Chapitre_de_passage,_va_bientot_gicler_d__la
Par : Pseudo supprimé
Genre : Inconnu
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 2
Publié le 19/08/13 à 01:12:04 par Pseudo supprimé
Je me retournai. La créature que je vis alors me dépassait d'au moins une tête. Son corps semblait immatériel, informe, en constante métamorphose. On pouvait toutefois y reconnaître deux membres ainsi qu'une sorte de visage blanc, en haut de la colonne ondulée qui la maintenait debout. Ce qui devait être son cou était camouflé par un grand col de bois rigide, et les mains qu'elle faisait lentement danser au bout de ses bras maigres étaient couvertes de sang, jusqu'au delà de ses poignets.
« Sssssaluuut... petiiite déessssse... me lança-t-elle sur un ton grotesque.
Cette créature me fixait avec une profonde haine dans le regard. Une souffrance particulière-ment écoeurante. Des marques sombres entouraient ses yeux jaunes et agressifs, lui donnant la vague apparence d'un crâne. Ses lèvres étaient plus retroussées que je ne l'aurais jamais cru possible chez un animal, et ses dents plus laides que celles d'un vieux sexagénaire. De longues rides cernaient de chaque coté sa bouche et son nez aplati.
Horrible. Hideux. Nombreux sont les mots qui me viennent pour décrire cette vision. Vraiment, pouvait-on appeler cela un visage ? De toute ma jeune vie, jamais je n'avais croisé quoi que ce fût de semblable, en dehors de mes cauchemars les plus fous. Cette rencontre me paralysait. D'ailleurs, il semblait que ce fût cela qui faisait tant jouir la créature devant moi. Je ne savais que dire, ni même que penser.
Mon premier geste fut alors d'envoyer ma dague sur son apparente poitrine, une demi-seconde avant qu'elle ne cessât de l'être, justement, partie comme une flêche sur ma droite sans que j'eusse le temps de rien comprendre.
Un rire mesquin retentit entre les arbres. A ce moment, les autres silhouettes réapparurent, une à une, telles des étoiles filantes déchues de leur lumière et complètement désorientées. Au premier abord, du moins, car il s'avéra bien vite qu'elles s'arrangeaient toujours pour passer juste derrière ou à coté de moi, à quelques mètres de distance, sûrement dans le but de me stresser plus que je ne l'étais déjà. L'une de ces créatures me frôla de si près qu'elle en fit se soulever des mèches de mes cheveux. La surprise faillit presque m'arracher un cri. A peine cette ombre avait-elle disparu, au loin, qu'une autre chercha elle aussi à m'effleurer dans sa course. Machinalement, je hasardai un coup de dague sur sa trajectoire mais ne fis hélas que frapper le vent, pas assez rapide pour ma cible. Tandis que j'essayais de reprendre mes moyens, une des silhouettes finit par me percuter les jambes à son passage, me faisant voltiger sur place avant de m'étaler par terre. Immédiatement, je me relevai pour récupérer mon poignard, que j'avais lâché dans ma culbute, mais une autre créature le ramassa à toute vitesse avant moi. Ulcérée au plus haut point, je tendis finalement les bras et figeai ainsi le temps grâce à mon pouvoir divin, pour reprendre mon avantage.
Les mouvements de la jungle ralentirent. Les formes noires qui m'entouraient se précisèrent, trop peu hélas pour être vraiment à ma merci. Quelques mètres plus loin, celle en possession de mon arme se braquait alors vers moi, tout en faisant lentement tournoyer l'objet au dessus de sa main sanguinolente. Après l'avoir saisie au vol sans la moindre difficulté, elle le planta impassiblement dans son bassin, sur le flanc, puis s'étira le dos avec frisson, là où bientôt se mirent à pousser plusieurs autres lames d'une couleur rouge-vive.
– Aaaaahhhrr... râla-t-elle dans un murmure, avant de me regarder. Sssssi tu sssssavais queeelle aaarme sssss'est... Kaileenaaa... d'avvvoir maaaaal...
