Note de la fic : Non notée

Jusqu'à ce que la mort nous sépare...


Par : Abbygaëlle.
Genre : Fantastique, Sentimental
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1 : Une perte


Publié le 08/03/2013 à 15:04:12 par Abbygaëlle.

La peur.
Un sentiment qui vous étreint le cœur, qui vous broie les os, qui vous arrache les entrailles...
Un sentiment que tout le monde éprouve, sans peut-être s'en rendre compte; sans vouloir en parler, sans vouloir le montrer.
Un sentiment que l'on cherche à tout prix à combattre, à anéantir.
Un sentiment qui est pourtant si naturel, et peut-être ce qui fait de nous des êtres humains...


-Abby ? A quoi tu penses ?
Je levais la tête vers mon amie en croisant son regard émeraude.
-A rien, mentis-je en posant à nouveau ma mâchoire au creux de mes paumes.
Je me sentais ridicule, ridicule de me poser des questions absurdes et sans importance. En tout cas, bien moins importantes que le cours de mathématiques se déroulant sous mes yeux et les jacassements incessants de mon amie Sandra. J'avais mal à la tête parce que je n'aimais pas les maths, et parce que la voix stridente de ma voisine de table m'empêchait de réfléchir.
Elle avait encore rencontré un garçon qu'elle trouvait canon et ils avaient échangé un regard. Et, bien évidemment, il ne l'avait pas rappelé après leur rendez-vous. L'évitait-il parce qu'elle lui plaisait également ou parce qu'il la trouvait inintéressante et superficielle ? Questions qu'elle se posait à chacune de ses rencontres avec un membre du sexe opposé, c'est-à-dire une fois tous les trois jours.
J'aurais aimé lui crier que les garçons qu'elle rencontrait étaient le genre de types à apprécier les filles superficielles, comme elle, ce qu'elle s'efforçait de me prouver tous les jours dans son attitude. Chaque mot s'échappant de ses lèvres brillantes de glosses gluant, dégoulinait de superficialité et d'un manque cruel de culture. Et de toute évidence, j'étais la seule à m'en rendre compte. Car oui, tout le monde était à ses pieds.
J'étais l'amie de la plus populaire des filles de ce lycée, et je la détestais. Ce n'était pas de l'hypocrisie, simplement un certain dégoût pour les membres de mon espèce en général. J'étais loin d'être la fille à chercher les ennuis et puis finalement, être l'ombre d'une pom-pom girl admirée par tous, me permettait d'être au calme. Personne ne me remarquait et c'était tant mieux.
La sonnerie retentit dans les couloirs, produisant l'effet de la foudre frappant à l'intérieur de ma tête. Je me levais brusquement, attrapais mon sac, et sortais -presque en courant- de la salle pour rejoindre le cours de littérature. Ce dernier était mon cours préféré car, premièrement, Sandra ne partageait pas cette matière avec moi, et deuxièmement, la littérature me passionnait.
Assise au second rang, j'écoutais le professeur, Mme Godrick, expliquer les subtilités de passages de romans que j'avais dévorés. Elle était sans doute l'un des seuls professeurs de cette école dont les cours parvenaient véritablement à retenir mon attention.
A la fin des cours, je sortais nonchalamment du lycée dans lequel j'avais passé toute ma scolarité depuis l'âge de trois ans, et également le seul de toute la région. Le Yukon*, à l’extrême Nord-Ouest du Canada, était loin d'être un pays densément peuplé.
Je montais dans le bus jaune vif et m'installais sur un siège, fixant mon regard sur l'horizon uniquement constitué d'une forêt épaisse et encore humide de la pluie qui était tombée un peu plus tôt dans la journée. Le car se mit en marche dans le grincement furieux du frein à main. Je tentais de réviser mon dernier cours de mathématiques, le long du trajet me conduisant à la petite maison qui abritait ma mère et moi.
Ma mère s'appelait Tala. C'était une femme formidable et forte. J'avais hérité de ses magnifiques cheveux noirs jais et de sa peau pâle. Beaucoup disaient que nous nous ressemblions comme des sœurs, et c'était vrai. La ressemblance était frappante malgré le visage fatigué de la femme qui m'avait donné la vie. Elle était réellement une personne extraordinaire, généreuse, gentille, courageuse, déterminée, patiente, passionnée, passionnante. Celle qui m'avait élevée et aimée... Elle me comprenait et m'aidait. Me consolait et me berçait. Nous n'étions que deux, l'une soutenant l'autre. Je pouvais lui parler, me confier, et peu importaient les raisons de mon chagrin, elle trouvait les mots justes pour me réconforter et me rassurer. Je l'aimais du plus profond de mon âme. Elle était sans doute la seule personne dans ce monde qui aurait donné sa vie en échange de la mienne... Probablement la seule à m'avoir aimée...

