<h1>Noelfic</h1>

Une Place à Prendre


Par : faces-of-truth

Genre : Sentimental

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 5

Publié le 24/03/14 à 19:55:31 par faces-of-truth

Mon offuscation est sortie toute seule de ma bouche.
— Quoi ??! ai-je crié. Je n’ai plus de maison ?! Et vous appelez ça un détail ? Vous vous foutez de ma gueule !!
Le Maire a levé les mains dans un signe d’apaisement.
— Du calme, Charles, je sais que ça peut paraître désopilant annoncé comme ça, mais…
— Désopilant ?! me suis-je emporté. Vous avez rasé ma propriété ! Quand est-ce que vous comptiez m’en parler ?!
— J’allais te le dire, mais j’ai préféré te laisser parler en premier avant d’aborder ce sujet…
Je me suis levé en hâte, pantelant. Putain, c’était vraiment la merde ! Qu’est-ce que ce con avait fabriqué ?
— Charles, il faut que tu comprennes que, faute de possesseur, toute résidence vacante s’est vue… on va dire « réquisitionnée » pour l’effort de guerre. Je sais que c’est injuste, je sais que ça te mets en rage… Mais ce n’était pas de notre ressort, nous avons appliqué cette règle à toutes les maisons concernées. La tienne était l’une d’elles. Et puis…
Il a expiré puissamment, comme s’il regrettait déjà ce qu’il allait ajouter.
— Et puis rien ne garantissait ton retour parmi nous…
Je me suis retenu de donner un coup de pied dans la chaise sur laquelle j’avais été assis quelques secondes plus tôt.
— Je rêve…
J’ai senti mon sang me monter jusqu’au front et me chauffer le visage ; je devais être tout rouge.
— Alors c’est ça ? ai-je fait d’un ton abrupt. Je pars quelques années risquer ma peau pour sauver ma patrie et lorsque je reviens, j’apprends qu’on a démoli mes biens. Parce qu’après tout, vous avez raison, il est plus probable que j’y reste, n’est-ce pas ?
J’ai pensé que tenir une baïonnette à cet instant précis n’aurait pas été de refus. J’avais envie de hurler, mais le dépit me paralysait curieusement plus qu’autre chose.
— Quelle reconnaissance, franchement !
L’homme s’est trémoussé dans son siège grinçant.
— C’est vrai, non ? C’est ma… récompense. Je fais quoi maintenant ? Je dors dans la rue ? Devant l’auberge ?
— Non, nous allons réparer ça, a-t-il déclaré.
Je l’ai fixé en me demandant ce qu’il pouvait raconter.
— Réparer ça ?
— Oui, Charles.
— Vous parlez de ma maison ?
— Tout à fait.
Je me suis penché vers lui en m’appuyant des mains sur son bureau. J’ai dégluti avant de répondre.
— Laissez-moi vous dire une chose : quand j’ai choisi de revenir dans ce village, j’ai planifié ce que j’allais faire durant les quelques mois qui allaient suivre. J’avais prévu de rénover ma baraque. Je voulais la remettre à neuf. L’avantage dans tout ça, c’est que j’avais un toit ! Un toit sous lequel je pouvais dormir, manger, me reposer. J’avais un chez-moi. Là, maintenant, après ce que vous venez de me dire, je comprends que mon plan…
J’ai mis une chiquenaude sur la table.
— … Fini. Plus de plan. Je ne peux pas rester sans un domicile dans lequel je pourrais vivre. Parce que le temps que ce joyeux bordel se résolve, que les murs soient rétablis et que je puisse y carrer un putain de lit, je crois que je vais en voir passer des pleines lunes dans le ciel…
— Ça n’arrivera pas, parce que je me suis arrangé, a coupé le Maire.
Ses doigts étaient croisés. Il a plissé les sourcils pour paraître autoritaire.
— Comment ça ? ai-je demandé.
— Tu n’auras pas à attendre d’avoir un toit, car tu en as déjà un.
Je me suis redressé. Je n’étais pas sûr de comprendre.
— Vous pourriez être plus clair ?
L’homme s’est exprimé avec déférence.
— J’ai eu conscience de l’embarras dans lequel tu allais te trouver, alors j’ai demandé à ce que l’on t’héberge, le temps que nos ouvriers finissent de te rendre ce qui t’appartient.
Il a inspiré fortement sans me lâcher des yeux.
— C’est le moins que l’on puisse offrir à un ancien combattant, a-t-il dit.
C’était vraiment la meilleure. J’avais migré en Bretagne, fait des pieds et des mains pour m’en sortir, affronté la mort et survécu à l’Enfer, tout ça pour devenir au final un sans domicile qu’une âme brave devait prendre sous son aile. Pour la postérité, je repasserais.
— Et, a repris le Maire, la personne chez qui tu vas vivre t’attend déjà.
Il semblait vraiment croire au bienfait de son acte. Ou alors il se persuadait tellement bien que je n’y voyais que du feu. Tout cela me paraissait si absurde qu’un rire nerveux m’a échappé.
— Très bien… Eeeeet… Qui est mon bienfaiteur ?

