<h1>Noelfic</h1>

Dante & Dante


Par : Loiseau

Genre : Réaliste , Sentimental

Status : Terminée

Note :


Chapitre 1

Publié le 04/09/13 à 23:00:48 par Loiseau

Un homme d’une quarantaine d’années est assis sur une chaise en bois devant une table toute simple, également en bois. Une chandelle à moitié consumée, enfoncée dans un petit chandelier en fer posé sur un coin de la table, éclaire la pièce d’une lumière vacillante. Dans sa main droite l’homme tient une plume de faisan en mauvais état qu’il trempe régulièrement et d’un geste tremblant dans un vieil encrier d’écolier. Devant lui traîne un tas de papiers jaunâtres. A la gauche de l’homme, un perroquet empaillé trône sur un perchoir.

– Testament… Beau titre pour un roman, beau titre… Mais ce n’est pas un roman que j’écris là, hein Dante ? Hein, vieille charogne aux plumes décolorées ? Non… C’est une… autobiographie. Une épitaphe que je rédige moi-même… Ou une confession, peut-être...

Il s’agite sur sa chaise et prend soudainement une voix de vieille femme.

- Oh mon père… Pardonnez-moi car j’ai péché ! Mon cher père Maxence, je vous supplie de m’absoudre, pitié….

Il lâche un petit ricanement aigrelet et reprend sa voix normale, sourde et inquiétante, presque incantatoire.

- Dieu sait que la religion ne sauve pas… Oui, il le sait. Jamais elle ne sauve. Moi je me confesse par écrit… Mais qu’ai-je à confesser, hein Dante ?

Un lourd silence s’installe dans la pièce tandis que l’homme reste tourné vers l’oiseau mort. La lumière tremblotante de la bougie semble donner un reflet diabolique aux yeux de verre de l’animal.

- Mes crimes, dis-tu ? Mais mon bon Dante… Tu ne sais rien de moi et de mes crimes, toi qui restes ici, enfermé toute la journée dans cette chambre… à te nourrir de larmes et de détresse… Est-ce toute cette détresse qui rendît ton plumage si laid ? Si vulgaire ? Tu es plus criard et coloré que toutes les putains de cet hôtel miteux ! Mais c’est ma maison maintenant… Notre maison, Dante…

Il se redresse sur sa chaise, le dos droit, et se mordille la lèvre d’un air concerné, comme en pleine réflexion.

- Tu crois que c’est un châtiment divin ? Que j’ai mérité ma souffrance ?.... Mais ? Tu hoches la tête, vile carne ! Répugnante éponge à merde ! Dieu n’existe PAS ! Quel Dieu tolérerait que moi, Dante, soit dans un tel malheur ? Et cette maudite chandelle qui fond !

Il se recroqueville sur lui-même, agité de frissons et de petits jappements d’angoisse. De longues minutes passent avant qu’il ne se calme quelque peu. Il se redresse et regarde fixement l’oiseau.

- Ne me regarde pas avec ces yeux là ! Va plutôt m’en chercher une autre… Volatile sans intérêt…

Un rire féminin se fait entendre dans le couloir. L’homme tourne le regard vers la porte, tout son corps tendu. Lorsque le rire et les voix se dissipent, il se retourne vers le perroquet.

- Tu sais Dante… Je devrais te cuire et dévorer dans l’instant ta vieille carcasse. Mais tu serais bien capable de m’empoisonner, fétide animal… Comme celle d’hier.

L’homme s’affaisse et se saisit la tête entre les mains.

- Je l’aimais, tu sais ? Tu le sais Dante, que je l’aimais ? Pendant quelques heures… Puis ma main a glissée un peu de cigüe dans son vin… Délicieux vin, d’ailleurs, Dante… Mais elle pourrit là-bas maintenant… Dans mon lit…
Elle sentait bon, pourtant. Maintenant sa douceâtre odeur envahit les lieux et emplit mes poumons… Elle était jolie, hein ? Je crois que j’étais amoureux. Toi aussi, non ?