Le car s'arrêtait enfin à l'arrêt prévu à cet effet, à quelques mètres de ma maison. Je m'avançais devant la porte et plongeais la clef dans la serrure. Je m'engouffrais dans l'entrée et à peine m'étais-je retournée que ma mère se jetait dans mes bras, s'agrippant à mon cou, m'étreignant violemment.
-Joyeux anniversaire, u-na.
Je frémi à l'entente du surnom que ma mère m'avait octroyé depuis mes deux ans.
Ce mot signifiait "courageuse", dans la langue maternelle de ma mère, l'Aléoute. Cette langue était parlée par les esquimaux d'Alaska, il y a fort longtemps. Malheureusement, cette langue était en déclin et n'était plus parlée que par environ cent-cinquante individus, dont faisait partie ma mère. Oui, je viens d'Alaska.
Je lui rendais son étreinte avec un sourire.
-Merci maman.
Elle me repoussait doucement pour me regarder dans les yeux, un enthousiasme non dissimulé étirant ses traits dans un sourire éblouissant. Elle était toujours très expressive.
-J'ai une surprise pour toi ! Me lança-t-elle avant de m'attraper le bras et de m'entraîner dans la cuisine.
Sur la table en bois était déposé un petit paquet rouge, entouré d'un énorme nœud -qui paraissait bien trop imposant par rapport à la boîte- et sur laquelle était accrochée une carte. Je m'approchais du paquet, étonnée et curieuse. Je détachais d'abord la carte et la lu :

Joyeux anniversaire u-na,
Tu as aujourd'hui 17 ans, et tous les ans, à la même date, je me dis que tu grandis bien trop vite. Quoi qu'il en soit, tu es l'être le plus merveilleux qui m'est jamais été offert, celle à qui je tiens le plus et à qui je ne cesserai jamais de dire "Je t'aime" tout au long de ma vie. Les mots me manquent pour décrire tout ce que tu as pu embellir dans ma vie, et je doute que de telles phrases existent. Tu es devenue une femme resplendissante, tant par ton aspect que par tes pensées. J'aurais tant aimé pouvoir t'offrir plus que je ne peux te donner, et j’espère que malgré cela, je resterai dans ton cœur, comme tu es gravée dans le mien.
Je t'aime, maman.

Lorsque je me retournais, les larmes baignaient déjà mes joues. Je serrais ma mère une fois de plus dans mes bras.
-Oh maman, tu ne peux pas savoir à quel point je t'aime, et ne t'inquiète pas, tant que mon cœur battra, je ne t'oublierais jamais.
-Tu me fais pleurer ma fille, dit-elle entre deux hoquets.
Je desserrais mon étreinte en riant doucement et en passant un doigt sous mes yeux pour essuyer l'eau qui en coulait.
-Ouvre le cadeau u-na, me demanda ma mère, après que ses yeux aient cessé de déverser des torrents salés.
J'acquiesçais de la tête et défis l'énorme nœud. J'ouvrais la petite boîte et découvrais un magnifique bracelet en argent, auxquels pendaient de petits pendentifs aux formes diverses : un cœur, , une libellule, une feuille, un flocon de neige et un chapeau de pirate.
Un chapeau de pirate...
Je tournais le petit pendentif entre mes doigts, les larmes menaçant à nouveau de couler.
Lorsque j'étais plus jeune, j'adorais les pirates. Leurs longues barbes et leurs jambes de bois me fascinaient. Ma chambre était recouverte, à cette époque, de posters de Pirates de toutes sortes. Ainsi, mon père, tous les soirs, avant de me coucher, me lisait un passage de romans consacrés aux pirates et à leurs chasses aux trésors. Je conservais un excellent souvenir de toutes les histoires qu'il m'avait contées...
Mon père avait disparu huit ans auparavant. Il s'était engouffré dans une forêt et n'en était jamais ressorti, nous abandonnant, ma mère et moi. Les enquêteurs ont cherché sans relâche son corps ou même un seul indice durant près de deux ans, mais rien. Il avait été déclaré mort lorsque j'étais âgée de onze ans. Un âge auquel nous ne sommes pas censés perdre notre père.
J'entourais rapidement mon poignet du bracelet et fermais le crochet en faisant cliqueter les petits pendentifs. J'admirais le bijou, des étoiles dans les yeux.
-Merci, répétais-je dans un souffle, fascinée par la lumière se reflétant sur l'argent.
-J'ai une dernière surprise pour toi, m'annonça ma mère, visiblement ravie de l'impression que m'avait fait son cadeau.
Je tournais mon regard sur elle, peu habituée à ce type de privilèges. Les revenus de ma mère étaient juste suffisamment importants pour subvenir à nos besoins. Elle avait dû se priver de beaucoup de choses pour me faire une surprise supplémentaire.
-Nous allons manger...chez Ariza !
Perplexe, je ne réagissais pas. Puis, après un moment d'hésitation, je souris bêtement.
-Tu es bien trop gentille avec moi, tentais-je de la raisonner.
Elle avait déjà les clefs de sa vieille Cadillac Allanté de 1988 blanche en main.
J'adorais ce restaurant. Il servait des plats relevés et pétillants de vie. Je me léchais déjà les lèvres.
-Allez, va poser ton sac et nous partons.
Je m'empressais de monter les marches des escaliers jusque dans ma petite chambre. Un lit double était disposé au fond du coté gauche de la pièce, recouvert d'une couette marron foncé et d'oreillers beiges. De chaque côté était posée une table de chevet où sur l'une d'elle j'avais laissé le livre que j'avais entamé la veille au soir. Je déposais mon sac à côté de mon bureau en bois collé au mur en face de mon lit, où étaient entassez toutes sortes de livres qui cachaient mon ordinateur portable. Je refermais la fenêtre que ma mère avait dû laisser ouverte, et redescendais les marches quatre à quatre pour la rejoindre dans le salon où elle m'attendait.
-Prête ? Me demanda-t-elle, presque aussi excitée que moi.
-Prête.
J'enfilai ma veste noire et nous nous mîmes en route, ma mère derrière le volant. Quarante-cinq minutes nous séparaient de la ville la plus proche, où s'était installé le petit restaurant. Durant le trajet, ma mère me racontait sa journée. Contrairement aux sentiments que j'éprouvais en écoutant Sandra, ceux que me transmettait ma mère étaient fascinants et j'appréciais entendre sa voix mélodieuse et douce. Elle était pédiatre et travaillait dans l'hôpital de la ville dans laquelle nous nous rendions. En tant que médecin, elle était demandée, surtout qu'elle était la seule pédiatre à deux-cents kilomètres à la ronde. J'étais à la fois fière et frustrée de cette situation car ma mère était fatiguée, exténuée. Tous les soirs, je l'entendais rentrer, traînant les pieds et s'endormant sur son lit, sans même avoir retiré ses vêtements.
Alors, je m'occupais de la plupart des tâches ménagères et préparais les repas pour soulager ma mère de ses corvées. Elle protestait mais finissait par renoncer car elle savait qu'elle ne pouvait pas fournir davantage d'effort. En revanche, lorsque je me retrouvais seule avec ma mère -ce qui se produisait de moins en moins souvent- c'était le bonheur. Car nous étions unies par une force étrange qui nous permettait de nous détendre et de nous laisser rire sans tension et sans problèmes à résoudre. Nous oublions tout pour nous concentrer exclusivement sur les bons côtés de notre vie. Nous parvenions à nous amuser, véritablement. Cette femme était réellement exceptionnelle et connaissait sur le bout des doigts les multiples petites pensées pouvant traverser mon esprit. Lorsque nous étions deux, nous n'étions plus qu'une.
Comme à ce moment précis, dans la vieille voiture blanche. Cette capacité extraordinaire que nous avions de nous comprendre sans le moindre mot était formidable et une preuve supplémentaire de notre complicité. Nous rîmes, comme deux vieilles amies, comme deux sœurs, comme nous le faisions si souvent. Quarante-cinq minutes de bonheur absolu et parfait en compagnie de la personne pour qui je vendrais mon âme.
Elle coupai le contact dans un nouvel éclat de rire et nous sortîmes de la petite Cadillac. Arrivées à la table que ma mère avait réservée, nous commandâmes nos plats préférés qui étaient évidemment identiques.
Ce merveilleux dîner achevé, nous remontâmes dans le tas de ferraille blanc de ma mère. Cette fois, le silence régnait, mais c'était un silence calme, tranquille. Un silence de repos.

