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L'enfant de Prypyat


Par : Absolenko
Genre : Action, Polar
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3


Publié le 18/03/2015 à 17:35:43 par Absolenko

Chapitre 3 :

La nouvelle rapportée par Nygmenko fit l'effet d'un fort vent glacial dans le petit groupe. Roman fronça les sourcils tandis que le commissaire avait perdu son enthousiasme. Yevhen restait impassible. Lilya rompit finalement le silence général d'une question que l'on qualifierait aisément de conne mais qui servait surtout à désamorcer la situation :

- Elle se serait suicidée ?
- Impossible, personne ne peut se tuer en s'étranglant ainsi !, s'exclama Votchyevka.

Roman et Yevhen se tournèrent vers Nygmenko.

- Je confirme, répondit le scientifique, c'est comme tenter de retenir sa respiration jusqu'à la mort. Arrivé à un certain stade d'asphyxie, on se remet à respirer par réflexe corporel. En l'occurrence, s'étrangler soi-même est également inconcevable. De plus, les marques prononcées sur le cou d'Olga n'ont pu être provoquées qu'avec une force conséquente. Je ne suis même pas sûr que la pauvre femme aurait eu cette force tout court...

Lilya hasarda une hypothèse :

- Et si l'agresseur avait tenu et serré la main d'Olga sur son propre cou ?
- Pourquoi pas, effectivement ?, fit Votchyevka, tu as cherché des empreintes sur les mains de la victime ?
- Déjà fait, répondit Edgar comme une évidence, il n'y en a aucune, j'en ai bien peur...

Yevhen ouvrit la bouche, se préparant à participer au débat, mais il interrompit son acte lorsqu'il constata le visage rougeâtre de Roman.

- Me dis quand même pas que tu essayes de retenir ta respiration ?

Son collègue approuva de la tête. A peine quelques secondes plus tard, il céda et ouvrit la bouche en haletant, inspirant de larges bouffées d'air. Il se justifia :

- Edgar avait raison, c'est impossible !
- T'es con...
- Je voulais tester moi-même. Je donne mon corps au service de la science, monsieur !
- Ce n'est pas le moment de rire, Szarszus, le gronda le commissaire qui avait remarqué son petit manège.
- Désolé chef.

Yevhen sauva son ami de sa gêne en ramenant l'attention du groupe sur l'affaire en cours :

- Pour en revenir à Olga, je ne vois qu'une seule explication : le tueur portait des gants. D'où l'absence d'empreintes sur les mains d'Olga.
- Pourquoi n'a-t-il pas directement étranglé Olga dans ce cas-là ?, ne comprit pas Roman.
- Hum... Si tu savais... Les tueurs ont parfois des modes opératoires très farfelus..., répondit Votchyevka.

Personne ne savait que répondre. Ils venaient de perdre une bonne piste et ils redémarraient de zéro, déjà. Il fallait agir rapidement. En bon commissaire, Andriy Votchyevka prit les devants :

- Lilya, je veux que tu descendes aux archives de ce pas. Essaye de trouver une possible trace d'un meurtre identique dans les affaires non résolues.
- Compris, monsieur le commissaire !
- Nygmenko, merci pour ton aide. Continue de chercher d'autres indices sur la scène de crime, en compagnie de ton équipe.

Edgar Nygmenko se fendit d'un garde-à-vous très militaire puis se hâta de sortir du hall afin de rejoindre son département. Votchyevka se tourna finalement vers ses deux majors, toujours prêts :

- Nous sommes désormais dans une impasse. Retournez dans la propriété de Nikolai et d'Olga, fouillez leurs affaires afin de trouver un quelconque début de piste. Il doit bien y avoir une raison à l'enlèvement de ce vieil homme.
- Moi je ne vois pas ce qu'on peut trouver, mais si vous voulez, concéda Roman en haussant les épaules.
- On ne sait jamais. Filez, maintenant.

Réactifs, Roman et Yevhen se levèrent de leur bureau, enfilèrent leur manteau puis sortirent du hall en vitesse.
Ceci fait, le commissaire s'assit sur une chaise en fermant les yeux et en inspirant profondément. Il voulait se poser cinq minutes pour réfléchir à toute cette affaire qui l'assaillait continuellement depuis ce matin.
Mais le métier de commissaire n'était pas de tout repos, surtout dans ces moments-là. A peine assis, il entendit la porte du hall s'ouvrir et se refermer en dévoilant un policier ainsi qu'un civil. Ce dernier portait de grosses traces rouges très visibles sur ces joues et ses yeux brillaient à la lumière. Des pleurs, sans aucun doute.
Le policier emmena l'homme jusqu'à Votchyevka qui accueillit le visiteur en se relevant immédiatement.

- C'est le fils de Nikolai et d'Olga, lui apprit le policier.
- Oh, je vois, merci d'être venu si vite, salua le commissaire en serrant activement la main de l'invité.
- Vous aviez besoin de moi ?, demanda ce dernier en essayant de rester digne.

Pour toute réponse, Votchyevka lui indiqua la chaise du bureau de Yevhen tandis que lui-même prenait place sur celle de Roman. D'un signe de main, il intima ensuite l'ordre de les laisser au policier, qui s'exécuta aussitôt. Puis il se retourna vers celui qu'il avait fait venir.

- Veuillez m'excuser mais je pense que nous n'avons besoin de nous rendre dans une salle spécialisée et close. Le bureau de mes deux majors conviendra. Merci d'avoir fait si vite, monsieur.. ?
- Sasha. Sasha Hotchenko.
- Bien. Je disais donc, merci d'avoir répondu à ma demande si rapidement. En période de deuil, on n'a pas forcément envie de se rendre au commissariat...
- Je ferais tout mon possible pour vous aider à coincer le coupable, monsieur le commissaire.

Votchyevka inspecta le visage de l'homme qui lui répondait avec beaucoup de courage et de sang-froid. Sasha devait tourner autour de la trentaine, les rides n'étant pas encore apparus sur son visage carré et dur. Cependant, les traces de pleurs bien visibles le rendait plus sympathique. Comment ne pas avoir de la peine pour cet homme qui venait de perdre sa mère et dont son père était désormais porté disparu ?

- Tout porte à croire que votre père était la cible de l'agresseur. L'hypothèse d'un cambriolage qui aurait mal tourné a rapidement été écarté.
- Mes parents n'avaient rien de précieux, de toute manière.
- Votre père avait-il des ennemis ?
- Pas à ma connaissance. Mon père adorait rire, déconner.. Il était bon vivant et tout le monde l'aimait. Je ne vois pas qui pourrait lui en vouloir.
- Vous n'avez rien remarqué d'anormal chez votre père ces derniers temps ?
- Non... Bon, il était un peu stressé... Mes parents avaient des soucis économiques depuis quelques mois.

Andriy Votchyevka fronça les sourcils :

- Des problèmes d'argent ? Cela pourrait être le mobile de l'enlèvement...
- Ah bon ? Vous savez si chaque personne sur la paille devait être enlevé, vous auriez du boulot !
- Aucune piste n'est à négliger.

