Vérités absolues et sophismes intolérables
Par : Warser
Genre : Réaliste
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 2
L'amour
Publié le 08/11/13 à 20:57:07 par Warser
« Je t’aime ». Voici, sans aucun doute, deux mots à la fois vides et lourds de sens. Tout le monde les comprend, mais personne ne peut les expliquer. On me dira sans doute que ces mots se ressentent et ne s’expliquent pas. On me dira qu’il est des mots qui perdent leur sens lorsqu’on les définit, des mots mystiques et parés d’une aura sacrée. Tenter de chausser les lunettes de la raison et de la vérité pour les définir serait l’acte d’un fou, d’un illuminé, ou d’un profanateur.
Gare, toutefois, à ne pas vénérer de fausses idoles : si l’amour est un veau d’or, l’hérétique est bel et bien celui qui l’élève sur un piédestal et le couvre de fleurs. Comme Moïse interrogea Dieu, interrogeons l’amour, et, un instant, tentons de voir clair dans ses impénétrables voies – car que serait l’amour sans pénétration ?
Commençons notre histoire par le début, et ne bâclons pas la présentation des protagonistes. Voyez ce cupidon gras et joufflu, qui brandit un arc de ses petites mains potelées : je vous présente le désir. Cupidon, cupide, cupidité… En anglais, cupid. Si vous voulez un mot qui fait bien en société, il s’appelle aussi Eros. Enfin, Eros est un jeune homme un peu plus sexy que le bébé obèse de notre imagerie moderne, mais passons, et considérons que le fils de la rousse au coquillage et le gamin asexué au sourire béat sont une même entité. Précisons à l’adresse des relativistes culturels dégoulinants de bons sentiments et tremblant de rage devant tout texte occidentalisant : si une telle introduction ne vous a pas amené à penser que cet article traitera de manière éhontée d’une conception purement européano-maçonnique de l’amour, je ne peux rien pour vous.
Le rôle de ce gentil garçon est de nous donner des pulsions, c’est à dire des motivations. Si je désire un objet, c’est que je veux le posséder, et il est possible que j’agisse pour le posséder. Si je désire du chocolat, je vais sans doute me déplacer jusqu’à la cuisine, voire jusqu’au supermarché, pour en obtenir. Si je veux fourrer ma langue dans la bouche d’une jeune fille, je peux m’ingénier à jouer le jeu de la séduction : bref, ce que je désire conditionne mes actions.
L’amour est -aussi- une forme de désir. Il y a dans l’amour la volonté de posséder l’autre – imaginez vous ce que vous voulez, je n’ai rien à voir avec les perversités de vos esprits mal tournés-, de l’avoir pour soi. Pour comprendre cela, il suffit de s’intéresser au phénomène de la jalousie. La jalousie n’est autre qu’une volonté de possession, une volonté de garder l’autre pour soi et loin des autres. Après tout, l’amour est très capitaliste et respecte les lois de la propriété : un bien ne peut appartenir qu’à une personne, et il en va de même pour un corps – exceptons l’amour libertin et les quelques hippies dégénérés du Larzac, qui sont des cas particuliers. Sur ce point, et uniquement sur ce point, il n’y a qu’une différence de degré entre l’amour que vous portez au nutella et l’amour que vous portez à votre dulciné(e). Essayez de voler son pot de nutella à un geek devant son pc, sa réaction n’aura rien à envier à la votre lorsque vous apprendrez que votre compagnon vous trompe : ces deux réactions sont basées sur la même chose, la volonté de posséder un objet pour soi et uniquement pour soi.
Bref, l’amour est désir, en ce que l’amour est volonté de possession. (puisqu’on avait défini le désir comme ça, vous suivez?) D’ailleurs, regardez ces mots doux, si innocents et mignons : « mon coeur », « ma/mon chéri(e) », « mon pot de miel », « « mon amie » « mon homme »… Vous ne voyez pas de problème ? Si, regardez bien : il y a un pronom possessif devant chacun d’entre eux.
Bon. L’amour est désir de possession, d’accord Jamy, mais encore ? Ça ne nous dit pas ce qu’est l’amour, et ça ne nous avance pas tant que ça. C’est même évident ! Patience. Nous y arrivons. Ah, et d’ailleurs, si vous cherchez ici une technique de drague, vous n’êtes pas au bon endroit, pour information.
Avant d’attaquer le cœur du sujet, voilà les grandes lignes d’un débat intellectuellement masturbatoire, parfaitement savant et inutile : l’amour existe-t-il ? D’un côté, il y a les lubriques lascifs qui disent « oui ! » et de l’autre, les vieux aigris de soixante-dix ans qui disent non. C’est un peu caricatural, mais au fond, je ne suis pas loin de la réalité – voyez Spinoza et Schopenhauer, après tout.
