Tard dans la nuit
Par : Warser
Genre : Fantastique
Status : Terminée
Note :
Chapitre 2
Publié le 30/10/13 à 00:17:39 par Warser
C. avait récupéré son violon, et la voiture sortait de Paris. La route était bordée de pins et de hêtres, qui étendaient leurs longs bras dans la nuit sombre. Le chauffeur emprunta enfin un chemin de terre, qui s'enfonçait dans la forêt, et s'arrêta devant un portail d'acier forgé en arabesques et motifs asymétriques. On y voyait la patte d'un véritable artisan, estima C.
La voiture s'arrêta devant le portail, et C. retint son étonnement devant le spectacle qui s'offrait à lui.
La lune, aux trois quarts pleine, éclairait seule l'allée principale. Des arbres et buissons, tous soigneusement taillés en formes animales, projetaient leur ombre sur le sol du jardin. Devant C. s'élevait une bâtisse quatre étages. Elle semblait entièrement construite en pierre de taille, recouverte d'un toit de tuile noires. Une quinzaine de fenêtres fermées ornaient la façade blanc crème, et deux tours rectangulaires s'élevaient sur les côtés.
- « Maison de campagne », n'est-ce pas....
- Vous aimez ? Répondit son hôte, qui marchait à ses côtés sur l'allée. La décoration est un peu kitsch, vous savez, mon père...
C. acquiesça en silence, les yeux levés sur une immense statue de chien loup prêt à bondir, sa gueule béante et immobile luisant sous la lumière de la lune. C. ne put s'empêcher de complimenter intérieurement l'artiste, pour avoir rendu son œuvre de pierre aussi vivante.
Balayant le jardin des yeux, le violoniste constata qu'il était entièrement planté de statues. Silhouettes humaines ou animales, toutes semblaient avoir été immortalisées au milieu d'une action brusque et instinctive. Les hommes levaient le poing, se protégeaient de leurs bras, semblaient fuir. Les animaux, quant à eux, bondissaient, rugissaient, rampaient, chassaient des proies invisibles.
- Je dois admettre que ce style est fascinant.
Une petite moue de jeune fille passa sur le visage de son interlocutrice.
- Vous êtes tous pareils, vous les hommes.
Un homme en costume noir se tenait à l'entrée de la demeure. Il avait un visage commun, un de ses visages que l'on oublie aussitôt. C. pensa que s'il le recroisait dans la rue, il serait incapable de le reconnaître, fondu cette masse d'hommes tous semblables.
Au dessus de la porte, une gargouille à tête de lion, tout crocs dehors, semblait mugir.
- Mademoiselle veut que j'ouvre le petit salon ?
- J'y pense, dit-elle à l'adresse de C. Mon père a une magnifique collection de violons. Peut-être voudriez vous la voir, avant de jouer ?
Pourquoi pas, se dit C. Il n'aimait pas s'attarder avant de commencer les choses sérieuses, mais un homme qui semblait si riche ne pouvait qu'avoir des pièces intéressantes.
- Vos désirs sont des ordres.
- Charles ! Montrez à notre invité la salle de collection, je l'y rejoindrai.
Le majordome se courba légèrement, et fit signe à C. de le suivre. Le hall d'entrée était éclairé par un lustre de cristal finement ciselé. Le pas des deux hommes résonnait dans les couloirs de la villa. Le sol de marbre et la hauteur du plafond témoignaient d'une folie des grandeurs caractéristique de certains nouveaux riches.
Sur les murs, des tableaux encadrés d'or se devinaient parfois à la lueur de la flamme vacillante d'un chandelier. Ils représentaient souvent des scènes bibliques ou mythologique, mais à quelques reprises, C. aperçut des démons aux dents longues et à la langue pendante, inquiétantes gargouilles immortalisées dans des positions grotesques.
C. détourna son regard des murs. Cette galerie mal éclairée prenait des airs de train fantôme, peu effrayant mais sans nul doute désagréable. Certaines lumières étaient presque éteintes... C. se demanda un instant si Charles était seul à entretenir les couloirs de cette immense demeure.
Portant son attention au majordome, il voulut engager la conversation.
- Vous restez ici toute l'année ?
- Je m'en vais autant que mes congés me le permettent, monsieur.
- Ah... les parents de cette jeune fille aiment donc leur maison de campagne ! Répondit C en riant.
Le majordome marqua une pause, et C. crut voir son visage ridé, parfaitement impassible, ciller l'espace d'un instant.
- Je crains de n'avoir jamais vraiment fait la connaissance des parents de mademoiselle, monsieur.