Le commissaire se leva ensuite :

- Merci d'être passé, monsieur Hotchenko, mais j'ai du travail. Nous vous rappellerons au besoin.

Avant de laisser le pauvre homme, il lui glissa un dernier mot réconfortant :

- Gardez espoir pour votre père. S'il a été enlevé, c'est dans un but précis. S'il avait dû être tué sur le champ, l'agresseur n'aurait pas pris la peine de l'enlever.
- Ouais, à moins que ce ne soit l’œuvre d'un fou, pas vrai ?

* * *

Yevhen et Roman s'étaient aussitôt rendus à la propriété de Nikolai et d'Olga. La maison était encore bondée de policiers qui recherchaient eux aussi un éventuel indice. Constant que ces derniers se trouvaient essentiellement au rez-de-chaussée, les deux amis décidèrent de diriger leurs recherches à l'étage.
Sans dire un mot, ils commencèrent leur inspection dans la chambre à coucher. Cependant, à peine quelques minutes plus tard, Roman ne put s'empêcher de râler :

- C'est une perte de temps !
- Les ordres sont les ordres, Roman. Tu devrais le savoir, à force.
- Je sais. Mais à ce stade, autant chercher le Liechtenstein sur une carte de géographie !
- Chaque détail a son importance. Il devrait bien y avoir un indice sur le mobile du crime, sur l'identité de l'agresseur...

Continuant à grommeler, Roman saisit une chemise jaune fluo à fleurs rouges et la montra à son compère :

- Tiens, regarde cette horreur ! T'en conclus quoi avec ça ?
- Qu'il avait de mauvais goûts ?

Roman éclata de rire tout en reposant la chemise là où il l'avait trouvé :

- T'es de bonne humeur toi, remarqua-t-il, c'est ta conversation avec Lilya qui t'a mis dans cet état ?
- Peut-être... D'ailleurs, merci de t'être barré en plein milieu, connard.

Tout en continuant à discuter, les deux majors s'affairaient à la recherche d'un indice quelconque, en retournant les armoires et tiroirs du couple.

- J'étais de trop, se justifia Roman, mais j'avais raison. Cette femme n'en avait QUE pour toi ! Elle te dévorait des yeux !
- T'en fais toujours trop..., soupira Yevhen.
- Allons bon ! Quelle femme ne tomberait pas amoureux de ce beau fessier de quadragénaire !

Yevhen sourit à la plaisanterie de son camarade. Puis, il jeta au sol un t-shirt.

- J'en ai marre. Tu as raison, on n'arrivera à rien. Il faut réfléchir.
- Mais je t'écoute.
- Si Nikolai avait éventuellement des secrets, où est-ce qu'il cacherait tout ça ? Quelle est la cachette idéale, où sa femme n'irait jamais fouiner ?

Roman haussa les épaules :

- J'ai toujours vécu seul, je pourrais pas te dire.
- Et moi ça remonte à plus de 20 ans...

Yevhen réfléchit quelques secondes, puis il se dirigea vers la fenêtre qui donnait sur la rue, l'ouvrit, et aborda un policier qui était en train de fumer sur le trottoir :

- Eh ! T'es marié ?
- Euh... Ouais, répondit-il avec surprise.
- Si tu devais cacher quelque chose de ta femme, tu prendrais quelle cachette ?
- Ah ça.. Là où je range mes sous-vêtements.
- Ok, merci !

Yevhen referma ensuite la fenêtre.

- Ca sent le vécu, commenta Roman.

Sans réagir, son compère se dirigea automatiquement vers la salle de bains et ouvrit les tiroirs un par un. Il trouva enfin le compartiment où Nikolai rangeait ses slips, caleçons et chaussettes.
D'un geste de la main, il somma Roman de le rejoindre. A deux, ils vidèrent le tiroir de son contenu et bientôt, le carrelage de la salle de bains fut jonché de sous-vêtements masculins.
Soudain, Yevhen s'arrêta, fixant une chaussette qu'il tenait dans sa main. Intrigué, Roman se stoppa à son tour et regarda son collègue d'un air interrogateur.
Toujours silencieux, Yevhen tâta la chaussette et attira l'attention de Roman sur une bosse. Il retourna ensuite la chaussette à l'envers, avec précautions.
Plusieurs sachets tombèrent alors au sol. En policiers expérimentés qu'ils étaient, ils reconnurent aussitôt de quoi il s'agissait.

- De la drogue !, s'exclama Roman.
- Il semblerait...

Choqués par leur découverte, Roman et Yevhen continuèrent néanmoins leur déballage. En fin de compte, ils trouvèrent trois autres chaussettes qui contenaient eux aussi des sachets de drogue.
Roman ne put s'empêcher de siffler :

- Eh beh, au vue de la quantité de drogue amassée ici, c'était manifestement un dealer. A soixante ans ! Papy fait de la résistance.

Yevhen sourit à sa remarque :

- Tu disais quoi ce matin ? Que le couple était sans histoires parce qu'ils avaient un potager ?
- Ca va, ça va...
- Tout le monde a des secrets. En l'occurrence, Nikolai trempait dans le commerce de la drogue. Ca pourrait constituer un mobile très crédible.
- Je suis d'accord avec toi. Et maintenant, que proposes-tu ? On va directement voir la mafia ?

Yevhen fronça les sourcils, en pleine réflexion. Pendant ce temps, Roman réunit toute la drogue qu'ils venaient de découvrir. Il appela ensuite un policier qui traînait par là et lui ordonna :

- Apporte tout ça au commissariat sous forme de pièces à conviction.
- Bien, major.

Ceci fait, Roman se retourna vers Yevhen. Ce dernier répondit enfin :

- Tu as raison, on va aller voir la mafia.
- Sérieusement ?, bloqua Roman, choqué.
- En simple visite de courtoisie, que nous feraient-ils ? Puis nous avons eu nos relations, par le passé...

Roman soupira fortement. L'idée d'aller rendre une petite visite à la mafia kievoise ne lui inspirait pas grand chose.

- Sauf que depuis que nous avons fait emprisonner un de leurs bras droits, nous ne sommes plus vraiment en odeur de sainteté...

* * *

La voiture de fonction de Yevhen et de Roman s'arrêta puis se gara devant un grand restaurant à la devanture lumineuse et tape-à-l'oeil. « L'Ukrainien volant ». C'était un endroit réputé et de qualité au niveau gastronomique. De plus, le restaurant était à thème et présentait un décor recherché sur fond de piraterie. Des drapeaux noirs ornant un crâne étaient disposés ça et là, le lieu était volontairement sombre et le restaurant s'était même récemment offert le luxe d'y installer de l'eau et un véritable bateau à taille réduite, sur lequel l'on pouvait manger.
Cependant, même ce restaurant de luxe et réputé présentait sa part d'ombre. En l'occurrence, toute personne bien renseignée savait pertinemment que l'auberge était une façade permettant à la modeste mafia locale d'être à l'abri des regards et des soupçons.
Pour les civils lambda, là n'était pas le problème. Du moment que le restaurant restait si accueillant et satisfaisant, le reste leur importait. Quant aux autorités, la mafia de Kiev restait un sujet tabou au sein du commissariat. Tous les policiers avaient eu plus ou moins affaires avec les mafieux, mais personne n'osait l'avouer.
Même des éléments aussi prestigieux et honnêtes que Yevhen et Roman avaient eu à collaborer avec la mafia, dans le temps. Lorsqu'une enquête était au point mort et dans une impasse totale, les deux majors s'étaient résolu à collecter des informations auprès de la mafia. En échange, ils eurent dû fermer les yeux sur leurs activités illégales, principalement le trafic de drogue et de stupéfiants.

