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Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 6


Publié le 25/11/2015 à 02:46:25 par Sheyne

«Qu'est-ce que tu crois faire avec ça, Ducon ?! Et d'où tu le sors, ce machin !»

Le Roi tenta de se maîtriser, imaginant un plan de secours. Rien ne lui venait à part de larges gouttes de sueur froide. Lentement, elles coulaient le long de son dos. Alors il feignait l'indifférence. L'autre terrorisé aboya encore :

«Jète ta putain de dague, j'ai dit ! Mais... Mais t'es la pute de l'autre fois ! Pourquoi... Pourquoi tu l'as tué... j't'ai rien fait de mal, je t'ai même rendu ton fric... Pourquoi ?! Réponds bordel !»

Il était bouleversé, comme un animal pris au piège. Son regard fuyant passait nerveusement du cadavre sur le lit à la folle sanguinaire. Cette dernière, penchant la tête sur le côté, semblait le jauger. Sa menace ne lui avait pas fait lâcher sa lame, mais au moins elle n'avançait plus. Il craqua et explosa d'un cri paniqué :

«C'est un cauchemar.... C'est pas possible... Un cauchemar...
— Oui...
— Que...»

La jeune femme possédée ria doucement. Les notes aiguës résonnèrent froidement. Telle une araignée, elle tissait l'ambiance de ses toiles, tendant ses fils, espérant un faux pas de sa proie. Un tic nerveux traversa sa lèvre supérieure et son ton se fit hargneux. Comme à l'auberge, elle provoqua le clivage, hurla presque, en frappant du pied, démente :

«Oui ! Évidemment que c'est un cauchemar, sale con ! Moi aussi je l'ai réalisée hier... Quand tu m'as traquée pour me plaquer, avant de me trainer dans la boue comme une chienne !»

Puis à ce souvenir, ses yeux laissèrent couler des larmes. Elle venait de parler d'elle au féminin, une haine honteuse s'emparait de son être. La fureur s'intensifia jusqu'à l'enragement :

«Tu m'as couvert de crasse... Sais-tu au moins qui je suis, pauvre merde ?! Essaie de faire feu ! Essai seulement, et si ce n'est pas un faux, l'armée descendra ici mettra à sac les taudis jusqu'à te retrouver. Tu le sais aussi bien que moi, si tu tires avec ça, des centaines de personnes mourront ! Mais puisqu'il est factice, balance le maintenant, laisse-moi juste te crever, ta mort sera rapide...
— C'est un vrai... Recul ! Recul bordel !!! Elle me l'a donné... Putain... Pourquoi tu ne poses pas ton couteau... Pourquoi tu m'obliges à faire une chose pareille...»

L'autre pleura aussi. Il vit la folle recommencer à avancer lentement, pas après pas, les poignets en l'air, la lame sanglante réfléchissant la lumière. Il prit alors la seule décision possible pour se sauver, il tira.
C'est le moment que choisit le petit animal pour fuser dans un éclair, et les dieux eux-mêmes purent y reconnaitre Ratatosk. L'écureuil, jusqu'ici tapi dans l'ombre, frappa la main du rouquin, semant la discorde. Dans un même temps, la balle déviée pourfendit l'espace, emportant les sons. Le coup de tonnerre manqua sa cible. La détonation fut foudroyante. Le projectile érafla la jeune femme, choquée, et pulvérisa la fenêtre avant disparaitre dans le lointain.

Assourdi par le bruit fabuleux, nul n'entendit les éclats de verre se fracassant au sol. Mais dans ce silence irréel où les acouphènes déflagrent aux oreilles l'âme assassine ne perdit pas un instant. Elle cracha sa haine : la dague improvisée trancha. Souplement, elle avala la distance et faucha au visage.
Dans une abominable sensation de raclement, l'acier froid heurta par le côté. Les zygomatiques éclatèrent. L'avant du crâne, percé, libéra l'orbite. L'assassin força brusquement et la lame s'enfonça jusqu'à sectionner l'oeil droit, ce qui précipita l'homme au sol. Si sa proie n'était pas tombée à terre, sous la puissance du coup, nul doute que le Roi fou aurait également emporté la fosse nasale.

