La vie parfaite
Par : Vugo
Genre : Réaliste , Fantastique
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 1
I
Publié le 22/10/14 à 22:03:58 par Vugo
Soudain, la sonnerie retentit. Le professeur, coupé en plein milieu de sa phrase par ce bruit strident visiblement inattendu, ne se découragea néanmoins pas, et haussa légèrement le ton tout en poursuivant ses explications passionnantes, avec l'intime conviction qu'Ils écouteraient. Peine perdue ; très vite, son discours à propos de l'aspect géographique de la financiarisation fut couvert par un concerto de trousses se refermant, de feuilles agitées, pliées, de chaises grinçantes et de sacs à dos s'ouvrant. Pendant un instant, Benoît fut frappé par la perfection qui émanait de ce nuage de sons involontaires, qui semblait soudainement recouvrir la salle et la voix du professeur. Une bien étrange symphonie, qui n'aurait pas déméritée face à celles d'un Beethoven ou d'un Chopin. Á cette harmonie s'ajouta bientôt les chuchotements croissants des élèves. Dépité, le professeur lâcha l'affaire, donna quelques devoirs pour le prochain cours, et fini lui aussi par ranger ses affaires, vaincu. Benoît fit de même, en se levant, lorsqu'il entendit une voix familière, derrière lui.
« Benoît, tu viens à la soirée de demain ? »
Léa. Brune, les cheveux souvent décoiffés et négligés, petite. Elle n'était pas un canon, mais Benoît lui avait toujours trouvé un certain charme. C'était une fille qui en imposait ; elle avait du sang dans les veines. Certes, elle pouvait être assez masculine, parfois, et elle descendait les bières plus vite que quiconque. Mais elle était brillante ; d'une intelligence hors du commun, dont la vivacité pouvait se lire dans ses yeux, comme habités d'une flamme lorsqu'elle partait dans certaines réflexions métaphysiques. Ca, ou bien c'était l'alcool qui illuminait son regard ; toujours est-il que personne ne pouvait nier ses facultés. Après tout, elle était première de la classe.
« Bien sûr que je viens, quelle question ! Vingt heures devant le lycée ?
— Vingt heures devant le lycée, dit-elle en hochant la tête, satisfaite. Oublie pas de prendre un petit truc -de l'alcool, du diluant, ou de quoi manger.
— Ça marche, répondit Benoît tout en enfilant son sac à dos.
Dehors, le soleil était presque couché, et semblait errer sur le rebord de la crête, prêt à disparaître de l'autre côté de la montagne et à plonger la vallée dans l'obscurité. Dans son esprit, Benoît revoyait Ned Stark, l'épée à la main, murmurer, l'air grave, que l'hiver venait. Mais malgré ce couché de soleil, qui se faisait de plus en plus tôt, l'hiver n'était pas encore là ; la montagne était encore recouverte de son manteau multicolore, orange par endroits et jaune par d'autres, et il marchait sur un trottoir recouvert de feuilles mortes, piétinées par les incessantes allées et venues des piétons. Le chemin vers sa maison n'était pas long, et il serait bientôt chez lui. Dans sa poche, le portable vibrait, mais il se refusait de le prendre. C'était sans doute un message de la part de Nico, ou bien de Léa, qui voulait préciser quelque chose pour la soirée de demain. Mais il ne le lirait pas, car cela impliquait qu'il lirait fatalement l'heure inscrite sur l'écran de verrouillage. Et il ne voulait pas savoir l'heure.
Alors qu'il marchait, tentant de refouler certaines pensées, une autre lui martelait l'esprit. Il avait envie d'écrire. Mais pas d'écrire n'importe quoi ; il voulait écrire sur lui même. Bien sûr, il avait toujours voulu écrire. Petit déjà, il affirmait au monde entier qu'il serait écrivain, et il n'était pas en prépa littéraire pour rien. Mais ces récentes lectures avaient fait naître quelque chose de nouveau en lui. Une flamme nouvelle brûlait. Ce soir, il écrirait. La date était parfaite.