C. fronça les sourcils. Ils devaient vraiment apprécier leur vie parisienne, pour ne jamais profiter du calme de quelques semaines au château. Ou peut-être que ce majordome venait de prendre le poste, et n'avait vu les maîtres des lieux qu'à l'occasion de son embauche. Tout de même... C. se promit de demander des précisions à son hôte, au cours de la nuit.
Devant une porte de bois, la jeune fille l'attendait en souriant.
- Vous voilà ! Vous verrez, vous adorerez, j'en suis sûre.
La porte s'ouvrit dans un grincement, laissant apparaître une salle, très étendue sur la hauteur, éclairée avec un grand soin par des chandeliers aux flammes bien entretenues. Des violons étaient accrochés aux murs, chaque pièce disposant d'une lumière propre. Des altos, des violoncelles et leurs archets étaient aussi adossés aux coins.
C. s'approcha de l'un des instruments, et lut la plaque qui l'accompagnait. « Stanislaw Barcewicz », 1913. Ce nom lui disait quelque chose, sans doute un virtuose auquel ce violon avait appartenu.
- Seuls les instruments des grands maîtres sont exposés ici, précisa-t-elle. Mon père en a même acheté quelques uns, à des compositeurs actuels.
C. apprécia l'information, et son regard parcourut à nouveau la pièce. Le père de cette jeune fille avait du goût.
- Je vous laisse regarder, je vous retrouve au petit salon, dit-elle d'un air enjoué. Je suis sûre que votre violon ne déparerait pas !
C., heureux du compliment, voulut croiser un instant le regard de la jeune fille qui sortait de la pièce. Il y distingua une lueur inhabituelle. De l'excitation, sans doute, pour le récital privé qu'elle aurait le privilège d'écouter. Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'on recevait un virtuose chez soi !
Elle ferma la porte derrière elle, et laissa C. seul avec les violons. Leurs ombres s'étendaient sur le sol. C. leva les yeux, vers le plafond. Les instruments, légèrement inclinés vers l'avant, semblaient l'observer, lui jeter des regards de reproche... Des appels à l'aide ? Une sensation de captivité envahit C. alors qu'il levait les yeux vers ces êtres inanimés, qui le suppliaient de leurs yeux morts d'objets. Comme s'ils désiraient sortir, comme s'ils étaient prisonniers ici.
C. secoua la tête.Tant de violons de maîtres, dans une même pièce, ce ne pouvait être qu'un paradis grandiose ! Mais C. ne pouvait s'empêcher de ressentir un malaise. Ces violons accrochés, dans une salle de collection reculée de campagne, prenaient une apparence lugubre... Fichés au mur comme des papillons morts, soigneusement conservés. Les murs gris et simples de la pièce, assez modeste par rapport au reste de la demeure, donnaient au tout une ambiance sordide qui prenait C. à la gorge. Oh, il ne fallait pas que cela gâche sa nuit. Il avait une magnifique amie toute prête à être cueillie, juste à l'étage supérieur. Il réajusta le col de son costume, et décida de ne plus penser à la collection de ce père si étrange.
- Charles ?
Le majordome apparut, presque immédiatement, dans l'embrasure de la porte.
- Monsieur désire que je l'accompagne au salon ?
- Oui, j'en ai fini, merci.
le majordome le raccompagna en silence dans le dédale des couloirs du manoir. Il l'amena dans une salle plus petite que les autres. Sur l'un des fauteuils rouges de velours l'attendait sa jeune hôte. Elle s'était changée, et portait maintenant une robe pourpre d'une pièce, qui révélait la blancheur de ses cuisses et de ses jolies épaules nues. À la lumière tamisée d'un feu de cheminée qui crépitait doucement au fond de la pièce, elle était si désirable...
C. la fixait d'un œil incrédule. Ce n'était pas une petite fille sage qui se dévergondait. Il en avait vu suffisamment pour le savoir. Son visage restait de marbre. Un marbre blanc immaculé.
Elle le regarda d'un air interrogateur, puis après quelques longues secondes, elle parla.
- Jouez.
Une voix impatiente, comme il s'y attendait. Enfin... pas exactement. C'était une impatience empreinte d'autorité, presque exaspérée.
- S'il vous plaît, je n'en peux plus d'attendre !
C. jeta un regard au visage de son hôte, et fut rassuré d'y revoir des yeux brillants d'admiration, et ce visage rassurant de jeune fille ingénue. Il effaça de sa mémoire cette transformation étrange qu'il avait entrevue un instant. Des jeux de lumière, sans doute, et peut-être l'ambiance générale du lieu, lui avaient un peu tourné la tête. Il avait bien à faire à une jeune naïve, stupide et ennuyée par son père un peu trop original.
