Pour une fois, ce ne fus pas la sonnerie du réveil qui réveilla Kyle, mais celle de son téléphone. "Qui cela pouvait-il bien être à une heure pareil ?" pensa-t-il avant de constater qu'il était déjà 10h et qu'on était lundi jour de repos pour Kyle. Il sortit du lit, à la fois heureux de ne pas devoir s'habiller pour aller au travail mais aussi légèrement impatient à l'idée de voir qui lui téléphonait si tôt. Son appartement était fort petit mais surtout sans dessus-dessous. Sur le canapé trainait des habits qu'il n'avait jamais pensé à mettre au sale et de vieux verres vides. Des boites de DVD éventrées et des cannettes diverses jonchaient le sol, souvenirs de la soirée de la veille avec ses amis. Il enjamba une pile de magazines et décrocha.
-Police de Los Angeles. Monsieur Kyle Hudson ?
-Lui même.
-Nous avons retrouvés votre fils trainant derrière le Wall Mart de Westchester. Vous pouvez passer le prendre ?
Kyle ria, un peu géné. Il n'avait pas de fils, et encore moins de femme. "Mais je n'ai pas d'enfant" dit il à la femme. "Si c'est une blague, elle est bien pensée mais je ne marcherais pas" ajouta-il, se rappelant avoir fait des blagues similaires au téléphone dans sa jeunesse, la plus mémorable était la fois où il avait fait croire à une femme agée que son fils avait des ennuis avec une bande de mafieux pas très à cheval sur les bonnes moeurs.
-Écoutez monsieur, je n'ai pas toute la journée. Venez le prendre avant midi sinon vous aurez des ennuis. Au plaisir.

Kyle voulut ajouter un "mais" sans en avoir le temps, la réceptionniste avait tout bonnement coupé la communication. Il reposa le téléphone et alluma son ordinateur. Le numéro qui l'avait appelé concordait bien avec le numéro d'un poste de police du coin. "Çela ne me coute pas grand chose d'aller voir" se dit-il en buvant une gorgée de café. "Je leur expliquerais qu'il y a méprise et tout se passera pour le mieux" dit-il à mi-voix, comme pour se rassurer lui même.
C'était la première fois que Kyle entrait dans un poste de police de son plein gré. La seule fois où il avait du y aller, c'étais lors d'une fête universitaire qui avait mal tournée. S'en était suivi un débat long et douloureux avec sa mère qui lui expliqua que l'argent qu'il lui donnaient servait à travailler puis un long mois où il avait travaillé comme un forcené pour se faire de nouveau bien voir par ses parents. Kyle n'était pas quelqu'un d'extraordinaire et n'avait jamais rien fait d'hors du commun. Le seul acte qu'il considerait comme héroique était la droite qu'il avait mit à un homme qui avait tenté de le racketter alors qu'il rentrait du travail un soir d'hiver. L'archetype de la banalité, en somme.
Après s'être présenté à la réceptionniste, on l'invita à attendre en salle d'attente. Celle-ci était oppresante. Elle avait sûrement été agréable mais les chaises en plastique orange étaient bancales et cassées maintenant, les magazines datant d'une autre époque semblaient inintéressant et des taches jonchaient les murs. L'atmosphère trop pesante pour être agréable. Kyle s'assit et prit un vieux magazine, intitulé "Pourquoi Bush ne sera pas ré-élu" et fit semblant de lire un article. Il observa les autres gens qui attendaient eux aussi sur leurs chaises en plastique. Un homme de forte corpulence se tenait la tête, l'air anxieux. Un autre homme qui aurait pu être le père de Kyle regardait sa montre d'un air énervé. "Il vient sûrement payer une caution" se dit-il. Il commença à imaginer pourquoi l'homme trapu était préoccupé mais fut tiré de ses réflexions par la réceptionniste.
-Monsieur Hudson ?
Il se leva, traversa la pièce et fut acceuilli par un petit môme blond d'environ 8 ans qui couru dans ses bras. Kyle, n'ayant pas réalisé, ne se baissa pas et le gamin se heurta contre ses jambes. "Tu m'a beaucoup manqué" lança l'enfant tout en enlaçant les jambes de Kyle, qui, résolu, refusait de se baisser. Il jeta un regard de biche égarée à la receptioniste qui lui tournait le dos, et qui se retourna après de longues secondes.
-Signer ici s'il vous plait. Et tacher de ne pas l'égarer à nouveaux ou ça pourrait vous couter plus qu'une simple amende.
-Je...Ecoutez, ce môme à l'air adorable mais il n'est pas de moi. Peu importe ce qu'il vous a dit, je...
-C'est une tentative d'abbandon d'enfant que vous faites là Hudson ?
-Je...
-Vous tenez réellement à avoir plus d'ennuis que vous n'en avez ? Arreter de faire le pitre et signez. Nous avons demander au principal de son école de nous assurer qu'il serait présent chaque matin par téléphone de toute manière. Signer.
-Mais je n'ai jamais...
-Si vous voulez régler ça avec mon supérieur il n'y a pas de soucis.
Elle pointa du doigt une masse à l'air vaguement humaine qui avait visiblement décidé de taper un rapport entier avec un seul doigt. Un gros blond à l'air bien musclé, le genre de mec qui devait être videur de boite de nuit à mi-temps pour se payer des cours visant à l'alphabétiser. Le blond le regarda et lança un regard signifiant surement dans son esprit "si toi pas signer, moi te taper".
Kyle réalisa qu'il se sentait exactement comme dans ces magasins discount où les vendeurs utilisaient tout leurs arguments pour vous faire acheter mais n'arrivaient au final, qu'à vous énerver. Le gamin le regardait en souriant et posa la question que redoutait Kyle depuis son arrivée : "Bon, on y va papa ?".
-Je crois qu'on va plutôt attendre ton père.
Il ne réalisa sa bourde qu'après coup, l'enfant fondit en larmes, la réceptionniste prit son plus bel air choqué et la brute se leva, alertée par les cris. -Mais c'est une honte ! Je m'en vais tout de suite alerter la fondation pour l'enfance ! Et je...
-Ça suffit. Donnez-moi votre foutu papier. La réceptioniste lui donna le papier et arréta sa scène immédiatement, certainement heureuse d'avoir moins de travail à faire. Kyle griffonna sa signature là où des petits drapeaux autocollants lui indiquaient de le faire. Il sentit alors un noeud se défaire au niveau de son ventre, comme lorsqu'il avait reçu ses résultats à un examen important de l'université. Il rendit le papier à la secrétaire qui lui accorda un "merci" d'un sourire mielleux. "Horrible bonne femme" pensa Kyle en sortant de l'office, suivi de près par celui qui prétendait être son fils.