Une fois arrivé chez lui, il mangea un morceau, puis s'enferma dans sa chambre, s'allongea sur son lit, et fixa longuement le plafond. De nouveau, son portable vibra dans son pantalon. Il n'avait plus aucune idée de l'heure, et décida que cette situation lui convenait parfaitement. L'attente était insoutenable, il sentait que le temps s'écoulait, lentement, inlassablement, et qu'il ne pouvait échapper à cette étreinte temporelle. Lorsqu'il céda à la tentation de son portable, il était vingt heures. Pendant quatre longues heures, il observa scrupuleusement chaque minutes chasser la précédente. A vingt-trois heures cinquante, il se leva, s'installa devant son ordinateur, ouvrit une page Word, et attendit l'heure fatale, prêt à écrire.
« Minuit. Ca y est. Nous sommes officiellement le 21 octobre 2014, et je viens d'avoir vingt-ans. Et alors que la lumière de mon portable agresse mes yeux dans le noir, je ne peux plus me dérober à cette cruelle réalité. J'avais tenté d'y échapper, la veille, en ne touchant pas à mon téléphone ; ce dernier était resté bien sagement au fond de ma poche, vibrant parfois, comme pour essayer de s'évader de la prison de tissu dans laquelle je l'avais confiné. Mais non, rien à faire, il était resté toute la journée loin de mes mains.
Ce n'est qu'à partir de vingt-heure que je cédais à la tentation, observant anxieusement les minutes défiler et s'approchant inexorablement de minuit, de ces quatre zéros funestes qui fonçaient à toute allure vers moi comme un train lancé à pleine vitesse. Maintenant, ils sont là, les quatre zéros, ils me narguent, avec leurs rondeurs testiculaires et leur blancheur spermatique. Les salauds.
Je ne peux plus me dérober. J'ai vingt-ans. Au quart de ma vie, je n'ai rien accompli. Rien de particulier, rien de spécial ; je suis une personne comme une autre, vivant une vie comme une autre. Bien sûr, je sais que tout homme vient à faire se genre de bilan au cours de son existence, mais cela ne me rassure guère, au contraire ; c'est la preuve définitive que je suis bien un homme comme n'importe quel autre, avec les mêmes angoisses et les mêmes préoccupations. En vingt ans, je n'ai produit que du vide, et le sablier se remplit inexorablement. Je m'enlise dans le désert de ma vie, je me complais dans ma médiocrité et dans ma banalité. Mais j'ai encore le temps. Du moins, c'est ce que je veux croire.
La première borne symbolique de mon existence vient d'être franchie, et j'ai envie de faire le bilan, de regarder en arrière et de me dire : voilà, Benoît, ce que tu as fais. Je crois que j'ai trop lu Romain Gary et sa promesse de l'aube. C'est même certain. Mais voilà. Si j'ai lu son autobiographie afin d'échapper à ma réalité, aux strates de merdes qui s'accumulaient soudainement sur moi, ce con à réussi à me faire me tourner vers moi-même, de nouveau. Bien joué, Romain, bien joué.
La démarche dans laquelle je suis lancé maintenant grâce à ce cher Romain reste néanmoins profondément narcissique. Plus personne n'écrit, de nos jours ; c'est un acte presque devenu légendaire, réservé à quelques figures mythologiques dont Gary fait parti, et dont les derniers représentants sont morts au XXème siècle. Qui suis-je pour écrire, à une époque aussi désenchantée et creuse que la notre ? Et, au-delà de ça, qui suis-je pour écrire sur moi, du haut de mes vingt-ans ? J'entends cette voix, en moi, qui ne cesse de me répéter, d'un ton accusateur : "Pour qui est-ce que tu te prends ?". Or, la question est posée à l'envers. Elle devrait plutôt être : "Pour qui est-ce que tu ne te prends-pas ?". Ce à quoi je répondrais : "Je n'ai pas envie d'être un anonyme de plus. Merde." »
Il s'arrêta d'écrire. Tout ce texte, il l'avait écrit d'une traite, comme un assoiffé buvant d'un coup tout le contenu de sa gourde. Ces intentions étaient là, posée le papier -ou en tout cas, sur l'écran de son ordinateur. Maintenant, il fallait rentrer dans le vif du sujet. Par où commencer ? Par le début.
