« Je... ne dirais... rien ! »
Le dragon tonnait d'une voix caverneuse. Laissant l'air vibrer en un trait de douce et grave puissance. Ses yeux portaient déjà la trace blanchâtre d'une mort qui le prenait au ventre, le saisissant avant l'heure.

Irrité, Rushu armait son poing, s'apprêtant à lui clouer la tête au sol. Il explosa :

« Raclure de poulet de basse coure ! Je t'ai acheté, tu m'appartiens, OUAIS ! Déjà que t'es même pas foutu de te laisser digérer, tu pourrais au moins avoir la décence de répondre à ton maître ! Espèce de put... »

Un coup sourd détonna. Sortit de nulle part, un lourd bâton écrasa violemment la face de l'Ogre, lui arrachant un cri de douleur. Le magicien tendait le bras, armé, le foudroyant du regard. Le manque de tact de son client l'irritait visiblement au plus haut point. N'importe qui d'à peu près normal aurait eu envie de partir d'ici le plus vite possible. Ils étaient dans le ventre d'un Ogre après tout, et lui, il ne l'avait pas oublié. Les dragons étaient d'une telle mauvaise fois et entretenaient un ego si disproportionné qu'il en avait tiré un plan pour se sortir d'affaire rapidement.

Alors, se tournant en direction du lourd reptile, il tenta à son tour :

« Veuillez l'excuser, noble dragon. Ôh, fabuleuse légende, toi qui es si supérieur à nous, pauvres mortels, blattes incompétentes. Il est connu de toutes les terres que votre savoir n'a d'égale que vôtre force et vôtre capacité à survivre. Vous pourfendez les trolls, calcinez les elfes et mettez même les divins Ogres à genoux. Vous n'en faites qu'une... bouchée ! »

Le mage se retint difficilement de pouffer. Il l'imaginait effectivement raconter à ses congénères de quelle manière il s'était vaillamment battu contre l'abomination. Contre un couvert du démon. Et comment cette fourchette l'avait malheureusement emporté par son intelligence et sa ruse incroyable.

« Nous avons néanmoins un reel besoin d'en savoir plus. Pousuivit-il d'un mal contenu. Et puis, après tout, avez-vous ne serait-ce qu'une raison de ne pas nous répondre ? Nous venons de vous sauver, ce n'est pas rien tout de même... »

Le mage regardait Rushu du coin de l'oeil. Espérant secrètement que le dragon soit dupe et ne fasse pas le lien avec ce monstre, qui l'avait amené ici planté dans une fourchette géante.
Un rire gras surgit alors, bientôt couvert par une toux sanglante. L'être fabuleux crachait un liquide écarlate :

« Misérables petites créatures ! Vous avez raison sur un point. Vous m'avez sauvé. Alors, je vais vous répondre... Oui, je vais vous dire pourquoi ! Pourquoi je ne vous dirais rien ! »

Un éclat nerveux, moquerie vulgaire, éclata à nouveau :

« Vous ne saurez rien de moi, car vous êtes tous les mêmes ! Mépriseurs et sournois ! Vous êtes pareils que les humains. Ces vils qui m'ont capturé malgré ma force sans pareil, en m'attachant durant mon sommeil, en me prenant en traîtres. Et malgré leurs chaînes et les sorts si puissants de leurs mages, mon souffle est parvenu à les décimer par dizaines... De milliers ! »

Comme pour appuyer ses dires, il souffla brusquement du nez. Dans un concert d'étincelles, la morve se mêla à un gaz enflammé.

« Tremblez, pauvres fous ! Il reste assez de pouvoir en moi pour brûler ce monde dans sa totalité ! Je le dis pour la dernière fois, laissez-moi dormir en paix, je jure de ne jamais rien vous dire ! Répugnantes petites merdes. Vous ne valez rien en face de ma puissance sans limi.... »

Sans prévenir, il s'arrêta brusquement en se redressant, les yeux exorbités. Transercé de douleur, son visage se décomposa. Il ne se contînt de hurler qu'à grand renfort de coups de patte à terre, tout en essayant de reprendre son souffle :

« Ahhhh... Ahhhh... Ahhh... Je vais tout vous dire !!! Je l'ai vu ! Une elfe minuscule, oui ! Tout au fond de la vallée, droit devant vous ! Au pied du grand mur habité ! Près des patrouilles de la mort ! Laissez-moi partir ! »

Sur la fin sa voix s'était brisée. Il s'enfuit sans demander son reste, s'écroulant quelques mètres plus loin pour agoniser en paix.
Le mage ne comprenait pas, sa tête lui tournait... Les dragons étaient encore plus loufoques que l'on le lui avait appris.

« Bah il a juré... Il a juré qu'il ne dirait rien. Donc, j'ai croqué, normal il servait à rien s'il parlait pas... »

Un gros morceau de queue en travers de la gorge, Rushu tentait de se défendre d'une voix hésitante et coupable :

« C'est vrai quoi... il a juré, c'est qu'il le ferait pas. Il l'a fait : c'est un menteur ! Alors euh... Il l'a mérité ! »

Son compagnon secoua la tête. Un sourire au bord des lèvres. Sa gourmandise leur avait sans doute sauvé la mise pour une fois, bien qu'ils auraient pu se douter du chemin à emprunter... Au moins, ils étaient bel et bien fixés. Comme quoi, même un Ogre peut en avoir dans le crâne !
Alors, tournant le dos à Rushu, il se mit en marche en secouant le bras d'un air qui se voulait blasé :

« Ouais, ouais, c'est comme tu dis. Bon moi je vais par là où il nous a indiqués. Je te le laisse, il m'a vraiment tapé sur le système ce con. T'auras qu'à me rejoindre en route. Bon appétit ! »