Actuellement, la situation était plus tendue. Suite à un dilemme lors d'une sombre affaire, Yevhen et Roman outragèrent l'accord tacite et firent arrêter un certain Slavko, pilier de la mafia. Ce dernier est désormais derrière les barreaux.
Depuis cet incident, qui s'est déroulé il y a cinq ans, les deux policiers modèles n'avaient jamais repris contact avec la mafia. Jusqu'à ce qu'ils découvrent que Nikolai était impliqué dans le deal de drogue.

- L'endroit n'a pas changé depuis la dernière fois, soupira Yevhen.
- Je me demande comment ils vont réagir à notre vue... Il faudra être vigilants et...
- Laisse ton revolver ici.
- Quoi ?!, s'égorgea Roman.

Yevhen sortit de la voiture et rangea son arme dans la boîte à gants.

- N'oublie pas Roman. Visite de courtoisie.

Ayant appris au fil des ans à se faire confiance l'un à l'autre, Roman se débarrassa de son pistolet à son tour, non sans lever les yeux au soleil.
A deux, ils traversèrent la rue et ouvrirent la porte de « L'Ukrainien Volant ».

- Amen, chuchota Roman.
- Ta gueule.

A peine entrés, un serveur s'apprêta à les aborder. Néanmoins, son regard dévia vers leur uniforme de policier et il eut un mouvement de recul. Reprenant ses esprits, il se dirigea vers Yevhen et Roman et commença son speech :

- Oh, ces messieurs sont en pause je présume ? Vous avez réservés ?
- Perdu, nous sommes en fonction, répliqua Roman en sortant son badge.

Le regard du serveur s'assombrit, puis il fronça les sourcils :

- Qu'est-ce qui vous amène ici ?, demanda-t-il.
- Nous sommes venus pour voir tes patrons, insinua Yevhen.
- Je ne vois pas de quoi vous parlez.

Exaspéré par la fausse innocence du serveur, Yevhen bouscula ce dernier et se dirigea vers la porte réservée au personnel, à l'arrière du restaurant. Roman le rejoignit en vitesse au moment où il entra. Ils virent ensuite une autre porte à l'arrière, c'était là que se terraient les cerveaux de la mafia locale.
Soudain, après quelques pas et alors qu'ils commençaient leur acheminement, un jeune homme musclé et menaçant entrava leur progression en se mettant en travers de leur chemin. Il asséna d'un ton bourru et agressif :

- C'est pour quoi ?
- Pour un déménagement, tête de nœud.
- Ne l'écoute pas, rétorqua Yevhen en donnant un léger de coude à Roman, nous sommes ici pour voir ton boss.

Avant que le garde du corps ne puisse répondre, il surenchérit :

- Nous venons en toute courtoisie, nous ne sommes pas armés.
- Je ne peux PAS vous laisser passer, répondit-il en haussant le ton.

Roman voulut rétorquer et essayer de convaincre son robuste interlocuteur, mais il fut coupé dans son élan par la porte de derrière qui s'ouvrit subitement. Elle laissa apparaître un homme aux cheveux blancs mais au visage conservé et aux traits énergiques. Quelque soit son véritable âge, il en paraissait quarante, au maximum, et ce malgré ses cheveux poivre et sel. Il jaugea le garde et tonna :

- C'est quoi ce raffut, Maxim ?
- La police, bougonna le dénommé Maxim.

Le visage du dernier arrivé s'illumina :

- Yevhen ! Roman ! Ca faisait longtemps !

Il s'avança et serra fortement les mains respectives des deux majors.

- Euh... Salut Erik, balbutia Yevhen.

Roman se contenta d'un signe de la tête. Tout comme son partenaire, il trouvait bien mystérieuse la manière dont Erik les accueillait. Et il semblait vraiment sincère.
Connaissant un minimum la mafia, Yevhen joua franc-jeu :

- Vous n'êtes plus fâchés après nous pour ce qui est arrivé à Slavko ?
- Ah, lui, répondit nonchalamment Erik en balayant ça d'un revers de la main, c'est du passé. Vous n'avez fait que sauver votre job. Depuis, nous l'avons remplacé par un élément bien meilleur. C'était un mal nécessaire.

Yevhen ne savait pas s'il devait être soulagé que ce problème avec la mafia était définitivement réglé. Il pensait les mafieux plus rancuniers et solidaires. Cependant, il chassa cette idée de sa tête. L'affaire Slavko n'était pas l'objet de leur visite et ils devaient se concentrer sur Nikolai. Il profita alors de la bonne humeur d'Erik.

- Erik, nous sommes venus ici pour rencontrer ton boss. C'est urgent.
- Oh, je vois.
- Nous ne sommes pas armés.

Erik se tourna vers Maxim et lui intima l'ordre de fouiller les deux policiers, d'un seul regard. Obéissant à son supérieur, le garde passa ses mains sur le corps de Yevhen puis de Roman. Puis il recula et annonça :

- Tout est OK.

Erik sourit de nouveau et invita les deux majors à entrer par la porte de derrière. Yevhen et Roman s'y engouffrèrent, suivi d'Erik qui referma la porte, laissant Maxim continuait sa surveillance.
Ils durent descendre les marches d'un petit escalier en pierre puis aboutirent dans une vaste salle sombre mais coquette. Il y avait de la moquette rouge au sol et les murs étaient parsemés d'extraits de journaux et de photos.
A l'intérieur, une grande table de poker occupait la majeure partie de la pièce. Des mafieux étaient répartis tout autour. Au centre de la table, des dizaines de sachets de drogue. Drôle de poker.
Lorsque Yevhen et Roman firent leur entrée, les bandits arrêtèrent leur discussion tel un seul homme et fixèrent sombrement les deux arrivants.
Un homme plutôt proéminent se leva enfin et leur fit face. Plutôt débonnaire mais aux muscles saillants, Yevhen et Roman reconnurent automatiquement Pietro, le chef de tout ce trafic, et ce depuis de nombreuses années.
Le temps, s'il a attaqué son apparence physique : rides, embonpoint, calvitie, n'avait pas érodé sa motivation, sa dureté et son intelligence. Il gérait la mafia d'une main de maître et n'appréciait pas que la police vienne mettre le nez dans son commerce, que ce soit avec de bonnes intentions ou non. Tout le contraire de son second, Erik, qui voyait la collaboration secrète entre la mafia et la police d'un bon œil. Néanmoins, Pietro savait pertinemment qu'il devait s'assurer le silence des agents de police pour pouvoir prospérer. Ainsi toléra-t-il les nombreuses fois où Yevhen, Roman ou un quelconque autre agent, vinrent le solliciter.