Après quinze minutes de route, pour la première fois aussi brutalement et aussi intensément, je ressentie la peur. Ça faisait mal, j'avais envie de vomir, ça tapait, ça écrasait, ça embrouillait, ça se mélangeait, et ça faisait encore mal.
Il faisait noir, horriblement noir. Froid, humide, sans vie. J'étais seule et j'avais l’insupportable impression que tout allait s'effondrer, disparaître, pour toujours. Ma gorge m'oppressait, m'empêchant de respirer. Mon cœur me comprimait la poitrine, devenant subitement trop lourd. Mes poumons s'emplissaient d'un gaz brûlant et acide. Ma cage thoracique se refermait violemment, me faisant presque entendre le bruit de mes os se brisant brutalement. Ma tête me tournait, comme si même le noir m'entourant voulait m'égarer. Je ne voulais plus ressentir toute cette douleur, cette souffrance intolérable et tranchante. J'aurais voulu la combattre, l'anéantir, mais je n'y parvenais pas. J'aurais voulu mourir pour y mettre fin.

La peur.
Un sentiment qui vous étreint le cœur, qui vous broie les os, qui vous arrache les entrailles...
Un sentiment que tout le monde éprouve, sans peut-être s'en rendre compte; sans vouloir en parler, sans vouloir le montrer.
Un sentiment que l'on cherche à tout prix à combattre, à anéantir.
Un sentiment inspirant un désir incontrôlable de fuir, jusqu'à vouloir se donner la mort pour que cela cesse.

Je me réveillais lentement, étourdie, déboussolée, un étrange liquide pourpre me brouillant la vue. Je portais ma main à mon front. Du sang. Je devais sans doute avoir une terrible entaille à la racine des cheveux. J'inspirais mais une douleur atroce s'empara de ma poitrine, me faisant tousser, amplifiant cette même douleur. Plusieurs de mes côtes étaient brisées de toute évidence.
-Maman, m'entendis-je à peine murmurer dans un soupir.
Aucune réponse.
Je m'essuyais le visage d'un revers de manche et regardais autour de moi. Une voiture était couchée sur son flanc, la portière droite arrachée et de gigantesques flammes s'échappaient de sa carcasse. Des débris de verres jonchaient le sol, reflétant le feu dans de petits éclats de lumière orangés. On entendait des gens hurler ou pleurer. Et je reprenais subitement conscience.
-Maman ! Criais-je malgré les brûlures me traversant la gorge et les poumons.
Je me levais brutalement, ignorant la douleur vive de ma cheville, probablement brisée. Je courais en direction de la Cadillac blanche en feu en claudiquant, continuant d’appeler ma mère avec les forces qu'il me restait. Mais une puissante explosion me projeta à nouveau à terre. Le contact avec le béton glacial me coupa la respiration et une nouvelle douleur apparut à mon poignet, cassé à son tour. De l'eau brûlante coulait sur mes joues, mais je ne pouvais pas déterminer s'il s'agissait de la pluie ou de mes pleurs. Je redressais la tête, repoussant ma frange collée par le sang contre mon front. Je me levais sur mes pieds sans cesser de crier, espérant une réponse qui ne vint jamais. J'entendais ma voix se briser au fond de ma gorge. Je tombais encore, heurtant le sol durement. Je ne parvenais plus à me redresser mais continuais à ramper, tentant vainement d'atteindre ma mère que je ne voyais pas. Je ne voyais maintenant plus que mes bras qui me tiraient encore. Des sanglots s'échappèrent de mes lèvres suivis d'un gémissement et de couinements faibles. J'entendais mon cœur battre contre mes tempes, ma respiration s'affaiblir puis disparaître mais je continuais de me traîner.
-Maman, dis-je dans un dernier souffle avant de me faire emporter par le rien.
J'étais aspirée par le vide, le noir, l'obscurité, le désespoir, la solitude. J'avais froid, un froid mordant et brûlant. J'avais beau tenter me débattre, rien ne se produisait. Et j'avais la terrible certitude qu'à partir de maintenant, cette sensation de solitude ne me quitterait jamais...