Pour résumer le débat, certains vous diront que l’amour n’est qu’amour de soi. Lorsque vous aimez l’autre, vous n’aimez que vous-mêmes. Tout est plus simple avec du nutella – et aussi plus politiquement correct -, donc reprenons l’exemple du nutella. Lorsque vous dites « j’aime le nutella », vous aimez certes le nutella. Mais mangez vous le nutella par pur sentiment altruiste envers le pot de pâte sucrée à la noisette ? Non, vous le mangez parce que cela vous apporte du plaisir. Vous pouvez traduire : « j’aime le nutella » par « le nutella m’apporte du plaisir ». Donc en aimant le nutella, vous vous aimez vous mêmes, petits sacripants, puisque vous ne cherchez que votre bonheur au travers de la dégustation de cette sucrerie.
L’amoureux ressemble un peu au pot de nutella. Selon cette thèse, vous l’aimez parce qu’il vous apporte du plaisir. Il satisfait vos désirs – encore une fois, je ne suis pas responsable des images qui pourraient potentiellement se dessiner dans votre esprit-. Il vous « rend heureux », donc vous l’aimez : votre amour est égoïste, il est « amour de soi ».
Je reformule. Vous vous aimez vous-mêmes, donc vous cherchez ce qui vous rend heureux. L’amant(e) vous rend heureux, donc vous désirez l’amant(e). A la base du raisonnement, il y a l’amour de soi et non l’amour de l’autre. Bref, vous êtes un égoïste. Amoureux, peut-être, mais égoïste surement : vous n’aimez pas l’autre, ou vous n’aimez l’autre que parce que vous vous aimez vous même.
Selon une autre thèse, l’amour de l’autre existe bel et bien. Il est beau, altruiste, rose, « selfless ». Cette théorie a tendance à éviter de comparer les personnes aux pots de nutellas – la distinction philosophique semble nécessaire -. Et là, je vais utiliser la synthèse de ce bon mathématicien : Leibniz. Ouais, un mathématicien qui parle d’amour, c’est beau quand même. Bref, ce que disait le disciple de Descartes se résumait, peu ou prou, à cela : certes, on recherche son propre plaisir, mais si son propre plaisr réside dans le plaisir de l’autre, alors, c’est de l’amour réel. Autrement dit, si je suis un connard qui ne cherche qu’à baiser, je ne suis pas amoureux : je cherche mon propre plaisir au travers d’un acte qui m’apporte directement du plaisir : la copulation. Par contre, si mon plus grand plaisir est d’offrir une bague à mille-deux-cents euros à ma bien-aimée, alors je suis amoureux. Car, dans ce dernier cas, mon plaisir découle immédiatement du plaisir de l’autre. Autrement dit, il me fait plaisir de voir que l’autre est heureux.
Notons que l’exemple de la bague à mille-deux-cents euros ne marche que si mon plaisir découle directement du plaisir de ma dulcinée. Par exemple, si j’achète cette bague à mille-deux-cents euros pour le plaisir de montrer ma jolie poupée parée d’un bijou de prix, ou alors pour le plaisir de montrer au vendeur que j’ai les moyens d’acheter ce bien absolument superflu, alors je retombe dans la catégorie 1, du connard-pas-amoureux.
Que l’amour véritable de l’autre existe ou non, c’est une question que je ne traiterai pas plus avant. Après tout, que nous désirions posséder l’autre pour l’amener au septième ciel ou pour se combler soi même n’a que peu d’importance : la conséquence est la même. Nous obtenons du plaisir de la relation amoureuse, nous recherchons et désirons l’objet de notre passion, c’est à dire l’amant.
Si ce débat vous intéresse, ceci-dit, voilà un dernier casse-tête : Est-ce aimer que d’aimer l’amour ? Autrement dit, en croyant aimer l’autre, n’aimons nous pas l’amour ? Ce que j’entends par là est simple : l’amour est socialement valorisé, mis sur un piédestal, vénéré, sacralisé. Nous aimons l’amour. Alors, l’amour de l’autre n’est-il pas le résultat de la volonté d’être amoureux ? Et dès lors, est-il un amour réel ? Dans un registre moins social, on peut aimer le sentiment amoureux, le cœur qui bat, les sprays d’ocytocine* envoyés par le cerveau… Mais alors sommes nous des drogués cherchant désespérement leur dose ?