Un sourire malsain traverse son visage tandis qu’il s’adresse à Dante le perroquet.

- Inutile de me mentir, mon défunt frère. Je t’ai bien vu l’observer du coin de ton œil de verre, pendant que je besognais son corps encore chaud… Nue… Belle… Et mienne !
Mon pauvre Dante si mal empaillé ! As-tu seulement connu une femme ? Bien sûr que non, suis-je bête ! Tu es si laid que tu ferais fuir la catin la plus aventureuse du pays ! Alors que moi…

Il s’arrête subitement et ses yeux s’écarquillent. Un murmure rauque s’échappe de ses lèvres.

- Seigneur... Je parle à un perroquet… Et cette gangrène à plumes ne daigne même pas répondre ! Saloperie ! Vas-tu répondre ?! Je suis duc, sacrebleu ! DUC !

Sa voix vacille et son regard se perd au loin. Un fin fil de bave orne son menton.

- Ou peut-être… baron ? Ou ne suis-je que Dante le tueur ? Tu sais Dante… C’est mon métier, ça. Semer la mort comme le paysan sème les graines. Le Roi lui-même, que l’Éternel le bénisse, me confiait des… tâches. Mais c’est fini… Il n’a plus besoin de Dante. Plus besoin de nous… Il m’a remercié, que Satan l’encule ! J’ai tué ! J’ai pillé ! J’ai violé ! j’ai corrompu jusqu’à la dernière parcelle de mon âme pour Sa Majesté ! Et la chandelle diminue toujours !

Les bras et le visage de l’homme sont agités de spasmes et de tics mais la vue de la bougie semble l’apaiser. Sa respiration redevient plus régulière, sa voix se fait moins aigüe.

- C’est une belle… allégorie. Sur la vie. La mienne. Peut-être aussi la tienne, qu’en penses-tu mon bariolé compagnon ? Tu sais ce qui a tout déclenché ? Toute cette machinerie infernale ? C’est cette femme…

Il désigne d’un geste vague et sans un regard un coin sombre de la chambre où l’on peut distinguer la forme d’un lit.

- Pas celle-ci, bien sûr… L’autre. La vivante… Est-ce que tu sais ce qu’elle m’a fait ? Tu le sais, Dante ? ELLE M’A SOUFFLETÉ ! EN PUBLIC !

Il pousse un hurlement de rage et frappe des deux poings sur la table. L’encrier s’envole et quelques gouttes d’encre atteignent le visage de l’homme qui se lève et se précipite vers le perchoir de Dante.

- ELLE EST LA ! ELLE ENVOIE L’ENCRIER ! Aide moi stupide piaf !

Il saisit l’oiseau par les pattes et frappe brutalement l’encrier à plusieurs reprises. Des plumes, de l’encre, des papiers et un peu de paille volettent dans la pièce où seuls les couinements de l’homme et le bruit des coups qu’il porte résonnent. A chaque battement de bras la flamme de la bougie vacille, mais tient bon.

Il finit par se calmer une nouvelle fois et repose l’oiseau, fort mal en point, sur son perchoir. Sa tête est à moitié arrachée, un œil de verre a roulé hors de son orbite et l’une des pattes est cassée.

- Dante, mon ami… Es-tu blessé ? Brave compagnon, est-ce dans notre bataille que – maudite chandelle, pourquoi ne cesses-tu pas de fondre ? – tu fus touché ? Ce démon travesti en encrier a bien failli nous posséder… Mais non, il a échoué… Grâce à toi ! Voici ta récompense, Chevalier Dante !

Il enfonce sa plume de faisan dans l’orbite vide de l’animal.