« Le 21 octobre 1994, je suis né. Rien d'original, jusque là, je ne fus pas le premier, et je ne serais pas le dernier ; il est néanmoins intéressant de remarquer que même lors de ma naissance, je ne fus pas un précurseur. J'étais le deuxième. Mon frère jumeau, Antoine, est venu au monde dix minutes avant moi. Jumeaux, nous l'étions, mais toute notre vie, on nous faisait remarquer que nous n'étions pas des "vrais" jumeaux. En effet, nous n'avions rien de commun, physiquement parlant. Antoine était un beau bébé, imposant, bien plus imposant que moi, qui paraissait si chétif. Comme me le dira mon père, des années plus tard, j'étais, à la naissance, plus petit qu'un lapin nain, et plus maigre aussi.
Avec du recul, j'aime me dire que tout s'est passé comme si je m'étais juré, à la naissance, de prendre ma revanche sur la vie et sur mon frère, qui avait bien plus reçu que moi à l'intérieur du ventre de ma mère. Triste et naïve idée que de penser que mon frère subira toute sa vie les conséquences de cette injustice arbitraire, quand bien même il n'est pas responsable de cette inégalité naturelle. Il a pris le dessus dans le ventre de ma mère, et j'ai pris le dessus hors de son ventre.
Ma mère était aux anges, avec nous deux. Elle nous tenait fièrement dans ses bras, allongée dans son lit d'hôpital, comme pour nous donner à voir au monde entier. Monde entier qui se limitait pour l'instant aux quelques visiteurs qui allaient et venaient. Nous n'étions pourtant pas aussi beau que ce qu'elle pensait : nous étions rouges comme des crevettes, et avec mes cheveux noirs dressés sur la tête et mes yeux toujours ouverts qui scrutaient sévèrement ce qui m'entourait, on m'avait déjà surnommé "le corbak" à la maternité.
Mon père, lui, était souvent là, je crois. Il avait mit entre parenthèse son travail de chef de chantier, et était présent aux côtés de ma mère et de mes grands parents. Lui n'osait pas nous prendre dans ses bras, ayant trop peur de mal si prendre ou bien de nous faire tomber. Cette peur de ne pas bien faire, je sais de qui je l'ai hérité.
Mes grands-parents maternels, eux, étaient absolument ravis. Nous étions leurs premiers petits enfants, et encore aujourd'hui nous avons dans leur cœur une place de premier ordre, devançant tout ceux qui allaient précéder par la suite : nous étions les préférés. Ayant vu par la suite ma grand-mère tenir dans ses bras d'autres bébés, je peux aisément l'imaginer en train de tenir mon frère ou bien de me tenir, les larmes aux yeux et un large sourire, en train de me parler dans son "frangnol" si délicieux qui la caractérise. Tandis que le monde avaient les yeux rivés vers la lune, mes grands-parents étaient discrètement arrivés en France en 1969, laissant derrière eux l'Espagne de Franco et de leur jeunesse. Longtemps je les avais imaginer fuyant héroïquement la dictature, s'échappant tels des réfugiés politiques recherchés par le régime phalangiste. Quelle désillusion ce fut quand j'appris qu'ils étaient venu en France simplement pour rechercher du travail !
En revanche, les parents de mon père étaient beaucoup plus froids, et ils l'ont toujours été. Contrairement aux parents de ma mère, eux avaient déjà des petits enfants, et pour une raison inexplicable, ils n'avaient jamais beaucoup aimer ma mère. Mon père étant le petit dernier, j'ai toujours soupçonné qu'ils ne le portaient pas autant en leurs cœurs que mon oncle Thierry, l'ainé de la fratrie. Toujours est-il que je n'ai jamais été très proches d'eux, et que ce que j'ai pu ressentir pour eux au cours de ma vie se rapprochait plus à de la haine qu'à de l'amour. Sentir que vos grands-parents ne vous aime pas, simplement parce que vous existez, reste quelque chose de très désagréable, et ce fut, lorsque je compris la nature de leurs sentiments vis-à-vis de nous deux, le premier contact que je fis avec l'injustice.