L’amant est à nouveau objectivé, instrumentalisé. Nous l’utilisons pour obtenir un sentiment que nous aimons, mais nous ne l’aimons pas. Je vous laisse réfléchir par vous même à ce débat, et trouver votre propre réponse. En ce qui me concerne, je trouve la synthèse leibnizienne pertinente, mais libre à vous de vous débarasser de l’illusion amoureuse et de « jouir comme des bêtes » (sic)
Je m’égare, et n’ai toujours pas dit exactement ce qu’est l’amour, et avant qu’on me taxe de pseudo-philosophe-bavardeur, je m’attaque à cette fameuse définition.
L’amour est un construit social projeté sur un autre ego, basé sur des entéléchies biologico-sociétales, d’une manière relativement indépendante du support sensible utilisé. Ça en jette, non ? Oui, mais ça ne veut pas dire grand chose, alors développons, et soyons plus clair.
Tout d’abord, l’amour en tant que construit social, où « comment passer de la bête à l’homme ». Pour faire simple, en société, le désir devient amour. Il est indéniable que le désir sexuel est absolument nécéssaire : sans lui, pas d’enfants, pas de perpétuation de l’espèce. Mais ce désir relève de la nature. Il fait partie du côté bestial de l’homme, c’est le babouin qui est en vous. Or la société n’aime pas les babouins. Mais on peut rendre un babouin acceptable, l’habiller, le parer, le couvrir de tellements de parfums et de vêtements ridicules – à l’image des caniches de vieilles dames sur la côte d’azur- qu’il devient présentable en société.
C’est ce qui est arrivé au désir. La société l’a « dénaturé », l’a habillé, parfumé, transformé, pour qu’il s’adapte à ses normes. Un jeu raffiné de séduction convenait mieux à la vie sociale que le très naturel «je-me-jette-sur-tout-ce-qui-a-une-paire-de-seins ». Notamment parce que ça peut poser des problèmes de consentement un peu gênants pour des prétendus civilisés. Non, non, « qui ne dit mot consent » ne s’applique pas à l’acte sexuel.
En somme, l’amour est le temple que la société a construit pour camoufler le désir. Tenez, l’amour courtois. Dans un contexte prude – et hypocrite, d’ailleurs – moyenageux, sous forte influence de normes chrétiennes strictes qui condamnaient avec violence le péché de luxure, il fallait bien un moyen de racheter un peu le désir charnel.
L’amour chevaleresque est exempt de luxure, il est « pur », il est… présentable. Moyennant quelques poèmes et quelques dragons pourfendus (facultatifs), le désir d’un noble cradingue de se faire une jolie princesse devient un amour magnifique et transcendant. Bref, l’amour, c’est d’abord un désir socialement acceptable. Cela explique, d’ailleurs, que l’amour et la séduction diffèrent dans leur expression et leurs codes selon les sociétés, mais ne nous abaissons pas à une analyse ethnologique, cette sous-philosophie dont les incultes barbaméricains sont friands.
L’amour est aussi « projeté ». Ce que j’entends par là, c’est que l’objet de votre désir n’est pas votre ami(e), mais une image idéalisée, formée par votre esprit, que vous projetez sur elle ou lui. Cette image idéalisée est construite par votre esprit au préalable. En d’autres termes, nous sommes amoureux avant de tomber amoureux. Cette imag une, cet ego fantasmé, dispose de qualités exacerbées et absolues : il n’est pas beau, il est la beauté. Il n’est pas intelligent, il est pour vous l’intelligence incarnée. Bref, pour un homme, ce serait un hybride entre la top modèle, la prof de lettres, la membre de médecins-sans-frontières, et l’héroine de totally spies. Mais en mieux. En bref, cette image a des qualités que vous appréciez particulièrement.
Lorsque nous rencontrons une personne disposant de ces qualités, en puissance ou en acte, à quelque niveau que ce soit, nous projetons l’image idéalisée sur lui. Il devient un bouc émissaire : ses qualités sont amplifiées pour rejoindre l’image mentale dont nous sommes réellement amoureux. Cette illusion dure un certain temps : c’est le temps du désir. Lorsqu’elle s’évapore, le couple tient par l’habitude, la routine, la pression sociale, ou dans le meilleur des cas, l’amitié réciproque.
Mais après tout, quelles sont ces fameuses qualités que nous apprécions tant, et avec lesquelles nous construisons notre aimé(e) rêvé(e) ? Car après tout, c’est pour ça que nous sommes là, pour définir l’amour. Et quoi de mieux pour définir l’amour, que de définir l’amant ?
La première catégorie est purement biologique. Autrement dit, nous sommes attirés par des individus que notre cerveau reptilien considère comme aptes à la reproduction. Rendons à César ce qui est à César, et citons Schopenhauer, qui tout en étant frustré avait le mérite de la clarté. Nous recherchons, nous autres messieurs, les gros seins, les anches généreuses et la fragilité apparente, et vous autres dames recherchez la forte musculature de l’homme qui vous protègera. Une telle catégorie est basée sur « l’intelligence de l’espèce », qui chercherait à se perpétuer et à s’améliorer par des croisements entre individus beaux et forts. (vous avez dit point Godwin ? Non, pas encore.) Un handicapé, un malade, ou anorexique, sera moins attirant de ce point de vue.