-Abby, avait-on doucement murmuré. Abby... u-na.
J'ouvrais les paupières mais les refermais aussitôt, aveuglée par le blanc qui m'entourait. J'avais quitté l'obscurité... Une fois habitué à la luminosité, je me levais. Je ne ressentais plus de douleur. Je me sentais bien. Je cherchais la source de la voix quand une ombre me parut. Une femme. Je m'approchais pour distinguer son visage et je vis ma mère, le visage en sang, les bras couverts de multiples entailles profondes, les vêtements déchirés par endroits, et le sourire aux lèvres. Elle tendit son bras meurtris dans ma direction, et j'attrapais sa main, sans avoir besoin qu'elle ne me le demande. Je m'approchais encore davantage et portais une main à son visage, comme pour m'assurer de la réalité de ce sourire. Elle leva la sienne et me caressa la joue avec douceur.
-Ne pleure pas Abby...murmurait-elle.
Je pleurais ? Pourquoi ?
-Tout va bien se passer, tu verras, reprit-elle, toujours à voix basse. Je t'assure que tout se passera bien. Je t'aime...
Ses derniers mots se perdirent dans sa gorge, s'éteignant, se volatilisant. Je me raccrochais à ses dernières paroles, les gravant dans mon esprit et dans mon cœur, comme si ma vie en dépendait. Comme si c'était la dernière fois que je les entendais.
-Je t'aime maman, dis-je à mon tour, au noir qui désormais m'entourait à nouveau. Je t'aime...