- Qu'est-ce que vous faites ici ?, lâcha Pietro.
- Calme-toi, ce n'est qu'une visite de courtoisie, assura Yevhen.
- Ils ne sont pas armés, dit Erik en rejoignant son supérieur.
- On n'est jamais trop sûrs. Mark, fouille-les !

Le fameux Mark se leva précipitamment et exécuta l'ordre de Pietro. Quand il s'occupa de Roman, ce dernier ne put s'empêcher de plaisanter :

- Encore ?! A force je vais avoir un début d'érection...
- Je vois que tu as pas perdu le sens de l'humour, réagit Pietro d'un ton froid.

Roman se força à sourire mais il ne put afficher qu'une grimace. Pietro ne semblait pas très content de les voir, c'est le moins que l'on puisse dire.

- Ils n'ont pas d'armes sur eux, confirma Mark avant de se rasseoir.
- C'est une visite de courtoisie, répéta Yevhen avec insistance.

Pour toute réponse, Pietro regarda sa montre en or puis répliqua :

- Je connais vos horaires, vous n'êtes pas en pause actuellement. Vous êtes en fonction. Alors certes, vous n'êtes pas armés, mais visite de courtoisie ? Je ne crois pas. Donc je répète, qu'est-ce que vous voulez ?

Comprenant que Pietro ne serait pas disposé à bavarder tranquillement autour d'un café fumant, Yevhen alla droit au but :

- Ne fais pas l'innocent ! Tu es forcément au courant de l'enlèvement de Nikolai Hotchenko !
- En effet, les médias ne parlent que de ça depuis ce matin. Mais je ne vois pas en quoi ça nous concer...
- Nous avons trouvé de la drogue par paquets, chez lui.

Pietro se tut soudainement, il s'adressa alors à Erik :

- Tu te rends compte ? La découverte de son enlèvement n'a eu lieu que ce matin et ils ont déjà découvert là où il cachait la drogue ? Les vieux ne sont pas dignes de confiance. Ca aurait pu nous coûter cher.
- Certes patron. Mais il faut reconnaître que leur air innocent et au-dessus de tout soupçon, est un avantage !
- Bref, vous parlerez business plus tard, intervint Yevhen d'un ton sombre.
- Nous avons des raisons de penser que l'enlèvement de Nikolai puisse avoir un rapport plus ou moins direct avec votre organisation, déclara Roman.

Pietro ferma les yeux tout en haussant les épaules.

- J'étais aussi étonné que vous en apprenant sa mort. Et rien ne se passe ici sans que je sois au courant. Le coupable n'a rien à voir avec la mafia.

Les regards de Yevhen et de Roman se croisèrent, chacun cherchant dans les yeux de l'autre la réponse à leur question : disait-il la vérité ?
Peu sûr de lui, ce qui était assez rare pour être souligné, Yevhen dit :

- Vous permettez que l'on jette un œil dans vos affaires ?
- Je vous ai déjà assez tolérés ici !, s'exclama subitement Pietro, j'ai dit que ce qui était arrivé à Nikolai n'avait rien à voir avec nous. C'est la vérité, partez maintenant !

Mais Yevhen ne voulait pas abandonner de si tôt, il était sûr qu'ils tenaient une piste crédible avec la découverte de la drogue chez Nikolai. Il voulait aller à fond dans cette piste, même si cela devait détériorer irrémédiablement leur relation avec Pietro et son gang.

- Ne hausse pas le ton, Pietro, menaça Yevhen, coopère sinon je serais contraint de dévoiler au public plusieurs de tes manigances secrètes.

Piqué au vif, Pietro n'hésita pas à s'approcher de Yevhen et à lui coller son front contre le sien. Roman intervint et poussa Pietro vers sa position d'origine. Le chef de la mafia kievoise avait un rictus désagréable sur son visage.

- Es-tu sûr Yevhen ? Tu me menaces ? Et que dirais-tu si je divulguais TES secrets ? Ton commissaire sera ravi d'apprendre que, par le passé, tu as été un de nos plus grands consommateurs...

Le visage de Yevhen s'assombrit, il n'aimait que l'on lui rappelle ses anciennes périodes de faiblesse. Pietro continua sa tirade, sachant qu'il avait déjà gagné la partie.

- J'ai des dossiers sur vous. Vous ne pouvez me trahir sans en subir d'horribles conséquences. N'est-ce pas Roman ? Ta visite à la maison close devrait faire scandale dans la presse. Ecoutez, nous étions tranquilles, dans la tête de nos affaires. Et voilà que vous venez nous emmerder. Nous n'avons rien à voir avec l'enlèvement de Nikolai.
- Roman et moi ne faisons que notre boulot. Nous devons vérifier qu'il n'existe aucun lien entre l'implication de Nikolai dans ton organisation et son enlèvement.
- Ma parole ne nous suffit pas ? Contesterais-tu mon honnêteté ?
- Oh voilà qu'il joue les innocents, ironisa Roman, c'est vrai que tu es un ange Pietro.

La pique de Roman ne plut pas trop au chef de la mafia qui s'empara d'un revolver qui traînait sur la table. Il se retourna et le pointa sur le couple de policiers :

- Vous m'avez assez saoulés comme ça.

Réactif et ne se démontant pas, Roman plongea la main dans son caleçon et en sortit son arme de secours. Il le pointa sur Pietro en réponse à la menace de ce dernier.

- Sans armes hein ?, siffla Pietro sans desserrer les dents.
- Je... Je n'allais quand même pas vérifier dans son caleçon !, se défendit Mark.

D'un geste vif, Pietro se retourna et tira dans la jambe de son sous-fifre. Mark tomba au sol et se tordit de douleur en se touchant l'articulation du genou. Le chef de la mafia était un viseur-né.
Sentant la tension monter et que les choses tourneraient mal, Roman fit preuve d'intelligence et d'une spontanéité excellente en tirant dans la seule ampoule qui illuminait l'antre du gang de Pietro. La pièce fut par conséquent plongée dans le noir.

- Rah ! Tirez !, rugit Pietro.

Heureusement pour les deux policiers, le noir diminuait considérablement la précision des sbires de Pietro. Yevhen et Roman se ruèrent sans protester sur la porte de sortie. Ils l'ouvrirent et tombèrent nez à nez avec Maxim, qui avait dû être intrigué par les coups de feu :

- Mais qu'est-ce que..., commença le garde.
- Pas le temps !, l'interrompit Yevhen en lui collant une droite dans la figure.

Maxim tomba au sol, sonné et surpris par cette attaque surprise.
Pendant ce temps, les deux fuyards déboulèrent dans le restaurant et constatèrent que les coups de feu avait été entendus par toute la clientèle, la faisant fuir. Les familles avaient pris peur et s'étaient rués vers la sortie. Yevhen put apercevoir les dernières qui partaient en voiture.
Au milieu de la grande salle, le serveur de tout à l'heure regarda les tables vides d'un air hébété puis se tourna vers Yevhen et Roman d'un air suspicieux.

