<h1>Noelfic</h1>

Les_enquetes_de_Barnabe_Delgrange


Par : Pseudo supprimé

Genre : Inconnu

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 2

Celui qui visait mal

Publié le 19/08/13 à 01:17:10 par Pseudo supprimé

La nuit tombait sur la luxueuse maison de retraite des Lilas Fleuris. Les lumières s’éteignaient peu à peu dans les chambres et seul le local des infirmières luisaient encore. On entendait vaguement le son crachotant d’une vieille télé diffusant une émission sur la reproduction des carpes dans les rivières pyrénéennes.

Les pensionnaires s’endormaient les uns après les autres, rêvant d’une vie meilleure, sans dentier ni déambulateur, sans Viagra ni compote de pomme à chaque repas. Demain on retrouvera sans doute de nombreux draps humides… Passé un certain âge, il devient difficile de contenir sa vessie.

Seul M. Barnabé Delgrange veillait encore, polissant son œil de verre dans un silence presque religieux. L’atmosphère rituelle n’était troublée que par le son régulier des gouttes d’eau fuyant du robinet en inox de la petite salle de bain de la chambre numéro 69, couloir C, bâtiment 2 de la maison de retraite des Lilas Fleuris…

Alors que dans le parc de la maison de retraite le silence s’installait, un cri déchirant perça la nuit, suivit d’un coup de feu, d’un second cri, d’un second coup de feu, d’un troisième cri, d’un juron sonore prononcé d’une voix grave et d’un troisième coup de feu qui s’avéra être le dernier.

Barnabé Delgrange dressa l’oreille, s’immobilisa un instant puis retourna à son occupation première en maugréant quelque chose à propos des gaz du propriétaire de la chambre voisine. Achevant son travail de nettoyage, il posa l’œil de verre dans un petit écrin adapté, à l’intérieur tapissé de velours vert olive. Puis il retira délicatement son dentier qu’il mit dans un verre rempli de whisky, le désinfectant le plus sain selon lui. Pour finir, il ôta également sa jambe de bois qu’il a toujours fermement refusé de remplacer par une prothèse dernier cri, avançant comme argument qu’une jambe de bois était plus économique pour se déguiser en pirate à Halloween. S’allongeant sur son lit, Barnabé Delgrange, ex-détective, se glissa dans les bras de Morphée.

Il fut tiré d’un sommeil agité par des cris effarouchés dans le couloir.

- FOUTRE DE BOUC ! Y’A T’Y PAS MOYEN D’ROUPILLER DANS C’T’HOSPICE ? demanda t-il courtoisement à l’infirmière qui entrait inopinément dans sa chambre

- M’sieur Delgrange ! C’est terrible ! Madame Gordy a été assassinée cette nuit !

Barnabé dévisagea un long moment la jeune femme au visage décomposé par l’angoisse et l’excès de fond de teint qui se tenait face à lui. Ses cheveux blonds décolorés et hirsutes la faisait ressembler à un zombie dans un film turc à petit budget. Il prit finalement la parole.

- J’peux avoir sa part de céréales ?

- J’espère que vous plaisantez ! Vous êtes détective, non ?

Le vieil homme se mit à ricaner grassement sans raison, son absence de dents produisant un son étrange, proche du bruit de succion. Puis il saisit sa jambe de bois, enfonça son dentier dans sa mâchoire, le fit claquer une ou deux fois puis prit l’œil de verre et l’engonça délicatement dans l’orbite creuse. Il se releva, mit rapidement un pantalon, une vieille veste en cuir brun, trouée aux coudes, par-dessus son marcel de nuit et ses charentaises écossaises.

- Emmenez moi voir ça, pouliche ! dit-il en lui claquant les fesses d’une main et en ramassant sa canne de l’autre

L’infirmière et Barnabé arrivèrent sur les lieux du crime, derrière le grand chêne du parc. Le corps de Mme Gordy, octogénaire vigoureuse aux cheveux de feu, reposait contre le tronc de l’arbre majestueux. La police était déjà là, relevant les indices probablement présents sur la scène du meurtre. Un flic basique s’approcha de Barnabé, un calepin à la main.