La deuxième catégorie est biologico-sociale. Oui, les pseudos-philosophes aiment construire plein de tiroirs inutiles pour classer les concepts, alors allons-y gaiement. Cette catégorie concerne les instincts biologiques déformés et réformés par la société. L’exemple le plus saillant est peut-être la force de l’argent. La musculature masculine visant à protéger le foyer a été transformée par la société : l’homme fort est aujourd’hui l’homme riche, et une femme se sentira plus en sécurité auprès d’un PDG malingre que d’un gorille SDF.
Bref, cette catégorie se base sur le fait que le cerveau reptilien n’est pas idiot, et s’adapte au passage de l’état de nature à la société.
La troisième catégorie est purement sociale. Il s’agit ici d’un ensemble de qualités totalement contingentes – c’est à dire qui dépendent du lieu et de l’époque -, valorisées par la société. Car l’amant(e) est aussi une fierté ! Nous exposons nos conquêtes comme des ferraris rouges et tape-à-l’oeil. Plus elles sont belles, plus elles en jettent, mieux c’est ! Nous projetons une partie de notre fierté sur la dulcinée, ses succès et qualités deviennent, par une opération malhonnête de notre cerveau égoïste, nos succès et qualités. Etant donné que nous possédons « l’aimé », nous le montrons, comme un autre bien ostentatoire que nous exhiberions en société.
Les qualités artistiques entrent dans une telle catégorie : l’art est par définition inutile, mais il est valorisé par la société. De même, la beauté du visage et le style vestimentaire sont tant de critères qui peuvent rejoindre la brochette de qualités dictées par la pression sociale.
La quatrième catégorie, enfin, est personnelle, et dépend de la subjectivité des individus. Cela explique que nous ne tombions pas tous amoureux des mêmes personnes. C’est également la plus difficile à comprendre et à expliquer, alors accrochez vos ceintures, et partons. Commençons par un lieu commun : on ne peut pas désirer ce qu’on ne connait pas. Ben oui, si vous ne saviez pas ce que c’est que le chocolat, vous ne désireriez pas du chocolat, vous ne sauriez même pas si vous aimez ça. Bref : il faut avoir goûté pour désirer. Autrement dit, vous connaissez tout ce que vous désirez. Pour les qualités biologiques, c’est évident, c’est votre cerveau reptilien qui sait, laissez le faire. Pour les qualités sociales, la société se charge très bien de nous en bourrer le cerveau à l’entonnoir.
Quant aux qualités que nous appellerons « subjectives ou personnelles », nous les désirons selon notre expérience. Nous retrouvons dans une personne une qualité qui correspond à une situation de plaisir que nous avons expérimenté.
Imaginez-vous enfant : vous adoriez la vitesse, et l’expérience que vous avez eu sur la moto de votre papa est la plus belle de votre vie. Plus tard, vous rencontrez une fille qui fait du kart : vous êtes plus à mêmes de tomber amoureux d’elle, puisque vous associez l’une de ses qualités -ergo, sa capacité à faire du kart- à une expérience plaisante de votre histoire personnelle.
On récapitule : tout ce que vous désirez, vous le connaissez. Vous pouvez le connaître par votre cerveau reptilien ou la pression sociale, mais aussi par votre propre expérience. Vous désirez quelqu’un parce qu’il correspond à une image mentale, constituée d’éléments que vous désirez, et donc que vous connaissez.
Concernant la quatrième catégorie des qualités qui dépendent de l’individu amoureux, des qualités « subjectives », la connaissance que vous en avez dépend d’une expérience de votre histoire personnelle. Vous projetez sur l’autre une expérience agréable que vous avez vécu, et l’autre devient désirable puisqu’il est associé à votre désir de réitérer cette expérience. Si vous avez aimé manger du chocolat, vous désirez recommencer. Maintenant, si vous projetez l’expérience « manger du chocolat » sur une jeune fille ou un jeune homme, vous la/le désirerez, lui/elle aussi. Quand on entend que Barrack Obama est tombé amoureux de Michelle lorsqu’en l’embrassant, il a senti un goût de chocolat – ils avaient mangé une glace juste avant – on est en droit de se poser des questions.