La douleur avait disparu. Une étrange sensation s'était emparée de moi, l'impression de flotter. Je refusais d'ouvrir les yeux, de peur que cette merveilleuse expérience ne s'arrête. J'aurais voulu rester dans ce monde où rien n'existe vraiment. J'étais bien.
Mais mon corps voulait à tout prix extirper mon esprit de cet état de transe, stimulant mes muscles, faisant revenir la douleur petit à petit. Avec un effort immense, j'ouvris les yeux sur un plafond immaculé. Seul un "bip" régulier parvenait à mes oreilles. La lumière me brûlait la rétine mais je me refusais à fermer les yeux car je savais que si je retournais dans le noir, je n'en sortirais plus jamais. J'aurais voulu me protéger des rayons du soleil avec mon bras, mais je fus incapable d'esquisser le moindre geste. Mes membres ma paraissaient peser plusieurs tonnes.
Soudain, une décharge électrique me parcourut les veines, brûlant chaque partie de mon corps. Je parvenais à entendre mon cœur s'arrêter brutalement dans ma poitrine. La lumière devint plus oppressante, le son du moniteur plus bruyant, la douleur plus vive. J'avais la sensation d'être enfermée dans mon propre corps, prisonnière d'une enveloppe qui n'était pas la mienne. Tous mes muscles se contractaient, ma respiration se coupa, j'étais envahie par des milliers de sentiments différents, tous plus intenses les uns que les autres, tout en ressentant un manque effroyable que je ne parvenais pas à définir. Mes doigts emprisonnèrent le drap blanc et se crispèrent. Il y avais trop. Trop de tout.
Et je hurlais, de douleur et de peine.
On s'était affairé autour de moi, m'auscultant, vérifiant les moniteurs, et surtout, agrippant mes jambes et mes bras pour m’empêcher de me débattre. Je continuais de crier, toujours emplie de souffrances multiples et indéfinissables. Je pleurais également, trop oppressée et sollicitée. A bout de force, je finis par retomber sur mon oreiller. On me lâcha alors, doucement, prudemment. Je reprenais mon souffle. Un homme affublé d'une blouse blanche et de lunettes rondes, passa une main sur mon front en sueur pour repousser les mèches de cheveux qui s'y étaient collées.
-Comment vous sentez-vous ? Demanda-t-il calmement.
Si j'en avais été capable, j'aurais abattu mon poing sur son nez. Comment osait-il me poser une question pareille ?
Je me contentais de lui faire une grimace douloureuse.
Le Trop continuait de me hanter, mais s'était tout de même calmé, sans pour autant disparaitre. Je tentais de dire quelque chose mais un simple gémissement enroué franchit mes lèvres.
-N'essayez pas de parler, je vais tout vous expliquer, m'avait-il dit.
Il ne restait plus dans la pièce que le médecin, une infirmière au regard inquiet et moi, couchée sur le lit blanc. Mr Marx -j'avais lu son nom sur le badge qui était accroché à sa poitrine- prit une chaise et s'assit à côté de moi. Il me regarda avec intensité, on aurait dit qu'il tentait de transpercer mon âme. Sa voix raisonna en moi comme un cri dans une caverne.
-Vous avez été victime d'un terrible accident Mademoiselle.
Un frisson parcourut mon échine et un vent froid vint mordre mon visage. Je vis la Cadillac en flamme, couchée sur son flanc.
-Un camion a grillé le feu d'un carrefour et a percuté votre voiture.
Un nouveau flash m'apparut : un camion noir dont l'avant était enfoncé et sa remorque renversée.
-Vous avez été gravement blessé. Trois côtes cassées, ainsi que votre cheville droite et votre poignet gauche. Sept points de sutures au front et de multiples entailles. Votre tête a heurté violemment le sol lorsque vous avez été projetée hors du véhicule.
Je revoyais ce sang, tout ce sang qui formait une flaque autour de moi.
-Vous venez de vous réveiller d'un coma qui a duré trois mois Mademoiselle.
Mon regard se plongea dans la contemplation du plafond, retenant mes larmes qui avaient déjà bien trop coulé.
-Mais votre mère est arrivée ici dans un état bien plus grave que le vôtre. Nous avons fait tout ce que nous pouvions mais je suis désolé, elle...
-Elle est morte, je sais, dis-je d'une voix tremblante et pâteuse.
Je sentis la main du médecin se poser sur la mienne puis se retirer avant de l'entendre se lever.
-Attendez, lui demandais-je.
-Oui ?
-Personne n'est venu, n'est-ce pas ?
-Mademoiselle...
-Dites-le, je veux seulement vous l'entendre dire.
-Personne n'est venu Mademoiselle.
Je fermais les paupières pour réprimer mes larmes et pinçais les lèvres.
-Vous devriez vous reposer maintenant, conclut-il en sortant de la chambre suivi de l'infirmière.
Une fois la porte fermée, j'ouvrais les yeux et pleurais, accompagnée de hoquets douloureux. Je n'avais plus rien. Personne n'était venu me voir ou prendre de mes nouvelles. Et ma mère était morte.
Je ne parvenais pas à imaginer une vie sans ma mère, mon repère, ma bouée de sauvetage, ma propre vie. C'était comme si la dernière lumière qui brillait dans ce monde s'éteignait subitement, me laissant seule dans le noir, écrasant tout espoir, anéantissant tout sourire. Je n'étais plus rien sans ma mère. Je ne pouvais survivre sans elle et son merveilleux sourire. Sans elle et ses rires mélodieux. Sans elle et sa gaieté. Sans elle et sa joie de vivre. Sans elle...
Je ne me rappelais plus quels étaient les derniers mots que je lui avais dits et c'était atroce. Je me sentais coupable. Coupable car il s'agissait de mon anniversaire, la fête célébrant ma naissance. Elle avait voulu me faire plaisir et à cause de cette attention, à cause de moi, elle était morte. Je ne la verrais plus jamais, par ma faute. J'étais un monstre. Pourquoi étais-je née ? Si je n'avais jamais existé, elle serait probablement encore en vie. Elle n'aurait jamais eu cet accident car mon anniversaire n'aurait jamais existé.
Et pourquoi étais-je encore en vie ? J'aurais dû mourir, mourir à sa place. Elle était bien plus gentille, bien plus intelligente, bien plus importante que moi. Elle ne méritait pas de partir. Et je n'avais jamais mérité d'avoir une mère aussi formidable. La personne la plus merveilleuse, la plus précieuse dans ce monde, était morte par ma faute.
Mes pleurs bruyant continuèrent plusieurs heures, même après que mes larmes aient cessé de couler. Quelques fois, une infirmière venait vérifier mes constantes, me demandant parfois si j'avais besoin de quoi que ce soit. Je ne parvenais pas à lui répondre.
Dans notre monde, vouloir mourir était prohibé, un tabou, une abomination. Je n'avais jamais pensé que cela puisse me concerner et me poser un problème, jusqu'à ce jour.

On me dit, deux jours plus tard, que j'aurais besoin d'une lourde rééducation. Mais je m'en fichais, comme de tout d'ailleurs. Je n'avais aucune envie d'écouter leur baratin, je voulais simplement pleurer encore et encore, au rythme des bips incessant du moniteur que j'avais envie d'arracher.
Je ne parvenais pas à comprendre comment tout cela avait pût se produire. J'avais mal, et j'avais peur. Je ne savais pas ce que j'allais devenir et encore moins quoi faire maintenant. Le médecin m'avait dit que je pouvais sortir dans une semaine mais je devrais revenir une à deux fois par semaine pour ma rééducation. Cette dernière que j'avais entamé la veille au prix de quelques cris de douleur et d'immenses efforts. Mais, le Dr. Marx m'avait annoncé qu'il était particulièrement surpris de la vitesse à laquelle je faisais des progrès et m'avait assuré que je ne garderais aucune séquelle de mon accident. Encore quelque chose qui ne m'intéressait pas, parce que mon existence n'avait plus de sens, plus de repaire. Elle était aveugle et cela ne s'arrêterait pas.

Est-ce que la vie vaut le coup ? J'aimerais bien oui, mais j'ai du mal à y croire.