Lorsqu'il posa son archet, il croisa le regard rêveur de la jeune fille.
La voiture s'arrêta devant le portail, et C. retint son étonnement devant le spectacle qui s'offrait à lui.
La lune, aux trois quarts pleine, éclairait seule l'allée principale. Des arbres et buissons, tous soigneusement taillés en formes animales, projetaient leur ombre sur le sol du jardin. Devant C. s'élevait une bâtisse quatre étages. Elle semblait entièrement construite en pierre de taille, recouverte d'un toit de tuile noires. Une quinzaine de fenêtres fermées ornaient la façade blanc crème, et deux tours rectangulaires s'élevaient sur les côtés.
- « Maison de campagne », n'est-ce pas....
- Vous aimez ? Répondit son hôte, qui marchait à ses côtés sur l'allée. La décoration est un peu kitsch, vous savez, mon père...
C. acquiesça en silence, les yeux levés sur une immense statue de chien loup prêt à bondir, sa gueule béante et immobile luisant sous la lumière de la lune. C. ne put s'empêcher de complimenter intérieurement l'artiste, pour avoir rendu son œuvre de pierre aussi vivante.
Balayant le jardin des yeux, le violoniste constata qu'il était entièrement planté de statues. Silhouettes humaines ou animales, toutes semblaient avoir été immortalisées au milieu d'une action brusque et instinctive. Les hommes levaient le poing, se protégeaient de leurs bras, semblaient fuir. Les animaux, quant à eux, bondissaient, rugissaient, rampaient, chassaient des proies invisibles.
- Je dois admettre que ce style est fascinant.
Une petite moue de jeune fille passa sur le visage de son interlocutrice.
- Vous êtes tous pareils, vous les hommes.
Un homme en costume noir se tenait à l'entrée de la demeure. Il avait un visage commun, un de ses visages que l'on oublie aussitôt. C. pensa que s'il le recroisait dans la rue, il serait incapable de le reconnaître, fondu cette masse d'hommes tous semblables.
Au dessus de la porte, une gargouille à tête de lion, tout crocs dehors, semblait mugir.
- Mademoiselle veut que j'ouvre le petit salon ?
- J'y pense, dit-elle à l'adresse de C. Mon père a une magnifique collection de violons. Peut-être voudriez vous la voir, avant de jouer ?
Pourquoi pas, se dit C. Il n'aimait pas s'attarder avant de commencer les choses sérieuses, mais un homme qui semblait si riche ne pouvait qu'avoir des pièces intéressantes.
- Vos désirs sont des ordres.
- Charles ! Montrez à notre invité la salle de collection, je l'y rejoindrai.
Le majordome se courba légèrement, et fit signe à C. de le suivre. Le hall d'entrée était éclairé par un lustre de cristal finement ciselé. Le pas des deux hommes résonnait dans les couloirs de la villa. Le sol de marbre et la hauteur du plafond témoignaient d'une folie des grandeurs caractéristique de certains nouveaux riches.
Sur les murs, des tableaux encadrés d'or se devinaient parfois à la lueur de la flamme vacillante d'un chandelier. Ils représentaient souvent des scènes bibliques ou mythologique, mais à quelques reprises, C. aperçut des démons aux dents longues et à la langue pendante, inquiétantes gargouilles immortalisées dans des positions grotesques.
C. détourna son regard des murs. Cette galerie mal éclairée prenait des airs de train fantôme, peu effrayant mais sans nul doute désagréable. Certaines lumières étaient presque éteintes... C. se demanda un instant si Charles était seul à entretenir les couloirs de cette immense demeure.
Portant son attention au majordome, il voulut engager la conversation.
- Vous restez ici toute l'année ?
- Je m'en vais autant que mes congés me le permettent, monsieur.
- Ah... les parents de cette jeune fille aiment donc leur maison de campagne ! Répondit C en riant.
Le majordome marqua une pause, et C. crut voir son visage ridé, parfaitement impassible, ciller l'espace d'un instant.
- Je crains de n'avoir jamais vraiment fait la connaissance des parents de mademoiselle, monsieur.
C. fronça les sourcils. Ils devaient vraiment apprécier leur vie parisienne, pour ne jamais profiter du calme de quelques semaines au château. Ou peut-être que ce majordome venait de prendre le poste, et n'avait vu les maîtres des lieux qu'à l'occasion de son embauche. Tout de même... C. se promit de demander des précisions à son hôte, au cours de la nuit.