Le monstre inspira en serrant les dents, de plus en plus nerveux. Puis il arracha ensuite deux lames à son corps, sous les omoplates, et les lança dans ma direction l'une après l'autre. Ces projectiles pénétrèrent dans l'air comme un filet d'eau dans le sol, avec mollesse et lourdeur, tant et si bien que je n'eus aucun problème à les éviter. Mon agresseur détala un peu plus loin, ma dague toujours enfoncée dans son bassin, ce qui me laissa totalement démunie face à la nouvelle silhouette qui fondait maintenant sur moi, quoique plus lente sous l'effet de mon pouvoir. D'un geste violent, je tentai de la cogner avec mon poing, mais elle eut assez de réflexe pour le stopper dans sa poigne, les doigts aggripés autour des miens. Avant qu'elle tirât profit de cette emprise sur mon seul moyen de défense, je poussai dans le même élan son bras vers le bas et dégageai ma main de la sienne avec brusquerie. La créature continua son chemin pendant que je reprenais mes appuis.
– Résssssissste... Résssssissste... m'ordonna-t-elle insidieusement. Tuuu ne pourras pas m'écchhhapper...
A nouveau, des lames sortirent de derrière un buisson pour arriver droit sur moi. Je me baissai instantanément hors de leur trajectoire et attendis qu'elles furent passées. Dès que je me redressai, une de ces ombres me surprit, non loin, apparue de nulle part. Dans chacune de ses mains, elle tenait un poignard aussi écarlate que les précédents, l'attitude menaçante. Je tremblais de tout mon long.
– Mais qu'est-ce que vous me voulez ?! criai-je alors.
– Riiiiien... JJJe ne veux plus riiiien... cracha-t-elle en glissant vers moi et en levant hargneu-
sement le bras gauche comme pour envoyer sa dague sur ma poitrine. Plus de ffforêt... Plus d'êtres vvvivants... Plus de natuuure... JJJe ne veux même plus de mooiii...
Aussitôt, je plongeai à plat ventre sur le coté. Son attaque râta et elle s'éclipsa dans la végétation. Des bruits de bêtes résonnèrent soudain, dans les parages. Mes battements cardiaques s'affolaient complètement. Je ne savais plus du tout quoi faire. Qu'était-il en train de se passer ? Je ne comprenais plus rien. Des malheurs se préparaient. J'étais morte de peur. Les secondes fuyaient.
– Qui êtes-vous... chuchotai-je, terrifiée.
Le silence gagna les lieux, m'effrayant plus encore. Tout à coup, trois silhouettes aussi vilaines les unes que les autres m'encerclèrent d'un même mouvement, puis se tinrent là immobiles, comme passives. Rien ne pouvait m'indiquer à quel moment elles engageraient le combat. Je repérai alors, parmi elles, la créature qui m'avait volé mon arme, ou du moins qui la tenait à cet instant plantée dans son bassin, et à laquelle j'allais donc devoir me mesurer si je voulais la reprendre. Immédiatement, elle y posa ses doigts, un sourire en coin, par prudence autant que par provocation. La garce m'adressa alors une réponse.
– JJJe sssssuis tes caucchhhemars... tes douuutes... tes colèèères... siffla-t-elle avec fureur. JJJe sssuis tout ssse que tu détessstes...
Le temps qu'elle prononçât ces mots, je m'étais élancée vers elle et m'apprêtais à lui retirer ma dague, profitant de son manque d'attention. L'être ténébreux ne réagit que trop tard. Je lui rentrai dedans, le coude en avant, tellement fort qu'il lâcha à son tour le poignard de verre que je m'empressai alors d'attraper. Le sang gicla quand je l'extrayai du monstre. Sans pitité, je brandis violemment cette lame en direction de sa tête mais celle-ci l'esquiva d'un bref mouve-ment latéral. Mon deuxième essai, un coup circulaire, ne fut pas plus efficace.
– Tuuu ne peux pas me vaiiincre... me souffla-t-elle à l'oreille tout en me prenant à la gorge de sa main humide. JJJe sssssuuiiis...
La créature me traîna sur une petite distance, avant de me jeter loin dans l'herbe à la force
de son bras. Mon corps dérapa sur près de cinq mètres, avant de s'immobiliser. J'avais le
dos en feu et la respiration difficile. Mon ennemi écarta ensuite les bras de manière arrogante, et conclut :
– Ton ooombre...
