CHAPITRE 9 : LE SANG


Hey kid
Do I have your attention?
I know the way you've been living
Life so reckless, tragedy endless
Welcome to the family

Hey, there's something missing
Only time will alter your vision
Never in question, lethal injection
Welcome to the family

Not long ago you'd find the answers were so crystal clear
Within a day you find yourself living in constant fear
Can you look at yourself now?
Can you look at yourself?
You can't win this fight

And in a way it seems there's no one to call
When our thoughts are so numb and our feelings unsure
We all have emptiness inside
We all have answers to find
But you can't win this fight

Hey kid
I have to question
What's with the violent aggression?
Details blurry, lost him too early
Welcome to the family

Hey, why won't you listen?
Can't help the people you're missing
It's been done, a casualty re-run
Welcome to the family

I try and help you with the things that can't be justified
I need to warn you that there is no way to rationalize
So have you figured it out now?
So have you figured it out?
You can't win this fight

I see you're a king who's been dethroned
Cast out in a world you've never known
Stand down, place your weapons by your side
It's our war, in the end we'll surely lose but that's alright

So have you figured it out now?
So have you figured it out?



Gunning for you and all mankind
I've lost my mind
Psychotic rabid dementia
I won't be fine

Deep inside where nothings fine
I've lost my mind
You're not invited, so step aside
I've lost my,
Deep inside where nothings fine
I've lost my mind
You're not invited, so step aside
I've lost my...

( Avenged Sevenfold, Welcome to the Family )


Un sifflement mit fin à ma rêverie, des cheveux tombèrent, comme poussière et débris. Une lame aux reflets lunaires s’était matérialisée devant moi, figée dans la rambarde du balcon. Nous avions un balcon. Ce n’était pas pour me déplaire; mais ma peau ne retrouvait rien de familier. Je pouvais la sentir : l’abysse. Celle-ci, les autres. Je ne le retrouvais pas. Les rues étaient toujours enterrées, les doutes ne pouvaient subsister. Où était-il ? Avec ses corbeaux et ses pairs. Celui-ci, les autres. Ceux qui m’attendaient près du tunnel. Contempler cette ville, sans importance, rien ne semblait changer, en apparence. Pourtant, on vint chercher le projectile orphelin :

- Tu ne fais que contempler le ciel depuis la tombée de la nuit et tu t’évertues à ne rien vouloir voir.

Le passe-temps préféré de mes deux colocataires psychotiques. L’un était porté sur la poudre, l’autre sur les lyres monocordes… et les dagues. J’incarnais une parfaite cible mobile pour ces deux déments et bien que l’acuité visuelle de Lusci soit génétique, celle de Kan tenait du paranormal. Ses gestes et ses pensées surpassaient le domaine du concevable. Nulle pomme dans les yeux d’or n’échappe aux flèches de l’elfe mais il m’a toujours semblé que l’harmonica était capable de couper les ailes d’une libellule sur la lune. Le plus humain, le moins étrange et le plus dérangeant à la fois. Kan se jouait des règles de ce monde : il avait appris à tricher avant de respirer. Ce n’était pourtant ni un philosophe, ni un elfe, ni un noble, ni un monstre semblable aux autres.

- Tu sais que tout ce que tu vois n’est que le passé d’un vide rempli de choses inertes et mortes ? Ton soleil n’est que celui qui existait il y a de cela huit minutes… insistai la voix féminine dans mon dos.
- Peut être ne voyons nous pas encore ce qui est né ?
- La lumière ne se fera pas plus rapide, tu attendras des millions d’années avant de voir que le ciel a disparu. Nous ne pouvons être plus rapide.
- Que veux tu dire ? soufflai-je.
- Il faut une énergie infinie pour suivre ces photons. C’est purement mathématique. Toute ton âme pourrait y passer, tu ne voyagerais pas plus vite que cette limite.
- Ce n’est qu’une théorie parmi tant d’autres. L’infini est une notion délicate à manipuler. Il me semble déjà impossible de faire ce que tu évoques.
- Il te semble déjà impossible de faire ce que je fais.
- Ma main gauche n’est pas d’accord là dessus !
Luscinia parut amusée par ma piteuse défense et nous reconduisit dans la chambre.
- Tu manques d’entrainement après tout.
Une détonation mit fin à notre échange, la brume et le silence retombèrent, comme neige et feu les anges. Une lame aux reflets solaires s’était matérialisée derrière moi, domestiquée par la garde du faucon.
- Il manque d’entrainement. confirma une voix masculine.
- 432x859 ? demandai-je.
- 371088, arrête avec ces conneries. me répondit le sabre qui ondulait à présent entre mes vertèbres.

Effrayant cet homme.

