes.
Mais pour Paul, trois heures suffirait. Si seulement Danielle arrivait en avance, se disait-il.
La pluie battait le trottoir. Un espace entre deux édifices, occupé en son centre par un majestueux cerisier, semblait à l’abri sous une toile cirée tendu entre trois murs. Une buvette ambulante y avait trouvé refuge, dépliant table et chaise pour d’éventuels passants.
Paul se tenait en face de cette espace étrange et serein à la fois. Il ne l’avait jamais remarqué jusqu’à présent.
Il n’avait pas remarqué grand-chose, en réalité, hormis les horaires et le lieu du spectacle, les dates d’arrivé et de départ, ainsi que la rue de son hôtel.
Il devait repartir dans cinq heures, pour une autre aventure. Comme si le contraste poétique du Japon n’avait jamais existé avant.
Un vieil homme s’arrêta sous la toile, qui fuyait par endroit. Les bourgeons blancs étaient sur le point d’éclater. Le printemps s’annonçait par esquisses discrètes, et lui, il s’en irait encore.
Cette pensée l’attrista. Il ne s’arrêtait jamais au bon moment, comme si l’essence des lieux se trouvait décalé à des dates avoisinant sa présence.
Danielle arriva dans l’entrefaite. Sourire, main tendues l’une vers l’autre. Paul sortit le magnétophone, une nouvelle cassette y était insérée. Danielle se contenta de laisser tomber le lien de son chignon, révélant une beauté naturelle simple et juste. Aucun fard sur ses yeux noirs, juste une pointe de bonheur sans nom qui redorait les choses et les êtres les plus abimés.
- Allons-y, commença-t-il.
Elle tendit ses mains, apprêta ses pas, et il enclencha la musique.
Ils se perdaient l’un dans le regard de l’autre, une expression irréelle sur les lèvres. Un moment, son rire frais et vivant ricocha sur les parois de la place, tandis que la pluie martelait le toit éphémère qui les protégeait.
- Qu’y-a-t-il ? C’est moi ?
Il s’excusa.
- Non, non, mais je viens de comprendre quelque chose.
Elle le fixait, lui aussi.
Leurs pas cadencés battaient le rythme maladroit des amants d’Osaka.
Il pencha la tête.
Elle ferma les yeux.
Le magnétophone fut à cours de piles. La pluie tombait si fort que nul ne vit deux minuscules larmes rouler sur les joues de Danielle.
Paul s’en était allé sans l’embrasser.
A peine avait-il promis qu’un jour peut-être, il reviendra au Shinichi Subaku. Elle ne savait pas si elle devait le croire ou pas.
Contre son cœur, une cassette audio, vieille et usée. Dessus, il y avait une valse de Strauss.
Elle sourit, et se retourna.
La pluie l’engloutit, pour de bon.
Paul était violoncelliste. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, l’instrument avait toujours eu sa place entre ses doigts, l’archet volant de cordes en cordes. Le conservatoire de sa ville natale l’avait accueilli, puis quelques orchestres ambulants. Dix ans durant, il suivit la grande troupe des « Enfants de Budapest » avant de tout quitter.
Il ne lui restait que la solitude de sa reconnaissance mondiale. D’Est en Ouest, Il allait et venait sans cesse, privé par une gloire harassante d’un domicile fixe, de doux rapports humains, de toute normalité.
Paul était violoncelliste, mais après le concert ce soir-là à Osaka, il n’était pas allé au Port chercher un peu de plaisir. Un poids mort rongeait son envie et entrainait par la même le génie de son jeu musical. Privé d’amour, Paul avait tari la source de son inspiration, et petit à petit, son jeu s’en était ressentait.
Osaka fut le concert de trop.
Groggy, il n’accusa pas le coup des regards suspicieux qui cisaillaient sa pauvre nuque, coincé dans un magnifique et sobre costume trois pièces.
Il aurait du finir au fond de l’eau sale. Retenir sa respiration et couler, cela lui semblait si simple.
Sans Danielle, quelque chose dans la mécanique de son âme aurait sans doute été brisée.
