Quand Viendra l'An Mille après l'An Mille (Vae Victis)
Par : Conan
Genre : Action , Réaliste
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 14
Publié le 31/01/14 à 15:30:15 par Conan
Ce sont les coups de freins secs et couinants du vieux bahut qui sortent Louis de son sommeil. Il ouvre lentement de petits yeux, et fronce rapidement les sourcils pour se protéger de la lumière aveuglante et froide de cette aube glaciale. A sa gauche, l'adjudant Bougnac rétrograde en forçant le levier de vitesse comme un mulet.
''Putain de vieille carne de merde. Fils de pute d'enculé de camtard à la con. Va finir par me claquer entre les doigts, ce moteur de mes couilles'' grommelle-t-il en se battant avec son pommeau et en donnant des petits coups de volant à droite et à gauche pour rester sur son chemin.
La route accidentée fait trembler le véhicule, et dans la cabine, tous les objets vibrent et tressaillent. Bougnac retient sa carabine pour éviter qu'elle ne tombe au sol, tandis que Louis tient sa musette serrée contre lui.
-Ah, z'êtes réveillé mon capitaine. Ça tombe bien, on n'est plus très loin.
-Bien. Annoncez à la rame qu'on approche.
Sans répondre, Bougnac décroche le combiné du poste radio fixé entre Berger et lui, et lance un appel au reste du convoi. Louis finit de s'extirper totalement de sa torpeur en s'étirant. Dans le même mouvement, il jette un regard à sa montre : sept heures du matin. Ils ont roulé toute la nuit, mais son pilote ne semble nullement affecté par la fatigue. Le camion est sur une route sinueuse, mal tenue, garnie de nids de poules et de tas de graviers. Parfois, sur le bas-coté ou dans un fossé, des restes de carcasses de véhicules, des bouts de métal rouillés et tordus par les flammes, des débris épars, des pneus, des roues, des portières, des plaques d'acier. Et, au milieu de cette déchetterie, un panneau, où plutôt une plaque, trouée d'un impact de balle en son centre, et fixée maladroitement sur un poteau de bois, annonce: ''Orléans, 20km''.
Vingt kilomètres encore à parcourir, et déjà les effluves d'essence et de graisse à essieux lui parviennent aux narines.
''Ça pue, c'est quoi c't'odeur ?'' Demande un caporal grimaçant au fond du camion.
Sa question ne trouve pas de réponse. Les hommes ouvrent les yeux, baillent, grognent et s'étirent comme ils le peuvent, tirés de leur sommeil par le picotement du carburant dans leur nez.
Dans la promiscuité de la caisse du véhicule, chacun replie sa bâche ou sa couverture pour la ranger dans son sac ou la roule pour la sangler à sa musette. Les hommes frissonnent, le froid les saisit soudainement. Les fumeurs se déplacent maladroitement en essayant de tenir debout pour aller griller leur cigarette matinale au dehors du camion qui continue de rouler à toute blinde. C'est ainsi que Nolet change de place avec Paul pour rouler sa clope contre la rambarde métallique de la caisse.
-T'en veux une ? Lui propose-t-il en lui tendant son paquet.
Bernac refuse d'un signe de la main. Le goût du tabac le matin lui a toujours donné la nausée, et l'odeur qui se précise de plus en plus ne l'aide pas.
Puis, aussi brutalement que surprenant, la campagne et les bois cèdent la place à un paysage apocalyptique. Sur la droite de la route, les restes de ce qui fut une forêt s'élève le haut d'une colline. Les rangées d'arbres sont totalement et parfaitement calcinées, décapitées par les flammes, le sol est recouvert d'une poudre blanche encore incandescente, qui s'envole et tourbillonne sur le passage des camions, tandis qu'une sorte de vapeur grise semblable à de la bruine s'élève de ce lieu ou la vie n'existe plus.
''Les obus pyrotechniques''. Lance Bougnac. Berger se détache du fascinant spectacle qui s'offre à lui pour le regarder.
''Si la garnison Orléanaise n'a pas grand chose question matières premières, c'est pas le cas pour l'essence et le gaz. Et si la ville en elle-même est encore tenue par l'armée, c'est pas la même donne pour ce qui se trouve autours. Toute la zone échappe au contrôle de l'état, et les patrouilles en dehors de la ville sont interdites. D'ailleurs, rien n'entre ni ne sort d'Orléans si ce n'est pas militaire, et planifié plusieurs semaines à l'avance. Alors, pour éviter que les convois de l'armée ne tombent dans des embuscades des rebelles, ils rasent régulièrement tous les endroits où ces loustics pourraient se rassembler en grand nombre. Forêts, bois, plaines. C'est comme qui dirait un genre de politique de la terre brûlée. Si rien ne doit vivre dehors, tant pis, à partir du moment où l'effort de guerre n'est pas ralenti.''