La maison était à l’écart du Village. Elle donnait sur un vaste champ de blé et, au loin, sur une immense forêt. On s’y rendait par un petit chemin qui jouxtait des plantations agricoles. J’ai croisé un bouvier qui m’a salué de la main avec entrain. Encore quelqu’un qui semblait m’adorer mais que je n’avais jamais vu de ma vie. Je ne pouvais dire si je pourrais m’accommoder de ma reconnaissance d’infortune. J’espérais juste que cette période s’achève le plus vite possible et que je retourne à mon anonymat si cher à mon cœur.
Le vent était chaud et faisait émaner une poussière blanche du gravier sur lequel je marchais. Les grillons en concert s’accordaient de part et d’autre, tels des éclaireurs se relayant une information. Des bourdons volaient en zigzags en traversant la campagne. Le monde que j’avais connu autrefois continuait d’exister. Cela m’a d’abord consolé, puis empli de nostalgie. Les souvenirs fantomatiques de mon enfance m’attendaient ici.
J’arrivais devant ma nouvelle demeure de substitution. C’était une petite propriété, sans étage, avec un toit aux briques en ardoise, comme en Bretagne, et une façade en pierres jaunies par le temps. Les volets étaient presque entièrement rabattus. Un frisson de gêne m’a saisi et m’a pétrifié net. J’ai levé les yeux au ciel. Un groupe de nuages moutonneux traversait le bleu infini. Merde. Je n’avais qu’une envie, c’était de m’enfuir. Partir dans un autre village, là où on ne me connaîtrait pas. Où on me foutrait la paix. Où on ne me logerait pas dans cette maison. Pourtant, c’était ce que j’avais toujours voulu, non ? Hein, Charles ? De quoi tu te plains ? Qu’est-ce que tu pouvais espérer de plus pour faire tes retrouvailles ?
En vérité, je me sentais imposé, et ce n’était pas ainsi que je voulais me faire voir. Et puis si ça se trouve, elle a déjà quelqu’un dans sa vie ! Je me fais probablement un sang d’encre pour rien ! Mais le Maire a dit que j’étais le seul revenu… En attendent-ils d’autres ? Merde, merde…
À cet instant, alors qu’un maelstrom incoercible de pensées et de théories tourbillonnait dans mon esprit, la porte d’entrée s’est ouverte. Merde, merde, merde ! Eugénie est apparue dans l’entrebâillement. Elle a plissé ses yeux et a mis sa main sur son front pour se protéger du soleil. Lorsqu’elle a posé son regard sur moi, j’ai senti l’effet d’un obus m’éclater au visage.
— Charles ! s’est-elle exclamée. Qu’est-ce que tu fais ?
J’étais là, droit sur mes jambes, le visage rougi par la chaleur de l’après-midi, une goutte de sueur perlant le long de ma colonne vertébrale, immobile, penaud et contrit, mon sac pendu à ma main gauche. Je me suis imaginé la scène comme elle la voyait, et j’ai eu pitié de moi-même. Allez reprends-toi, bordel !
— Je… Euh… Je regardais ta maison…
Forcément, qu’est-ce que je pouvais faire d’autre dans cette position ? Attendre qu’un chien me prenne pour un arbre ?
— Allez, rentre, tu vas avoir une insolation, m’a-t-elle dit en me faisant un appel de la main.
— Je… Je… Oui.
Bon. On va commencer par parler le moins possible, d’accord ?
