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Les Fantômes Peuvent Mourir


Par : BaliBalo
Genre : Polar, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 7


Publié le 03/01/2013 à 17:15:09 par BaliBalo

Le commissaire Planchet salua Paul d’un hochement du chef accompagné d’un sourire franc puis il invita le jeune juriste à s’asseoir en décrivant un geste ample de la main. Paul s’exécuta sans vraiment prêter attention à ce qui l’entourait. D’ailleurs il ne prit même pas la peine de se présenter, ni d’émettre un quelconque signe invitant le commissaire à lui parler, ne serait-ce qu’un aimable salut. Placide, il restait plongé dans ses pensées attendant que cette épreuve désagréable ne passe d’elle-même. En face, Planchet semblait plongé dans la minutieuse observation du suspect. Le commissaire était un fervent physiognomoniste, persuadé qu’il pouvait deviner l’intérieur d’un personnage rien qu’en décrivant son aspect physique. Selon Barrais, il s’agissait d’une grossière erreur, que faisait Planchet des schizophrènes, des hystériques, de ces gens totalement imprévisibles qui commettaient parfois des crimes. Une belle connerie songeait le lieutenant, mais il était forcé d’admettre que le commissaire avait de l’intuition, un certain flair pour cerner les gens. Cependant, ce don ne serait d’aucune utilité face à des requins tels que les Bertau, fabuleux acteurs dans le théâtre du commerce. Barrais se racla la gorge dans le but de faire réagir les deux hommes et Planchet sembla émerger. Finalement, il demanda très sobrement :

« Qu’avez-vous fait hier Monsieur Bertau ?

Barrais nota immédiatement le discours plus solennel de son mentor, l’usage de la particule de politesse, dont il n’avait pas honoré les deux précédents suspects, suggérait que le vieux commissaire plaçait le jeune Paul un rang au-dessus, dans une classe spéciale : une race à part contenant tous les êtres que le vieux policier jugeait dignes de respect. Barrais sentit la mauvaise augure : Paul avait séduit le vieux commissaire et malgré toute la confiance que Planchet lui accordait, Barrais aurait du mal à lui ouvrir les yeux au sujet du jeune suspect. Le juriste ouvrit la bouche après quelques instants de silence, comme pour donner le temps à la question de parvenir à ses neurones. En vérité, Paul, qui avait l’habitude de parler en public, marquait cette pause pour générer un malaise dans la conversation, une rupture dans la dynamique du dialogue, c’était une technique commune qui lui permettait le plus souvent d’entretenir l’appréhension chez ses auditeurs, il répondit donc :

— Je suis allé au travail, il ne s’est rien passé de particulier mis à part que Line nous a convoqué au matin pour nous annoncer qu’elle avait retrouvé notre mère, mais comme nous avions tous beaucoup de travail, nous n’avons pas vraiment pensé à fixer une date pour lui rendre visite. C’était le seul fait important de la journée, le reste relève de Bertaus et il s’agit du cadre privé.
— Vous avez une étrange notion du privé… remarqua Planchet
— Bertaus passe avant tout, je ferais tout pour protéger l’entreprise familiale.
— En dépit de votre famille ?
— Bien entendu.

Planchet ne répondit pas tout de suite, prenant le temps de bien considérer cet aspect commun à la famille Bertau. La dévotion dont ils faisaient tous preuve à l’égard de leur entreprise était quasi-religieuse. Il ne semblait même pas qu’il s’agisse d’argent, comme si Bertaus était leur enfant commun qu’ils enrobaient, recouvraient et noyaient d’amour. Les Bertau couvaient leur entreprise alors était-il nécessaire de creuser cet élément si intrigant ? Bien que les questions se bousculassent dans la tête du commissaire, il décida de garder cela pour plus tard, préférant traiter directement le meurtre de Valentine Bertau-Jeannet. En effet, il était essentiel de déterminer si oui ou non l’un des Bertau avait mis les pieds dans l’appartement de cette mère, mère qui semblait n’être plus qu’une vulgaire femme pour les trois enfants Bertau déjà interrogés. Plissant les yeux dans un sourire bref, le vieux policier reprit :

— Bien. Ainsi vous certifiez ne pas être allé chez votre mère, pourquoi ?
— Nous avions beaucoup de travail, réaffirma Paul.
— J’entends là la véritable raison Monsieur Bertau… insista le policier

Paul marqua encore une de ses pauses et fit mine de réfléchir. On aurait dit un enfant qui cherchait la solution à un problème de mathématiques. Finalement, il reprit la parole, l’air navré :

— Je ne vois pas, désolé.

