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Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 25


Publié le 07/08/2016 à 03:07:53 par Sheyne

 
Il ne fallut pas longtemps avant qu'on tambourine à la porte. Le bruit cinglant de l'acier brusquement entrechoqué éclata à quelques pas du couple.
Le Roi avait beau s'y attendre, la violence des coups le fit sursauter. L'autre beuglait :

"Ils l'ont bloqué, putain ! J'en veux deux devant cette porte ! On va passer par-derrière. Bloquez leur sortie !"

Félines, ses oreilles captaient chacun des sons, pourtant rendus inaudibles par l'épais blindage, couverts par le battement sourd des appareils. En dépit de ses attentes, leurs ravisseurs ne tentèrent pas de discuter. Sans doute les prenaient-ils encore pour des animaux, incapable de raison. Alors, le seigneur prit un moment pour réfléchir à la suite. Euka, quant à elle, souffla en s'adossant au mur :

"Ça ne ressemble pas à une victoire. Retour à la case départ, pris au piège... Et maintenant ?
- Maintenant ? Maintenant, on va négocier."

Songeur, le Roi enchaina quelques pas le long des installations. Il regardait à peine les vieilles et bruyantes machines. Bien qu'ingénieuses, elles ne possédaient rien d'extraordinaire. Les forces simples sur lesquels elles se basaient pour fonctionner avaient été redécouvertes plusieurs décennies auparavant. Banals.
En repensant aux immenses pompes hydrauliques, ou encore à l'immense générateur électrique de son royaume, il arbora un air suffisant. Non, décidément il n'y avait rien de bien compliqué dans ce galion.

"Hell, entama la jeune femme, à quoi sert tout ça ?"

Devant eux, une gigantesque spirale d'engrenage surgissait du sol, tourbillonnant jusqu'au travers du plafond. Et si jamais ils avaient pu voir à travers celui-ci, ils l'auraient vu se perdre dans la puissante hélice dominant le navire, celle-là même qui permettait au vaisseau de gagner ou perdre en altitude, les rotors pouvant s'inverser à souhait. Le tout modifiait la course de l'ensemble.

"Cette colonne de métal tourne dans un sens pour faire voler le navire, et dans l'autre pour le faire tomber..."

En réalité, pensa-t-il corriger, le galion gravitait, comme les iles. Ce mécanisme n'était donc pas utilisé pour les faire voler, mais plutôt pour conserver leur altitude lorsque la vitesse instantanée n'était plus suffisante. Proportionnellement à la surface des hélices, la masse d'air maximale déplacée était bien insuffisante pour faire décoller un navire à l'arrêt. Un choc trop brutal les ferait sombrer dans les abysses. Hélios les engloutirait, rotors ou non... Enfin, Euka avait beau paraître plus intelligente que la moyenne, lui balancer ces explications serait revenu à jeter un oeuf sur un mur. Il s'en abstint donc en préférant vulgariser.

"Et puis, il y a les mêmes pour faire avancer, ralentir et tourner... Regarde, la puissance d'Hélios rentre dans cette machine, par en bas, par la coque."

Présentant un énorme cylindre horizontal, il poursuivit d'un ton fier :

"Elle la canalise et la redirige vers toutes les autres structures. C'est un peu le nerf central, si on le bloque, tout cesse de fonctionner...
- ...et cet endroit deviendra une ile toute simple, incapable de se déplacer ?
- Absolument ! Ce navire flottera au grès des vents. Soumis à Hélios seul, il finira par être détruit par le temps et son équipage mourra, affamé et assoiffé. À moins qu'il ne soit assez chanceux pour rencontrer un continent... Sur lequel il s'échouera lamentablement, tuant la moitié des occupants."

La jeune femme semblait saisir la situation. Elle commença à se projeter dans un futur proche, avant d'éclater, furieuse :

"On ne peut pas faire une chose pareille ! On ne pourra jamais retourner chez nous si on casse les machines ! On mourra aussi !
- Évidemment. Le Roi s'exaspéra. Tout consistera à faire croire qu'on en est capable, puisque nous ne sommes que de vulgaires bêtes. Ça peut marcher. Il suffira de saboter l'une des hélices, et de les faire chanter.
- Je... Oui... C'est bon je saisit."

Euka avait affirmé comprendre, le visage illuminé. Cependant, alors qu'elle explorait ses pensées, elle se ravisa bien vite. Elle éclata :

"Non ! Enfaite je ne comprends rien rien du tout ! Comment est-ce qu'on pourra sortir d'ici, sans les tuer ? Ils ne nous laisseront pas faire ! Chez nous, quand quelqu'un se met en travers de notre route, on s'en débarrasse, ils vont se débarrasser de nous...
- Parfois, poursuivit le roi, la peur de mourir est plus forte que tout. Ils pourraient bien nous ramener si on les menace. Après tout, qu'est-ce que la perte d'une cargaison face à la peur d'y rester ?"