Les premiers jours à la maternité, il m'arriva de vomir. J'étais un enfant fragile ayant un estomac fragile, et ce dernier point a perduré jusqu'à maintenant. Mon enfance fut parsemée de voyages en voitures dans lesquels je vomissais à n'en plus pouvoir, et il m'arriva même de vomir dans mon lit, simplement parce que j'avais l'impression incohérente d'être sur un navire qui tanguait. Aujourd'hui encore, lorsque je fais un trajet en voiture, je ressens une légère envie au fond de mon être, envie largement contenue : je peux me vanter d'avoir de l'expérience désormais, quand il s'agit de contrôler mes nausées. Mais je m'égard largement ; on s'en badigeonne allègrement les couilles, de ce genre de détails. »
"On s'en badigeonne allègrement les couilles". Il l'avait écrit. De toute évidence, la fatigue commençait à prendre le dessus, et il était en train de partir dans tout les sens, approfondissant des détails inutiles et occultant des éléments essentiels. Il quitta son ordi, et alla se coucher, avec l'air satisfait caractéristique du travail bien fait.
« Benoît, tu viens à la soirée de demain ? »
Léa. Brune, les cheveux souvent décoiffés et négligés, petite. Elle n'était pas un canon, mais Benoît lui avait toujours trouvé un certain charme. C'était une fille qui en imposait ; elle avait du sang dans les veines. Certes, elle pouvait être assez masculine, parfois, et elle descendait les bières plus vite que quiconque. Mais elle était brillante ; d'une intelligence hors du commun, dont la vivacité pouvait se lire dans ses yeux, comme habités d'une flamme lorsqu'elle partait dans certaines réflexions métaphysiques. Ca, ou bien c'était l'alcool qui illuminait son regard ; toujours est-il que personne ne pouvait nier ses facultés. Après tout, elle était première de la classe.
« Bien sûr que je viens, quelle question ! Vingt heures devant le lycée ?
— Vingt heures devant le lycée, dit-elle en hochant la tête, satisfaite. Oublie pas de prendre un petit truc -de l'alcool, du diluant, ou de quoi manger.
— Ça marche, répondit Benoît tout en enfilant son sac à dos.
Dehors, le soleil était presque couché, et semblait errer sur le rebord de la crête, prêt à disparaître de l'autre côté de la montagne et à plonger la vallée dans l'obscurité. Dans son esprit, Benoît revoyait Ned Stark, l'épée à la main, murmurer, l'air grave, que l'hiver venait. Mais malgré ce couché de soleil, qui se faisait de plus en plus tôt, l'hiver n'était pas encore là ; la montagne était encore recouverte de son manteau multicolore, orange par endroits et jaune par d'autres, et il marchait sur un trottoir recouvert de feuilles mortes, piétinées par les incessantes allées et venues des piétons. Le chemin vers sa maison n'était pas long, et il serait bientôt chez lui. Dans sa poche, le portable vibrait, mais il se refusait de le prendre. C'était sans doute un message de la part de Nico, ou bien de Léa, qui voulait préciser quelque chose pour la soirée de demain. Mais il ne le lirait pas, car cela impliquait qu'il lirait fatalement l'heure inscrite sur l'écran de verrouillage. Et il ne voulait pas savoir l'heure.
Alors qu'il marchait, tentant de refouler certaines pensées, une autre lui martelait l'esprit. Il avait envie d'écrire. Mais pas d'écrire n'importe quoi ; il voulait écrire sur lui même. Bien sûr, il avait toujours voulu écrire. Petit déjà, il affirmait au monde entier qu'il serait écrivain, et il n'était pas en prépa littéraire pour rien. Mais ces récentes lectures avaient fait naître quelque chose de nouveau en lui. Une flamme nouvelle brûlait. Ce soir, il écrirait. La date était parfaite.
Une fois arrivé chez lui, il mangea un morceau, puis s'enferma dans sa chambre, s'allongea sur son lit, et fixa longuement le plafond. De nouveau, son portable vibra dans son pantalon. Il n'avait plus aucune idée de l'heure, et décida que cette situation lui convenait parfaitement. L'attente était insoutenable, il sentait que le temps s'écoulait, lentement, inlassablement, et qu'il ne pouvait échapper à cette étreinte temporelle. Lorsqu'il céda à la tentation de son portable, il était vingt heures. Pendant quatre longues heures, il observa scrupuleusement chaque minutes chasser la précédente. A vingt-trois heures cinquante, il se leva, s'installa devant son ordinateur, ouvrit une page Word, et attendit l'heure fatale, prêt à écrire.
