Eau salée pour plaies sucrées
Par : Salmanzare
Genre : Sentimental , Réaliste
Status : Terminée
Note :
Chapitre 1
Publié le 25/10/16 à 18:25:47 par Salmanzare
- Mais demande lui merde !
- Et si elle a un mec ? Putain c’est pas aussi simple que ça.
- Demande lui ! Et prends un verre d’eau !
- Je crois que je préfère pas savoir. Pis j’aime pas le goût de l’eau sans pastis.
- Je te jure tu me fatigues. Est-ce que t’as écris récemment au moins ? Montre-moi ton carnet. Allez, montre !
Je m’apprête à dire non mais Lola l’a déjà attrapé dans le sac au bas du comptoir.
- Vous revoulez quelque chose, demande Paul ?
- Un jager bomb s’il te plaît.
- Paul, tu lui sers rien tant qu’il a pas bu une pinte d’eau !
Je peste et la regarde lire les quelques phrases vides de sens que j’ai griffonné avant de venir. Je me rappelle que j’ai dit hier à Freddy que mon roman était quasi terminé. Ça doit maintenant faire plusieurs mois que j’ai jeté la seule page que j’ai torché. Je bois une gorgée d’eau Et relève la tête.
- Faut que tu termines tu sais.
Je secoue les épaules.
- Non sérieusement David. Tu termines jamais rien parce que t’as peur d’aller au bout des choses. La seule chose que tu réussis, c’est échouer. Et trop souvent ici…
- Le problème c’est que…
- Le problème c’est que tu cherches l’échec parce que t’as peur de devoir t’investir vraiment. C'est compliqué juste parce que tu veux que ça le soit. Non ferme là pour une fois David. On a tous des problèmes. Et toi tu plains de ta vie sentimentale alors que tu là sabotes toi-même. Si tu tombes que sur des connasses, c'est parce que tu le veux. T'as pas envie que ça aille bien parce que t'as toujours pas digéré Chloé. Je le sais. Tu le sais. On le sait tous !
- Mais...
- M'évoque pas le chat. Je te jure, me l'évoque pas. Il existe pas. C'est toi le chat.
Lola continue de parler mais j'écoute plus. Au fond de mon prochain verre, je sais que j'y trouverais le Chat. Comme elle s’arrête plus, j’ouvre mes bras pour un câlin en espérant qu’elle se taise et qu’elle ne gratte plus les croutes de ma carcasse. Sinon je vais craquer. Sinon je vais pleurer de la bile demain au réveil. La tête dans les toilettes à me dire que j’ai encore déconné. Lola se laisse attendrir comme souvent.
- Vous me fatiguez. J’ai l’impression d’être la maman ici.
Je souris mollement en me disant que je suis content qu’elle soit là. Mais je lui dis pas à elle. Parce que je suis pas très bavard et que je noie trop souvent l’important dans une flopée verbale. Lola elle voit derrière le masque alors ça me fait flipper. D’un coup j’ai envie de m’échapper car ça commence à devenir trop sérieux. C’est vrai que c’est une maman.
- Je vais dire bonjour à Anaïs.
- Je veux lire un truc complet la prochaine fois.
- On verra.
Ariel ouvre la porte et me fusille du regard.
- C'est quoi ce pull moche ?
- C'est moi, je suppose ?
- Ça va pas être possible. C'est le nouvel an. On commence pas le nouvel an avec un pull moche. Tu comprends quand même ? Tu veux pas entrer dans une nouvelle année dans un vieux pull moche sérieusement ?
Comme j'hausse les épaules, Ariel soupire. Il disparaît dans sa chambre pour me jeter une chemise pliée à la figure. Ça sent la lavande et un côté trop expansif à mon goût.
- Si tu la mets pas, mes potes te laisseront pas rentrer. Je veux aucune tâche dessus. Pas de vin rouge pour toi ce soir. Et vous faites pas les cons avec Renaud hein ?
Alors avec Renaud on se marre et on promet de bien se tenir. Quand Ariel part chercher sa veste, on croise enfin nos regards en sachant que c’est peine perdu. Ariel revient, pointe son index sur l’œil puis sur nous.
- Attention.