La jeune femme semblait absorbée, elle contempla ses mains, impuissante. Elle admit enfin :

"C'est vrai... J'aurai fait n'importe quoi pour ne pas mourir... Lorsqu'on est face à quelqu'un de plus fort que nous... Et bien... Et bien, on y passe. Après tout, c'est la règle. Il faut bien un dominant. Mais ici... ici on est si faible, on ne sert à rien..."

Les yeux embués, la jeune femme balança la main vers ses camarades :

"Regarde-les ! Ils sont perdus, ils bougent dans la pièce apeurée sans savoir ce qu'ils font, ni où aller... Et derrière ces murs d'acier, des ennemis grouillent en masse et ils sont bien plus forts, tellement plus puissants... Ils sont venus chez nous, ils nous ont brûlés, nous ont massacrés, enfermés dans ces vaisseaux métalliques... J'ai eu tellement peur de mourir, j'aurai fait n'importe quoi... N'importe quoi pour vivre..."

Tremblante, elle s'adossa contre l'une des structures. Pantelant, son corps sembla s'y perdre, livide. Elle continua pourtant :

"Et toi tu étais là... grâce à toi... en fuyant, en cassant des machines fantastiques et inconnues, en mentant... Tu dis qu'on peut y arriver... Tout est si compliqué - je parle au nom de tous - je ne comprends pas tout, même si j'essaie... J'essaie si fort et je te suis, je te suis par ce que toi tu sais des choses qu'on ne sait pas. Ce savoir, c'est ce qui te rend si puissant, plus puissant que tous ces hommes-là dehors. Avec ce que tu sais, tu as réussi à nous libérer et à nous offrir une chance... Tes connaissances sont autant d'armes plus terribles que les plus puissants des dieux."

Le Roi bomba le torse. Il se sentit à la fois gonflé d'orgueil et triste de l'être. Euka tremblait, misérable, et lui se délectait de son discours élogieux. C'était affreux. Bouillonnant, son esprit torturé par un sens moral nouveau se rebellait, et son corps bestial appelait un exutoire sanglant.
C'est à ce moment que la seconde porte mitrailla l'air d'une saccade d'explosion sonore. Comme fou, leurs ravisseurs s'étaient jetés dessus en espérant qu'elle ne soit pas verrouillée.
Et le seigneur dut se contrôler pour ne pas s'y précipiter l'ouvrir en grand. Ces bâtards avaient fait pleurer Euka.

"Défoncez la porte !"

L'ordre fusa des geôliers en dehors. Paniqués, les cinq hommes bêtes gardant l'entrée l'implorèrent du regard. De toute évidence, personne sur ce navire ne soupçonnait l'impossibilité de défoncer une serrure découpée dans dix centimètres d'acier. Il les rassura brièvement :

"On est en sécurité ici, laissez-moi discuter avec eux."

Puis, se campant devant l'accès, il se mit à hurler :

"On détient la salle des machines ! Discutons de votre reddition !
- C'est verrouillé ici aussi... Ils sont pris au piège !
- Nous n'hésiterons pas à détruire les turbines ! Parlez !
- Descendez les explosifs, on va les faire sauter !
- Putain ! Arrêtez vos conneries ! Le roi explosa. Répondez-moi au moins !"

Les hommes s'agitaient sans réagir, et bientôt le Roi se mit à paniquer. Si ses oreilles lui permettaient de capter les voix derrière le blindage épais ce n'était, de toute évidence, pas le cas des braconniers. Ne l'entendant même pas, ils s'élançaient sur une pente dangereuse. Et lui n'allait pas pouvoir les faire chanter.
Une seule solution, attendre la suite, prête à les accueillir.

Alors, il fit signe aux félins de reculer, avant de se camper lui même à bonne distance de la porte. L'attente commença, et le regard fixé sur les battants, il ordonna brièvement à ses alliés de ne pas bouger d'un pouce. Ses mains, moites, enserreraient de leurs longues griffes le lance-flamme qui lui pendait au cou. Lorsqu'il l'utiliserait, il ne ferait pas cas d'un homme chat sur sa route.

Ce lance-flamme, il l'avait volé au premier garde, et il allait aider à brûler tous les chasseurs du navire. Le destin avait son propre sens de l'humour... En y songeant, il ne put s'empêcher de souffler du nez. Bientôt, il put entendre un nouvel éclat du côté des chasseurs. Quelques tintements, craquements aigus, suivis de pas de course effrénés. Ils venaient de poser les explosifs et s'enfuyaient à l'abri. Il hurla :

"Tous à terre !"

Trop tard.

L'espace déflagra d'une explosion surpuissante. Les murs d'acier se gondolèrent, chauffés à blanc. Les boulons sautèrent d'un seul tenant, et la porte fila comme possédée par une force démoniaque. Elle s'étala à quelques mètres de lui, manquant d'amputer l'un des félins au passage.

Assourdi, le roi ne put voir que l'ombre des soldats s'engouffrer dans le couloir, désormais libre d'accès. Entrainés, ils s'y précipitèrent comme un seul homme, une nuée de corps aligné... Des cibles si faciles, qui ne s’attendaient pas à ce qu'il soit armé.

Les oreilles en sang, le roi éclata de rire et pressa la détente de son lance-flamme.


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