Courir!

Courir!

Courir jusqu'à n'en plus sentir mes jambes, jusqu'à n'en plus sentir mon souffle.

Courir pour oublier.

Je ne sais combien de temps mais suffisament pour me retrouver loin de cet endroit.
Appuyé contre un mur je reprends mon souffle, je tente de comprendre ce que je viens de faire.

Exténué, je m'effondre par terre, songeant aux conséquences de mes actes.
C'est marrant comme ce genre de phrase peut sonner faux dans la bouche d'un adolescent.
"Songer aux conséquences de ses actes..." Honnêtement qui le fait vraiment? Si on a ce genre de pensées c'est avant tout parce qu'on n'a pas envie de se faire chopper ou engueuler. Ni plus ni moins.

-Salut.
Coupé en pleine réflexion je lève les yeux pour voir qui se trouve devant moi et tombe nez à nez avec un SDF.
On peut l'appeler Lucien, Bruno ou ce que vous voulez, c'est un vrai de vrai, un qui boit de la bière "Lidl" et fume les mégots trouvés sur le sol.

-T'as pas une pièce?

-Non merci. me contenté-je de répondre machinalement.

-Bon t'as pas une clope alors ?
Bruno s'assoit à côté de moi et me regarde avec un air de Cocker. Putain, ce sont les plus beaux yeux de clochard qu'il m'ait été donné de voir.

-Tiens sers-toi. lui dis-je en lui tendant mon paquet.
Sur le coup je pensais pas qu'il prendrait mes paroles au pied de la lettre. Mais si, le bonhomme me prend sans complexe la moitié de mes bâtonnets de cancer. Te gênes pas garçon, viens chez moi et chope ma copine tant que t'y es.
Bon le truc c'est que j'ai pas de copine. J'ai 17 ans et je suis encore puceau. Non c'est pas un drame en soit, c'est juste que c'est usant à la longue. Surtout pour ma main.

-Tu devrais pas être en cours à ton âge? lance t-il à mon intention.

-Et toi tu devrais pas être au boulot à ton âge?

Suis-je si imbu de ma personne que je n'ai de compassion pour personne.
Mais Bruno ne semble pas s'en soucier. Il rigole même de ma réflexion.

-Je souhaite que ça ne t'arrive jamais petit de te retrouver à la rue, et de connaître des hivers froid et des compagnons un peu trop poilus pour être des femmes.

Je le regarde étonné et souris, conscient de ma bêtise.

-Tu veux une taff'?

Même pas le temps de dire "ouf". Mister philosophe à la rue vient de rouler ce que je considère à vue de nez comme un gros joint.

-Heu, ouais, ouais!
J'ai beau faire le malin à fumer mes Lucky Strikes, j'en mène pas large devant "Monsieur je vais te défoncer la gueule en deux lattes".

En me levant 2 heures plus tard j'ai l'impression de prendre un coup de dictionnaire sur la gueule, ou alors d'annuaire.
Plus tripant et plus psychédélique que Purple Haze. La terre tourne et ma tête aussi.
J'avance tant bien que mal, sans vraiment savoir où je vais. Je titube, mon sac dans une main, dans l'autre une cigarette mal allumée.

J'ai envie de pisser!
Ca te prend d'un coup, comme ça! C'est traitre surtout quand tu trouves en pleine rue.
Alors pendant que j'asperge copieusement le mur en face de moi et que je tente d'écrire mon nom dessus, j'ai une révélation.

Je suis en train de pisser sur une église !
Ah beh merde alors.

Quel imposant bâtiment! Scotché, Je m'arrête de pisser et scrute au-dessus de moi le ciel et le méandre causé par les nuages... Une chanson raisonne dans ma tête.

-It is the evening of the day, I sit and watch. fredonné-je.

Le regard dans le vide je décide de m'asseoir sur une marche sale et poussiéreuse, bercé par la musique, j'observe.

-J'entre ou j'entre pas?

A quoi bon!? Je hais les églises et la religion. Quelle connerie de croire en quelque chose qui n'existe pas. C'est baser de faux espoirs sur des dits infondés tout ça pour se rassurer? Ou alors c'est l'espoir de voir et de sauter toutes les petites vierges du paradis.

Aussi, avant de me mettre à déprimer à cause de la philosophie facile, et d'avaler une dose de granules homéopatiques en guise de suicide je décide de réagir et de me lever.
Je rentre, la queue entre les jambes, ma petite escapade inutile est finie.

En arrivant devant les portes de mon lycée je me sens tellement con.

-T'as pas une clope?

Surpris je me retourne, les yeux illuminés de bonheur croyant retrouver Bruno. Mais la déception est totale alors que j'apercois deux racailles au lieu de mon ami sans abri.


Un mètre 78, 59 kg dans le coin droit, oreille percée, slim déchiré et tee shirt Beatles.

Un mètre 80, 80 kg dans le coin gauche, Nike air max, chaines en toc et faux jean diesel.

Devinez ou je suis...

La cloche sonne, round un!

-Non désolé.

Je suis faible. Rockeur ou pas, rebelle ou pas, je suis faible.

-Vas-y mon frère fais pas le radin !
Le molosse se lève pour affirmer ses propos comme pour me convaincre d'accéder à sa requette.

-Non désolé je n'en ai plus.

-Comment tu me parles là, respecte moi bouffon!

Sentant le conflit arriver je décide de battre sagement en retraite.

-J'ai cours, j'dois y aller.

J'accélère vivement le pas, jusqu'à entendre un bruit si doux et appréciable.
Machinalement je passe ma main dans mon dos pour m'appercevoir que le gros connard vient de me cracher dessus.