- C'étaient quoi ces coups de feu ?
- Pas le temps !, s'exclama Roman en frappant durement le serveur au visage.

* * *

Yevhen et Roman s'étaient empressés de se réfugier dans leur voiture et de démarrer en trombe, et ce dès qu'ils sortirent de « l'Ukrainien Volant ». Les mafieux n'eurent pas le temps de réagir et lorsqu'ils sortirent eux-mêmes du restaurant, le couple de policiers était déjà loin.
A l'intérieur de la voiture de police, les deux hommes restèrent silencieux alors que Yevhen conduisait au hasard dans les rues de Kiev, tout en restant éloigné de « l'Ukrainien Volant ». Chacun pensait à ce qu'il venait de se passer, et à ce que ça voulait signifier.

- Cela n'a aucun sens !, finit par dire Yevhen.
- En effet, c'est bizarre, répondit Roman, ce n'est pas du genre de Pietro. Certes, il ne nous a jamais appréciés, mais il sait qu'une telle agression sur des policiers est un suicide et un risque pour ses affaires. Tu penses la même chose que moi ?
- Qu'il a quelque chose à se reprocher ? Oui, je pense aussi. Il s'est rapidement énervé. C'est louche. Contrairement à ce qu'il prétendait, je suis quasiment sûr qu'il est impliqué d'une façon ou d'une autre à ce qui est arrivé à Nikolai et Olga.
- On fait quoi alors ?, demanda son partenaire.

Yevhen posa la main sur le talkie-walkie qui permettait de communiquer avec le centre de police. Surpris, Roman arrêta vite le geste de son ami en lui serrant l'avant-bras.

- Tu es sûr de vouloir appeler des renforts ? Si on le balance, Pietro n'hésitera pas à balancer nos secrets, TES secrets.
- Et alors ? On parle de la vie d'une personne ! Nous devons faire le maximum pour retrouver Nikolai ! Quitte à nous sacrifier ! Mes problèmes de drogue sont loin derrière moi, et après ce que j'ai traversé, c'est à moitié justifié.
- Parle pour toi ! Mon aventure aux putes, c'était une erreur de jeunesse après une soirée trop arrosée. Un accident. Ca ne s'est jamais reproduit. Je n'ai pas envie qu'une simple erreur ressurgisse ainsi.

Yevhen plongea son regard dans celui de son coéquipier, comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il voulait faire appel à la confiance qu'ils avaient envers l'autre.

- Si c'était un simple accident, le commissaire comprendra. Quant aux moqueries et aux rumeurs, tu t'en fous.

Roman détourna la tête et fixa l'horizon un instant. Finalement, il enleva sa main de l'avant-bras de Yevhen et céda :

- Tu as raison, Pietro nous cache quelque chose. Appelle le commissariat.

Yevhen remercia son camarade d'un regard de reconnaissance, puis il s'exécuta. Il appuya sur un bouton et déclara :

- Ici le major Chevakova, unité 2-3-0. Demande de renforts pour une perquisition à « l'Ukrainien Volant ». Lien possible avec l'affaire « Nikolai ».
« Bien reçu, major. L'information a été transmise au commissaire qui s'en occupe personnellement ».
- Compris. Quelles sont les ordres pour moi et le major Szarzsus ?
« Vous pouvez vous reposer à vos domiciles. Restez joignables. Terminé ».

Une fois la transmission finie, Yevhen reposa le talkie-walkie et reprit la route. Roman dit alors :

- Dis donc, il s'implique le Votchyevka. Je ne l'avais que très rarement prendre en charge une simple perquisition.
- Tu sais bien qu'il déteste les affaires sordides comme celle de Nikolai. Puis ce n'est pas une perquisition comme les autres. Pietro et sa bande ne vont pas accepter si facilement que l'on fouine dans ses affaires.
- En effet, je lui souhaite bonne chance, soupira Roman.

Reprenant son entrain habituel, il demanda d'une voix enthousiaste :

- Mais sur ordre du commissaire, nous sommes en pause ! Je t'emmène bouffer quelque part ?
- Oh, ce serait avec plaisir. Mais... Yulia est à la maison actuellement et j'aurais aimé être avec elle.
- Pas de soucis, vieux. Je vais pas te priver de ta fille. Fais lui un bisou de la part de son tonton.
- Ce sera fait, sourit Yevhen, je te dépose chez toi ?
- Yep.

* * *

Andriy Votchyevka descendit de sa voiture qu'il avait garé en face de « l'Ukrainien Volant ». A suite, plusieurs autres automobiles l'imitèrent et en descendirent au total une dizaine de policiers. Le commissaire n'avait pas lésiné sur les renforts. La mafia n'allait pas être docile. Et la possible implication de cette dernière dans la disparition de Nikolai l'obligeait à intervenir, et ce malgré le fait que la mafia et la police avait pour habitude de s'éviter et de s'ignorer.

A l'intérieur du restaurant, cela s'était plus ou moins arrangé. Les mafieux, dans la cave, avaient repris leurs esprits et leurs affaires de trafic de drogue. Le sang de Maxim, dont le nez était salement amoché après le crochet de Yevhen, avait été nettoyé. Quant au serveur, sonné par le coup de Roman, il s'était rétabli et avait commencé à prendre les commandes de quelques clients qui étaient rentrés, sans être au courant de l'accrochage.

- Si je puis me permettre, fit le serveur, notre plat de jour est à essayer. Vous ne serez pas déçus. De plus...

Le malheureux ne put finir sa phrase, plusieurs policiers entrèrent sans prévenir dans le restaurant, effrayant les nouveaux clients. Rapidement, le serveur se retrouva les mains en l'air et se colla contre un mur en guise de soumission.
Votchyevka fit ensuite son entrée. Il inspecta la grande salle de restauration puis fixa le serveur, sachant pertinemment qu'il était de mèche avec la mafia.

- Où se cachent-ils ?

Intimidé par le revolver pointé sur lui, et peu désireux à jouer les héros du jour, il montra la porte réservée au personnel. Aussitôt deux policiers y entrèrent et virent Maxim, le garde. Ce dernier était placé juste devant la porte du fond, indiquant ainsi la cachette de la mafia.
Un des policiers le mit en joue et lui intima l'ordre de se taire. L'effet de surprise était importantissime, d'où la satisfaction de Votchyevka et des autres policiers à ce qu'ils aient introduit le restaurant tout en silence.
Cependant, contrairement au faible et inexpérimenté serveur, Maxim était un élément plus dévoué et aguerri. Il cria alors :

- LA POLICE !
- Merde, cracha le policier.

Il fit taire le garde du coup en le cognant violemment au nez, l'assommant et faisant reprendre le saignement.
En entendant le cri de Maxim, Andriy Votchyevka jura. L'effet de surprise était nul désormais. Réactif, il ordonna :

- Entrez, maintenant ! Go, go, go !