Et voilà qu’une demie heure plus tard on est chez cet inconnu que j’ai jamais vu. Dans un appartement contenant plusieurs fois le mien, avec des gens bien trop habillés buvant du champagne tout en parlant de macroéconomie. Moi je vais à l’économie de parole dans ma chemise un peu trop grande et mes chaussures troués. Un mec aux cheveux gominés m’approche.
- Tu fais quoi dans la vie ?
- J’écris.
- Non mais je veux dire pour vivre ?
- Je touche mes assedics depuis plusieurs mois-là. Je galère à trouver du travail et un appart.
- Ah… Le mec se casse sans rien dire de plus. Je retourne à la cuisine me servir un verre pour oublier que je suis pas à ma place.
- J’aime bien ta chemise, me sort une nana près de la gazinière. C’est une …
Je comprends pas le nom de la marque et j’ose pas lui demander de répéter.
- Euh… J’sais pas. C’est Ariel qui me l’a filé car j’avais rien à me mettre.
- T’étais venu sans chemise ?
- Je pensais pas que y avait un dresscode.
- C’est le nouvel an…
- Heureusement que j’en ai trouvé une alors.
- Tu fais quoi dans la vie ?
- Je cherche du boulot dans l’écriture.
- Et ça gagne bien ça ?
- Pas vraiment. En fait, en attendant j’essaye de…
- Désolé, faut que j’aille aux toilettes. Je reviens.
Je sais bien qu’elle reviendra pas. Moi non plus après tout. Me voilà coincé dans un univers qu’est pas le mien et j’ai pas le cœur à enfiler le masque. Lola me dirait-t-elle d’essayer ?
Arrive une petite brune aux grands yeux qui remarque sans doute mon côté paumé.
- T’es l’ami de l’ami de qui toi ?
- Je suis l’ami d’Ariel qui connaît le proprio. Et toi ?
- L’amie du proprio.
- Santé.
On trinque et un grand black se ramène pour attraper une bière dans le frigo.
- Putain c’est encore tiède.
Il en boit une gorgée de plus et la pose dans le lavabo déjà un peu dégueulasse.
- Vous vous connaissez ?
- C’est mon meilleur ami, répond la petite brune.
- On se connaît depuis la maternelle, j’ajoute.
Le mec attrape une bouteille de rouge et se tire en disant qu’il est content de m’avoir rencontré.
- Camille.
- David. On est ami d’enfance donc ?
- Viens, on se dit des trucs supers intimes comme ça on sera potes tout de suite.
Je réfléchis un peu et je commence.
- J’aime pas les coccinelles. Ça m’angoisse.
- J’ai eu une veilleuse dans ma chambre jusqu’à huit ans car j’avais peur du noir.
- Quand j’avais huit ans, on s’est promis avec Rozenn de s’offrir chaque matin notre premier sourire à l’autre.
- Je dis à tout le monde que je bois mon café noir mais j’ajoute du sucre en cachette. Tu lui souris toujours à Rozenn ?
- Je mens toujours sur mon prénom quand je pense ne jamais recroiser la personne. Elle a déménagé l’année suivante et je l’ai jamais revu.
- Du coup c’est pour ça que depuis tu ne souris plus ?
Je souris. Vraiment. Et c’est agréable. Camille se marre et une amie à elle apparaît pour la happer dans une autre foule. Renaud arrive l’air blasé.
- C’est moi où chaque rencontre ici est un entretien d’embauche ? Chaque sous-entendu ici c’est un « combien tu vaux ? ».
- Et nous on coûte.
- Donc on joue les parasites et on assume d’être des chômeurs se rinçant la gueule au champagne ?
Je trinque avec Renaud en regardant Camille danser un peu plus loin. Il s’en aperçoit et me tape sur la poitrine.
- Cherche pas, c’est la plus jolie fille de la soirée. C’est mort.
Je me dis que j’ai envie d’essayer quand même mais j’y vais pas. On se décide à prendre l’air sur la terrasse. En face de nous un groupe de filles aux hanches rigides se balance mollement sur une musique chiante. Leurs sacs à main entre les doigts au lieu de les poser à l’entrée. La confiance doit régner ici.
Un autre groupe de nanas se ramène avec une perche à selfie.
- On fait des photos ?
- Pas avec ça, je dis en pointant la perche.
- Pourquoi ?
- Parce que je me respecte.
Je vois dans son regard qu’elle me juge tandis que Renaud se gausse. Ariel redébarque pour nous emmener un peu plus loin.