Alors seulement, pertubée par ces paroles, je compris la gravité de la situation. Celle-ci, en effet, m'échappait totalement. Je ne savais plus du tout où j'en étais. Je me sentais complète-ment perdue. Les formes noires, sous mes yeux, devenaient comme folles. L'une d'entre elles me lança une nouvelle rafale de pointes aiguisées, m'obligeant à rouler sur ma droite et à partir en vitesse. Mon sang tambourinait contre mes tempes. Je m'arrêtai au bout de quelques foulés, inquiète. Il ne me restait manifestement plus qu'un seul espoir, même s'il tarderait sûrement à venir jusqu'ici. Ils étaient les derniers à qui je pouvais encore faire appel. Ou du moins, c'était ce que je pensais.
– Pauvvvre naïïïïïvvve... ricana l'une des ombres. Croiiis-tu vraiiiment que les maîîîtres des cooorbeeaauux te viiiendrons en aaaiiide... ? Queeelle ssssstupiditééé... petiiite déessssse...
L'angoisse me prit. J'appéhendais terriblement ce qu'elle voulait dire par là. Cela faisait environ trente-trois minutes que j'avais quittés mes hommes dans le refuge. Depuis, il pouvait leur être arrivé n'importe quoi sans que je le sache. Je n'avais aucune idée de ce qu'ils étaient devenus. Mais ce n'était pas le cas de mes ennemies, visiblement. L'ombre me l'avait déclaré avec tellement de mépris, tellement de sarcasme... Je sentais un piège me guetter. Le doute s'insinua en moi. Qu'avaient-elles bien pu leur faire ?
– Oooooh... Les piiires maauuux... répondit une silhouette apparue au loin, entre deux troncs. JJJe les aiii envvvoyés paîîîtrre dès leur arrivvvééée... JJJe me sssuis moquééée de leur détressssse comme aucuuune vipèèère ne l'a jjjamais faiiiiit... JJJ'en aiii fffait mes esssssclaves... JJJe les aaiii tousss traîîîtés comme de parfffaites vermiiines... JJJe les aiii abandonnééés à leur malédicsssiiooon... JJJe leurr aiii exsssiiijjjé les plus ruuudes ssssservissses... JJJe les aiii exsssposssés aux danjjjers les plus morteeels... JJJe ne leur aiii jjjamais montrééé la moiiindre reconnaisssanssse pour sssssa... JJJ'aiii toujjjours pensssé à mes intérêêêts... JJJamais aux leeuuurs... JJJamais à eeuuux... JJJe les aiii fffaits cchhhanter pour qu'ils m'obéisssssent... JJJe leur aiii volééé leur nourrituuurre... Oooh... Ouiii... JJJe les aiii fffaits sssouffriiir... JJJe les aiii fffaits sssouffrir et pour riiien au mooonde ils ne viiiendraient me sssssauver...
Ma gorge se serra de tristesse, mais je ravalai tout de même les sanglots qui montaient en moi. Il était hors de question que je cédasse pour un simple sermon persiflé. Néanmoins, la prise de conscience était bien amère. Les guerriers n'avaient-ils vraiment aucune raison de me secourir ? Une ombre arriva à ma gauche et me coupa dans ma réflexion, sur le point de me transpercer avec son arme. Je bloquai rapidement son attaque de mon avant-bras tout en levant ma propre lame en retour. Mais la créature était déjà partie.
– Si les maîtres de corbeaux n'agissent pas selon mes ordres, je les torturerai jusqu'à ce qu'ils en oublient leur propre nom ! gémis-je avec violence.
Les silhouettes se mirent à couiner de rire.
– Ààà condisssion ssseulement que jjje te laissssse un fffutur à employeeer... corrigea l'une d'entre elles. Maiiis n'étaiiit-ssse pas jussstement l'insssertitude de ssselui-sssssi qui te faisssait réclameeer leur aiiide... ? Sssi comme tu le craiiins jjje vaiiis t'enlevvver la viiie... Ààà quoiii peut bien teniiir maiiintenaaannt ton autoritééé sur eeuuux... ? Tuuu n'es pas asssez niaissse pour croiiire à une envvveloppe ssspectrale aprèèès ta mooort...
L'évidence s'abattit sur mes pensées, avec la rudesse d'une douche froide.
– Combiiien de teeemps te fffaudra-t-iiil pour compreeendre... ? Isssiiiii... Tu es ssssseule... petiiite déessssse... acheva l'horrible créature.