Mais Danielle, elle, sans vouloir le faire exprès, avait retenu son regard.
Il avait sourit. Las, certes, mais son geste suicidaire fut reporté de quelques heures. Puis d’un jour.
La casette usée lui rappelait cet amour en trompe l’œil. Mutuellement, Strauss les avait sauvés.
Danielle semblait si heureuse. Toute simple, toute fine, même dans ses mouvements peu assurés, elle sentait le bonheur pur et sincère.
Paul se demanda si elle aussi, elle vivait la même chose à une autre échelle.
Le lendemain, il attendit la nuit avec impatience. La pluie lava les restes d’hiver sur les toits d’Osaka, tandis que lui regardait par la fenêtre, en attendant son avant-dernier concert. Quelque chose qu’il semblait avoir oublié depuis longtemps se remit à battre en lui. Et depuis si longtemps, des années peut-être, sa musique vibra d’une ultime sonorité, insaisissable. La perfection habituelle, amplifiée par ce sentiment, résonna plus fort dans son cœur à lui qu’aux oreilles du public.
Mais l’équilibre revenait. C’était cela le plus important.
Tristement, Danielle découvrit ce que l’amour pouvait engendrer. Elle connaissait ce plaisir, celui qui se monnaye, mais s’interdisait le moindre sentiment qui aurait put surpasser une simple satisfaction.
La musique usée crissait dans les lames du magnétophone.
Elle attendit tard cette nuit, et lorsque Paul reparut enfin à son hôtel, elle était détrempée. Il lui adressa un léger sourire, avant de l’inviter à entrer. Le lourd maquillage avait coulé, mais il n’y fit pas attention. Lui-même arborait de larges cernes de fatigues, grisâtres, qui vieillissaient ses traits encore fin d’une décennie.
La pluie ne cessait plus. Cette fois, Paul avait eut le temps de trouver une casette plus neuve, plus propre. Le son ne sauta pas, et il emmena Danielle dans le monde de ses jours. Une valse, puis deux, puis trois. Elle se laissa aller, en silence, dans cette pudeur sublime qui avait fait naitre un désir platonique au cœur de Paul.
Tout était si simple. Rien ne viendrait briser les règles convenues de ce jeu romantique. Il n’y avait plus de tristesse, de drogue, d’argent sale ou absent là où il l’emmenait. Juste la danse, quelques violons, et le contact extrêmement fin de l’Autre.
Encore une fois, il arrêta la danse. Une mèche des cheveux de Danielle s’était décrochée de son chignon. Il effleura du bout des lèvres son cou, elle caressa sa nuque, puis, sans mot dire, embrassa son front.
- Demain, une dernière fois, …
- Danielle. Je m’appelle Danielle.
- Oh, fit-il, légèrement surpris. Moi c’est Paul.
- Eh bien, Paul, à demain.
Elle ne demanda aucun billet ce soir là.
Quatrième mouvement.
Le concert fut annulé. Cette fois, ce serait lui qui arriverait en premier.
Un sourire merveilleux détendait ses traits. Les lourds cernes avaient disparu de son visage.
Peut-être Danielle osera-t-elle faire comme si ils formaient un couple normal ? A-t-elle au moins compris qu’après cette nuit, il s’en irait, et que la chance qu’il se revoient un jour équivalait à zéro ?
Il l’espérait tout comme il le redoutait.
Pourquoi ne pas se fixer ?
La question n’était pas si stupide qu’elle pouvait y paraitre. Paul ne rêvait plus que de s’arrêter quelques temps, non pas pour créer une famille ou trouver la stabilité, mais se reposer tel que son corps lui demandait. Son dos le martyrisait depuis bientôt six mois, et il avait déjà du reporter deux fois sa présence pour des concerts.
Mais pas ce soir.
Un problème de billetterie, à la fois simple et stupide, avait contraint l’organisateur du gala de valse à reporter la dernière soirée prévue. Trois jours d’attentes.
Mais pour Paul, trois heures suffirait. Si seulement Danielle arrivait en avance, se disait-il.