Je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Depuis mon réveil, pas une seule fois je ne m'étais endormie. J'avais pensé au début qu'il s'agissait d'un contre coup du coma - après avoir dormi pendant trois mois, cela paraissait tout à fait normal - mais plus les nuits passaient, plus je m'inquiétais. Je voulais dormir parce que je voulais faire des cauchemars qui me prendraient aux tripes, qui me feraient pleurer, jusqu'à m'en faire crever.
C'était trop dure de supporter les allez-retours compulsifs des pauvres infirmières débordées et les cris de douleurs d'autres patients se trouvant aux alentours.
Et en plus de tout ça, je n'arrivais plus à pleurer. Je n'y parvenais plus. J'étais triste, plus que jamais, et mes larmes refusaient de couler. Était-ce la peine, devenue si intense qu'elle m’empêcher de pleurer, ou tout simplement mon corps qui c'était vidé de toute son eau ?
Une nuit, encore assaillie d'une migraine atroce - qui revenait à la même heure tous les soirs - je me levais, ignorant les avertissements de mes médecins, et j'allais dans la salle de bain. Pour le coup, je m'aperçus véritablement que je me trouvais dans un hôpital car la pièce était immaculée et paraissait sans vie. Évidemment, on m'y avait emmené pour faire ma toilette, mais le fait de me retrouver seul, en pleine nuit, au milieu d'un hôpital, dans une salle horriblement blanche, me faisait l'effet d'un choc. J'étais hospitalisée, mais j'avais survécu. Le tout était de savoir s'il s'agissait d'un miracle ou d'une malédiction.
Je m'appuyais sur le rebord du lavabo et levais les yeux vers mon reflet. Mes long cheveux noirs tombaient mollement sur mes épaules et continuaient leur course jusqu'à mes coudes. Ils étaient emmêlés et paraissaient ternes. Je m'attardais sur ma frange qui, malgré les mois que j'avais passé ici, n'avait pas poussé. On avait dû me la couper régulièrement. Ma peau était pâle, plus pâle que d'ordinaire je veux dire, et j'avais maigri, mais joues étaient légèrement creuses. On m'avait assuré qu'après quelques jours, je reprendrais des rondeurs. En revanche, lorsque je vis mes lèvres, je fus surprise. Elles étaient si... rouges ? Incroyablement rouges !
Je portais mes mains à ma bouche, vérifiant que je ne portais pas de rouge à lèvres, même si je savais que cela n'était pas possible. Je n'avais jamais eu de lèvres si pourpres. Semblable à du sang.
Je croisais mon regard dans la glace.
Et là, j’eus un mouvement de recule, celui que j'avais hésité à faire en découvrant mes lèvres. Je n'avais jamais vu ces yeux. Je n'avais jamais eu d'yeux si bleu. Certes, les miens étaient de cette couleur, en plus fades et moins expressifs. Mais ceux là semblaient pétiller. Ils étaient vivant, le mot étant parfaitement adéquat. Ils étaient d'un bleu électrique. Ma mère m'avait souvent dit que j'avais les yeux de mon père. Pourtant, dans le miroir, je ne les reconnue pas. Ils avaient changé. Je ne les avais jamais vu si... fort. Je n'avais jamais vu de bleu pareil. Profond, puissant, envoutant, plein d'une énergie intarissable. Oui, vivant.
Ils paraissaient êtres tout ce que je n'étais pas.
Je sentais les larmes me brûler les paupières et finir par couler. J'étais soulagée d'enfin pouvoir pleurer, mais ce que je vis dans le reflet me terrifia. Mes yeux pleuraient oui, mais ils pleuraient du sang. Je m'approchais, ouvris l'arrivé d'eau et m’aspergeais le visage du liquide. Lorsque je rouvris les yeux, le sang se mêlait à l'eau aux creux de mes paumes dans une harmonie effrayante. Je regardais mes doigts qui en étaient couvert également.
C'est là que je m'aperçus que mon insomnie n'était pas dû à mon coma.
Je continuais de me laver le visage, espérant que cela suffise à faire disparaître ces horribles trainés rouges sur mes joues. Je relevais la tête et constatais que cela s'était enfin arrêté.
Mais, dans le reflet, une ombre passa dans mon dot. Je voulue crier, mais ma voix avait disparu. Je reculais et trébuchais. Je m'étalais sur le sol, mon dot heurta violemment le carrelage glacé et ma perfusion s'arracha, provocant une douleur vive au dessus de ma main. Les bips du moniteur s'affolaient et j'étouffais.
Les infirmières arrivèrent en courant, accompagnées d'un médecin que je ne connaissait pas. On me porta jusqu'à mon lit et on regardait au fond de ma gorge. Je réussissais enfin à respirer à nouveau mais les bips n'avaient pas arrêté leur danse frénétique.
-Respirez profondément Mademoiselle, dit le médecin.
J'essayais de lui obéir, me concentrant sur les mouvements de ma cage thoracique. Les bips se calmaient. Une ou deux infirmières poussèrent un soupir de soulagement et le médecin se détendit.
-Comment vous sentez vous ? Demanda ce dernier.
Je le fixais, le regard dure et agressif. Plus tard, je regretterais ce geste.
-Je suis le Docteur Jesse (Jemmy), médecin de garde cette nuit.
Je ne lui répondis pas. Je ne voulais plus jamais répondre à qui que ce soit.
-Pourquoi vous êtres levé alors que vous connaissiez les risques ?
Je restais une fois de plus muette. Il se pencha sur mon lit pour fixer mes yeux, cherchant sans doute une réponse.
Les infirmières prirent congés après avoir remit ma perfusion en place. Je me retrouvais seule avec ce médecin qui me paraissait étrange. Il était différent.
-Vous étiez censée sortir demain mais maintenant, je ne sais pas si cela est bien raisonnable.
Je me décidais à lui répondre, même si les mots s'échappant de ma gorge me paraissaient trop lointains.
-Faites comme bon vous sembles.
Il parut déçu. Il voulut s'en allez mais je lui attrapais le poignet. Il était gelé mais je n'y prêtas pas attention.
-Je ne sais pas ce que je vais devenir, murmurais-je. Je suis perdue et je ne sais pas quoi faire.
J'aurais put lui parler de mes larmes de sang ainsi que de l'ombre qui était passée dans mon dos, ce que je m’apprêtais à faire, mais quelque chose m'en empêchait. Comme un coup de poing au ventre. Pis, un coup de poignard empoisonné.
Je lâchais son bras.
-Écoutez, reprit-il, vous serez prise en charge. Vous irez surement dans un foyer...
-Non, criais-je à plein poumons.
Il était surpris de ma réaction. Il posa l'une de ses mains sur la mienne et là, c'est moi qui fus surprise. Je remarquais enfin la froideur de sa peau. Ses yeux vert brillant comme des gouttes de rosée posés sur un brins d'herbe, scrutèrent mon expression ce qui me mis mal à l'aise.
-Ne les laissez pas m'emmener, le suppliais-je, je ne veux pas qu'ils m'emmènent.
Ma voix paraissait être celle d'une enfant apeurée. Ce que j'étais probablement.
-D'accord, me dit-il en me faisant un sourire, je ferais tout ce que je peux pour qu'ils vous laissent en paix. Vous rentrerez chez vous dés demain.
Il quitta la pièce. Ses dernières paroles restèrent longtemps en suspens dans l'air et je me demandais ce que cela pouvait signifier. Je ne savais pas si j'avais encore un chez moi. Je ne savais pas s'il existerait encore un chez moi dans ce monde alors que ma mère était la seule qui réussissait à me faire sentir chez moi.