Ce fut alors qu'une pluie de dagues surgit du décor, cette fois lancées depuis plusieurs en-droits différents, chacune braquée sur moi. Les dangereuses lames venaient de tous les co-tés, de devant, de derrière, de travers... Je dus faire preuve de beaucoup de vigilance et d'agilité pour les éviter toutes en même temps. Les ombres, derrière les arbres, se déplaçaient sans cesse d'un point de tir à un autre, essayant de me surprendre. Leur précision devenait de plus en plus redoutable. Certains projectiles me passèrent juste sous le nez, d'autres au ras du dos. Mais ma chance par rapport à cela ne fut pas de longue durée lorsque, soudain, le temps revint à la normale, et rendit à ces créatures leur rapidité initiale tout comme à leurs lancers mortels. Je ne pus alors prévoir la dague qui vint entailler mon poignet, incisive, et qui me fit lâ-cher mon arme de douleur. Je plaquai alors mon autre main sur la plaie, courbée vers l'avant, les dents serrées. Il était même trop tard pour appeler les fauves au secours, maintenant. Ma défaite était cuisante. Irrémédiable.
– Pourquoi... sanglotai-je en fermant les yeux.
Une ombre fonça sur moi et m'emporta contre un tronc d'arbre, les mains sur mes épaules. Le choc me coupa le souffle net.
– Qu'impooorte la raissssson... me répliqua-elle tandis que j'écartais ses bras pour m'en dé-faire, ce à quoi elle opposa une pression sur mes mains avec les siennes, pour me maintenir. Ta viiie n'a aucun ssseensssss... Tu ne te lèvvves un autre matiiin que pour cchhhassser... Tu ne cchhhassses que pour te coucchhher un autre sssssooir... Maiiis mooiii... De tout ssssaa... JJJ'en ai assssseeez... Tuuu compreeends... ? JJJe n'en peux pluuus... Kaaaiileenaaa... Tout sss'est éteiiint... Aujjjourd'huiii... Mon coeuuur... Luiii... Ne bat que pour te haïïïr...
Les images se brouillèrent devant moi, y compris celle très proche du monstre. Mon front était plus lourd qu'une pierre. Mes joues plus chaudes qu'un feu. Une perle humide vint bientôt le rafraîchir, inattendue. J'étais en train de pleurer.
Quelque chose de déroutant se produit alors. A travers les larmes qui s'accumulaient entre mes paupières, je vis plusieurs gouttes noires s'écouler sous les cernes de la créature, avant de disparaître sous son col de bois, comme si elle pleurait elle aussi. D'un coup, son expression changea. Ses muscles se détendirent légèrement, dans ses membres comme dans son visage. Moi-même, j'avais arrêté de forcer sur ses bras. Car une vision proprement bouleversante m'occupait alors l'esprit : ainsi face à face, les yeux dans les yeux, les mains dans les mains... nous étions comme jumelles. Nous n'avions aucune différence. Elle était moi et j'étais elle. Nous nous ressemblions en tous points. L'une à l'autre fidèle comme l'aurait été un reflet dans une flaque d'eau...
Et ce fut comme cela que je compris. Cette silhouette était mon reflet. Toutes étaient mon reflet. Celui que j'avais vu dans un trou innondé dix-huit heures plus tôt, pendant le déluge, juste après m'être cognée contre ce rocher et avoir saigné de la lèvre. Sans que je m'en fusse aperçue, mon sang avait coulé dans le liquide ténébreux, là où m'était renvoyée mon image obscurcie. C'était comme cela que je lui avais donné vie.
L'expression de cette pauvre femme perdue dans la tempête me revint alors en mémoire. Mor-bide. Hargneuse. Tellement obsédante, finalement, que je n'avais pas osé la regarder en face, ni cherché à connaître sa vraie identité par la suite. Mais pourtant, elle existait. Elle vivait. Elle ressentait, dorénavant. Quelle que fût l'ampleur de mon pouvoir, ou l'obéissance de mes guer-riers, ou même la portée de mon aveuglement. Et ce qu'elle ressentait, hélas, était la plus hor-rible monstruosité que j'eusse jamais pu voir, jusqu'à ce jour nuageux. Ce dernier, pensais-je alors, car il ne faisait aucun doute que de tels sentiments me réservaient encore les pires tor-tures, pour les prochaines secondes à venir. Je ne les devinais que trop bien, depuis le temps qu'elles tentaient mon esprit. On n'imaginait pas tout ce qu'une dague pouvait couper, encore moins plusieurs. La gorge... Les veines... La langue... Les doigts... Les seins... Le ventre... Il fallait avoir un esprit au moins aussi pervers que le mien, pour cela. Exactement comme celui dont j'étais captive à cet instant. Mon souffle se calma, désespéré. L'ombre me lâcha lente-ment les mains avant de les baisser. Je savais pourquoi.