Je me suis avancé dans sa direction. Elle est rentrée en premier et je l’ai suivie. La transition de température m’a instantanément surpris. Une fraîcheur bienvenue baignait dans la pièce dans laquelle je venais de pénétrer. Il faisait sombre et mes yeux habitués à la luminosité intense de l’après-midi ont mis quelques instants avant de me permettre d’y voir quelque chose.
La salle dans laquelle je me trouvais était à la fois une cuisine et une salle à manger. Une cheminée sans bois se trouvait à ma gauche. Une roue de chariot était appuyée contre un mur. Elle avait dû suivre mon regard, car Eugénie s’en est aussitôt excusée.
— Je suis désolée pour le désordre, je n’ai pas vraiment eu le temps de ranger, et… il y a plusieurs choses que je ne pouvais pas jeter…
— Y a pas de souci, ai-je répliqué. C’est déjà… beaucoup ce que tu fais pour moi…
J’ai posé mon sac par terre et l’ai regardée en essayant de ne pas paraître trop niais.
— Je voulais te dire que je te suis vraiment reconnaissant. J’apprécie vraiment. Je sais qu’héberger un inconnu chez soi n’est pas ce qu’il y a de plus commode, alors… Je tenais vraiment à te remercier.
Elle a penché sa tête sur le côté en regardant le sol. Elle s’est mordue la joue. J’ai alors compris que le choix qu’elle avait fait de m’accueillir chez elle n’en était pas vraiment un. Elle avait été contrainte. J’ai senti une boule nauséeuse naître dans ma gorge à cette idée.
— Ce n’est rien, Charles, a-t-elle dit d’une voix douce. Et puis… Nous ne sommes pas vraiment des inconnus, pas vrai ?
Son petit sourire en coin m’a légèrement redonné confiance. Peut-être pourrions-nous nous accommoder l’un de l’autre le temps que ma maison soit rétablie, si chacun y mettait du sien ?
— Oui, tu as raison, ai-je avoué. C’est juste que… Cela fait très longtemps que nous ne nous sommes pas vus.
Elle a eu un petit rictus. Elle ne me regardait pas. Ma boule a regonflé.
— J’avais seize ans quand je suis parti. Et… j’avoue que j’espérais que nos retrouvailles se déroulent autrement.
Mes yeux ont espéré croiser les siens, mais en vain. Elle semblait aussi mal à l’aise que moi. Je haïssais cette ambiance. Et curieusement, je me haïssais aussi sur le coup. Comme si j’étais responsable de cette situation. J’aurais dû refuser l’offre du Maire. J’aurais dû trouver une autre solution.
Un silence pesant était installé. Le genre de silence qui, s’il perdure, prouve que rien n’aboutira en termes de chaleur humaine et que personne ne cherchera à aller plus loin. Je refusais de laisser cela s’instaurer aussi tôt. Je voulais savoir, subtilement, quels étaient ses ressentis à mon égard.
— Je dirais même, ai-je ajouté presque contre ma volonté, que je pensais que tu m’avais oublié depuis le temps.
Alors elle m’a enfin fixé. Je n’aurais pas su dire ce que son beau visage exprimait. C’est l’un des grands pouvoirs des femmes, que de nous faire marcher à leur guise, sans forcément faire grand-chose, et d’aboutir à leur dessein en nous menant comme par hypnose grâce à l’envoûtant et affriolant attrait de leur charme. Elle pouvait tout aussi bien m’aimer et me mépriser du jour au lendemain que je ferais tout ce qui était possible et envisageable pour rétablir la balance.
— Non, Charles, je ne t’ai pas oublié, a-t-elle déclaré.
Et puis l’impensable s’est produit. Elle m’a souri. J’ai tout de même remarqué un ravalement de rancœur avant qu’elle n’ajoute :