Alors, l’amour dévoilé ? Autant qu’une catholique prude un dimanche à la messe. La comparaison est mal venue, mais cupidon est couvert d’une épaisse couche de mystère. Ne pensez pas, lecteurs naïfs, avoir fait le tour d’un sujet aussi vaste et subtil que l’amour par la digestion de cet article à la profondeur philosophique d’un pot de nutella.
*grosso modo, l’adrénaline de l’amour. L’injection de drogue naturelle qui nous apporte le « plaisir de l’amour »
Gare, toutefois, à ne pas vénérer de fausses idoles : si l’amour est un veau d’or, l’hérétique est bel et bien celui qui l’élève sur un piédestal et le couvre de fleurs. Comme Moïse interrogea Dieu, interrogeons l’amour, et, un instant, tentons de voir clair dans ses impénétrables voies – car que serait l’amour sans pénétration ?
Commençons notre histoire par le début, et ne bâclons pas la présentation des protagonistes. Voyez ce cupidon gras et joufflu, qui brandit un arc de ses petites mains potelées : je vous présente le désir. Cupidon, cupide, cupidité… En anglais, cupid. Si vous voulez un mot qui fait bien en société, il s’appelle aussi Eros. Enfin, Eros est un jeune homme un peu plus sexy que le bébé obèse de notre imagerie moderne, mais passons, et considérons que le fils de la rousse au coquillage et le gamin asexué au sourire béat sont une même entité. Précisons à l’adresse des relativistes culturels dégoulinants de bons sentiments et tremblant de rage devant tout texte occidentalisant : si une telle introduction ne vous a pas amené à penser que cet article traitera de manière éhontée d’une conception purement européano-maçonnique de l’amour, je ne peux rien pour vous.
Le rôle de ce gentil garçon est de nous donner des pulsions, c’est à dire des motivations. Si je désire un objet, c’est que je veux le posséder, et il est possible que j’agisse pour le posséder. Si je désire du chocolat, je vais sans doute me déplacer jusqu’à la cuisine, voire jusqu’au supermarché, pour en obtenir. Si je veux fourrer ma langue dans la bouche d’une jeune fille, je peux m’ingénier à jouer le jeu de la séduction : bref, ce que je désire conditionne mes actions.
L’amour est -aussi- une forme de désir. Il y a dans l’amour la volonté de posséder l’autre – imaginez vous ce que vous voulez, je n’ai rien à voir avec les perversités de vos esprits mal tournés-, de l’avoir pour soi. Pour comprendre cela, il suffit de s’intéresser au phénomène de la jalousie. La jalousie n’est autre qu’une volonté de possession, une volonté de garder l’autre pour soi et loin des autres. Après tout, l’amour est très capitaliste et respecte les lois de la propriété : un bien ne peut appartenir qu’à une personne, et il en va de même pour un corps – exceptons l’amour libertin et les quelques hippies dégénérés du Larzac, qui sont des cas particuliers. Sur ce point, et uniquement sur ce point, il n’y a qu’une différence de degré entre l’amour que vous portez au nutella et l’amour que vous portez à votre dulciné(e). Essayez de voler son pot de nutella à un geek devant son pc, sa réaction n’aura rien à envier à la votre lorsque vous apprendrez que votre compagnon vous trompe : ces deux réactions sont basées sur la même chose, la volonté de posséder un objet pour soi et uniquement pour soi.
Bref, l’amour est désir, en ce que l’amour est volonté de possession. (puisqu’on avait défini le désir comme ça, vous suivez?) D’ailleurs, regardez ces mots doux, si innocents et mignons : « mon coeur », « ma/mon chéri(e) », « mon pot de miel », « « mon amie » « mon homme »… Vous ne voyez pas de problème ? Si, regardez bien : il y a un pronom possessif devant chacun d’entre eux.
Bon. L’amour est désir de possession, d’accord Jamy, mais encore ? Ça ne nous dit pas ce qu’est l’amour, et ça ne nous avance pas tant que ça. C’est même évident ! Patience. Nous y arrivons. Ah, et d’ailleurs, si vous cherchez ici une technique de drague, vous n’êtes pas au bon endroit, pour information.
Avant d’attaquer le cœur du sujet, voilà les grandes lignes d’un débat intellectuellement masturbatoire, parfaitement savant et inutile : l’amour existe-t-il ? D’un côté, il y a les lubriques lascifs qui disent « oui ! » et de l’autre, les vieux aigris de soixante-dix ans qui disent non. C’est un peu caricatural, mais au fond, je ne suis pas loin de la réalité – voyez Spinoza et Schopenhauer, après tout.