« Sssssaluuut... petiiite déessssse... me lança-t-elle sur un ton grotesque.
Cette créature me fixait avec une profonde haine dans le regard. Une souffrance particulière-ment écoeurante. Des marques sombres entouraient ses yeux jaunes et agressifs, lui donnant la vague apparence d'un crâne. Ses lèvres étaient plus retroussées que je ne l'aurais jamais cru possible chez un animal, et ses dents plus laides que celles d'un vieux sexagénaire. De longues rides cernaient de chaque coté sa bouche et son nez aplati.
Horrible. Hideux. Nombreux sont les mots qui me viennent pour décrire cette vision. Vraiment, pouvait-on appeler cela un visage ? De toute ma jeune vie, jamais je n'avais croisé quoi que ce fût de semblable, en dehors de mes cauchemars les plus fous. Cette rencontre me paralysait. D'ailleurs, il semblait que ce fût cela qui faisait tant jouir la créature devant moi. Je ne savais que dire, ni même que penser.
Mon premier geste fut alors d'envoyer ma dague sur son apparente poitrine, une demi-seconde avant qu'elle ne cessât de l'être, justement, partie comme une flêche sur ma droite sans que j'eusse le temps de rien comprendre.
Un rire mesquin retentit entre les arbres. A ce moment, les autres silhouettes réapparurent, une à une, telles des étoiles filantes déchues de leur lumière et complètement désorientées. Au premier abord, du moins, car il s'avéra bien vite qu'elles s'arrangeaient toujours pour passer juste derrière ou à coté de moi, à quelques mètres de distance, sûrement dans le but de me stresser plus que je ne l'étais déjà. L'une de ces créatures me frôla de si près qu'elle en fit se soulever des mèches de mes cheveux. La surprise faillit presque m'arracher un cri. A peine cette ombre avait-elle disparu, au loin, qu'une autre chercha elle aussi à m'effleurer dans sa course. Machinalement, je hasardai un coup de dague sur sa trajectoire mais ne fis hélas que frapper le vent, pas assez rapide pour ma cible. Tandis que j'essayais de reprendre mes moyens, une des silhouettes finit par me percuter les jambes à son passage, me faisant voltiger sur place avant de m'étaler par terre. Immédiatement, je me relevai pour récupérer mon poignard, que j'avais lâché dans ma culbute, mais une autre créature le ramassa à toute vitesse avant moi. Ulcérée au plus haut point, je tendis finalement les bras et figeai ainsi le temps grâce à mon pouvoir divin, pour reprendre mon avantage.
Les mouvements de la jungle ralentirent. Les formes noires qui m'entouraient se précisèrent, trop peu hélas pour être vraiment à ma merci. Quelques mètres plus loin, celle en possession de mon arme se braquait alors vers moi, tout en faisant lentement tournoyer l'objet au dessus de sa main sanguinolente. Après l'avoir saisie au vol sans la moindre difficulté, elle le planta impassiblement dans son bassin, sur le flanc, puis s'étira le dos avec frisson, là où bientôt se mirent à pousser plusieurs autres lames d'une couleur rouge-vive.
– Aaaaahhhrr... râla-t-elle dans un murmure, avant de me regarder. Sssssi tu sssssavais queeelle aaarme sssss'est... Kaileenaaa... d'avvvoir maaaaal...
Le monstre inspira en serrant les dents, de plus en plus nerveux. Puis il arracha ensuite deux lames à son corps, sous les omoplates, et les lança dans ma direction l'une après l'autre. Ces projectiles pénétrèrent dans l'air comme un filet d'eau dans le sol, avec mollesse et lourdeur, tant et si bien que je n'eus aucun problème à les éviter. Mon agresseur détala un peu plus loin, ma dague toujours enfoncée dans son bassin, ce qui me laissa totalement démunie face à la nouvelle silhouette qui fondait maintenant sur moi, quoique plus lente sous l'effet de mon pouvoir. D'un geste violent, je tentai de la cogner avec mon poing, mais elle eut assez de réflexe pour le stopper dans sa poigne, les doigts aggripés autour des miens. Avant qu'elle tirât profit de cette emprise sur mon seul moyen de défense, je poussai dans le même élan son bras vers le bas et dégageai ma main de la sienne avec brusquerie. La créature continua son chemin pendant que je reprenais mes appuis.