A travers le pare-brise fissuré et sale se dessine la ville d'Orléans à l'horizon. Ses immenses tours brutes et ses hauts fourneaux se détachent peu à peu du vide et de l'immensité claire et froide. Le ciel d'un blanc aveuglant se voit envahi d'une épaisse fumée aux reflets noirs et violacés, crachée par les immenses cheminées dont se hérisse la cité de part et d'autre. De hautes murailles grises serties de fils de fer barbelés, véritables blocs de béton armé s'érigeant hors du sol, entourés de clôtures et de miradors surmontés de projecteurs, protègent la ville de la vue et des coups des agresseurs.
La route est barrée par des blocs de ciment rayés de bandes noires et jaunes, disposés en quinconce sur le chemin menant à la porte. Les véhicules du convoi doivent donc manœuvrer avec prudence entre ces entraves. Au bout du chemin, la porte principale apparaît enfin devant eux. Haute de quinze mètres de haut, large de presque autant, elle semble inviolable, murée dans ces remparts gris et puissants.
Niché au-dessus de la porte, un poste de garde entouré de sacs de sable et de protections bitumées oriente ses projecteurs sur la rame, tandis que de chaque côté, d'énormes canons de mitrailleuses et des bouches de lance-flammes se pointent sur les camions stationnés devant l'entrée.
Une voix rauque, déformée par un micro, résonne depuis le poste de guet.
-Identifiez-vous !
Bougnac porte son émetteur à sa bouche tout en activant le haut parleur du camion.
-Adjudant-chef Bougnac, cent vingt-quatrième régiment du train, demande d'accès à la ville pour cinquante-deux véhicules de gamme tactique datée du huit avril au profit du cent dix-septième régiment d'infanterie !
-Référence de la demande ! Rétorque la voix caverneuse.
D'une main mal assurée, Bougnac agrippe la plaquette où est fixée la feuille de son ordre de mission et la lit dans son émetteur :
-Référence huit-six-zéro-un-six, à l'ordre du chef de corps du cent dix-septième régiment d'infanterie, demande de ravitaillement en carburant !
Aucune réponse de la voix. Un grand grincement se fait entendre, et l'énorme porte d'acier blindé s'ouvre lentement, dévoilant le reste de la ville au convoi.
''Putain, ils me font toujours flipper ces cons''. Souffle Bougnac en passant la première. Ils s'apprêtent à entrer dans la ville.
''Putain de vieille carne de merde. Fils de pute d'enculé de camtard à la con. Va finir par me claquer entre les doigts, ce moteur de mes couilles'' grommelle-t-il en se battant avec son pommeau et en donnant des petits coups de volant à droite et à gauche pour rester sur son chemin.
La route accidentée fait trembler le véhicule, et dans la cabine, tous les objets vibrent et tressaillent. Bougnac retient sa carabine pour éviter qu'elle ne tombe au sol, tandis que Louis tient sa musette serrée contre lui.
-Ah, z'êtes réveillé mon capitaine. Ça tombe bien, on n'est plus très loin.
-Bien. Annoncez à la rame qu'on approche.
Sans répondre, Bougnac décroche le combiné du poste radio fixé entre Berger et lui, et lance un appel au reste du convoi. Louis finit de s'extirper totalement de sa torpeur en s'étirant. Dans le même mouvement, il jette un regard à sa montre : sept heures du matin. Ils ont roulé toute la nuit, mais son pilote ne semble nullement affecté par la fatigue. Le camion est sur une route sinueuse, mal tenue, garnie de nids de poules et de tas de graviers. Parfois, sur le bas-coté ou dans un fossé, des restes de carcasses de véhicules, des bouts de métal rouillés et tordus par les flammes, des débris épars, des pneus, des roues, des portières, des plaques d'acier. Et, au milieu de cette déchetterie, un panneau, où plutôt une plaque, trouée d'un impact de balle en son centre, et fixée maladroitement sur un poteau de bois, annonce: ''Orléans, 20km''.
Vingt kilomètres encore à parcourir, et déjà les effluves d'essence et de graisse à essieux lui parviennent aux narines.
''Ça pue, c'est quoi c't'odeur ?'' Demande un caporal grimaçant au fond du camion.
Sa question ne trouve pas de réponse. Les hommes ouvrent les yeux, baillent, grognent et s'étirent comme ils le peuvent, tirés de leur sommeil par le picotement du carburant dans leur nez.