Un policier défonça la porte et il s'engouffra dans la salle, descendant les marches à la hâte. Il fut suivi du reste des policiers.
En retrait, Votchyevka fut bien content d'avoir ordonné à ses hommes de mettre leurs gilets pare-balles. Ca allait être plus accroché que prévu. Pourtant, il constata rapidement qu'aucun coup de feu ne fut tiré. Etonné, il descendit les marches à son tour et déboula dans la cave moquetté. Il trouva les mafieux au centre de la pièce. Ils venaient de jeter leurs armes en direction des policiers qui les menaçaient.
Il reconnut Pietro, Erik, une personne qu'il ne connaissait que de vue, et Mark. Ce dernier portant un bandage à son genou gauche.

- Ils se sont rendus ?!, s'étonna Votchyevka en s'adressant au policier à sa droite.
- Affirmatif, commissaire.
- Ca ne te ressemble pas, commenta-t-il en s'adressant directement à Pietro.

Pour toute réponse, le chef de la mafia haussa les épaules.

- Je ne suis pas fou, en infériorité numérique et à moitié surpris, nous n'avons aucune chance. Autant éviter une tuerie inutile. Puis, nous n'avons rien à nous reprocher.

Pietro conclut sa tirade par un sourire faussement bienveillant. Andriy Votchyevka remarqua alors que la table de poker était vierge.

- Je vois, vous avez dissimulé la drogue avant que l'on arrive. De toute manière, nous ne sommes pas là pour ça. Yevhen et Roman ont tout à penser que vous êtes liés à l'enlèvement de Nikolai. J'ai ici un mandat de perquisition nous permettant de fouiller les lieux, annonça le commissaire en sortant de sa veste une feuille de papier.

Le visage de Pietro vira au rouge en apercevant le mandat. Il protesta énergiquement :

- Mais je vous dis que nous sommes innocents !
- Dans ce cas, tu ne verras aucun inconvénient à ce qu'on vérifie.

Les trois compagnons de Pietro ne pipaient mot, mais le comportement suspect de Pietro convainquit Votchyevka de l'hypothèse de ses deux majors qui avancent l'implication de la mafia dans l'affaire Nikolai. D'un geste de la tête, il ordonna à certains de ses agents de s'atteler à la fouille des étagères longeant les murs ainsi qu'au tas d'objets en vrac situés au fond de la cave, et ce tandis que le restant des policier surveillaient les quatre mafieux autour de leur table de poker. Bien que ces derniers avaient l'air plutôt de subir la situation.

« Etrange... », pensa Votchyevka en constatant le calme de la troupe à Pietro.

Un agent écumait les feuilles présentes sur les étages, une par une. Chaque détail pouvait avoir de l'importance et les avançait sur la piste de Nikolai. Ca risquait de prendre du temps. L'attention du commissaire fut attiré par le policier qu'il avait affrété au tas de débris au fond de la salle. Il semblait préoccupé.

- Tu as trouvé quelque chose, Shevsky ?, héla-t-il.
- Il y a une grosse malle ici, commissaire. Il y a un cadenas.
- Un cadenas dis-tu ? Intéressant.

Le commissaire s'approcha de son agent et inspecta la malle. C'était effectivement une assez grade malle, à taille humaine, en vieux bois massif et protégée par un cadenas.. à code. 4 chiffres.
Ce qui ne vit pas Votchyevka, et ce que seul remarqua l'agent de police qui se situait en face de Pietro, fut le visage de ce dernier en train de se décompenser lorsque le fameux coffre fut cité.

- Eh, Pietro. Je suppose que tu connais le code. Dis-le, somma Andriy Votchyevka.
- Jamais, cracha Pietro.
- Comme tu voudras...

D'un geste assuré, Votchyevka sortit son propre revolver et tira à bout portant dans le cadenas, le faisant tout bonnement sauter, débloquant l'accès à la malle. Au coup de feu, Pietro sursauta et son teint devint livide. Il se leva de sa chaise et allait se précipiter sur le commissaire mais le policier qui avait remarqué l'agitation du chef de la mafia fut vigilant et le força à se stopper en le menaçant ouvertement avec son arme.

- Dégage de là, Votchyevka !, rugit-il frustré d'être impuissant.

Définitivement intrigué, le commissaire n'écouta pas Pietro et se pencha pour mieux distinguer ce que contenait le coffre. Il vit une grande bâche orange enroulée autour d'elle-même ou..., Votchyevka eut un mauvais pressentiment, autour de quelque-chose.
Avec l'aide du policier qui avait trouvé la malle, il sortit la bâche avec beaucoup d'effort - son poids étant assez conséquent - puis ils le déroulèrent au sol.
Aussitôt, tous les agents de police firent une grimace de dégoût tandis que les trois sous-fifres de Pietro demeurèrent impassibles et interdits. Ce dernier, quant à lui, avait cessé de gigoter et s'était rassit abattu.
C'était un cadavre. Un cadavre d'une femme, assez âgée sans être une retraitée. Au vue de l'état du cadavre dont la décomposition n'avait pas commencé, Votchyevka devina sans Nygmenko que sa mort avait dû se produire seulement il y a quelques jours.
Le commissaire eut un haut-le-cœur quand il reconnut l'identité du corps.

- Pietro... mais... mais... Mais c'est ta femme !

Encore tout pâle, le mafieux hocha la tête tristement.

- Je sais.
- Tu.. tu l'as tué ?!
- Ne dis pas n'importe quoi. Tout le monde sait que je l'aimais à la folie. C'est mon fils, le tueur.

Andriy Votchyevka ne douta pas de la culpabilité de Pietro, il était persuadé qu'il disait la vérité au vue de ses précédentes réactions. Dans la tête du commissaire, les éléments du puzzle s'assemblèrent dans sa tête. La fureur de Pietro quand Yevhen et Roman voulurent fouiller la salle, son anxiété quand lui et son équipe avait brandi le mandat de perquisition... Le chef de la mafia voulait protéger son fils en cachant son crime.
Si le lien entre la mafia et l'enlèvement de Nikolai n'était pas exclu pour autant, la piste était mauvaise. Pietro n'était pas impliqué. Cependant, il décida tout de même de prendre les choses en main.

- Prenez le cadavre et apportez-le au département scientifique et médical, ordonna Votchyevka à ses sbires, il faut que l'on vérifie s'il dit la vérité. Puis nous aviserons.
- Reste en dehors ça !, s'exclama Pietro dont l'emportement refaisait surface, c'est une affaire de famille ! Mon fils ne s'est juste pas contrôlé et il regrette son geste. Et je lui ai pardonné !
- J'aimerais que ce soit aussi simple, se justifia sincèrement Votchyevka, mais j'agis sous l'égide de la justice qui n'est pas de cet avis.
- Mais putain tu ne compr...
- Désolé Pietro.

Deux policiers maîtrisèrent alors Pietro, trop occupé à s'énerver pour répliquer, tandis qu'un troisième lui mit les menottes. Menacés par les armes à feu, ses collègues criminels ne tentèrent rien pour empêcher l'arrestation de leur boss.
Le cadavre de la femme de Pietro fut remonté en haut, suivi de Pietro encadré par deux policiers.
Avant de sortir de la cave à son tour, Votchyevka s'adressa aux trois mafieux qui restaient.

