Sa montre sonne et le réveille. Il est sept heures du soir. Encore une journée entière à lutter contre les insomnies, les cauchemars, les angoisses, les pulsions.

Il prend deux cachets d'aspirine et se lève lourdement avant de mettre ses rangers et refixer son couteau à lancer sur la boucle.

Il s'approche de ses vivariums dans lesquels sont tapies, au fond de terriers, dans des plantes ou sur des toiles, toutes sortes d'araignées, de la plus grosse à la plus petite, de la plus longue à la plus globuleuse, de la plus velue à la plus luisante.
Scytodidae, araignée cracheuse qui projette sa toile et son venin sur sa proie pour l'immobiliser sur place, Portia, cannibale, tueuse d'araignée usant de toutes les stratégies pour arriver à ses fins, Deinopis, qui peut rester des heures au dessus du sol jusqu'à jeter son filet de toile sur un insecte malchanceux et serrer jusqu'à étouffement, mygale, le monstre tapi dans son trou jusqu'au passage d'une malheureuse victime.

Toutes ignobles, toutes magnifiques, de parfaites machines de guerre, des bijoux technologiques, des monstres de rapidité, de furtivité, de vice. L'animal le plus hideux de la Création est celui le plus abouti.

Il nourrit ses créatures avec des insectes vivants, blattes et autres cloportes que renferment sa cave, et les regarde avec ses deux yeux, l'un gris, l'autre blanc, barré d'une balafre visqueuse qui suit le haut de son arcade jusqu’au au milieu de sa joue.

Il regarde sa montre. Huit heures. Le soir va bientôt tomber, et il a un travail à finir.

Il se dirige vers une malle qui renferme des lunettes de vision nocturne, un cache-nez, un gilet tactique noir encombré de plusieurs poches, une combinaison d'intervention sombre, des chaussures magnum...

Il se déshabille et enfile sa tenue de chasse. Sa grande ombre dressée dans un halo de lumière blafarde n'en est que plus inquiétante, ses longs bras légèrement écartés par rapport au corps remuent au rythme de la respiration , ses doigts bougent aussi légèrement, le crissement du cuir accompagne le geste. Seul son crâne blanc et terne se détache de sa silhouette noire.

Il ouvre un tiroir sous un plan de travail et en sort une seringue et un élastique. Il remonte sa manche et laisse dévoiler un avant-bras épais parcouru par des veines bleues et gonflées. Il serre l'élastique à son bras et s'injecte le produit dopant dans sa chair.

Le voilà qui se relève et qui marche, mais sans plus boiter. Sa démarche est plus rapide, plus féline, ses gestes plus souples.

Il rabat ses lunettes de vision nocturne sur son regard et l'allume. Trois énormes yeux rouges sortent de la pénombre. Il est prêt.