La face fendue, le Rouquin giseait lamentablement. Enfermé dans un terrible mutisme il était secoué de violents spasmes. Mais pas un gémissement ne fut émis. Il perdit rapidement connaissance.
À nouveau, la jeune femme crut défaillir, mais ses jambes tinrent bon. D'un grand coup de pied, elle frappa la tête qui retomba mollement. Si sa victime n'était pas morte, c'était une question de temps. Alors elle rangea le couteau et arracha le collier de son cou. Elle n'y avait pas fait attention la première fois, mais il devait valoir une fortune. Trop pour un bouseux de son acabit. De l'or fin brodé en une chaine légère supportait ce qu'elle supposait être un petit saphir d'un bleu étincelant. Un trophée d'aristocrate, une parure tout à fait féminine. Elle songea à quel point il était normal que son propriétaire veuille le récupérer et en vint à questionner sur son appartenance réelle. N'appartenait-il pas à sa première victime ? Si le pistolet était la propriété de l'amante (le l'homme l'avait avoué) qu'en était-il du bijou ?

Finalement, tenant peu cas de l'interrogation, elle se saisit des deux et repartit par là où elle était venue. À travers la place, des curieux s'agglutinaient déjà aux fenêtres, il lui faudrait faire vite. D'ici une poignée de minutes les premiers gardes arriveraient pour disperser la populace et retourner une à une les maisons du quartier pour récupérer l'arme à feu. Si elle se trouvait loin de l'auberge, à ce moment-là... Et bien, elle devrait improviser.

«Malades !
— Assassins !
— Allez crever !»

Le temps de réaliser, les cris hystériques des voisins commencèrent. Son pied s'était à peine posé au sol. Encore chez eux, ils balancèrent ce qui leur tombait sous la main, bafoués. Une statuette explosa sur le mur, un encrier à ses pieds. Alors l'Ours grogna :

«Qu'est-ce que t'as foutu bordel, c'était quoi cette explosion ?!
— Rien de grave. La jeune femme haleta après sa descente.
— Bordel, ils commencent à sortir de chez eux file moi le collier, vite !
— Je le garde sur moi. Elle devint méfiante.
— Rhaaaaa, la salope ! OK, c'est bon. Putain de merde, suis moi on y va. Bouge !»

Le colosse enserra le bras menu de sa main énorme et la força à courir. Derrière eux, les habitants gauches et endormis se lançaient à leur poursuite, à raison. Quand une arme à feu, ou des explosifs étaient retrouvés et rapportés aux gardes, l'on recevait une forte somme en gage de gratitude... Pour avoir sécurisé les rues de la ville disaient-ils. Évidemment ce n'était qu'à moitié vrai. Le roi avait fait passer cette loi une vingtaine d'années auparavant, lorsque les quartiers pauvres insurgés étaient remontés jusqu'au sixième palier. Sans poudre à canon, ils ne présentaient plus aucun danger, ni pour lui ni pour eux même... Surtout pour lui.
Depuis à chaque explosion on en profitait pour fouiller les taudis, dérober les objets de valeur et accessoirement confisquer l'arme en cause. Bientôt, ils semèrent la foule malhabile. Le réveil ne leur avait pas réussi.

Il fallut dix minutes de course folle au duo pour parvenir à un boyau creusé entre deux racines. Un passage caché, derrière de larges plaques de rouille inutilisables et laissées à l'abandon. Ils s'y glissèrent vivement et scellèrent aussitôt l'accès. En tendant l'oreille, on pouvait déjà sentir les vibrations des bottes martiales, entendre les ordres des gardes et subir les cris des habitants.