Devant une porte de bois, la jeune fille l'attendait en souriant.
- Vous voilà ! Vous verrez, vous adorerez, j'en suis sûre.
La porte s'ouvrit dans un grincement, laissant apparaître une salle, très étendue sur la hauteur, éclairée avec un grand soin par des chandeliers aux flammes bien entretenues. Des violons étaient accrochés aux murs, chaque pièce disposant d'une lumière propre. Des altos, des violoncelles et leurs archets étaient aussi adossés aux coins.
C. s'approcha de l'un des instruments, et lut la plaque qui l'accompagnait. « Stanislaw Barcewicz », 1913. Ce nom lui disait quelque chose, sans doute un virtuose auquel ce violon avait appartenu.
- Seuls les instruments des grands maîtres sont exposés ici, précisa-t-elle. Mon père en a même acheté quelques uns, à des compositeurs actuels.
C. apprécia l'information, et son regard parcourut à nouveau la pièce. Le père de cette jeune fille avait du goût.
- Je vous laisse regarder, je vous retrouve au petit salon, dit-elle d'un air enjoué. Je suis sûre que votre violon ne déparerait pas !
C., heureux du compliment, voulut croiser un instant le regard de la jeune fille qui sortait de la pièce. Il y distingua une lueur inhabituelle. De l'excitation, sans doute, pour le récital privé qu'elle aurait le privilège d'écouter. Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'on recevait un virtuose chez soi !
Elle ferma la porte derrière elle, et laissa C. seul avec les violons. Leurs ombres s'étendaient sur le sol. C. leva les yeux, vers le plafond. Les instruments, légèrement inclinés vers l'avant, semblaient l'observer, lui jeter des regards de reproche... Des appels à l'aide ? Une sensation de captivité envahit C. alors qu'il levait les yeux vers ces êtres inanimés, qui le suppliaient de leurs yeux morts d'objets. Comme s'ils désiraient sortir, comme s'ils étaient prisonniers ici.
C. secoua la tête.Tant de violons de maîtres, dans une même pièce, ce ne pouvait être qu'un paradis grandiose ! Mais C. ne pouvait s'empêcher de ressentir un malaise. Ces violons accrochés, dans une salle de collection reculée de campagne, prenaient une apparence lugubre... Fichés au mur comme des papillons morts, soigneusement conservés. Les murs gris et simples de la pièce, assez modeste par rapport au reste de la demeure, donnaient au tout une ambiance sordide qui prenait C. à la gorge. Oh, il ne fallait pas que cela gâche sa nuit. Il avait une magnifique amie toute prête à être cueillie, juste à l'étage supérieur. Il réajusta le col de son costume, et décida de ne plus penser à la collection de ce père si étrange.
- Charles ?
Le majordome apparut, presque immédiatement, dans l'embrasure de la porte.
- Monsieur désire que je l'accompagne au salon ?
- Oui, j'en ai fini, merci.
le majordome le raccompagna en silence dans le dédale des couloirs du manoir. Il l'amena dans une salle plus petite que les autres. Sur l'un des fauteuils rouges de velours l'attendait sa jeune hôte. Elle s'était changée, et portait maintenant une robe pourpre d'une pièce, qui révélait la blancheur de ses cuisses et de ses jolies épaules nues. À la lumière tamisée d'un feu de cheminée qui crépitait doucement au fond de la pièce, elle était si désirable...
C. la fixait d'un œil incrédule. Ce n'était pas une petite fille sage qui se dévergondait. Il en avait vu suffisamment pour le savoir. Son visage restait de marbre. Un marbre blanc immaculé.
Elle le regarda d'un air interrogateur, puis après quelques longues secondes, elle parla.
- Jouez.
Une voix impatiente, comme il s'y attendait. Enfin... pas exactement. C'était une impatience empreinte d'autorité, presque exaspérée.
- S'il vous plaît, je n'en peux plus d'attendre !
C. jeta un regard au visage de son hôte, et fut rassuré d'y revoir des yeux brillants d'admiration, et ce visage rassurant de jeune fille ingénue. Il effaça de sa mémoire cette transformation étrange qu'il avait entrevue un instant. Des jeux de lumière, sans doute, et peut-être l'ambiance générale du lieu, lui avaient un peu tourné la tête. Il avait bien à faire à une jeune naïve, stupide et ennuyée par son père un peu trop original.
Lorsqu'il posa son archet, il croisa le regard rêveur de la jeune fille.
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