— Je suis vraiment contente de te revoir. Beaucoup n’ont pas eu la chance de s’échapper du Front. Tu as été mon ami d’enfance. Je me souviens très bien de toi.
Elle s’est approchée et a saisi ma main gauche, moite.
— Tu es le bienvenu chez moi.
Mon cœur battait la chamade. Bon sang… Elle était vraiment magnifique. Ses yeux mordorés qui m’avaient hanté durant toutes ces années me fixaient à cet instant avec sympathie et tendresse.
Je n’avais qu’une seule et unique envie. La prendre dans mes bras. Et tout lui avouer. Tout ce que j’éprouvais pour elle. Tout ce qu’elle représentait. Mais je me suis abstenu et suis resté figé tel une statue. Il valait mieux me montrer discret et retenu pour l’instant. Je m’étais toujours promis de révéler à Eugénie la véritable nature des sentiments qui m’habitaient. Aujourd’hui, la Providence semblait s’être arrangée pour me préparer le terrain, ce qui m’inquiétait plus qu’autre chose. Pourrais-je trouver le courage de lui dire la vérité… ? J’ai refoulé cette idée. Nous verrions tout ça plus tard. Ne gâchons pas tout maintenant.
J’avais la délectable sensation d’avoir sauvé les meubles lorsqu’Eugénie m’a fait visiter sa maison. Pour une première approche, ça aurait pu être pire ! Mais je savais que le plus dur restait à faire.
Au fond de la cuisine-salle à manger se trouvait un petit couloir qui donnait sur trois pièces : deux chambres et une salle de bain. Cette dernière contenait une grande armoire, un lavabo assez bas supplanté par un miroir et une petite baignoire.
Comme moi, Eugénie était une orpheline. Elle avait perdu ses parents bien avant que ce drame ne m’arrive et avait hérité de la maison familiale dans laquelle elle vivait seule.
Les deux chambres étaient somme toute identiques, séparées par le couloir. Celle d’Eugénie avait un grand lit aux couvertures rouges et à la tapisserie magenta. Sur un petit meuble de chevet se trouvait une photographie du mariage de son père et sa mère. Le lit de la pièce voisine était bleu et les murs étaient blancs. C’était là où je dormirais.
— Si tu veux décorer autrement, fais-toi plaisir, d’accord ? me dit-elle. Tu es chez toi.
Cela m’a touché. En particulier le « Tu es chez toi ».
— Merci, vraiment… Mais c’est très bien comme ça !
À la fin de la visite, je me suis rendu dans ma nouvelle chambre et ai vidé mon sac sur le dessus de lit. J’ai ordonné mes quelques habits et rangé quelques babioles dans le tiroir d’une petite table. J’avais ramené une balle du Front. Pourquoi avais-je fait cela ? Moi-même, je ne pouvais l’expliquer. Peut-être qu’au fond de nous se cache une fascination morbide pour ce qui nous a fait atrocement souffrir ? Pour ne pas oublier alors que tout semble fait dans ce but… ? J’ai caressé du pouce mon sinistre souvenir et l’ai rangé dans une poche de mon pantalon.
Lorsque je suis sorti de ma chambre, décidé à marcher un peu au soleil, j’ai pensé que proposer à Eugénie de m’accompagner était une idée bienvenue. Je n’ai pas voulu l’appeler à voix haute par retenue et je m’en suis vivement félicité. La porte de sa chambre était close. Et en tendant l’oreille, j’ai pu percevoir des bruits au travers.
Eugénie pleurait.

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