La petite tapette rigole. Je me retourne, la cloche re-sonne, Round 2!

-Putain mais... T'es con ou quoi?

Mon tee shirt merde! Bordel qui cracherait sur John Lenon !?!

-Quoi?! Quoi?! C'bon il sert à rien ton tee shirt avec les villages people!

Le plus agressif et baraqué des deux est déjà debout alors que son accolite se lève à son tour.
Deux contre un c'est pas vraiment équitable non?

-T'as vu comment il te parle, te laisse pas faire franchement, il a traité ta mére! lance la petite hyène.

Que vient faire sa maman ici?
Franchement elle aurait mieux fait de serrer les cuisses plutôt que de faire des heures sup'.

-C'est vrai t'as mal parlé sur ma mère?

-J'ai rien dit, fous moi la paix!

Je pose mon sac, la cigarette à mes lèvres se consume peu à peu. Je resserre mon poing droit, ça va partir à un moment ou à un autre et j'ai peur, j'ai l'impression que mon coeur va exploser. Tel le rythme d'une batterie ce dernier impose à tout mon corps une montée d'adrénaline.

Petit à petit il se rapproche de moi, jusqu'à ce que nous soyons nez à nez.

-Tu fais moins le malin là hein ?

Au même moment il en profite pour mettre une tape sur ma cigarette et l'envoyer valser.

- BAISSE LES YEUX! m'ordonne-t-il en me poussant violemment en arrière.

Déséquilibré, je trébuche et me retrouve sur le cul.

Tiens ma cigarette est juste à côté?
Je ne bouge même pas. Je tire une latte pendant que les deux glands rigolent de leur exploit.

Une petite voix me crie d'avoir un peu de fierté, les gens autour observent la scène et chuchotent.
Je me dis qu'il suffit d'un dernier effort, après tout ce n'est qu'un mauvais moment à passer.
Enfin je me redresse et inspire un bon coup.

-Lâche moi putain! lui dis-je sur la défensive.

Un bruit sourd vient rompre cet instant.
Au moment où je comprends ce qui vient de se passer je suis déjà à terre, il me faut quelques instant pour réaliser que le bruit était le choc de mon visage contre son poing.
Je n'entends même plus ce que l'autre me hurle tant dis que son pote me fout des coups de pied dans le ventre. Je ne vois pas de lumière blanche, juste le soleil qui tape fort. Je compte:

Un... Je déteste ce monde.

Deux... Sans exception aucune.

Trois... Je vous déteste tous.

Quatre... Je me déteste avant tout.

Cinq... Votre vie est si monotone.

Six... Ma vie est si fade.

Sept... Vous êtes inutiles.

Huit... Je suis inutile.

Neuf... Mais moi je le sais!!!

DIX ! J'attrape le pied qui arrive dans ma direction et le tire fort.

La plus petit des deux se retrouve aussitôt au sol.
-OUTCH ENCUL... lâche t-il sous le choc.

Immédiatement je me rue sur lui, m'efforcant de taper le plus fort possible.
Mais j'ai à peine le temps de marteler son nez que déjà l'autre me renvoit au tapis.

Vivement je me relève et fixe mon tee shirt complétement déchiré.
Je ne saigne même pas. Je n'ai pas mal, je ne sens plus rien si ce n'est le bruit de mon coeur à la limite de céder.

Mon adversaire se tient face à moi, transpirant, heureux de la situation.

-Allez viens...
Je sanglotte, les mots ne sortent plus. Je ne sens même pas les larmes qui ruisellent sur mes joues.

-Ah Ah! Regardez tous! Le petit pd il pleure! Ah.. chante-il joyeusement.

-VIENS LA! hurle-je.

Je crois qu'il ne s'attendait pas à une telle réaction.
Je fonce instantanément en sa direction et le renverse subitement.
Nous roulons dans la poussière. Les coups partent, je ne compte plus, je veux lui faire mal.

Mais la lutte est de courte durée et chacun de nous se relève de son côté, scrutant les réactions de son opposant.
Cette fois-ci je suis pris d'assault mais instinctivement le coup part.

Encore un bruit sourd et puissant.

Je pleure toujours.
J'ai mal à la main.

L'autre tombe contre le trotoir. Finalement je saigne, mes coudes, mes mains, mon tee shirt ainsi que mon visage en sont couverts.

Totalement sonné je titube, toujours cette foutue musique qui raisonne, je trébuche et m'effondre contre un portail.
Le vent caresse doucement mes cheveux. Je respire bruyament, toujours sous le choc, alors que les deux partent en m'insultant une ultime fois.
D'un revers de bras je m'essuie le visage et fouille au fond de mon sac. Je n'ai vraiment plus de cigarette.
L'air est frais, je ne sais même plus pourquoi je pleure. Les gens sont repartis à leurs occupations, la situation ne les intéresse plus.

-Ca va ? me demande subitement une petite voix.

Totalement à bout de nerfs je m'exclame et recule contre mon support:
-Hein? QUOI!?

-Je voulais juste savoir si ça allait?

Les reflets du soleil et mes yeux embués m'empêchent de distinguer mon interlocuteur.
Des yeux bleus?

-Tiens. me dit-elle en me tendant un mouchoir.

Je n'ai encore une fois de plus rien compris, je suis tout seul par terre avec un kleenex dans la main et je regarde cette fille s'éloigner.
Je met mes écouteurs sur la tête. Lance une chanson au hasard.

-There's a lady...

Ah.

-who's sure all that glitters is gold...

Finalement il me reste une cigarette.

-and she's buying a stairway to heaven.

-Merci. Lancé-je dans le vide.