C’est à ce moment qu’intervint Barrais, agacé par le mutisme du suspect, se décollant du mur contre lequel il s’était adossé, il inspira profondément puis gronda d’une voix forte :

— Pourtant je crois ne pas trop m’avancer en affirmant que la relation entre vous et votre mère était houleuse, si ce n’est meurtrière…

Aussitôt, les yeux de Paul, jusqu’ici aussi expressifs que deux billes noires de néant, s’animèrent. Une flamme de colère rouge s’alluma au fond de la pupille du jeune juriste, accompagnée d’un froncement de sourcil infime mais terriblement expressif et d’un pincement de lèvres haineux. En une phrase, le visage impassible de Paul était devenu la plus belle représentation de la colère, du dégout et de la haine. Ce tressaillement ne dura qu’un demi-instant, mais il n’échappa pas au commissaire Planchet, quelque peu surpris par la réaction de son adjoint. Paul, ayant repris sa mine calme et impénétrable, répondit au lieutenant :

— Justement, nous avons décidé d’aller la revoir pour en finir avec cette mauvaise relation. Nous voulions nous débarrasser de ce fantôme. Mais nous n’avons pas trouvé le courage et nous sommes restés travailler à la Défense. Mais pourquoi cette insistance au sujet de ma mère ? Je n’aime pas en parler alors si nous pouvions éviter le sujet…
— Il s’agit justement du vif du sujet, déclara Planchet, Valentine Bertau-Jeannet a été assassinée cette nuit, à son domicile.
— Vous nous soupçonnez tous en ce cas, conclut Paul, mais vous avez tort : nous ne sommes pas allés chez elle. Ni tous ensemble ni chacun de notre côté pour la simple raison que seul Line avait l’adresse et qu’elle ne nous l’a pas fourni directement.
— Intéressant, ponctua Planchet, c’est tout ce que vous avez à dire ?
— Je ne peux rien faire de plus pour vous aider. »

Le commissaire opina du chef puis serra la main de Paul Bertau avant de se rasseoir dans son fauteuil tout en observant le juriste s’éloigner en compagnie de son adjoint. Il avait maintenant la certitude que les Bertau n’étaient pas allés chez leur mère, au moins pour les trois interrogés car l’argument qu’avait avancé Paul avait convaincu le commissaire : trois des Bertau ne pouvaient pas se rendre sur les lieux du crime puisqu’ils ne savaient pas où il se situait. En revanche, Line devenait le suspect numéro un.

C’était elle qui arrivait justement dans le bureau du commissaire, la reine, la grande Line Bertau. A ses côtés, Barrais ne semblait que la moitié de lui-même avec sa mine mi agacée, mi intimidée. Il était vrai que Line était impressionnante : élégante et glaciale, engoncée dans un luxueux manteau beige, elle illuminait la pièce d’une féminité affirmée. Sans un mot, elle marcha avec grâce jusqu’au bureau de Planchet tandis que Barrais fermait discrètement la porte, se faisant le plus petit possible. Alors que le lieutenant avait toujours dans le regard cette assurance teintée d’arrogance amplifiée par sa posture, il s’était replié sur lui-même, caché au fond de la pièce, les épaules plus basses et les yeux dans le vide. Tel était l’effet que Line exerçait sur lui, bien qu’elle ne remarquât pas : à ses yeux, Barrais dégageait toujours cette force charismatique qu’elle avait perçue lors de leurs retrouvailles nocturnes, force qui la mettait mal à l’aise tant elle la faisait se sentir inférieure, impuissante et vulnérable. Cette situation ne lui plaisait guère surtout lors d’un interrogatoire : être déstabilisée par la présence du lieutenant pourrait lui être fatal dans la joute orale qu’elle allait mener. Cependant, elle parvint abstraction de l’aura puissante dégagée par Barrai car, heureusement, celui-ci resta derrière elle, devenant ainsi invisible. Line se concentra alors sur son interlocuteur, un vieux policier légèrement bedonnant mais dont les yeux pétillaient de malice intelligente. Elle lui serra la main et s’assit : le commissaire lui inspirait déjà confiance.