Le lendemain, je sortais enfin de la chambre blanche. J'étais dans la rue, pour la première fois depuis plus de trois mois, et le ciel m'accueille avec une pluie fine. Je n'avais pas d'argent et ma maison se trouvait à plus de soixante-dix kilomètres. J'avais du mal à m'imaginer rentrer dans la maison vide en sachant que ce serait dorénavant toujours ainsi. A vrai dire, j'appréhendais ma propre réaction car je ne savais pas si je parviendrais à contrôler mes émotions. Il fallait que je me fasse une raison, ma mère ne reviendrait jamais et je ne pourrais rien faire contre cela. La psychiatre de l'hôpital me l'avait suffisamment rabâché pour que cela reste profondément encré dans mon esprit.
J'étais seule devant l'immense bâtiment, mis-à-part une dame âgée installée sur un banc un peu plus loin en compagnie de sa canne, et un femme, assise sur un autre, une cigarette coincé entre les doigts. Aucune des deux cependant ne semblait m'avoir remarqué, et cela me convenait. Me sentir observé m’empêchait de réfléchir. Je renonçais finalement à cette idée lorsqu'une nouvelle migraine décida de s'emparer de mon crâne et de toute évidence, pour un certain temps.
Je levais mon visage vers le ciel en fermant les yeux, espérant que cela suffise à apaisé mes maux. Je restais calme, malgré tous les malheurs qui s'étaient acharnés sur moi. L'eau s'abattait sur mon visage et cela me réconfortais quelque peu parce que la pluie remplaçait mes larmes qui ne coulaient plus. Je ne prenais pas en compte le petit incident de la veille, le mettant sur le compte de la fatigue et donc, jugeant qu'il s'agissait d'une hallucination et rien de plus. Du moins, j'essayais de me convaincre qu'il s'agissait effectivement de mon imagination. J'avais suffisamment de problèmes comme ça.
Un étrange odeur se glissa alors doucement dans mes narines, provoquant en moi une sensation primaire. Un instinct de survit. Il s'agissait du parfum du danger. J'en avais la certitude alors que jusqu'à présent, le danger n'avait jamais eu d'odeur pour moi. Maintenant, je parvenais à affirmer que cela sentait la rouille, ainsi que la cendre. Mais mes membres refusaient de m'obéir et je restais figée, les paupières clauses, à espérer que cela fût mon imagination une nouvelle fois.
Un souffle froid vint caresser ma nuque, me faisant ouvrir les yeux de surprise. Retrouvant mes muscles, je me retourner vivement, mais personne n'était là. Cependant, je sentais quelque chose de chaud dans ma paume. J'ouvrais les doigts et découvrais un billet de cent dollars. Je fixais alors le billet vert dans ma main, stupéfaite. Je regardais à nouveau les alentours mais il n'y avait toujours personne, mis-à-part les deux femmes qui n'avaient pas bougé. Et alors, mes lèvres s'étirèrent dans un sourire. Le premier depuis que j'étais sortie du coma. Durant quelques secondes, je me sentie heureuse.
J'entrais dans un taxi et donnais l'adresse de ma maison. Pendant le trajet, je concentrais toute mon attention sur le billet, m'interrogeant sur son origine. Il était chiffonné et le coin supérieur droit était déchiré. Il avait l'air de sortir de la poche d'un adolescent lambda. Pourtant, il était encore un peu chaud et cela n'était pas normal. Car, depuis mon réveil, tout m'avait paru froid.
Arrivée devant ma porte, je donnais le billet au conducteur et j'enfonçais la monnaie restante au fond de la poche du jean qu'une infirmière m'avait apporté ce matin, accompagnée d'un pull noir.
Je restais devant l'entrée, ma rappelant que je n'avais pas les clefs.
-J'ai vraiment tout perdu à cause de cet accident, pas vrai ? Murmurais-je doucement en affichant un léger sourire triste.
Je fis alors le tour de la petite maison et récupérais la clef de secourt que ma mère laissait scotché en dessous d'une poubelle. Je retournais à la porte d'entrée et plongeais le petit bout de métal dans la serrure. Je ne sais pas à quoi je m'étais attendue. Sans doute à plusieurs centimètres de poussière sur les meubles, à l’électricité coupé faute de payements, ou encore pis, l'intérieur de la battisse ravagé suite à l'intrusion de pilleurs ou d'animaux. Lorsque je franchissais le pat de la porte, les lumières étaient éteintes et je parvenais à peine à distinguer les meubles. Je cherchais à l'aveugle l'interrupteur jusqu'à ce que mes doigts finissent par appuyer sur le bouton. Rien n'avait changé. Tout était en place et il n'y avait pas la moindre trace de poussière. Je fermais derrière moi, toujours perplexe et déstabilisée. Je me mis à explorer les lieux, comme si je les découvrais pour la première fois. A travers les fenêtres, je pouvais voir le ciel gris déverser sa pluie sur la forêt et j'avais du mal à admettre que j'avais une désagréable impression. L'atmosphère était particulièrement lourde, même si tout cela paraissait parfaitement ordinaire. Après tout, j'avais l'habitude de rentrer dans cette maison tous les soirs après les cours. Mais c'était réellement désagréable comme sensation. Une gène au fond de l'estomac.