Pour résumer le débat, certains vous diront que l’amour n’est qu’amour de soi. Lorsque vous aimez l’autre, vous n’aimez que vous-mêmes. Tout est plus simple avec du nutella – et aussi plus politiquement correct -, donc reprenons l’exemple du nutella. Lorsque vous dites « j’aime le nutella », vous aimez certes le nutella. Mais mangez vous le nutella par pur sentiment altruiste envers le pot de pâte sucrée à la noisette ? Non, vous le mangez parce que cela vous apporte du plaisir. Vous pouvez traduire : « j’aime le nutella » par « le nutella m’apporte du plaisir ». Donc en aimant le nutella, vous vous aimez vous mêmes, petits sacripants, puisque vous ne cherchez que votre bonheur au travers de la dégustation de cette sucrerie.
L’amoureux ressemble un peu au pot de nutella. Selon cette thèse, vous l’aimez parce qu’il vous apporte du plaisir. Il satisfait vos désirs – encore une fois, je ne suis pas responsable des images qui pourraient potentiellement se dessiner dans votre esprit-. Il vous « rend heureux », donc vous l’aimez : votre amour est égoïste, il est « amour de soi ».
Je reformule. Vous vous aimez vous-mêmes, donc vous cherchez ce qui vous rend heureux. L’amant(e) vous rend heureux, donc vous désirez l’amant(e). A la base du raisonnement, il y a l’amour de soi et non l’amour de l’autre. Bref, vous êtes un égoïste. Amoureux, peut-être, mais égoïste surement : vous n’aimez pas l’autre, ou vous n’aimez l’autre que parce que vous vous aimez vous même.
Selon une autre thèse, l’amour de l’autre existe bel et bien. Il est beau, altruiste, rose, « selfless ». Cette théorie a tendance à éviter de comparer les personnes aux pots de nutellas – la distinction philosophique semble nécessaire -. Et là, je vais utiliser la synthèse de ce bon mathématicien : Leibniz. Ouais, un mathématicien qui parle d’amour, c’est beau quand même. Bref, ce que disait le disciple de Descartes se résumait, peu ou prou, à cela : certes, on recherche son propre plaisir, mais si son propre plaisr réside dans le plaisir de l’autre, alors, c’est de l’amour réel. Autrement dit, si je suis un connard qui ne cherche qu’à baiser, je ne suis pas amoureux : je cherche mon propre plaisir au travers d’un acte qui m’apporte directement du plaisir : la copulation. Par contre, si mon plus grand plaisir est d’offrir une bague à mille-deux-cents euros à ma bien-aimée, alors je suis amoureux. Car, dans ce dernier cas, mon plaisir découle immédiatement du plaisir de l’autre. Autrement dit, il me fait plaisir de voir que l’autre est heureux.
Notons que l’exemple de la bague à mille-deux-cents euros ne marche que si mon plaisir découle directement du plaisir de ma dulcinée. Par exemple, si j’achète cette bague à mille-deux-cents euros pour le plaisir de montrer ma jolie poupée parée d’un bijou de prix, ou alors pour le plaisir de montrer au vendeur que j’ai les moyens d’acheter ce bien absolument superflu, alors je retombe dans la catégorie 1, du connard-pas-amoureux.
Que l’amour véritable de l’autre existe ou non, c’est une question que je ne traiterai pas plus avant. Après tout, que nous désirions posséder l’autre pour l’amener au septième ciel ou pour se combler soi même n’a que peu d’importance : la conséquence est la même. Nous obtenons du plaisir de la relation amoureuse, nous recherchons et désirons l’objet de notre passion, c’est à dire l’amant.
Si ce débat vous intéresse, ceci-dit, voilà un dernier casse-tête : Est-ce aimer que d’aimer l’amour ? Autrement dit, en croyant aimer l’autre, n’aimons nous pas l’amour ? Ce que j’entends par là est simple : l’amour est socialement valorisé, mis sur un piédestal, vénéré, sacralisé. Nous aimons l’amour. Alors, l’amour de l’autre n’est-il pas le résultat de la volonté d’être amoureux ? Et dès lors, est-il un amour réel ? Dans un registre moins social, on peut aimer le sentiment amoureux, le cœur qui bat, les sprays d’ocytocine* envoyés par le cerveau… Mais alors sommes nous des drogués cherchant désespérement leur dose ?
L’amant est à nouveau objectivé, instrumentalisé. Nous l’utilisons pour obtenir un sentiment que nous aimons, mais nous ne l’aimons pas. Je vous laisse réfléchir par vous même à ce débat, et trouver votre propre réponse. En ce qui me concerne, je trouve la synthèse leibnizienne pertinente, mais libre à vous de vous débarasser de l’illusion amoureuse et de « jouir comme des bêtes » (sic)
Je m’égare, et n’ai toujours pas dit exactement ce qu’est l’amour, et avant qu’on me taxe de pseudo-philosophe-bavardeur, je m’attaque à cette fameuse définition.