- Bonjour monsieur. Vous êtes bien Barnabé Delgrange, l’ancien détective prodige ? monotona t-il d’une voix agrémentée d’un fort accent toulousain.

Barnabé se redressa, emplit d’une fierté nostalgique à l’évocation de ses anciens exploits.

- Ouaip, c’est moi.

La flic lui lança un regard rappelant celui du basset et lâcha un petit soupir ennuyé.

- Bon ben alors faut dégager, monsieur. On nous a dit que vous viendriez fouiner, mais c’est non. Ordre du chef.

Barnabé leva sa canne et asséna un coup violent sur le gros orteil du bleu qui poussa un cri strident.

- MER IL ET FOU ! Foutez lui une muselière à ce vieux cabot !

Un bruit de batterie se fit entendre au loin alors qu’un ange passait sur la scène du crime, rougissant du jeu de mots honteux.

Barnabé poussa le flic et s’approcha du cadavre de l’ancêtre. Une balle avait visiblement traversée sa tête mais il y avait deux autres impacts, sur le tronc d’arbre derrière la vieille femme.

- Foutre de bouc ! Y savait pas viser, l’corniaud. marmonna l’ex-détective

- Et qu’en déduisez vous, Sherlock ? intervint une voix

Barnabé se retourna brusquement dans un bruit fracassant de vertèbres rhumatismées. En face de lui se tenait un quinquagénaire aux cheveux poivre-sel, portant un trench-coat gris, une fine moustache noire et un vieux Borsalino qui devait avoir l’âge de la victime.

- Je suis l’inspecteur Julien Morieux, de la DGSE. se présenta l’homme

- Barnabé Delgrange, des Lilas Fleuris. répondit Barnabé en tendant la main à son interlocuteur

Puis il ajouta

- J’peux savoir pourquoi, foutre de bouc, la DGSE se mêle de ça ?

L’inspecteur se frotta le menton, l’air pensif.

- En fait j’étais simplement venu voir ma maman à l’hôpital et j’ai entendu dire qu’il y avait eu meurtre, alors je suis venu jeter un œil.

Un silence gêné s’installa entre les deux hommes. Pendant ce temps, la police scientifique emportait le corps dans l’ambulance présente.


- Herm… Je disais donc : que déduisez-vous de l’examen du corps, M. Delgrange ?

- Que l’fumier qu’a tiré y savait pas viser.

- Et donc ?

- Et donc il est nul.

- Mais encore ?

- Il est très mauvais.

- Oui ?

- Rater deux fois son coup à bout portant c’est malheureux.

- Donc vous en pensez quoi ?

- Qu’il devrait prendre des cours.

Morieux fixa un long moment le vieil homme. Alors c’était ça Barnabé Delgrange, le détective qui avait résolu l’affaire du « Godemichet Malveillant » et de la « Vieille Femme Suspicieuse »… L’âge ne pardonnait pas.

L’inspecteur remit son chapeau d’un air désolé et tendit la main à Delgrange.

- Je vois… Et bien j’ai été ravi de vous rencontrer M. Delgrange, j’espère que le coupable sera très vite retrouvé.

- Oh mais il l’est déjà…

Morieux cligna des yeux, surpris.

- Ah vraiment ? demanda t-il doucement, comme à une personne souffrante.

Barnabé ne répondit rien et pointa sa canne vers un vieil homme en déambulateur, à une vingtaine de mètres, qui contemplait la scène.

- LE VOILA !

Et il se lança à toute vitesse en direction du malfrat qui, soudainement terrifié, s’enfuit. Malgré son déambulateur, l’homme était rapide et Delgrange sentait son cœur battre la chamade dans sa poitrine. La sueur commençait à perler sur son front, son visage était fouetté par le vent frais et il ne voyait plus que l’assassin qui n’était plus qu’à quelques mètres de lui. Ce dernier se retourna brusquement, un revolver à la main, et tira sur Barnabé. Par chance, il manqua sa cible et trébucha alors qu’il s’apprêtait à tirer une deuxième fois.