- La fière allure que tu as là, mon ami ! Que disais-je donc avant d’être grossièrement interrompu par ce marsouin ? La femme ? Quelle femme ? Ah ! Cette femme ! Belle… Si belle ! A en finir aveugle ! Et la garce m’a giflé au beau milieu de la cour du Roi ! Il m’a fallu fuir, tu comprends ? Quel fou serait resté face à pareil dragon ? Et au milieu des korrigans… Des courtisans ! De ces créatures efféminées, poudrées et emperruquées ! Ils courtisent la Bête… Le Cornu ! Le Roi n’est pas Dieu, le sais-tu ? Il est le Démon ! Baphomet en personne ! Mais chut, chut, trois fois chut mon ami ! C’est un secret…

La fenêtre s’ouvre brutalement sous l’effet du vent, le courant d’air souffle la bougie. La pièce s’assombrit.

- Ah… L’obscurité me gagne, Dante. Mais je n’ai pas…. je n’ai pas fini mon roman ! Ma confession… Pas fini de m’excuser auprès des morts. De mes morts ! Ils sont miens, n’est-ce pas ? Et ils devraient me remercier de les avoir tués ! Mais… Ils ne le feront pas, hein ? Ils sont morts. Comme toi, Dante. Mon fidèle et bavard comparse !

Il se lève et embrasse délicatement l’oiseau sur le front. Puis il reprend la plume de faisan et s’installe à nouveau à la table.

- La mort est belle. J’en suis certain. Car c’est dans le noir que je vois maintenant ta beauté sauvage, Ô Plumage Fauve. Serais-tu acteur ? Moi je mourrais bientôt après avoir joué dans la divine comédie de la vie d’athée. Ironique, ne trouves-tu pas ?

Il s’affaisse légèrement et sa voix faiblit.

- Dès demain les dragons du Roi seront là. Et ton pauvre Dante sera roué comme un vulgaire coupe-jarret. Le porteur de mort à qui la mort sera portée. Mais en attendant, j’écris…

Il se redresse, trempe la plume dans l’encre renversée et écrit sans rien dire. Une poignée de minutes plus tard, il se tourne vers le perroquet.

- Je te lis ce que j’ai écrit. Écoute bien : « L’illusion d’être en vie me portait quand je tuais, l’illusion d’être mort me met désormais à terre tandis que je vis »… Et je signe de mon nom, tu vois ? Voilà… Je vais me reposer un peu… Tu fais le guet, hein Dante ?

Il s’allonge au sol.

Commentaires

Pseudo supprimé

23/01/14 à 16:35:18

J'lavais lue y'a un moment déjà. J'aime bien la manière dont tu amène la folie dans ce texte :fier:

Daz

05/09/13 à 20:15:38

Merci du changement de titre :hap: je rejoignait la meme idée que Naon donc voilà quoi.

Pseudo supprimé

05/09/13 à 14:04:46

Merci, Nemesis!
C'est marrant que tu dises ça parce que j'ai lu récemment cette nouvelle de Poe, peut-être que je m'en suis inconsciemment inspiré quand j'ai réécrit le texte hier... En tous cas ça fait plaisir, comme compliment. :oui:

VonDaklage

05/09/13 à 02:37:19

Franchement sympa ce texte. On sent la folie et l'effort que met Dante dans sa narration, ca me rappele The Tell Tale Heart d'Edgar Poe. Relis-toi, car il y a des mots en trop, sinon rien a redire, le texte est bon, c'est fluide et pas pompeux malgré l'utilisation d'un vocabulaire assez soutenu.

Un 4 bien mérité Nemesis.

Pseudo supprimé

04/09/13 à 23:57:39

Titre changé, comme ça pas d’ambiguïté. :oui:

Pseudo supprimé

04/09/13 à 23:48:42

Tu te doutes bien que non. :hap:
Et puis, elle est terminée. C'est juste un court texte que j'ai écrit y'a un an et que je trouvais pas trop mal. :hap:

naon

04/09/13 à 23:43:38

La divine comédie est une œuvre visionnaire en représentation mathématique de l'univers.
Cette fic, portant le même titre, en fera-elle de même :question:

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