-Tu te fais des idées ma fille, grognais-je entre mes dents.
Je me décidais à monter à l'étage. Là encore, pas une trace de poussière. Je me rendais dans ma chambre, intacte. Même la pile de livre que j'avais laissé sur mon bureau n'avait pas bougé, et le livre que j'avais abandonné au milieu de ma lecture était resté entre-ouvert à la dernière page que j'avais lu, comme le soir où nous étions parties. Je retournais dans le couloir et restée figée face à la porte de la chambre de ma mère. Je n’osais pas abaisser la clenche et entrer dans la pièce, par peur que tout ait disparu, sans explications. Une boule s'était formée dans ma gorge. Je m'asseyais donc sur la tapis, fixant désespérément la porte en bois. J'espérais secrètement que ma mère sorte de la chambre, un sourire rayonnant sur le visage, et me prenne dans ses bras. Qu'elle me dise que tout irait bien, qu'elle ne me laisserait plus jamais seule, qu'elle serait là pour toujours, que tout ce qui se produisait n'était qu'un mauvais rêve. Mais rien ne se produisit et je fini par me résigner à entrer au bout de vingts minutes. A mon grand soulagement, les murs beige n'avaient pas disparu et les meubles étaient en place. Le lit double au centre de la pièce prenait la quasi-totalité de l'espace.
De chaque côtés du lit, étaient placés une table de chevet. Je m'approchais de l'une d'entre elles et pris le cadre qui y était posé en m'asseyant sur les draps, faisant grincer légèrement le sommier.
Il s'agissait d'une photo qu'avait pris mon père lorsqu'il était encore là. Ma mère m'enlaçait et nous étions toutes les deux tournaient vers mon père, regardant l'objectif en riant. Je ne devais pas avoir plus de huit ans et ma mère n'avait pas les très de fatigues que je lui connaissais. Une nouvelle fois, je me maudissais de ne pas pouvoir pleurer. J'étais anéantie. Tout était fini désormais. Ma mère, mon père... Tout partait en fumé, et personne n'était là pour me rattraper dans ma chute. Je tombais inlassablement dans le gouffre qui s'était formé petit à petit sous mes pieds depuis la disparition de mon père. Ce gouffre n'avait cessé de s'agrandir au fil des années, au fil des amis qui n'en étaient pas en réalité, au fil de ce qui paraissait être merveilleux mais qui n'était finalement que des leurres, au fil des pertes...
Je reposais délicatement le cadre à sa place et m'allongeais sur le lit, les jambes pliées, et le visage enfouit dans un des oreillers. J'aurais aimé dormir pour échapper à tous les sentiments qui s’entrelaçaient dans mon cœur. Mais, évidemment, je n'avais pas le droit au moindre répit. J'avais l'impression d'être condamnée à une souffrance éternelle.
J'inspirais profondément, et m'aperçus que le parfum de ma mère était imprégné dans l'oreiller. Comment était-ce possible ? Après tout ce temps ? J'agrippais fermement le seul souvenir matériel que je possédais encore de ma mère et me rendis dans ma chambre pour m'allonger sur le lit en regardant le plafond. Je posais délicatement le coussin à mes côtés et tournais mon regard vers la fenêtre. Il faisait déjà noir dehors, ce qui n'était pas surprenant dans notre région, malgré cette heure peu tardive. La pluie continuait cependant de tomber, s'abattant sur la vitre avec violence. Mais un reflet brillant attira mon attention sur la table de chevet. Je me redressais et attraper du bout des doigts l'objet en question. Il s'agissait d'un bracelet, le bracelet que m'avait offert ma mère. Je pensais l'avoir perdu le jour de l'accident... Comment pouvait-il se trouver là ?
-Oh, après tout, peu importe, dis-je dans un murmure avant d'emprisonner mon poignet avec la petite chaine en argent.
Mais, au moment où j'allais me laisser à nouveau tomber sur le matelas, on sonna à la porte. Je voulus d’abord faire semblant de rien et ignorer tout simplement la personne en question en espérant qu'elle s'en aille. Malheureusement, elle s'obstina. Les gens ne se rendaient-ils pas compte à quel point cela pouvait être agaçant ?
Je me levais donc, jurant et serrant les poings. Je n'avais vraiment aucune envie de parler à qui que ce soit. En descendant les escaliers, je me disais qu'il fallait paraître plus ou moins malheureuse, mais pas trop abattue et encore moins en colère, car je savais que si la personne qui se trouvais derrière la porte d'entrée estimait que je n'était pas en état d'assumer toute cette peine, elle serait probablement capable d'appeler je ne sais qu'elle service pour les avertir. Et c'était la dernière chose dont j'avais envie. Tout ce que je voulais, c'était qu'on me fiche la paix.


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