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Du sable dans les bottes


Par : Salmanzare
Genre : Réaliste, Sentimental
Statut : Terminée



Chapitre 1


Publié le 15/03/2011 à 19:33:54 par Salmanzare

- J'aime la tragédie. Les drames et les histoires qui finissent mal. Faut-il que ce soit le cas pour celle-ci ? Un compte à rebours inéluctable...
- Pas forcément. Parfois c'est tout aussi beau un final heureux.
- Je me souviens aisément de Roméo et Juliette, Tristan et Iseult, - Perdican et Camille ! Comment le bonheur peut-il sublimer la passion amoureuse ?
- Un baiser comme réponse te suffirait ?
- Je ne sais pas. Essaye donc.
- Je n'ai jamais dit que c'est moi qui t'embrasserais.
- Touché.

Et la bourrasque de vent emporte au loin le dialogue. David la regarde, un instant fasciné par la chevelure qui claque dans le vent, puis revient vers le rivage. La digue lui semble plus sûre. Il lui faut un réconfort solide, assez fort pour le raccrocher à la réalité. Toutefois, il ne bouge pas. Peut-être est-ce son amour pour l'inconstance qui le pousse à rester sur le sable ? Et toujours le bruit de la mer, musique lancinante, qui berce le jeune homme. Ses yeux se perdent sur un cimetière de coquillages léché par l'écume. Le paysage semble parler de lui-même. Il ne le dit pas, et ne le dira pas, mais la mort paraît déjà présente sur la grande étendue qui s'offre à lui. Il renie l'hypothèse, s'évertue à penser le contraire sans vraiment y parvenir. Janvier le fait tressaillir, il se blottit dans sa veste pour ne pas y penser.
L'écume gagne lentement son coeur tandis que l'air marin emplit ses poumons. La respiration se fait plus difficile à mesure que le sel lui griffe les entrailles. Le poison s'infiltre partout, le fait suffoquer silencieusement. Il s’assoit pour reprendre son souffle et cherche la main de Chloé. Rien à faire, celle-ci continue de se dérober, de courir vers l'avant et d'éclabousser les falaises d'un rire cristallin. Sa main se referme alors sur le sable. Mon coeur est-il un coquillage se demande le garçon ? Il cherche à former les mots, mais la phrase meurt sur le bout de ses lèvres.

- Tu t'y prends mal. Tu le réalises tout de même ?
- Tais-toi donc.

David ne se retourne pas. Il sait que derrière lui vient de s'assoir le démon à tête de chat. Ce n'est pas vraiment un ami. Mais David ne trouve pas les mots pour définir la relation qu'ils entretiennent. Un confident sarcastique, un éclat de conscience ? L'autre miaule, lèche sa patte avant et réajuste son costume noir. Il minaude un instant puis passe son bras autour du garçon.

- Regarde donc compagnon. Là, dans le sable, ce sont ces pas. Tu devines ce qu'il manque à côté ?
- Les miens, hasarde David, c'est ce que tu vas me dire ?
- Pas si stupide que ça finalement, siffle avec malice le chat. Et si tu ne te dépêches pas un peu plus, le vent aura tôt fait de tout recouvrir. Il ne restera rien. Une belle plage immaculée. Et toi, tu disparaîtras.
- Ce n'est pas physique. Les souvenirs sont immortels, je n'oublierai rien.
- Tu prends le risque ?

Le démon miaule une nouvelle fois, ponctuant ainsi son envie de mettre fin à la conversation. Un discours absurde pour le garçon. Et pourtant, voilà le doute semé. Il sent à présent le souffle du vent sur son visage. Combien de temps lui reste-t-il avant que le sable recouvre entièrement ses pieds ? Trop vite certainement.

Chloé revient vers lui. Innocente. Un air enfantin dans chacun de ses gestes qui la rendrait presque irréelle dans la lumière de l'après-midi. Et chacun des ses instants vécus paraît devenir une marque indélébile, la certitude que rien ne pourra faire oublier cette froide journée de Janvier.
A côté de Chloé se tient le démon à tête de chat, il a le sourire moqueur et se pourlèche les moustaches avec délectation. Il rappelle au garçon qu'il en est incapable, qu'il a toujours fini par oublier et qu'aujourd'hui ne dérogera pas à la règle. David ferme les yeux pour le renvoyer dans les ténèbres.
Le miaulement lui martèle les oreilles. Le voilà de nouveau seul avec Chloé.

Chloé s'accroche à son bras et lui dépose sur la joue un fugace baiser. David porte sa main sur l'empreinte des lèvres pour tenter de s'en imprégner. Ils font quelques pas sur la plage, sans rien dire. L'horizon à perte de vue. David se retourne pour regarder les traces dans le sable. Les siennes semblent inexistantes et la marée n'en finit pas de recouvrir la plage.

Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance !

Chloé s'arrête soudainement. La voici vacillante sur les mots de David. Elle s'interroge sur le propos et n'en trouve pas le sens.

- Baudelaire, précise alors David.
- Je n'aime pas les poètes. Pourquoi faire confiance à des handicapés sentimentaux ? J'ai déjà du mal à trouver mon chemin pour en plus m'accabler des questionnements existentiels des autres.
- Il arrive que leurs mots sentent la poussière. Et d'être bien loin d'exprimer tout ce qu'on ressent réellement. Mais peut-on les blâmer d'avoir essayé ?
- Je ne les blâme pas. Il m'arrive même d'en aimer follement. Et puis j'oublie que je les ai aimés. Les poètes m'ennuient alors. Si on venait à les écouter, on leur donnerait toujours raison. Je ne veux pas que la Terre soit bleue comme une orange, ni que les étoiles soient tristes ! Regarde Arthur Rimbaud, il était un génie acclamé à 15 ans mais tout le monde oublie qu'il finit trafiquant d'arme solitaire au crépuscule de sa vie.
- Mort au romantisme ?
- Mort au fanatisme !
- L'argument se tient. Les poètes sont dépassés aujourd'hui s'ils ne l'ont pas toujours été. Mais la poésie existe néanmoins. C'est ce bel invisible dans lequel tu courais émerveillée tout à l'heure. Tu la voyais ta poésie non ?
- J'imagine que c'en était une certaine sorte.
- Alors prends garde de ne pas mettre de mots dessus. Tu pourrais devenir poète à ton tour.

Chloé hoche la tête avec gravité, comme si cette phrase la pesait. Elle secoue son corps et se détache du bras de David.

- Tu es plus grand que moi, constate-t-elle. Tu as toujours été aussi grand ?
- Avant j'étais plus petit. Et puis je me suis mis à grandir. J'ai détesté mon adolescence ! Non pas car elle me condamnait à être soumis aux caprices de mon corps, mais parce qu'elle m'enfermait dans un entre-deux. Je n'étais pas encore un homme mais plus tout à fait un garçon. Je crois que j'ai vécu cette période avec trop de sérieux et de retenue.
- Et maintenant ?
- Maintenant j'ai vingt ans. Je n'ai plus l'âge d'être un poète génial. Et je sais que je pourrais plus le devenir. Alors je me laisse errer. Un peu. Et je verrai bien où tout ça me mène.

David plonge ses mains à l'intérieur de ses poches pour les protéger du froid. L'obscurité se saisit peu à peu du paysage et les ombres commencent à se confondre. L'horizon devient flou, s'estompe et perd ses contours.

En marchant, les deux ont fini par atteindre une petite crique enclavé au pied d'une falaise. Elle est presque circulaire, et au milieu de celle-ci trône un immense rocher. Ils agrippent la pierre, se raccrochent aux nombreuses aspérité et se hissent enfin au sommet. Ils sont maintenant face à l'immensité de la mer. Elle continue de gagner du terrain. Le cimetière de coquillages n'est plus visible à présent. David sent son coeur se compresser. L'eau doit-être gelée. Il serait fou de se jeter dedans. Mais le garçon hésite tout de même. La morsure de l'océan le rendrait-elle plus vivant ? Deviendrait-il plus réel en grelottant dans le vent ? Il s'imagine alors se laisser tomber du haut du rocher, s'écraser contre le sable humide mais plus que tout ressentir l'ivresse de la chute ! Là encore, ce serait idiot. Il en a conscience. Plus ou moins. Il ne saute pas et finit par redescendre, laissant Chloé profiter seul du paysage.
En bas il déploie la tente. Au fond de la crique, le vent sera certainement moins violent. Mais cela trompe peu le garçon, il sait que ça reste une maigre protection contre le froid hivernal. Il se dit qu'il faudra s'en satisfaire tout de même.
Chloé le rejoint presque aussitôt. Elle sort de son sac de quoi manger. La plage est maintenant totalement silencieuse. Les bruits s'effacent derrière les mots de Chloé.

- J'apprécie ce moment. Il sonne vrai.
- Je te le laisse si tu veux.
- Je veux bien le partager, chuchote-t-elle.

Et elle tend un morceau de pain à David.