- Vous êtes pas tenables. Renaud, la meuf là-bas m’a dit que tu lui avais parlé trop mal à elle et son copain.
- S’ils étaient moins cons aussi…
Ariel se mordille le pouce en voulant nous dire un truc puis se résigne. Il sort un cigare cubain de sa veste. On fume. On boit du champagne. Et le temps file. Renaud dit que ça va être un défi de trouver un type bien ici. Alors on se moque.
Je m’assois sur le canapé. Camille juste à côté. On parle et je me dis que c’est naturel. Tout semble couler de source. Renaud à l’autre bout de la pièce mime sa pendaison lorsque le gars à qui il parle se tourne pour attraper un verre. Les douzes coups sont passés, les gens déjà avinés. La musique continue de filer et le sourire de Camille de me fasciner. J’ai envie de l’embrasser, j’entends Lola me dire que je devrais le faire.
Mais je le fais pas. On continue de parler et rire. On se lève pour danser ensemble quand la musique se fait meilleure. J’aime son rythme. Je me dis que ça faisait un moment que j’en avais pas entendu un de si bon. Peut-être que finalement, c’est pas si compliqué de s’assembler quand on reconnaît la bonne harmonie. Et que je devrais arrêter de chercher des tempos qui sont pas les miens car ils ont l’air plus grunge au départ.
- T’as les pupilles vachement dilatées ! T’as pris un truc avant de venir, demande Camille ?
- Non, mes yeux sont toujours comme ça.
- Arrête, c’est pas possible.
- Je te jure. Si tu veux on parie. Demain soir ils seront toujours dans le même état.
- On parie quoi ?
- Le perdant offre un verre à l’autre.
Et la musique se termine là-dessus. On retourne s’asseoir, je perds un peu plus mon regard dans le sien. Je vais l’embrasser, j’en suis convaincu maintenant. Elle jette un œil à son portable.
- Putain, il était temps. Mon copain m’a enfin envoyé un message de bonne année.
Je souris bêtement. Que faire de plus ? Ariel s’amène pour me dire que Renaud est devenu incontrôlable et qu’il faut y aller avant que ça dégénère. J’ai plus trop envie de rester de toute façon. Je dis à une prochaine fois à Camille. On file à l’anglaise pour chercher un kebab avant de commencer la première journée de l’an à dormir.
Renaud tente de me réconforter.
- Allez c’est pas grave. Elle était trop jolie. C’est sûre qu’elle avait un mec. Ou alors c’est qu’il y avait un défaut et qu’elle était probablement tarée à tout point de vue.
Je regarde la file des gens attendant leur viande grasse, leurs regards dans le vide et me demande combien de personnes ont commencé cette nouvelle année en se prenant une veste. J’ai envie de sortir mon téléphone et envoyer un message à mon ex. Je commence à le composer en disant que ça me manque de pas savoir ce qu’il se passe dans sa vie et si elle sourit de son côté. Renaud le remarque et me dit que c’est une connasse, que je devrais pas faire ça.
- C’est juste un message gentil pour commencer l’année.
- Non. C’est un message con pour une connasse qui de toute façon a pas envie de le recevoir. Epargne toi ce temps perdu. Retourne chez toi. Branle toi. Et si après ça t’as encore envie de l’envoyer, allez. Si t’as plus envie, c’est que c’était une connerie.
La fille derrière nous se marre. Renaud lui dit que c’est vrai, Ariel recupère son kebab et nous demande si on est encore en train de dire de la merde. On s’oublie dans le gras, je lui rends sa chemise et remets mon pull moche. On se dit à bientôt dans de grandes accolades. Et on se sépare. Je rentre chez moi. Enfin pas vraiment. Faudra que je pense à me retrouver un appart cette année. Et un travail aussi.
Je ferme un œil dans le transilien le temps d’une station ou deux. Je me réveille au terminus de la ligne H. Bien loin de tout. Il est 8 heures. Le café d’en face est fermé et le prochain train dans l’autre sens dans deux heures. J’arrive à Saint-Denis un peu avant midi et m’effondre dans un lit que je squatte.
J’enverrais pas le texto.
Cette année j’essaye.
- Et si elle a un mec ? Putain c’est pas aussi simple que ça.
- Demande lui ! Et prends un verre d’eau !
- Je crois que je préfère pas savoir. Pis j’aime pas le goût de l’eau sans pastis.