- Je n'ai rien contre vous, vous pouvez reprendre votre petit commerce de drogue. Mais je garde l'oeil sur vous, j'espère toujours qu'un jour on cessera vos agissements.
- Sans nous, vous n'auriez pas résolu le tiers de vos dernières affaires, protesta Erik.
- Crève, cracha Mark, nous avons plein d'hommes politiques et de juges sous notre joug, tu n'arriveras jamais à démanteler notre empire.

En chuchotant un « c'est ce qu'on verra », Votchyevka remonta les marches et sortit de la cave. Il prévit de diffuser un signalement pour le fils de Pietro, puis il laissera l'affaire entre les mains d'autres inspecteurs. Il avait déjà fort à faire avec l'enlèvement de Nikolai.
Justement, cette affaire venait encore une fois d'accoucher d'une fausse piste. Les empreintes d'abord, puis la mafia ensuite. Deux pistes qui ne donnèrent rien et qui leur avaient fait espérés pour pas grand chose. Ils étaient retournés à zéro. Il appellerait Yevhen Chevakova et Roman Szarszus plus tard dans la soirée pour les informer de ce que l'intervention à « l'Ukrainien Volant » avait donné.
Après être sorti du restaurant et être monté dans la voiture, il décida qu'il exploiterait le lendemain les possibles témoins. Les habitants de la rue, voisins du couple Hotchenko, pourraient avoir quelque chose à déclarer au sujet de Nikolai et d'Olga.
Et cette fois-ci, il espérait que cela donnerait quelque chose.

* * *

Yevhen, lorsqu'il déposa Roman devant chez lui, se dirigea vers sa maison. Il avait faim après une matinée éprouvante. Il était déjà 13 heures, il venait d'enquêter durant 4 heures non-stop si bien qu'il avait besoin de se reposer mentalement. C'est ainsi qu'il fut très content de déjeuner avec sa fille à son domicile.
Il trouva un emplacement vide sur le trottoir juste en face de chez lui. Il s'y gara puis sortit de la voiture. Il rentra ensuite :

- Je suis là !, prévint-il.

Il fit un pas dans le salon mais s'arrêta net. Il y avait Volodymyr, posé autour de la table en train de regarder la télévision, un jeu télévisé. Quand il réalisa la présence de son potentiel gendre, son sourire se figea. Au contraire, le visage de Volodymyr s'éclaira et il s'écria :

- Oh, bonjour beau-papa !
- …

Très déçu, lui qui espérait tant manger avec sa fille en tête-à-tête. Yevhen bégaya quelques mots incompréhensibles mais cela satisfit Volodymyr qui était fier de l'avoir mis dans l'embarras.

- Ah, papa. Tu es rentré ?, s'exclama sa fille depuis la cuisine.
- Ouais.

Il se dirigea vers la cuisine afin de rejoindre sa fille, laissant Volodymyr seul qui souriait toujours, très satisfait de lui-même. Lorsqu'il entra, Yulia l'accueillit jovialement alors qu'elle préparait le repas.

- Salut papa !, le salua-t-elle en déposant un bisou sur sa joue.
- Qu'est-ce qu'il fout là, lui ?
- Oui, moi aussi je suis content de te voir.

Amusée par la déception de son père qui lui dessinait un visage semblable à un enfant de quatre ans interdit de dessert, elle gloussa puis expliqua :

- Je sais que l'on était censés manger à deux. Mais Volodymyr a donné son ticket restaurant quotidien, offert par mon centre social, à un sans-abri dans la rue. Je n'allais pas le laisser crever de faim. Il vient d'arriver donc je n'ai pas pu te prévenir via SMS. De toute manière j'imagine que tu étais trop occupé avec l'affaire en cours.

Yevhen ne cacha pas sa contrariété, il soupira fortement mais finit par accepter de subir la présence de Volodymyr lors du déjeuner. Cependant, le passage où le bon Volodymyr donnait avec bonté son repas à un pauvre sans-abri, cela puait le faux à ses yeux. Encore un mensonge, pensa-t-il.
La sonnerie du four indiqua alors que le repas était prêt à être mangé. N'étant pas une grande cuisinière, Yulia s'était contenté de faire chauffer des pâtes et à préparer des steaks surgelés. Le strict minimum qui saillait cependant à Yevhen, celui-ci devant repartir au plus vite au commissariat. Certes, son commissaire lui avait dit qu'il pouvait prendre du repos, et qu'il l'appellerait en cas de nouveauté, mais il préférait être au centre de l'action : au commissariat.
Les trois convives se mirent à table et se servirent. Bientôt, le bruit des fourchettes et des couteaux se répandit dans le salon, se mêlant avec le fond sonore jusque-là occupé par le jeu télévisé que Volodymyr regardait toujours.
Voulant engager la conversation, Yulia demanda à son père :

- Alors, cette affaire ?

Alors qu'il allait répondre, Yevhen remarqua que Volodymyr s'était subitement désintéressé de son émission, et qu'il écoutait attentivement.

- Frustrante, je dirais. Par deux fois on a cru que l'affaire touchait à sa fin. Et par deux fois, ça s'était révélé être une fausse piste. Les empreintes n'ont rien donné, et la mafia n'est pas impliqué.
- Pourquoi la mafia serait-elle impliquée ?, questionna Volodymyr.
- Parce que Nikolai était un dealer.
- A son âge ?!, fut étonnée Yulia, et après on dit que les délinquants sont tous des jeunes...
- Mais la mafia n'était pas impliquée ?, insista le petit-ami de Yulia qui désirait manifestement en savoir plus.

Yevhen dégagea la question d'un revers de main :

- T'es bien curieux. Je n'ai pas à vous dire tous les détails, et j'en ai même peut-être trop dit. Sachez juste que le coupable n'est pas encore identifié et que l'affaire piétine. Mais assez parlé de moi, ça a été toi ?, demanda-t-il en se tournant vers sa fille.
- J'ai profité de ma matinée de congé comme il se doit, sourit-elle, j'ai lu un livre puis Volodymyr m'a rejoint. Je reprends au centre cet après-midi.
- Je peux te déposer en allant au poste, si tu veux.
- Bien sûr.

Soudain, Volodymyr laissa échapper un faible « oh putain ! » puis se leva précipitamment de sa chaise alors qu'il venait à peine de finir son assiette. Il enfila son manteau sous l’œil surpris de son beau-père et de sa petite-amie. Cette dernière fit :

- Qu'est-ce qui se passe ? Tu ne restes pas pour le dessert ?
- Désolé... Je suis en retard !!
- Ah ? T'as trouvé un travail ?, s'étonna Yevhen.
- Non, j'avais rendez-vous avec un pote.
- Je me disais aussi, ironisa le policier.