- On va avoir besoin de toi dans peu de temps, je veux pas d’un handicapé sur les bras. Tu viendras me voir demain, à l’ancienne citerne, que je te décarcasse. Enfin ce doit être tout ce qu’il reste de toi hein ? Une carcasse.

Je passais ma main sur mon cou désormais orné par le collier des marques d’une strangulation qui me laissait de douloureux souvenirs. Cela faisait une semaine que j’avais quitté mon lit d’hôpital et il n’était visiblement pas question de m’épargner ne serait-ce encore qu‘un seul instant.

La nuit passa comme à son habitude, pleine d’illusions et de réalités, le froid fatigué des ombres et la lune parmi la neige et ses flocons. Des milliers d’astres qui tombaient inexorablement dans un vertigineux et langoureux ballet. Leurs cadavres s’allongeaient sur les autres gelés et recouvraient peu à peu la ville. Pourtant le soleil chancelant remportait inlassablement cette bataille sans fin, une éternelle guerre fratricide. Le rêve et le réveil importent si peu…

Flash. L’ancienne citerne, une simple phalange des catacombes reliée aux bas-fonds que j’avais arpentés tantôt. M’y rendre fut plus aisé que je ne l’aurais espéré. À croire que j’étais attiré par l’abandonné. Explorer les ruines et délaisser les vivants, ma seule habitude depuis que ma vie m’avait été rendue. C’était immense, comme une plaine apocalyptique dont l’horizon mourrait dans le lointain. D’invisibles failles autorisaient la lumière à me dévoiler cet océan mort depuis des générations de peur. Les remparts portaient encore les cicatrices que l'eau emprisonnée avait infligées. Chacun de mes pas donnaient naissance à d’infinis échos venant se briser contre les voûtes et les piliers, arbres de pierres millénaires. Algues s’accrochant à la dernière once de vie les traversant. J’ignorais le vide viscéral et descendais des dunes de gravas et d’éboulis. Je balayais du regard, bien malgré moi, cette immensité perdue dans les ténèbres. J’aurais juré voir des gargouilles momifiées sur ces corniches célestes. Peut être des statues ou des sculptures assassinés par le temps, peut être mes cauchemars qui m’épiaient perdu dans le vent. Peut être ceux qui m’attendaient ici ou là bas. Sûrement en cet endroit. Je finis par distinguer celui qui m'avait convié en ce lieu austère : Kan, accompagné d'une autre personne adossée contre un pilier déraciné. Il me semblait apercevoir une femme emprisonnée dans une armure de métal et d’argent. Des boucliers amputés et grêphés les uns aux autres. Des fourreaux servants de manteaux. Je n’avais jamais vu pareil trompe mort. Sa chevelure fauve était ramassée en une queue de cheval anarchique, tranchant avec sa cuirasse rutilante. Elle restait figée dans les ténèbres, contre ce pilier immobile, elle et son corps froid et argent ne voulaient s’en éloigner. La brève plainte de l’harmonica me glaça le sang. C’était comme si l’abime sans fond avait criée, le son strident se réfléchissant contre les parois prenant ignoblement vie. L’oiseau de proie était là, dominant ces cieux enterrés et étalant à ses pieds une armurerie surréaliste. Curiosité prenant le pas sur les appréhensions : allais-je vraiment me servir d’un canon ou était il simplement ici pour divertir et assouvir les penchants du déséquilibré maniaque de la gâchette ? Tout cela se déroula vite, trop vite. Tout ce qui allait suivre. Aucune salutation, aucune présentation ne fut faîte. La femme s’avança vers moi d’un pas rapide, ses yeux me rappelaient ceux de Luscinia mais aucun doute possible : c'était tout sauf une elfe et aucune once de douceur ou de sympathie n’émanait d’elle. Elle me gifla sans sommation. Douleur. Le bruit sec et humiliant retentit aux alentours, témoin perplexe de cette situation aberrante. Pris au dépourvu, je manquai de perdre équilibre et de m’écrouler lamentablement au sol. Un mal pour un bien, elle avait enlevé son gant de fer avant d’appliquer le soufflet avec sa main faîte de la même matière. Regard choqué de mon côté, désapprobateur et impassible de l‘autre. Ce dernier secoua la tête en faisant tinter ses clochettes, lassé par ces évènements. Ce fut à son tour de s’avancer vers moi et de tenter de m’atteindre à la joue gauche sans explication apparente. Mais j’étais peu désireux de renouveler cette déplaisante expérience et le coup me parut si lent que je n’eus aucun mal à le contrer d’une main. En un seule réflexe, j’attrapais son bras et lui tordit brutalement dans le dos, ce qui, à mon grand désarroi, déclencha son hilarité :
- Biien ! Moi qui croyais que nous n’aurions que la visite du pauvre petit malade tout chétif !
- Comment crois tu que le malade a réussi à survivre dans cet enfer sur terre durant vingt ans ?! lui crachai-je au visage. Tu crois vraiment que je n’ai jamais été qu’un pauvre étudiant paumé ne sachant rien du monde dans lequel il vit ?!
- Ah oui, c’est bien, très bien, j’applaudis à deux mains ! Jouer à l’acrobate sur les toits et courir comme un lièvre c’est bien utile pour fuir mais qu’en est-il donc lorsque l’on se fait attraper par la milice ? Deux carreaux, si j’ai bien compté.