Une fois à l'intérieur, ils progressèrent en pente douce pendant près d'une demi-heure. Lentement, le chemin montait. L'Ours avait une lampe électrique, objet courant, mais extrêmement précieux en raison du coût ahurissant des piles. L'éclairage blanc dans ce tunnel de brique était étouffant. Envahi de racines et de bestioles, c'était un couloir en ruine, probablement délaissé depuis des siècles.
La seconde partie de l'ascension sembla durer deux bonnes heures. À bien y réfléchir, il n'aurait su dire si c'était à cause de la peur quasi permanente, ou si la durée était réelle. Parfois, un escalier, ou un carrefour leur posait un choix de conscience. Mais le colosse connaissait le chemin. Il n'hésitait jamais longtemps, délaissant chaque fois de longs couloirs aux secrets inavoués disparaitre dans leur dos. Qu'il y avait-il au fond de ces tunnels ?

Inquiet, le Seigneur gardait son couteau dans la main. Il suffirait d'une attaque surprise ici, et l'autre pourrait lui dérober le pistolet et le collier pour s'enfuir avec. Mais, malgré l'assurance du métal froid entre ses doigts, il ne se sentait pas rassuré pour autant : s'il était trahi et même s'il triomphait de l'Ours, il n'en resterait pas moins perdu et pourrait bien errer dans ce dédale des jours entiers. Au final, si son partenaire décidait de le doubler, il était obligatoirement perdant.

Mais bientôt, un rai de lumière pourpre filtra au loin, et le duo improbable émergea des profondeurs d'Yggdrasil, aux doux rayons de l'aurore. De toute l'ascension le géant n'avait brisé le silence qu'une fois :

«À cause des contrôles fréquents aux escaliers royaux, on n'aurait jamais pu sortir du troisième pallier sans une lettre de noblesse et encore moins avec ce collier. Pour faire du troc, on a bien dû explorer de nouvelles voies de communication. Mais on utilise ces boyaux le moins possible, on entend souvent des horreurs et parfois les gens n'en reviennent pas. Et puis... -il grogna.- il n'y a rien de bon par ici.»

Mais maintenant qu'ils jaillissaient des tréfonds de l'arbre cité, ils furent soulagés. La jeune femme aurait pu respirer si elle n'avait eu le souffle coupé par le paysage s'étalant sous ses yeux. Ils étaient sortis au niveau du cinquième palier et avaient donc sauté un étage. C'était la première fois qu'il avait un aperçu panoramique des plateaux inférieurs, du moins d'aussi près... car de son palais ils apparaissaient ridiculement petits.
Ceux-ci étaient en réalités monumentaux et il aurait juré qu'on pouvait entreposer plus des trois quarts des habitants d'Yggdrasill dans les seuls premiers niveaux. D'ailleurs à en juger par les rues serrées et les maisons agglutinées c'était peut-être le cas.

«Viens, on a un paiement à recevoir, on va te laver la figure avant.»

Pressant, l'ours tira la récente jeune femme de ses pensées. La face toujours maculée de sang séché, elle acquiesça en rengainant sa dague. Finalement, l'autre était peut-être digne de confiance. Son attention se porta alors derrière elle, sur le tronc et l'ouverture à moitié cachée d'où ils étaient sortis. Ils revenaient de loin et se remettaient déjà en route. Les racines s'étendaient partout en dessous d'eux, s'entrelaçant parfois et plongeant jusque dans le vide astral. Au-dessus de leur tête, les étages étaient creusés à même l'écorce. Le cinquième niveau était le dernier reposant encore sur la base de l'arbre...
L'esprit prisonnier serra les dents en songeant qu'il en restait toujours quatre à traverser. Il espérait beaucoup de sa rencontre avec le noble. Mais si l'épreuve s'avérait impitoyable, sa vengeance le serait tout autant.

Loin de leurs regards, courant à travers les dédales sinueux du troisième palier, Ratatosk poursuivait sa fourberie. Malicieusement, l'écureuil se jouait de la comédie humaine, empirant le Karma de ses victimes. Et si l'on avait pu porter l'oeil assez haut, l'on aurait juré apercevoir un aigle guetter.


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