– Résssssissste... Résssssissste... m'ordonna-t-elle insidieusement. Tuuu ne pourras pas m'écchhhapper...
A nouveau, des lames sortirent de derrière un buisson pour arriver droit sur moi. Je me baissai instantanément hors de leur trajectoire et attendis qu'elles furent passées. Dès que je me redressai, une de ces ombres me surprit, non loin, apparue de nulle part. Dans chacune de ses mains, elle tenait un poignard aussi écarlate que les précédents, l'attitude menaçante. Je tremblais de tout mon long.
– Mais qu'est-ce que vous me voulez ?! criai-je alors.
– Riiiiien... JJJe ne veux plus riiiien... cracha-t-elle en glissant vers moi et en levant hargneu-
sement le bras gauche comme pour envoyer sa dague sur ma poitrine. Plus de ffforêt... Plus d'êtres vvvivants... Plus de natuuure... JJJe ne veux même plus de mooiii...
Aussitôt, je plongeai à plat ventre sur le coté. Son attaque râta et elle s'éclipsa dans la végétation. Des bruits de bêtes résonnèrent soudain, dans les parages. Mes battements cardiaques s'affolaient complètement. Je ne savais plus du tout quoi faire. Qu'était-il en train de se passer ? Je ne comprenais plus rien. Des malheurs se préparaient. J'étais morte de peur. Les secondes fuyaient.
– Qui êtes-vous... chuchotai-je, terrifiée.
Le silence gagna les lieux, m'effrayant plus encore. Tout à coup, trois silhouettes aussi vilaines les unes que les autres m'encerclèrent d'un même mouvement, puis se tinrent là immobiles, comme passives. Rien ne pouvait m'indiquer à quel moment elles engageraient le combat. Je repérai alors, parmi elles, la créature qui m'avait volé mon arme, ou du moins qui la tenait à cet instant plantée dans son bassin, et à laquelle j'allais donc devoir me mesurer si je voulais la reprendre. Immédiatement, elle y posa ses doigts, un sourire en coin, par prudence autant que par provocation. La garce m'adressa alors une réponse.
– JJJe sssssuis tes caucchhhemars... tes douuutes... tes colèèères... siffla-t-elle avec fureur. JJJe sssuis tout ssse que tu détessstes...
Le temps qu'elle prononçât ces mots, je m'étais élancée vers elle et m'apprêtais à lui retirer ma dague, profitant de son manque d'attention. L'être ténébreux ne réagit que trop tard. Je lui rentrai dedans, le coude en avant, tellement fort qu'il lâcha à son tour le poignard de verre que je m'empressai alors d'attraper. Le sang gicla quand je l'extrayai du monstre. Sans pitité, je brandis violemment cette lame en direction de sa tête mais celle-ci l'esquiva d'un bref mouve-ment latéral. Mon deuxième essai, un coup circulaire, ne fut pas plus efficace.
– Tuuu ne peux pas me vaiiincre... me souffla-t-elle à l'oreille tout en me prenant à la gorge de sa main humide. JJJe sssssuuiiis...
La créature me traîna sur une petite distance, avant de me jeter loin dans l'herbe à la force
de son bras. Mon corps dérapa sur près de cinq mètres, avant de s'immobiliser. J'avais le
dos en feu et la respiration difficile. Mon ennemi écarta ensuite les bras de manière arrogante, et conclut :
– Ton ooombre...
Alors seulement, pertubée par ces paroles, je compris la gravité de la situation. Celle-ci, en effet, m'échappait totalement. Je ne savais plus du tout où j'en étais. Je me sentais complète-ment perdue. Les formes noires, sous mes yeux, devenaient comme folles. L'une d'entre elles me lança une nouvelle rafale de pointes aiguisées, m'obligeant à rouler sur ma droite et à partir en vitesse. Mon sang tambourinait contre mes tempes. Je m'arrêtai au bout de quelques foulés, inquiète. Il ne me restait manifestement plus qu'un seul espoir, même s'il tarderait sûrement à venir jusqu'ici. Ils étaient les derniers à qui je pouvais encore faire appel. Ou du moins, c'était ce que je pensais.