Il brisa mon étreinte avec une aisance déconcertante, d’un seul geste, et me fit face, arborant ce détestable sourire narquois sur ses lèvres, la seule parcelle visible de son visage. Celle à qui je devais ma marque rouge et brulante n’avait pas bougé et se contentait de me fixer froidement, comme si je n’étais pas le bienvenu ici. Je n’avais jamais été le bienvenu ici. Ca, on arrivait à m’en persuader depuis le début, de seconde en seconde. Flash. Un bruit de fracas. Kan laissa tomber au sol son sabre et son revolver, lourdement, puis détacha le kote de lames noires recouvrant son bras. Face à mon air laissant transparaître ma totale incompréhension, il me tendit simplement l’une des épées qui reposait au sol parmi ses semblables lors de mon arrivée. Je n’avais absolument aucune idée de ce qu’il comptait me faire faire mais cela le faisait excessivement sourire. J’examinais rapidement l’arme : une épée à une main à garde épaisse enveloppée dans un tissu violet. Les chevaliers des De Mähleg devaient en posséder de semblables. Je n’avais que rarement croisé le fer mais je ne manquais guère d’entrainement en ce domaine. Mes anciens protecteurs, aujourd’hui disparus, s’était chargé de m’enseigner l’art de l’escrime durant ma courte, si courte jeunesse.

- On va commencer par un truc simple ! dit Kan d’un air enjoué.
- La base des bases : planter l’épée dans le ventre de l’ennemi ? le raillai-je en m‘efforçant de comprendre à quoi rimait ces simagrées.
- Tu vas déjà essayer d’attraper un de mes grelots. m’expliqua-t-il en agitant une nouvelle fois son couvre-chef.

Ah bon. Soit. Rien de difficile en apparence... Ma lame fendit brusquement l’air en direction du tintement provocateur. Rien que de l’air et seulement de la poussière. J’étais pourtant sûr de l’avoir touché, au moins effleuré. Il était si près que je n’aurai pu le rater à une pareille distance. Il ne se défendait point, gardait les mains croisées dans son dos, l’air nonchalant. En un seul mouvement il avait évité le tranchant de l’épée qui se tenait immobile, là, à peine quelques centimètres à cpeine de ce qui aurait du être l'oeil du faucon. Cette simple et unique esquive laissait transparaitre d’une manière implacable toute sa supériorité, noire, écrasante et ses dons de devin. Il me fit comprendre tout cela passivement, sans se détacher de son inexpressivité dissimulant ce visage éternellement moqueur. Je fouettais l’air sans grand espoir, plus par dépit qu’autre chose, ma rage naissante rendant mes assauts de plus en plus imprécis. L’acharnement du damné me gagnait, je ne sais pour quelle raison. Pourquoi avoir besoin de raison ? Devrions-nous toujours nous justifier ? J’étais impuissant. Il n’avait presque pas bougé alors que je me démenais inutilement. Quelques pas, quelques esquives rapides, rien de plus. Le plus frustrant résidait dans le fait abominable qu’il semblait lire en moi en une seule seconde, transpercer mes yeux et déchiffrer mes pensées : lorsque je m’apprêtais à attaquer une énième fois je le savais, je savais déjà que mon coup ne l’atteindrait jamais. Je m’essoufflais inutilement… et la douleur lancinante de mes blessures se réveillait peu à peu.

- Tu veux essayer Ana ? l’entendis-je demander aux ombres qui nous entouraient.
Mon regard abattu par ma cuisante défaite se releva subitement et se mit à scruter avidement les corniches silencieuses. Je ne la voyais pas mais j’entendais sa voix de cristal :
- Je ne fais que regarder Kan…
- Ah bon… Dommage…
- Efforce toi de te le rappeler Daniel ! Tu lui as jadis fait poser un genou à terre, je l’ai vu ! Tu peux le refaire, j’en suis sûre ! me sourit elle dans l‘obscurité.

Que diantre, des encouragements !

...Ah !