- Je te jure tu me fatigues. Est-ce que t’as écris récemment au moins ? Montre-moi ton carnet. Allez, montre !
Je m’apprête à dire non mais Lola l’a déjà attrapé dans le sac au bas du comptoir.
- Vous revoulez quelque chose, demande Paul ?
- Un jager bomb s’il te plaît.
- Paul, tu lui sers rien tant qu’il a pas bu une pinte d’eau !
Je peste et la regarde lire les quelques phrases vides de sens que j’ai griffonné avant de venir. Je me rappelle que j’ai dit hier à Freddy que mon roman était quasi terminé. Ça doit maintenant faire plusieurs mois que j’ai jeté la seule page que j’ai torché. Je bois une gorgée d’eau Et relève la tête.
- Faut que tu termines tu sais.
Je secoue les épaules.
- Non sérieusement David. Tu termines jamais rien parce que t’as peur d’aller au bout des choses. La seule chose que tu réussis, c’est échouer. Et trop souvent ici…
- Le problème c’est que…
- Le problème c’est que tu cherches l’échec parce que t’as peur de devoir t’investir vraiment. C'est compliqué juste parce que tu veux que ça le soit. Non ferme là pour une fois David. On a tous des problèmes. Et toi tu plains de ta vie sentimentale alors que tu là sabotes toi-même. Si tu tombes que sur des connasses, c'est parce que tu le veux. T'as pas envie que ça aille bien parce que t'as toujours pas digéré Chloé. Je le sais. Tu le sais. On le sait tous !
- Mais...
- M'évoque pas le chat. Je te jure, me l'évoque pas. Il existe pas. C'est toi le chat.
Lola continue de parler mais j'écoute plus. Au fond de mon prochain verre, je sais que j'y trouverais le Chat. Comme elle s’arrête plus, j’ouvre mes bras pour un câlin en espérant qu’elle se taise et qu’elle ne gratte plus les croutes de ma carcasse. Sinon je vais craquer. Sinon je vais pleurer de la bile demain au réveil. La tête dans les toilettes à me dire que j’ai encore déconné. Lola se laisse attendrir comme souvent.
- Vous me fatiguez. J’ai l’impression d’être la maman ici.
Je souris mollement en me disant que je suis content qu’elle soit là. Mais je lui dis pas à elle. Parce que je suis pas très bavard et que je noie trop souvent l’important dans une flopée verbale. Lola elle voit derrière le masque alors ça me fait flipper. D’un coup j’ai envie de m’échapper car ça commence à devenir trop sérieux. C’est vrai que c’est une maman.
- Je vais dire bonjour à Anaïs.
- Je veux lire un truc complet la prochaine fois.
- On verra.
Ariel ouvre la porte et me fusille du regard.
- C'est quoi ce pull moche ?
- C'est moi, je suppose ?
- Ça va pas être possible. C'est le nouvel an. On commence pas le nouvel an avec un pull moche. Tu comprends quand même ? Tu veux pas entrer dans une nouvelle année dans un vieux pull moche sérieusement ?
Comme j'hausse les épaules, Ariel soupire. Il disparaît dans sa chambre pour me jeter une chemise pliée à la figure. Ça sent la lavande et un côté trop expansif à mon goût.
- Si tu la mets pas, mes potes te laisseront pas rentrer. Je veux aucune tâche dessus. Pas de vin rouge pour toi ce soir. Et vous faites pas les cons avec Renaud hein ?
Alors avec Renaud on se marre et on promet de bien se tenir. Quand Ariel part chercher sa veste, on croise enfin nos regards en sachant que c’est peine perdu. Ariel revient, pointe son index sur l’œil puis sur nous.
- Attention.
Et voilà qu’une demie heure plus tard on est chez cet inconnu que j’ai jamais vu. Dans un appartement contenant plusieurs fois le mien, avec des gens bien trop habillés buvant du champagne tout en parlant de macroéconomie. Moi je vais à l’économie de parole dans ma chemise un peu trop grande et mes chaussures troués. Un mec aux cheveux gominés m’approche.
- Tu fais quoi dans la vie ?
- J’écris.
- Non mais je veux dire pour vivre ?
- Je touche mes assedics depuis plusieurs mois-là. Je galère à trouver du travail et un appart.