– Pauvvvre naïïïïïvvve... ricana l'une des ombres. Croiiis-tu vraiiiment que les maîîîtres des cooorbeeaauux te viiiendrons en aaaiiide... ? Queeelle ssssstupiditééé... petiiite déessssse...
L'angoisse me prit. J'appéhendais terriblement ce qu'elle voulait dire par là. Cela faisait environ trente-trois minutes que j'avais quittés mes hommes dans le refuge. Depuis, il pouvait leur être arrivé n'importe quoi sans que je le sache. Je n'avais aucune idée de ce qu'ils étaient devenus. Mais ce n'était pas le cas de mes ennemies, visiblement. L'ombre me l'avait déclaré avec tellement de mépris, tellement de sarcasme... Je sentais un piège me guetter. Le doute s'insinua en moi. Qu'avaient-elles bien pu leur faire ?
– Oooooh... Les piiires maauuux... répondit une silhouette apparue au loin, entre deux troncs. JJJe les aiii envvvoyés paîîîtrre dès leur arrivvvééée... JJJe me sssuis moquééée de leur détressssse comme aucuuune vipèèère ne l'a jjjamais faiiiiit... JJJ'en aiii fffait mes esssssclaves... JJJe les aaiii tousss traîîîtés comme de parfffaites vermiiines... JJJe les aiii abandonnééés à leur malédicsssiiooon... JJJe leurr aiii exsssiiijjjé les plus ruuudes ssssservissses... JJJe les aiii exsssposssés aux danjjjers les plus morteeels... JJJe ne leur aiii jjjamais montrééé la moiiindre reconnaisssanssse pour sssssa... JJJ'aiii toujjjours pensssé à mes intérêêêts... JJJamais aux leeuuurs... JJJamais à eeuuux... JJJe les aiii fffaits cchhhanter pour qu'ils m'obéisssssent... JJJe leur aiii volééé leur nourrituuurre... Oooh... Ouiii... JJJe les aiii fffaits sssouffriiir... JJJe les aiii fffaits sssouffrir et pour riiien au mooonde ils ne viiiendraient me sssssauver...
Ma gorge se serra de tristesse, mais je ravalai tout de même les sanglots qui montaient en moi. Il était hors de question que je cédasse pour un simple sermon persiflé. Néanmoins, la prise de conscience était bien amère. Les guerriers n'avaient-ils vraiment aucune raison de me secourir ? Une ombre arriva à ma gauche et me coupa dans ma réflexion, sur le point de me transpercer avec son arme. Je bloquai rapidement son attaque de mon avant-bras tout en levant ma propre lame en retour. Mais la créature était déjà partie.
– Si les maîtres de corbeaux n'agissent pas selon mes ordres, je les torturerai jusqu'à ce qu'ils en oublient leur propre nom ! gémis-je avec violence.
Les silhouettes se mirent à couiner de rire.
– Ààà condisssion ssseulement que jjje te laissssse un fffutur à employeeer... corrigea l'une d'entre elles. Maiiis n'étaiiit-ssse pas jussstement l'insssertitude de ssselui-sssssi qui te faisssait réclameeer leur aiiide... ? Sssi comme tu le craiiins jjje vaiiis t'enlevvver la viiie... Ààà quoiii peut bien teniiir maiiintenaaannt ton autoritééé sur eeuuux... ? Tuuu n'es pas asssez niaissse pour croiiire à une envvveloppe ssspectrale aprèèès ta mooort...
L'évidence s'abattit sur mes pensées, avec la rudesse d'une douche froide.
– Combiiien de teeemps te fffaudra-t-iiil pour compreeendre... ? Isssiiiii... Tu es ssssseule... petiiite déessssse... acheva l'horrible créature.
