J'entre dans la classe, plutôt serein. Après tout, ce n'est qu'une bande de gamins. Ils sont encore jeunes, inoffensifs. Je longe le mur et m'assoit devant eux.

- Bonjour. Bon, on s'est déjà croisé tout à l'heure...

Quelques rires. Faut dire que ma dernière entrée est loin d'être passé inaperçue. Je fais craquer mes doigts et regarde la classe.

- Je sais que c'est la rentrée, que vous revenez de vacances, que vous êtes fatigués. Vous pensez à vos histoires d'amour à la plage...

Je regarde le fond de la salle et semble n'apercevoir que des geeks. Mauvais exemple, un point en moins pour moi.

- Bref, pour redémarrer en douceur : je vous propose de regarder un DVD.

Et voilà, avec ça je vais passer pour le super prof moderne ! Je suis génial. Pour tant, j'entends que ça râle dans la classe. Faire semblant de rien entendre.

- Combien tu paries qu'il va nous mettre un film sur la vie de Voltaire.
- Je me fais chier d'avance...

Continuant de faire mine de ne rien entendre, je m'avance vers le lecteur et insère le DVD. Je bidouille un instant et parviens à le lancer tout fier !

Le film commence. Certains râlent au début, beaucoup même. J'ai en effet lancé le film en VOSTFR. Ce qui ne plaît pas à tout le monde.

- C'est vraiment un cours de français Monsieur ?
- Je veux vous faire comprendre que le langage est important. Peu importe la langue. Il faut de la communication. Pas besoin de mots forcément...
- C'est un film de nanas !
- Chut Florent !

Ils regardent le film et se laissent captiver au bout du compte. Arrivé au moment de ma scène préférée. Je place une phrase.

Observez attentivement. Ici, les mots sont importants, mais l'image et la musique le sont tout au temps. Même plus.

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Ils ne répondent pas, captivés. Finalement, j'ai plutôt réussi. Le film continue et la cloche sonne.

- On pourra voir la fin Monsieur ?
- Bien sûr. Demain, mais évitez de le dire au directeur. Je suis pas sûr qu'il soit d'accord. Si on vous demande ce qu'on a fait, répondez qu'on a fait un cours sur la nouvelle et le roman. D'ailleurs, j'ai fait un poly au cas où...
- Chaud le parano, ricane Ulric dans son coin.
- Et on le fait quand le programme, demande Charlotte ?
- Tu comptes suivre toute ta vie un programme ? Faire ce qu'on te dit de faire ? Moi, je veux vous apprendre à vous ouvrir l'esprit ! A faire de vous des penseurs. Des philosophes !

Encore une fois je m'emballe. Il faut que je me calme.

- T'as compris l'esprit quoi !
- Vous êtes vraiment prof ?

Je regarde affectueusement la classe sortir. Ils sont pas si mal que ça finalement, ça devait être exagéré cette réputation de classe à problèmes.

Florent se plante devant moi.

- Un film de gonzesse ça. C'est bon pour les tapettes.
- American Beauty. Moi j'aime bien. J'ai un faible pour Kevin Spacey...
- C'est mièvre à en mourir.
- Je suis certain qu'un jour tu comprendras le message de ce film. Tu préfères qu'on fasse une dissertation sur les fables demain ?
- Non, c'est bon.

Florent part en grommelant. Bon, évidemment c'est loin d'être gagné par tout le monde. Il va falloir trouver le coeur de ce gamin. Il doit bien se cacher derrière cette épaisseur de pierre. Tout le monde à un point faible. Tout le monde...


Assis dans mon fauteuil, je regarde d'un oeil morne le journal télévisé. Un professeur est accusé d'harcèlement sexuelle sur une élève mineure. Pauvre homme, ce qu'elle est moche sur la photo. Comment on peut vouloir se taper un nana pareille.

J'attrape une bière, regarde le verre trop loin et décide de boire au goulot. Je vis seul pourquoi m'en priver.

Je me sens seul. J'ai le cafard dans ce petit studio. Je me sens étriqué dans ma vie. L'impression de n'avoir la place pour rien.

Le téléphone sonne. Je décroche.

- Oui, Jack à l'appareil.
- Jack, mon pote. La forme ?
- J'ai connu mieux.
- Je fais un poker ce soir avec ma nouvelle copine et quelques unes de ses amies. Elles sont vraiment très sympa !
- J'ai pas le moral Éd...
- Et ça fait trois ans que tu me dis ça.
- C'est bon, t'es prof maintenant. Viens faire la fête.
- C'est gentil mais pas ce soir.
- Allez viens.
- Je te dis non !

Silence au téléphone. J'entends pendant quelques instants la respiration d'Édouard. Puis celui-ci se reprend.

- Elle te manque tant que ça ?
- ...
- Ça fait plus de trois maintenant. Lâche l'affaire !
- Je peux pas. J'aurais jamais du la laisser. Pourquoi je l'ai quitté. Je sais même pas où elle se trouve ! Je sais même pas si elle est en France.
- Non, pas le pantalon... Deux secondes Jack.

Le téléphone se coupe. Emmitouflé dans mon cafard, je finis ma bière. Je me sens seul. Mon meilleur ami s'enchaîne des nanas et moi je déprime.

Tu me manques tant Justine...



Qui a besoin le plus d'aide ? Moi ou mes élèves ?