Dans la promiscuité de la caisse du véhicule, chacun replie sa bâche ou sa couverture pour la ranger dans son sac ou la roule pour la sangler à sa musette. Les hommes frissonnent, le froid les saisit soudainement. Les fumeurs se déplacent maladroitement en essayant de tenir debout pour aller griller leur cigarette matinale au dehors du camion qui continue de rouler à toute blinde. C'est ainsi que Nolet change de place avec Paul pour rouler sa clope contre la rambarde métallique de la caisse.
-T'en veux une ? Lui propose-t-il en lui tendant son paquet.
Bernac refuse d'un signe de la main. Le goût du tabac le matin lui a toujours donné la nausée, et l'odeur qui se précise de plus en plus ne l'aide pas.
Puis, aussi brutalement que surprenant, la campagne et les bois cèdent la place à un paysage apocalyptique. Sur la droite de la route, les restes de ce qui fut une forêt s'élève le haut d'une colline. Les rangées d'arbres sont totalement et parfaitement calcinées, décapitées par les flammes, le sol est recouvert d'une poudre blanche encore incandescente, qui s'envole et tourbillonne sur le passage des camions, tandis qu'une sorte de vapeur grise semblable à de la bruine s'élève de ce lieu ou la vie n'existe plus.
''Les obus pyrotechniques''. Lance Bougnac. Berger se détache du fascinant spectacle qui s'offre à lui pour le regarder.
''Si la garnison Orléanaise n'a pas grand chose question matières premières, c'est pas le cas pour l'essence et le gaz. Et si la ville en elle-même est encore tenue par l'armée, c'est pas la même donne pour ce qui se trouve autours. Toute la zone échappe au contrôle de l'état, et les patrouilles en dehors de la ville sont interdites. D'ailleurs, rien n'entre ni ne sort d'Orléans si ce n'est pas militaire, et planifié plusieurs semaines à l'avance. Alors, pour éviter que les convois de l'armée ne tombent dans des embuscades des rebelles, ils rasent régulièrement tous les endroits où ces loustics pourraient se rassembler en grand nombre. Forêts, bois, plaines. C'est comme qui dirait un genre de politique de la terre brûlée. Si rien ne doit vivre dehors, tant pis, à partir du moment où l'effort de guerre n'est pas ralenti.''
A travers le pare-brise fissuré et sale se dessine la ville d'Orléans à l'horizon. Ses immenses tours brutes et ses hauts fourneaux se détachent peu à peu du vide et de l'immensité claire et froide. Le ciel d'un blanc aveuglant se voit envahi d'une épaisse fumée aux reflets noirs et violacés, crachée par les immenses cheminées dont se hérisse la cité de part et d'autre. De hautes murailles grises serties de fils de fer barbelés, véritables blocs de béton armé s'érigeant hors du sol, entourés de clôtures et de miradors surmontés de projecteurs, protègent la ville de la vue et des coups des agresseurs.
La route est barrée par des blocs de ciment rayés de bandes noires et jaunes, disposés en quinconce sur le chemin menant à la porte. Les véhicules du convoi doivent donc manœuvrer avec prudence entre ces entraves. Au bout du chemin, la porte principale apparaît enfin devant eux. Haute de quinze mètres de haut, large de presque autant, elle semble inviolable, murée dans ces remparts gris et puissants.
Niché au-dessus de la porte, un poste de garde entouré de sacs de sable et de protections bitumées oriente ses projecteurs sur la rame, tandis que de chaque côté, d'énormes canons de mitrailleuses et des bouches de lance-flammes se pointent sur les camions stationnés devant l'entrée.
Une voix rauque, déformée par un micro, résonne depuis le poste de guet.
-Identifiez-vous !
Bougnac porte son émetteur à sa bouche tout en activant le haut parleur du camion.
-Adjudant-chef Bougnac, cent vingt-quatrième régiment du train, demande d'accès à la ville pour cinquante-deux véhicules de gamme tactique datée du huit avril au profit du cent dix-septième régiment d'infanterie !
-Référence de la demande ! Rétorque la voix caverneuse.
D'une main mal assurée, Bougnac agrippe la plaquette où est fixée la feuille de son ordre de mission et la lit dans son émetteur :
-Référence huit-six-zéro-un-six, à l'ordre du chef de corps du cent dix-septième régiment d'infanterie, demande de ravitaillement en carburant !
Aucune réponse de la voix. Un grand grincement se fait entendre, et l'énorme porte d'acier blindé s'ouvre lentement, dévoilant le reste de la ville au convoi.
''Putain, ils me font toujours flipper ces cons''. Souffle Bougnac en passant la première. Ils s'apprêtent à entrer dans la ville.
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