- Ah… Le mec se casse sans rien dire de plus. Je retourne à la cuisine me servir un verre pour oublier que je suis pas à ma place.
- J’aime bien ta chemise, me sort une nana près de la gazinière. C’est une …
Je comprends pas le nom de la marque et j’ose pas lui demander de répéter.
- Euh… J’sais pas. C’est Ariel qui me l’a filé car j’avais rien à me mettre.
- T’étais venu sans chemise ?
- Je pensais pas que y avait un dresscode.
- C’est le nouvel an…
- Heureusement que j’en ai trouvé une alors.
- Tu fais quoi dans la vie ?
- Je cherche du boulot dans l’écriture.
- Et ça gagne bien ça ?
- Pas vraiment. En fait, en attendant j’essaye de…
- Désolé, faut que j’aille aux toilettes. Je reviens.
Je sais bien qu’elle reviendra pas. Moi non plus après tout. Me voilà coincé dans un univers qu’est pas le mien et j’ai pas le cœur à enfiler le masque. Lola me dirait-t-elle d’essayer ?
Arrive une petite brune aux grands yeux qui remarque sans doute mon côté paumé.
- T’es l’ami de l’ami de qui toi ?
- Je suis l’ami d’Ariel qui connaît le proprio. Et toi ?
- L’amie du proprio.
- Santé.
On trinque et un grand black se ramène pour attraper une bière dans le frigo.
- Putain c’est encore tiède.
Il en boit une gorgée de plus et la pose dans le lavabo déjà un peu dégueulasse.
- Vous vous connaissez ?
- C’est mon meilleur ami, répond la petite brune.
- On se connaît depuis la maternelle, j’ajoute.
Le mec attrape une bouteille de rouge et se tire en disant qu’il est content de m’avoir rencontré.
- Camille.
- David. On est ami d’enfance donc ?
- Viens, on se dit des trucs supers intimes comme ça on sera potes tout de suite.
Je réfléchis un peu et je commence.
- J’aime pas les coccinelles. Ça m’angoisse.
- J’ai eu une veilleuse dans ma chambre jusqu’à huit ans car j’avais peur du noir.
- Quand j’avais huit ans, on s’est promis avec Rozenn de s’offrir chaque matin notre premier sourire à l’autre.
- Je dis à tout le monde que je bois mon café noir mais j’ajoute du sucre en cachette. Tu lui souris toujours à Rozenn ?
- Je mens toujours sur mon prénom quand je pense ne jamais recroiser la personne. Elle a déménagé l’année suivante et je l’ai jamais revu.
- Du coup c’est pour ça que depuis tu ne souris plus ?
Je souris. Vraiment. Et c’est agréable. Camille se marre et une amie à elle apparaît pour la happer dans une autre foule. Renaud arrive l’air blasé.
- C’est moi où chaque rencontre ici est un entretien d’embauche ? Chaque sous-entendu ici c’est un « combien tu vaux ? ».
- Et nous on coûte.
- Donc on joue les parasites et on assume d’être des chômeurs se rinçant la gueule au champagne ?
Je trinque avec Renaud en regardant Camille danser un peu plus loin. Il s’en aperçoit et me tape sur la poitrine.
- Cherche pas, c’est la plus jolie fille de la soirée. C’est mort.
Je me dis que j’ai envie d’essayer quand même mais j’y vais pas. On se décide à prendre l’air sur la terrasse. En face de nous un groupe de filles aux hanches rigides se balance mollement sur une musique chiante. Leurs sacs à main entre les doigts au lieu de les poser à l’entrée. La confiance doit régner ici.
Un autre groupe de nanas se ramène avec une perche à selfie.
- On fait des photos ?
- Pas avec ça, je dis en pointant la perche.
- Pourquoi ?
- Parce que je me respecte.
Je vois dans son regard qu’elle me juge tandis que Renaud se gausse. Ariel redébarque pour nous emmener un peu plus loin.
- Vous êtes pas tenables. Renaud, la meuf là-bas m’a dit que tu lui avais parlé trop mal à elle et son copain.
- S’ils étaient moins cons aussi…
Ariel se mordille le pouce en voulant nous dire un truc puis se résigne. Il sort un cigare cubain de sa veste. On fume. On boit du champagne. Et le temps file. Renaud dit que ça va être un défi de trouver un type bien ici. Alors on se moque.