« Minuit. Ca y est. Nous sommes officiellement le 21 octobre 2014, et je viens d'avoir vingt-ans. Et alors que la lumière de mon portable agresse mes yeux dans le noir, je ne peux plus me dérober à cette cruelle réalité. J'avais tenté d'y échapper, la veille, en ne touchant pas à mon téléphone ; ce dernier était resté bien sagement au fond de ma poche, vibrant parfois, comme pour essayer de s'évader de la prison de tissu dans laquelle je l'avais confiné. Mais non, rien à faire, il était resté toute la journée loin de mes mains.
Ce n'est qu'à partir de vingt-heure que je cédais à la tentation, observant anxieusement les minutes défiler et s'approchant inexorablement de minuit, de ces quatre zéros funestes qui fonçaient à toute allure vers moi comme un train lancé à pleine vitesse. Maintenant, ils sont là, les quatre zéros, ils me narguent, avec leurs rondeurs testiculaires et leur blancheur spermatique. Les salauds.
Je ne peux plus me dérober. J'ai vingt-ans. Au quart de ma vie, je n'ai rien accompli. Rien de particulier, rien de spécial ; je suis une personne comme une autre, vivant une vie comme une autre. Bien sûr, je sais que tout homme vient à faire se genre de bilan au cours de son existence, mais cela ne me rassure guère, au contraire ; c'est la preuve définitive que je suis bien un homme comme n'importe quel autre, avec les mêmes angoisses et les mêmes préoccupations. En vingt ans, je n'ai produit que du vide, et le sablier se remplit inexorablement. Je m'enlise dans le désert de ma vie, je me complais dans ma médiocrité et dans ma banalité. Mais j'ai encore le temps. Du moins, c'est ce que je veux croire.
La première borne symbolique de mon existence vient d'être franchie, et j'ai envie de faire le bilan, de regarder en arrière et de me dire : voilà, Benoît, ce que tu as fais. Je crois que j'ai trop lu Romain Gary et sa promesse de l'aube. C'est même certain. Mais voilà. Si j'ai lu son autobiographie afin d'échapper à ma réalité, aux strates de merdes qui s'accumulaient soudainement sur moi, ce con à réussi à me faire me tourner vers moi-même, de nouveau. Bien joué, Romain, bien joué.
La démarche dans laquelle je suis lancé maintenant grâce à ce cher Romain reste néanmoins profondément narcissique. Plus personne n'écrit, de nos jours ; c'est un acte presque devenu légendaire, réservé à quelques figures mythologiques dont Gary fait parti, et dont les derniers représentants sont morts au XXème siècle. Qui suis-je pour écrire, à une époque aussi désenchantée et creuse que la notre ? Et, au-delà de ça, qui suis-je pour écrire sur moi, du haut de mes vingt-ans ? J'entends cette voix, en moi, qui ne cesse de me répéter, d'un ton accusateur : "Pour qui est-ce que tu te prends ?". Or, la question est posée à l'envers. Elle devrait plutôt être : "Pour qui est-ce que tu ne te prends-pas ?". Ce à quoi je répondrais : "Je n'ai pas envie d'être un anonyme de plus. Merde." »
Il s'arrêta d'écrire. Tout ce texte, il l'avait écrit d'une traite, comme un assoiffé buvant d'un coup tout le contenu de sa gourde. Ces intentions étaient là, posée le papier -ou en tout cas, sur l'écran de son ordinateur. Maintenant, il fallait rentrer dans le vif du sujet. Par où commencer ? Par le début.
« Le 21 octobre 1994, je suis né. Rien d'original, jusque là, je ne fus pas le premier, et je ne serais pas le dernier ; il est néanmoins intéressant de remarquer que même lors de ma naissance, je ne fus pas un précurseur. J'étais le deuxième. Mon frère jumeau, Antoine, est venu au monde dix minutes avant moi. Jumeaux, nous l'étions, mais toute notre vie, on nous faisait remarquer que nous n'étions pas des "vrais" jumeaux. En effet, nous n'avions rien de commun, physiquement parlant. Antoine était un beau bébé, imposant, bien plus imposant que moi, qui paraissait si chétif. Comme me le dira mon père, des années plus tard, j'étais, à la naissance, plus petit qu'un lapin nain, et plus maigre aussi.