Yulia donna un coup de coude à son père avant de se lever pour embrasser Volodymyr. Yevhen se contenta d'un vague geste de la main. La jeune femme raccompagna son chéri jusqu'à l'entrée mais ce dernier était si pressé qu'il n'attendit pas et sortit aussitôt.
Encore un peu abasourdie par ce départ précipité, Yulia retrouva cependant vite le sourire en se rasseyant en compagnie de son père. Yevhen était très content du départ de son gendre, bien plus qu'il ne le laissait apparaître devant sa fille. Même si avec le recul, sa panique semblait un peu louche.
Yulia se releva et rapporta le dessert : des pâtisseries qu'elle avait acheté rapidement à la boulangerie du coin. Heureux de ce moment d'intimité avec sa fille, Yevhen engloutit sa part puis s'essuya les lèvres. Ce n'est que quand il leva la tête qu'il aperçut la mine renfrognée de sa fille.

- Yulia, ça ne va pas ?, demanda-t-il.
- Je... Hum, comment dire... J'ai quelque chose à t'annoncer.

Il connaissait celle qu'il avait élevé depuis sa naissance. Quand elle était sérieuse, elle l'était. Cela devait être très important. Perdant son sourire, Yevhen appréhenda la suite :

- Eh bien, dis-moi.
- C'est à propos de moi et de Volodymyr... Nous... Nous sommes fiancés.

A ces mots, Yevhen manqua de recracher le gâteau qu'il avait précédemment avalé. Ses yeux s'agrandirent sous le coup de l'étonnement, puis il eut du mal à respirer.

- Je t'en prie... Tu ne crois pas que t'en fais un peu trop ?, lui reprocha sa fille, soucieuse de son état de santé.
- Que... Quoi ? Tu t'es fiancé avec ce type ?
- Ce type, comme tu dis, je suis avec depuis plusieurs mois. Je suis super attaché à lui et ça se passe très bien dans notre couple. Alors oui, nous avons franchi le pas le mois dernier.
- Le mois dernier ?! Parce qu'en plus tu ne m'as pas prévenu sur le coup !
- T'as vu l'état dans lequel tu te mets aussi ?, lui reprocha Yulia, j'avais peur de ta réaction et je n'étais pas prête à te l'avouer.

Yevhen resta silencieux, les sourcils froncés. Il peinait à encaisser le choc de la nouvelle des fiançailles de sa fille avec un délinquant. Il n'arrivait pas à être heureux pour elle. Il répliqua :

- Tu as 21 ans, merde ! Tu ne crois pas que t'es un peu jeune ?
- Pardon ?, s'exclama Yulia qui commençait elle aussi à s'énerver, je te rappelle que tu m'as eu quand tu avais vingt ans ! Alors ne viens pas me faire de leçons. Ce reproche n'est qu'un prétexte, un prétexte ridicule pour cacher le réel problème. Le problème ce n'est pas mon âge, ou même Volodymyr, c'est ton côté papa-poule qui crie au secours.
- Ce n'est pas que ça, grogna Yevhen, Volodymyr est une petite frappe, rien de plus. Et toi tu es trop aveugle pour le voir.

Yulia frappa violemment sa main sur la table, elle n'aimait pas que l'on touche à son désormais fiancé :

- Nous avons déjà eu cette discussion des centaines de fois, papa. Tu devras vivre avec Volodymyr dans la famille. Pour te prouver qu'il est digne, et que je l'aime, je... Je lui ai offert la bague de maman.

Cette fois, c'en fut trop pour le père qui se leva en explosant littéralement :

- Tu as fait QUOI ?!
- Calme-toi...
- Tu sais ce que cette bague représente pour moi !

Il n'en revenait pas. Sa propre fille avait donné au premier venu la bague de sa famille. Son père et sa mère avaient conçu deux bagues lors de leurs fiançailles, strictement identiques. Elles étaient très simples compte tenu des finances de ses parents. Le seul signe particulier présent sur ses bagues était le « Y » et le « V » réunis et entourés d'un cœur, du nom de ses parents, « Vyacheslav » et « Yulia ». Ce délire de jeunes amoureux était devenu un signe très fort auquel Yevhen se rattachait énormément.

- Ma mère l'a porté toute sa vie, je l'ai ensuite offert à TA mère. Et toi tu l'offres à ce déchet ? Pff, t'es vraiment comme ta mère. Toujours à aider son prochain, à vouloir percer dans le social, aider les jeunes en difficulté. Je n'étais pas de cet avis. Elle se justifiait en disant que son passé d'orpheline lui avait ouvert les yeux sur le monde. N'importe quoi !, cracha-t-il.

Yulia resta silencieuse, si surprise qu'elle oublia d'engueuler son père pour avoir qualifié Volodymyr de « déchet ». Elle répondit alors, calmée :

- Tu... Tu ne parles pas souvent d'elle.

Le ton sincère et plaintif de sa fille tranquillisa immédiatement Yevhen qui se rassit, tout à coup très triste.

- Que veux-tu ? La colère me fait devenir nostalgique et je repense à elle...
- A chaque fois que je t'en parlais, tu évitais mes questions. Je ne sais quasiment rien sur elle, alors que c'est ma mère !
- Je te l'ai déjà dit, Yulia. Elle m'a laissé tomber, elle nous a laissés tomber. Comme des merdes. Un jour, je me suis réveillé sans qu'elle soit à mes côtés. Je n'avais jusque-là rien trouvé d'anormal. Puis j'ai aperçu une lettre qu'elle avait posé sur la table de nuit. Dedans, la bague que tu as donné à Volodymyr, et un seul mot, « désolé ». Il n'y a rien à dire de plus.

Yulia se leva, fit le tour de la table et alla enlacer son père :

- Je comprends pourquoi la bague est si importante pour toi. Tu y es accroché car elle te rappelle ma mère. J'espère que l'avoir donné à Volodymyr te fera tourner la page.
- Il n'y a pas que ça... La bague est aussi tout ce qu'il me reste de mes parents après leur mortel accident de voiture.

Alors que Yulia allait répondre, les yeux de Yevhen se posèrent sur l'horloge du salon. Il bondit, pas de colère cette fois-ci, et s'empressa de revêtir sa veste d'uniforme.

- Je vais encore être en retard ! Roman doit déjà m'attendre au bureau. Je file, on en reparlera la prochaine fois.

Il fit un bisou sur le front de sa fille puis partit en trombe. Yulia resta un moment assise et seule. Elle se disait que la confrontation entre elle et son père au sujet des fiançailles et de la bague s'était plutôt bien passé. Mais elle savait qu'ils n'avaient fait que contourner le problème et que son père n'avait toujours pas dit son dernier mot au propos de Volodymyr. La lutte, car il s'agissait bien d'une lutte, n'était pas terminée.
Il y avait cependant un autre détail qui chiffonnait la jeune femme. Son père avait un défaut : il ne savait pas mentir. Yulia lui avait laissé une dernière chance en lui faisant parler de ses parents et de sa mère à elle. Il avait encore menti, le même mensonge depuis 21 ans.
Elle avait compris qu'il ne sera jamais disposé à révéler la vérité au sujet de toutes ses parts d'ombre. Non, elle devait chercher de son côté. Fouiller pour ainsi avoir la vérité.


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