L’amour est un construit social projeté sur un autre ego, basé sur des entéléchies biologico-sociétales, d’une manière relativement indépendante du support sensible utilisé. Ça en jette, non ? Oui, mais ça ne veut pas dire grand chose, alors développons, et soyons plus clair.
Tout d’abord, l’amour en tant que construit social, où « comment passer de la bête à l’homme ». Pour faire simple, en société, le désir devient amour. Il est indéniable que le désir sexuel est absolument nécéssaire : sans lui, pas d’enfants, pas de perpétuation de l’espèce. Mais ce désir relève de la nature. Il fait partie du côté bestial de l’homme, c’est le babouin qui est en vous. Or la société n’aime pas les babouins. Mais on peut rendre un babouin acceptable, l’habiller, le parer, le couvrir de tellements de parfums et de vêtements ridicules – à l’image des caniches de vieilles dames sur la côte d’azur- qu’il devient présentable en société.
C’est ce qui est arrivé au désir. La société l’a « dénaturé », l’a habillé, parfumé, transformé, pour qu’il s’adapte à ses normes. Un jeu raffiné de séduction convenait mieux à la vie sociale que le très naturel «je-me-jette-sur-tout-ce-qui-a-une-paire-de-seins ». Notamment parce que ça peut poser des problèmes de consentement un peu gênants pour des prétendus civilisés. Non, non, « qui ne dit mot consent » ne s’applique pas à l’acte sexuel.
En somme, l’amour est le temple que la société a construit pour camoufler le désir. Tenez, l’amour courtois. Dans un contexte prude – et hypocrite, d’ailleurs – moyenageux, sous forte influence de normes chrétiennes strictes qui condamnaient avec violence le péché de luxure, il fallait bien un moyen de racheter un peu le désir charnel.
L’amour chevaleresque est exempt de luxure, il est « pur », il est… présentable. Moyennant quelques poèmes et quelques dragons pourfendus (facultatifs), le désir d’un noble cradingue de se faire une jolie princesse devient un amour magnifique et transcendant. Bref, l’amour, c’est d’abord un désir socialement acceptable. Cela explique, d’ailleurs, que l’amour et la séduction diffèrent dans leur expression et leurs codes selon les sociétés, mais ne nous abaissons pas à une analyse ethnologique, cette sous-philosophie dont les incultes barbaméricains sont friands.
L’amour est aussi « projeté ». Ce que j’entends par là, c’est que l’objet de votre désir n’est pas votre ami(e), mais une image idéalisée, formée par votre esprit, que vous projetez sur elle ou lui. Cette image idéalisée est construite par votre esprit au préalable. En d’autres termes, nous sommes amoureux avant de tomber amoureux. Cette imag une, cet ego fantasmé, dispose de qualités exacerbées et absolues : il n’est pas beau, il est la beauté. Il n’est pas intelligent, il est pour vous l’intelligence incarnée. Bref, pour un homme, ce serait un hybride entre la top modèle, la prof de lettres, la membre de médecins-sans-frontières, et l’héroine de totally spies. Mais en mieux. En bref, cette image a des qualités que vous appréciez particulièrement.
Lorsque nous rencontrons une personne disposant de ces qualités, en puissance ou en acte, à quelque niveau que ce soit, nous projetons l’image idéalisée sur lui. Il devient un bouc émissaire : ses qualités sont amplifiées pour rejoindre l’image mentale dont nous sommes réellement amoureux. Cette illusion dure un certain temps : c’est le temps du désir. Lorsqu’elle s’évapore, le couple tient par l’habitude, la routine, la pression sociale, ou dans le meilleur des cas, l’amitié réciproque.
Mais après tout, quelles sont ces fameuses qualités que nous apprécions tant, et avec lesquelles nous construisons notre aimé(e) rêvé(e) ? Car après tout, c’est pour ça que nous sommes là, pour définir l’amour. Et quoi de mieux pour définir l’amour, que de définir l’amant ?
La première catégorie est purement biologique. Autrement dit, nous sommes attirés par des individus que notre cerveau reptilien considère comme aptes à la reproduction. Rendons à César ce qui est à César, et citons Schopenhauer, qui tout en étant frustré avait le mérite de la clarté. Nous recherchons, nous autres messieurs, les gros seins, les anches généreuses et la fragilité apparente, et vous autres dames recherchez la forte musculature de l’homme qui vous protègera. Une telle catégorie est basée sur « l’intelligence de l’espèce », qui chercherait à se perpétuer et à s’améliorer par des croisements entre individus beaux et forts. (vous avez dit point Godwin ? Non, pas encore.) Un handicapé, un malade, ou anorexique, sera moins attirant de ce point de vue.