La pluie battait le trottoir. Un espace entre deux édifices, occupé en son centre par un majestueux cerisier, semblait à l’abri sous une toile cirée tendu entre trois murs. Une buvette ambulante y avait trouvé refuge, dépliant table et chaise pour d’éventuels passants.
Paul se tenait en face de cette espace étrange et serein à la fois. Il ne l’avait jamais remarqué jusqu’à présent.
Il n’avait pas remarqué grand-chose, en réalité, hormis les horaires et le lieu du spectacle, les dates d’arrivé et de départ, ainsi que la rue de son hôtel.
Il devait repartir dans cinq heures, pour une autre aventure. Comme si le contraste poétique du Japon n’avait jamais existé avant.
Un vieil homme s’arrêta sous la toile, qui fuyait par endroit. Les bourgeons blancs étaient sur le point d’éclater. Le printemps s’annonçait par esquisses discrètes, et lui, il s’en irait encore.
Cette pensée l’attrista. Il ne s’arrêtait jamais au bon moment, comme si l’essence des lieux se trouvait décalé à des dates avoisinant sa présence.
Danielle arriva dans l’entrefaite. Sourire, main tendues l’une vers l’autre. Paul sortit le magnétophone, une nouvelle cassette y était insérée. Danielle se contenta de laisser tomber le lien de son chignon, révélant une beauté naturelle simple et juste. Aucun fard sur ses yeux noirs, juste une pointe de bonheur sans nom qui redorait les choses et les êtres les plus abimés.
- Allons-y, commença-t-il.
Elle tendit ses mains, apprêta ses pas, et il enclencha la musique.
Ils se perdaient l’un dans le regard de l’autre, une expression irréelle sur les lèvres. Un moment, son rire frais et vivant ricocha sur les parois de la place, tandis que la pluie martelait le toit éphémère qui les protégeait.
- Qu’y-a-t-il ? C’est moi ?
Il s’excusa.
- Non, non, mais je viens de comprendre quelque chose.
Elle le fixait, lui aussi.
Leurs pas cadencés battaient le rythme maladroit des amants d’Osaka.
Il pencha la tête.
Elle ferma les yeux.
Le magnétophone fut à cours de piles. La pluie tombait si fort que nul ne vit deux minuscules larmes rouler sur les joues de Danielle.
Paul s’en était allé sans l’embrasser.
A peine avait-il promis qu’un jour peut-être, il reviendra au Shinichi Subaku. Elle ne savait pas si elle devait le croire ou pas.
Contre son cœur, une cassette audio, vieille et usée. Dessus, il y avait une valse de Strauss.
Elle sourit, et se retourna.
La pluie l’engloutit, pour de bon.
16/02/13 à 01:57:52
Pas de formules à rallonge, juste des mots simples pour un amour tout aussi simple.
L'amour de la danse et une passion partagée l'espace de quelques jours, franchement j'ai beaucoup aimé.
Comme quoi notre Greg' est capable d'écrire de belles choses sentimentales
24/05/12 à 21:28:22
Oh et, quelle idée d'écrire des textes aussi tristes. Ca met le cafard. Et si ça met le cafard, c'est parce que tu es bon. Prend ça comme un compliment. Mais vraiment, n'écris plus jamais de truc aussi triste .
24/05/12 à 21:24:13
J'écoutais ça, et je me suis mis à lâcher quelques larmes.
17/09/10 à 13:24:44
Une douce amertume, quelques pas de danse et vient la tragédie inéluctable.
Bien sûr, on s'en doute et même, on l'attend. Car on sait qu'il ne peut en être autrement. Mais elle reste cruelle et nous fait frissonner.
La dernière danse est toujours la plus douloureuse.
J'ai rien à dire côté style. Peut-être que j'aurais pas mis les virgules aux mêmes endroits que toi parfois, mais ça c'est vraiment perso. Ton rythme me convient tout de même très bien.
Oui, c'est lancinant et beau. Et ça m'a donné envie d'aller écouter de la musique classique.
Un très bon texte pour moi, il coule tout seul et touche le lecteur sans problème. Bravo
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