Ce fut alors qu'une pluie de dagues surgit du décor, cette fois lancées depuis plusieurs en-droits différents, chacune braquée sur moi. Les dangereuses lames venaient de tous les co-tés, de devant, de derrière, de travers... Je dus faire preuve de beaucoup de vigilance et d'agilité pour les éviter toutes en même temps. Les ombres, derrière les arbres, se déplaçaient sans cesse d'un point de tir à un autre, essayant de me surprendre. Leur précision devenait de plus en plus redoutable. Certains projectiles me passèrent juste sous le nez, d'autres au ras du dos. Mais ma chance par rapport à cela ne fut pas de longue durée lorsque, soudain, le temps revint à la normale, et rendit à ces créatures leur rapidité initiale tout comme à leurs lancers mortels. Je ne pus alors prévoir la dague qui vint entailler mon poignet, incisive, et qui me fit lâ-cher mon arme de douleur. Je plaquai alors mon autre main sur la plaie, courbée vers l'avant, les dents serrées. Il était même trop tard pour appeler les fauves au secours, maintenant. Ma défaite était cuisante. Irrémédiable.
– Pourquoi... sanglotai-je en fermant les yeux.
Une ombre fonça sur moi et m'emporta contre un tronc d'arbre, les mains sur mes épaules. Le choc me coupa le souffle net.
– Qu'impooorte la raissssson... me répliqua-elle tandis que j'écartais ses bras pour m'en dé-faire, ce à quoi elle opposa une pression sur mes mains avec les siennes, pour me maintenir. Ta viiie n'a aucun ssseensssss... Tu ne te lèvvves un autre matiiin que pour cchhhassser... Tu ne cchhhassses que pour te coucchhher un autre sssssooir... Maiiis mooiii... De tout ssssaa... JJJ'en ai assssseeez... Tuuu compreeends... ? JJJe n'en peux pluuus... Kaaaiileenaaa... Tout sss'est éteiiint... Aujjjourd'huiii... Mon coeuuur... Luiii... Ne bat que pour te haïïïr...
Les images se brouillèrent devant moi, y compris celle très proche du monstre. Mon front était plus lourd qu'une pierre. Mes joues plus chaudes qu'un feu. Une perle humide vint bientôt le rafraîchir, inattendue. J'étais en train de pleurer.
Quelque chose de déroutant se produit alors. A travers les larmes qui s'accumulaient entre mes paupières, je vis plusieurs gouttes noires s'écouler sous les cernes de la créature, avant de disparaître sous son col de bois, comme si elle pleurait elle aussi. D'un coup, son expression changea. Ses muscles se détendirent légèrement, dans ses membres comme dans son visage. Moi-même, j'avais arrêté de forcer sur ses bras. Car une vision proprement bouleversante m'occupait alors l'esprit : ainsi face à face, les yeux dans les yeux, les mains dans les mains... nous étions comme jumelles. Nous n'avions aucune différence. Elle était moi et j'étais elle. Nous nous ressemblions en tous points. L'une à l'autre fidèle comme l'aurait été un reflet dans une flaque d'eau...
Et ce fut comme cela que je compris. Cette silhouette était mon reflet. Toutes étaient mon reflet. Celui que j'avais vu dans un trou innondé dix-huit heures plus tôt, pendant le déluge, juste après m'être cognée contre ce rocher et avoir saigné de la lèvre. Sans que je m'en fusse aperçue, mon sang avait coulé dans le liquide ténébreux, là où m'était renvoyée mon image obscurcie. C'était comme cela que je lui avais donné vie.
L'expression de cette pauvre femme perdue dans la tempête me revint alors en mémoire. Mor-bide. Hargneuse. Tellement obsédante, finalement, que je n'avais pas osé la regarder en face, ni cherché à connaître sa vraie identité par la suite. Mais pourtant, elle existait. Elle vivait. Elle ressentait, dorénavant. Quelle que fût l'ampleur de mon pouvoir, ou l'obéissance de mes guer-riers, ou même la portée de mon aveuglement. Et ce qu'elle ressentait, hélas, était la plus hor-rible monstruosité que j'eusse jamais pu voir, jusqu'à ce jour nuageux. Ce dernier, pensais-je alors, car il ne faisait aucun doute que de tels sentiments me réservaient encore les pires tor-tures, pour les prochaines secondes à venir. Je ne les devinais que trop bien, depuis le temps qu'elles tentaient mon esprit. On n'imaginait pas tout ce qu'une dague pouvait couper, encore moins plusieurs. La gorge... Les veines... La langue... Les doigts... Les seins... Le ventre... Il fallait avoir un esprit au moins aussi pervers que le mien, pour cela. Exactement comme celui dont j'étais captive à cet instant. Mon souffle se calma, désespéré. L'ombre me lâcha lente-ment les mains avant de les baisser. Je savais pourquoi.
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