La deuxième catégorie est biologico-sociale. Oui, les pseudos-philosophes aiment construire plein de tiroirs inutiles pour classer les concepts, alors allons-y gaiement. Cette catégorie concerne les instincts biologiques déformés et réformés par la société. L’exemple le plus saillant est peut-être la force de l’argent. La musculature masculine visant à protéger le foyer a été transformée par la société : l’homme fort est aujourd’hui l’homme riche, et une femme se sentira plus en sécurité auprès d’un PDG malingre que d’un gorille SDF.
Bref, cette catégorie se base sur le fait que le cerveau reptilien n’est pas idiot, et s’adapte au passage de l’état de nature à la société.
La troisième catégorie est purement sociale. Il s’agit ici d’un ensemble de qualités totalement contingentes – c’est à dire qui dépendent du lieu et de l’époque -, valorisées par la société. Car l’amant(e) est aussi une fierté ! Nous exposons nos conquêtes comme des ferraris rouges et tape-à-l’oeil. Plus elles sont belles, plus elles en jettent, mieux c’est ! Nous projetons une partie de notre fierté sur la dulcinée, ses succès et qualités deviennent, par une opération malhonnête de notre cerveau égoïste, nos succès et qualités. Etant donné que nous possédons « l’aimé », nous le montrons, comme un autre bien ostentatoire que nous exhiberions en société.
Les qualités artistiques entrent dans une telle catégorie : l’art est par définition inutile, mais il est valorisé par la société. De même, la beauté du visage et le style vestimentaire sont tant de critères qui peuvent rejoindre la brochette de qualités dictées par la pression sociale.
La quatrième catégorie, enfin, est personnelle, et dépend de la subjectivité des individus. Cela explique que nous ne tombions pas tous amoureux des mêmes personnes. C’est également la plus difficile à comprendre et à expliquer, alors accrochez vos ceintures, et partons. Commençons par un lieu commun : on ne peut pas désirer ce qu’on ne connait pas. Ben oui, si vous ne saviez pas ce que c’est que le chocolat, vous ne désireriez pas du chocolat, vous ne sauriez même pas si vous aimez ça. Bref : il faut avoir goûté pour désirer. Autrement dit, vous connaissez tout ce que vous désirez. Pour les qualités biologiques, c’est évident, c’est votre cerveau reptilien qui sait, laissez le faire. Pour les qualités sociales, la société se charge très bien de nous en bourrer le cerveau à l’entonnoir.
Quant aux qualités que nous appellerons « subjectives ou personnelles », nous les désirons selon notre expérience. Nous retrouvons dans une personne une qualité qui correspond à une situation de plaisir que nous avons expérimenté.
Imaginez-vous enfant : vous adoriez la vitesse, et l’expérience que vous avez eu sur la moto de votre papa est la plus belle de votre vie. Plus tard, vous rencontrez une fille qui fait du kart : vous êtes plus à mêmes de tomber amoureux d’elle, puisque vous associez l’une de ses qualités -ergo, sa capacité à faire du kart- à une expérience plaisante de votre histoire personnelle.
On récapitule : tout ce que vous désirez, vous le connaissez. Vous pouvez le connaître par votre cerveau reptilien ou la pression sociale, mais aussi par votre propre expérience. Vous désirez quelqu’un parce qu’il correspond à une image mentale, constituée d’éléments que vous désirez, et donc que vous connaissez.
Concernant la quatrième catégorie des qualités qui dépendent de l’individu amoureux, des qualités « subjectives », la connaissance que vous en avez dépend d’une expérience de votre histoire personnelle. Vous projetez sur l’autre une expérience agréable que vous avez vécu, et l’autre devient désirable puisqu’il est associé à votre désir de réitérer cette expérience. Si vous avez aimé manger du chocolat, vous désirez recommencer. Maintenant, si vous projetez l’expérience « manger du chocolat » sur une jeune fille ou un jeune homme, vous la/le désirerez, lui/elle aussi. Quand on entend que Barrack Obama est tombé amoureux de Michelle lorsqu’en l’embrassant, il a senti un goût de chocolat – ils avaient mangé une glace juste avant – on est en droit de se poser des questions.
Alors, l’amour dévoilé ? Autant qu’une catholique prude un dimanche à la messe. La comparaison est mal venue, mais cupidon est couvert d’une épaisse couche de mystère. Ne pensez pas, lecteurs naïfs, avoir fait le tour d’un sujet aussi vaste et subtil que l’amour par la digestion de cet article à la profondeur philosophique d’un pot de nutella.
*grosso modo, l’adrénaline de l’amour. L’injection de drogue naturelle qui nous apporte le « plaisir de l’amour »
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