Idiot. Sot que je suis. Je voyais maintenant où ils voulaient en venir. Finalement, il importait bien peu que je sache manier une épée ou non. Ce qu’ils voulaient dans le fond c’est que je leur prouve une fois pour toute que je n’avais pas passé tout ce temps à écrire tout cela en vain. Si j’avais été accueilli dans la demeure d’une noble ce n’était sûrement pas pour mes talents de combattant ou d’écrivain. Ce n’était que pour une seule et unique chose. Manque d’entraînement, ouais, c’était le cas de le dire. Il fallait bien que je meurs encore, et encore. Philosophons alors. La vie quitta mon corps parcouru de spasmes violents liés une nouvelle fois à cette comédie morbide. Comment expliquer ce phénomène délectable et à la fois terrifiant ? Le fait de pouvoir sortir de son corps tout en y étant toujours lié ? Le fait d'être soi, son âme et non pas la marionnette de celle ci ? Communiquer avec cette énergie passive, la base de la philosophie. Je me faisais face à présent, mes yeux devenus blancs. Je voyais de nouveau tout, comme cette nuit. Comme si mon sang avait quitté mon corps et s’insinuait dans les moindres fissures de cette terre désolée. Une brume sanglante. Je distinguais le moindre recoin de ce tombeau démesuré qui se devait d’être notre champ de bataille, les étoiles et le tunnel, le visage d’Anastasia effrayant de beauté et lui. L’innocent grelot. Il s’avançait vers mon être figé, loin, très loin de se sentir menacé.

- Voyons voir si tu vas la contrer celle là ! me cria-t-il.

Le poing lancé à pleine vitesse se heurta instantanément à cette force invisible, muraille simplement érigé par l'énergie résidant dans mes muscles à laquelle je commandais, par moi encore rattaché à ma chair. Je pus lire avec une infinie précision l’éclair de contrariété qui troubla son expression jusque là si parfaitement figée. Un sourire. L'espace que ma main sembla arracher. Une bourrasque déchirante, pulvérisant les pierres et le silence. Je regagnai mon moi-même en m’écroulant par terre sous le choc. Manque d’entraînement, eh oui. Je fus estomaqué de voir que Kangitsar était toujours debout. Il pouvait… non, impossible. Pouvait il voir ce qui était invisible ou avait il simplement anticipé la fantomatique décharge d’énergie ? J’entendis néanmoins le grelot tinté. Le chapeau avait bel et bien été soufflé, dévoilant pour la première fois la véritable apparence de mon adversaire. Ses deux océans d’un bleu profond semblaient satisfaits bien que sur ses dents luisaient toujours cet éclat moqueur. Il repoussa les mèches de cheveux bruns libérés et ramassa son chapeau.

- C’est pathétique. tonna une voix provenant de l’obscurité du ciel.
Blanc dans l’ombre. Menaçant sans l’être. Zéphyre, apparition spectrale, se tenait également sur une corniche et nous contemplait du haut de son perchoir. Il se laissa tomber, méprisant le vide béant. Il atterrit lourdement plusieurs mètres en bas, réduisant en cendres les roches ayant eu le malheur de se retrouver sous ses pieds et au creux de ses mains qui les avaient broyés. Il n’avait pas changé depuis la dernière fois, arborant le même manteau beige, les mêmes tresses de cheveux albinos et les mêmes yeux vitreux. Le silence se fit soudain extrêmement pesant, comme si une pression immuable s’exerçait tout autour de l’homme qui dégageait cet aura de terreur indéchiffrable. La femme aux cheveux de feu qui nous observait passivement depuis le début se leva subitement et toisa le nouvel arrivant de cet air méprisant dont elle ne se départirait pas.
- Qu’est-ce que tu viens foutre ici toi ?
- Pointer du doigt votre incompétence. Titiller votre ego disproportionné. Vous vous attendiez réellement à voir des progrès en faisant courir le chaton après le grelot ? Ma foi, faisons courir la goule après le chaton !

Je n’eus guère le temps de comprendre. J’apercevais seulement cette atmosphère distordue entourant la main du philosophe fantomatique, puis le choc. Flash. L’impression d’être lacéré par un rasoir invisible et la force irrésistible qui me propulsa au sol. Trou noir. J’étais devenu sourd, je n’arrivais pas à me relever. Seuls mes yeux voyaient, les gens hurler et le sang. Le sang qui ruisselait sur mon manteau, sur mes mains et sur le marbre. La brûlure. Je titubais et ne voyais que ces images floues qui tournaient à toute vitesse. Kan et sa comparse se ruaient dans la direction opposée. Zéphyre les plaqua au sol d’un simple geste de la main. Je ne comprenais pas. Il me semblait les entendre hurler.

Et je la vis.

Derrière Zéphyre. Agenouillée et agonisante, la tête enserrée avec violence entre ses deux mains prêtes à la broyer. Les larmes ensanglantées, les yeux dénaturés, gorgés de souffrance. Avant que je ne comprenne pourquoi, Anastasia se rua sur moi. Elle ne voyait plus rien et je compris instinctivement ses intentions. Tout ce qu’elle souhaitait… c’était me dévorer vivant.