Je m’assois sur le canapé. Camille juste à côté. On parle et je me dis que c’est naturel. Tout semble couler de source. Renaud à l’autre bout de la pièce mime sa pendaison lorsque le gars à qui il parle se tourne pour attraper un verre. Les douzes coups sont passés, les gens déjà avinés. La musique continue de filer et le sourire de Camille de me fasciner. J’ai envie de l’embrasser, j’entends Lola me dire que je devrais le faire.
Mais je le fais pas. On continue de parler et rire. On se lève pour danser ensemble quand la musique se fait meilleure. J’aime son rythme. Je me dis que ça faisait un moment que j’en avais pas entendu un de si bon. Peut-être que finalement, c’est pas si compliqué de s’assembler quand on reconnaît la bonne harmonie. Et que je devrais arrêter de chercher des tempos qui sont pas les miens car ils ont l’air plus grunge au départ.
- T’as les pupilles vachement dilatées ! T’as pris un truc avant de venir, demande Camille ?
- Non, mes yeux sont toujours comme ça.
- Arrête, c’est pas possible.
- Je te jure. Si tu veux on parie. Demain soir ils seront toujours dans le même état.
- On parie quoi ?
- Le perdant offre un verre à l’autre.
Et la musique se termine là-dessus. On retourne s’asseoir, je perds un peu plus mon regard dans le sien. Je vais l’embrasser, j’en suis convaincu maintenant. Elle jette un œil à son portable.
- Putain, il était temps. Mon copain m’a enfin envoyé un message de bonne année.
Je souris bêtement. Que faire de plus ? Ariel s’amène pour me dire que Renaud est devenu incontrôlable et qu’il faut y aller avant que ça dégénère. J’ai plus trop envie de rester de toute façon. Je dis à une prochaine fois à Camille. On file à l’anglaise pour chercher un kebab avant de commencer la première journée de l’an à dormir.
Renaud tente de me réconforter.
- Allez c’est pas grave. Elle était trop jolie. C’est sûre qu’elle avait un mec. Ou alors c’est qu’il y avait un défaut et qu’elle était probablement tarée à tout point de vue.
Je regarde la file des gens attendant leur viande grasse, leurs regards dans le vide et me demande combien de personnes ont commencé cette nouvelle année en se prenant une veste. J’ai envie de sortir mon téléphone et envoyer un message à mon ex. Je commence à le composer en disant que ça me manque de pas savoir ce qu’il se passe dans sa vie et si elle sourit de son côté. Renaud le remarque et me dit que c’est une connasse, que je devrais pas faire ça.
- C’est juste un message gentil pour commencer l’année.
- Non. C’est un message con pour une connasse qui de toute façon a pas envie de le recevoir. Epargne toi ce temps perdu. Retourne chez toi. Branle toi. Et si après ça t’as encore envie de l’envoyer, allez. Si t’as plus envie, c’est que c’était une connerie.
La fille derrière nous se marre. Renaud lui dit que c’est vrai, Ariel recupère son kebab et nous demande si on est encore en train de dire de la merde. On s’oublie dans le gras, je lui rends sa chemise et remets mon pull moche. On se dit à bientôt dans de grandes accolades. Et on se sépare. Je rentre chez moi. Enfin pas vraiment. Faudra que je pense à me retrouver un appart cette année. Et un travail aussi.
Je ferme un œil dans le transilien le temps d’une station ou deux. Je me réveille au terminus de la ligne H. Bien loin de tout. Il est 8 heures. Le café d’en face est fermé et le prochain train dans l’autre sens dans deux heures. J’arrive à Saint-Denis un peu avant midi et m’effondre dans un lit que je squatte.
J’enverrais pas le texto.
Cette année j’essaye.
27/10/16 à 16:01:01
Un bon texte, mais j'aimerais bien te voir écrire des choses moins axées sur les sentiments gâchés ou les râteaux. La partie que j'ai préféré est de loin celle sur cette soirée de mondains connards que j'imagine se déhancher nerveusement sur du La Femme
26/10/16 à 14:36:39
Wow, j'avais oublié à quel point tous tes textes etaient une claque dans la gueule !
26/10/16 à 08:21:37
Tout ça est très touchant, comme d'habitude. :)
26/10/16 à 02:40:39
Un superbe texte, comme d'habitude. Réaliste, plein de pensées. J'ai adoré.
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