- KAOC’H ! beugla le tireur

- FOUTDEBOUC ! beugla Barnabé

- NIQUE TA MERE ! beugla un jeune en stage de réinsertion

- MONTJOIE ! beugla Papy Godefroy depuis son fauteuil roulant « Viking » avec les bras sculptés en forme de dragons

- Bah putain… murmura Julien Morieux, inspecteur à la DGSE et futur alcoolique anonyme

Les flics encore présents se précipitèrent vers les deux ancêtres qui se battaient au sol, Barnabé ayant réussi à envoyer valser le revolver de l’assassin et tentant maintenant d’assommer ce dernier à coups de jambe de bois.

De loin, Morieux regardait le spectacle, la tête vide. Delgrange avait agressé un homme sans raison particulière et il s’avérait que cet homme soit probablement le tueur, puisqu’il avait un revolver et que l’examen balistique justifierait probablement l’arrestation du vieillard en déambulateur. Il soupira. Comment ce vieux sénile avait-il découvert l’identité du meurtrier en quelques secondes ? Fallait tirer ça au clair.

L’homme en déambulateur, qui se dénommait Arnold Painpesé, fut embarqué par la police après les avoir copieusement insulté en breton. Un flic resta prendre la déposition des quelques témoins, en prenant soin de ne pas aller ennuyer Delgrange qui fulminait après que sa jambe de bois se soit cassée sur le crâne de Painpesé.

- Si je r’chope ce buveur de cidre consanguin j’lui cuisine la bite avec du beurre salé ! promit-il à l’infirmière qui dût le porter jusqu’à sa chambre.

Ce n’est que le lendemain de l’affaire que Delgrange reçut la visite de Morieux. Celui-ci s’assit sur une chaise en bois, près du lit sur lequel lisait Barnabé. Il posa son chapeau sur ses genoux et entama la conversation avec le détective.

- Monsieur Delgrange… Vous savez que M. Painlevé a bien été arrêté…. et qu’il s’est avéré être effectivement le coupable…

-Bien sûr que je le sais, foutre de chameau ! C’est moi qui l’ai arrêté, ce bouffeur de crêpes !

- Vous étiez sûr dès le départ que c’était lui l’assassin ?

- Bah évidemment, je l’aurais pas arrêté sinon !

Morieux se tût un instant. Il y avait donc une mystérieuse logique dans la caboche du vieux ?

- Et… Comment le saviez vous ?

- Ben c’est logique, abruti. Le tueur visait mal, il devait donc avoir un grave problème de vue. Ici tout le monde est bigleux, évidemment ! Mais on a que deux borgnes ! Moi et cet enculeur de porc d’Arnold ! Je l’ai jamais aimé, l’Breton !

- Ce n’est pas une preuve.

- J’sais bien, mais quand j’ai vu qu’il était revenu sur les lieux du crime, j’ai compris que c’était lui.

- Ce n’est pas une preuve non plus, Monsieur Delgrange. soupira Morieux

- Non, mais ça m’a suffit. Et j’ai eu raison de l’arrêter, l’infirmière m’a dit qu’on avait retrouvé un billet de train pour Poul-Fetan dans sa chambre ! UN ALLER SIMPLE !

Morieux eu un instant de réflexion. Le problème dans cette affaire c’est que Barnabé avait agît logiquement, mais pas de manière professionnelle, et cela risquait de poser problème si, par hasard, on devait de nouveau faire appel à lui pour résoudre une enquête tordue. L’inspecteur soupira. La seule raison pour laquelle Delgrange était le meilleur pour résoudre les énigmes tordues c’était que son esprit aussi était tordu. Morieux se leva et remit son chapeau.

- Bien… Monsieur Delgrange, je pense qu’il serait bon que vous partiez un peu en vacances… Cette maison de retraite est étouffante…

- V’savez inspecteur… Je songe à rouvrir mon cabinet de détective.

- A votre âge ? rit doucement Morieux

- C’est toujours mieux que de crever lentement dans cet hospice, nan ? Par tous les putois, j’ai envie de profiter de mes dernières années, moi ! s’énerva le vieil homme

Morieux hocha la tête.

- Vous avez raison, c’est toujours mieux. Bon courage, détective !

Et il sortit, refermant délicatement la porte derrière lui et laissant le vieux détective contempler le plafond de sa chambre étroite.









Fin du premier épisode

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