- Je ne pensais pas qu'il ferait si froid. La mer en janvier ! C'était tout de même une drôle d'idée, dit-il.
- Tu as toujours de drôles d'idées. Mais c'était amusant de partir sans réfléchir.
- La plage n'appartient qu'à nous cette nuit. Qui viendra la réclamer ?
- Personne.
- Alors autant profiter. Janvier possède ses avantages.
- Je t'en veux tout de même pour le froid, rétorque Chloé.

David se lève pour se placer à côté de Chloé. Il passe son bras autour de la jeune fille et sent la chaleur les gagner. Dans le lointain, il semble apercevoir deux pupilles vertes le fixer ardemment. Il détourne le regard. Chloé blottit sa tête contre son épaule et ferme les yeux. Il ne reste rien d'autre que le ressac incessant.

Quelques minutes passent. Elles accompagnent la nuit. Des battements de paupières invitent à se retrancher dans la tente, le sommeil gagne peu à peu. Le froid les fait se serrer l'un contre l'autre. A moins que ça ne soit l'envie. David ne pense pas aux raisons, l'acte suffit pour lui faire plaisir.

- Je t'en veux toujours pour le froid. Mais je te pardonne presque pour ta chaleur.
- Pour être honnête, je ne me colle contre toi uniquement car je n'ai pas de bouillotte.

Faussement vexée, elle s'amuse à arracher le sac de couchage du garçon disposé en couverture au dessus d'eux. David se recroqueville en râlant et tente de garder le peu de chaleur accumulé en se frictionnant vigoureusement. Chloé revient alors se coller contre lui pour le réconforter. D'abord d'un baiser sur la nuque puis elle s'affale inerte sur lui, l'écrasant un peu.

- Tu vois que je fais des efforts, dit-elle avec sarcasme.
- J'admets que mort je n'aurais plus froid.
- Tu n'es jamais content.
- Je le suis. Mais je pense que je le serais davantage en pouvant respirer.

Elle se met à rire. Un tout petit rire qui se perd dans le ressac de la mer. Ils parlent. Puis les mots faiblissent petit à petit, s'espacent de plus en plus et se font inutiles. Ils sont là. Juste ensemble.

Un baiser. Sucré. Les lèvres se trouvent, se découvrent et s'amusent. Les doigts s'effleurent, les corps se cambrent doucement. Et les souffles se mélangent pour n'être plus qu'un.

David enlace la jeune fille, la serre contre lui pour se gorger de cette vie bouillonnante et rebelle. Il s'empare de ces morceaux offerts et abandonnés, lui offre les siens. L'émotion est suspendue, comme une note de musique fragile, au-dessus d'eux. Le ressac se fait totalement oublier.
Un jeu de séduction sans mots.
La tête de Chloé vient finir sa course sur la poitrine haletante du jeune homme, elle s'endort. Il la regarde avec tendresse. Relève sa tête et croise le regard du démon à tête de chat.

- Tu entends ?

David secoue la tête. Il n'entend rien.

- Écoute bien compagnon.

Et le ressac vient soudainement se fracasser contre sa tête. Il gonfle de plus en plus, une musique grinçante lui vrillant les tympans. David se couvre les oreilles. Rien à faire, le bruit est toujours là. Il est maintenant impossible de l'omettre. Et le démon à tête de chat découvre ses canines acérées.

- Evidemment que tu l'entends. Tu n'entends plus que ça.
- Je te hais.
- Si tu me haïssais vraiment, serais-je encore là ? C'est toi que tu détestes haïr, sombre idiot.
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Rien. Je ne veux rien. Je ne voulais pas supporter seul le bruit. - Jusqu'où penses-tu que la mer va monter ? Elle dort encore, demande-t-il en regardant Chloé ?
- J'imagine.
- Et la mer qui monte ! Qui monte et qui avale tout sur son passage.
- Elle n'ira pas si haut.
- Oui, c'est rassurant de le penser. Mais tu restes sur son territoire. C'est elle qui est reine ici. Écoute le ressac. Il te dit que rien ne subsistera. Le sable est recouvert peu à peu, la mer le brasse, le malmène puis se retire. Et il ne reste jamais rien qu'un autre cimetière de coquillages.
- Tu ne me fais pas peur...
- Évidemment, c'est plus commode de penser ainsi. Il ne va rien t'arriver. Rien... Mais le ressac pourtant...

Les yeux du démon brillent. David continue de se couvrir les oreilles. Il se force à faire le vide. Il veux crier, se rappelle que Chloé est endormie. Il sort de la tente. L'écume lui lèche les pieds. La mer va l'avaler ! Il sent la crise d'angoisse le gagner. La musique discordante annonce son apogée. Il retourne dans la tente pour oublier et se laisse tomber sur le tapis de sol. Chloé se tourne à ce moment vers lui.


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