Avec du recul, j'aime me dire que tout s'est passé comme si je m'étais juré, à la naissance, de prendre ma revanche sur la vie et sur mon frère, qui avait bien plus reçu que moi à l'intérieur du ventre de ma mère. Triste et naïve idée que de penser que mon frère subira toute sa vie les conséquences de cette injustice arbitraire, quand bien même il n'est pas responsable de cette inégalité naturelle. Il a pris le dessus dans le ventre de ma mère, et j'ai pris le dessus hors de son ventre.
Ma mère était aux anges, avec nous deux. Elle nous tenait fièrement dans ses bras, allongée dans son lit d'hôpital, comme pour nous donner à voir au monde entier. Monde entier qui se limitait pour l'instant aux quelques visiteurs qui allaient et venaient. Nous n'étions pourtant pas aussi beau que ce qu'elle pensait : nous étions rouges comme des crevettes, et avec mes cheveux noirs dressés sur la tête et mes yeux toujours ouverts qui scrutaient sévèrement ce qui m'entourait, on m'avait déjà surnommé "le corbak" à la maternité.
Mon père, lui, était souvent là, je crois. Il avait mit entre parenthèse son travail de chef de chantier, et était présent aux côtés de ma mère et de mes grands parents. Lui n'osait pas nous prendre dans ses bras, ayant trop peur de mal si prendre ou bien de nous faire tomber. Cette peur de ne pas bien faire, je sais de qui je l'ai hérité.
Mes grands-parents maternels, eux, étaient absolument ravis. Nous étions leurs premiers petits enfants, et encore aujourd'hui nous avons dans leur cœur une place de premier ordre, devançant tout ceux qui allaient précéder par la suite : nous étions les préférés. Ayant vu par la suite ma grand-mère tenir dans ses bras d'autres bébés, je peux aisément l'imaginer en train de tenir mon frère ou bien de me tenir, les larmes aux yeux et un large sourire, en train de me parler dans son "frangnol" si délicieux qui la caractérise. Tandis que le monde avaient les yeux rivés vers la lune, mes grands-parents étaient discrètement arrivés en France en 1969, laissant derrière eux l'Espagne de Franco et de leur jeunesse. Longtemps je les avais imaginer fuyant héroïquement la dictature, s'échappant tels des réfugiés politiques recherchés par le régime phalangiste. Quelle désillusion ce fut quand j'appris qu'ils étaient venu en France simplement pour rechercher du travail !
En revanche, les parents de mon père étaient beaucoup plus froids, et ils l'ont toujours été. Contrairement aux parents de ma mère, eux avaient déjà des petits enfants, et pour une raison inexplicable, ils n'avaient jamais beaucoup aimer ma mère. Mon père étant le petit dernier, j'ai toujours soupçonné qu'ils ne le portaient pas autant en leurs cœurs que mon oncle Thierry, l'ainé de la fratrie. Toujours est-il que je n'ai jamais été très proches d'eux, et que ce que j'ai pu ressentir pour eux au cours de ma vie se rapprochait plus à de la haine qu'à de l'amour. Sentir que vos grands-parents ne vous aime pas, simplement parce que vous existez, reste quelque chose de très désagréable, et ce fut, lorsque je compris la nature de leurs sentiments vis-à-vis de nous deux, le premier contact que je fis avec l'injustice.
Les premiers jours à la maternité, il m'arriva de vomir. J'étais un enfant fragile ayant un estomac fragile, et ce dernier point a perduré jusqu'à maintenant. Mon enfance fut parsemée de voyages en voitures dans lesquels je vomissais à n'en plus pouvoir, et il m'arriva même de vomir dans mon lit, simplement parce que j'avais l'impression incohérente d'être sur un navire qui tanguait. Aujourd'hui encore, lorsque je fais un trajet en voiture, je ressens une légère envie au fond de mon être, envie largement contenue : je peux me vanter d'avoir de l'expérience désormais, quand il s'agit de contrôler mes nausées. Mais je m'égard largement ; on s'en badigeonne allègrement les couilles, de ce genre de détails. »
"On s'en badigeonne allègrement les couilles". Il l'avait écrit. De toute évidence, la fatigue commençait à prendre le dessus, et il était en train de partir dans tout les sens, approfondissant des détails inutiles et occultant des éléments essentiels. Il quitta son ordi, et alla se coucher, avec l'air satisfait caractéristique du travail bien fait.
26/10/14 à 16:05:07
J'attend de voir l'évolution de la chose, mais c'est pas trop mal écrit. Continue, et bon courage.
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