« Mademoiselle Bertau, commença le commissaire, pourriez-vous me décrire votre journée d’hier.
— Ecoutez, je pense qu’on n’a pas besoin d’en passer par là si vous souhaitez seulement savoir si oui ou non je suis allée chez ma mère.

Barrais soupira. Evidemment, Planchet ne connaissait pas Line, du coup il l’interrogeait mal. Le lieutenant remarqua le trouble sur le visage de Planchet, signe que Line avait remporté la courte bataille malgré tout ce que le pauvre et vieux commissaire pourrait faire pour que la balle revienne dans son camp.

— Répondez aux questions que l’on vous pose Line. » Intervint froidement Barrais

Le lieutenant su qu’il avait quelque peu aidé le commissaire lorsque qu’il capta le regard brulant de fureur en provenance de Line. Regard qui l’amusa plus qu’autre chose, rappelant à lui les vieux souvenirs de sa vie étudiante : ce n’était pas la première fois qu’il affrontait verbalement la jeune femme, et, si ses souvenirs étaient exacts, il finissait toujours par avoir le dernier mot. Cependant, la présence de son supérieur gênait le lieutenant qui aurait pu user de cruauté en abattant sur la table ses réminiscences les moins glorieuses concernant Line, en frappant de plein fouet l’âme fragile de la jeune femme avec des mots appropriés, il aurait pu briser la carapace hautaine qui protégeait Line du monde extérieur, mais pas ici, pas maintenant devant le commissaire. L’exercice était trop risqué : le vieux Planchet faisait partie de la vieille école et considérait les femmes comme des êtres inoffensifs et fragiles, selon lui un homme se devait d’être doux et respectueux avec une femme. Ainsi, si Barrais commençait à aligner les instants inavouables de la vie de Line pour la fragiliser, le commissaire réagirait instantanément et le virerait. C’est pourquoi après cette injonction, le lieutenant se tut et écouta sagement la suite.

« Comment pouvez-vous savoir qu’il s’agit de votre mère ? reprit le commissaire.
— C’est un simple conjecture, répondit Line en croisant les jambes, mes frères, ma sœur et moi avons tous été convoqués, considérant que les affaires de l’entreprise sont propres et que nous sommes ici à la Criminelle, j’ai conclu que ce qui nous menait ici ne concernait pas Bertaus. Le seul autre évènement important et spécial nous concernant tous était la découverte de l’adresse de ma mère. Je réponds maintenant à votre question initiale : le matin j’ai convoqué ma famille pour leur apprendre la nouvelle au sujet de l’adresse puis je me suis remise au travail. Un peu après midi je suis allée boire un café avec mon ami puis je suis retournée à la Défense et j’ai épluché les derniers rapports reçus. Je suis partie vers vingt heures et suis directement rentrée chez moi.
— Votre déduction est correcte Mademoiselle, affirma Planchet, cependant vous prenez des risques en énonçant votre raisonnement : vous avez très bien pu l’inventer de toute pièce pour nous tromper et vous savez également ce qui est arrivé à votre mère.

Line ne répondit pas tout de suite, considérant les risques. Dans un sourire, elle décida d’aller au bout de son raisonnement :

— Pour tout vous dire, j’ai eu le temps de réfléchir lorsque vous nous avez enfermés et j’en suis venu à la conclusion que notre mère était morte. Assassinée ou suicidée je n’en sais rien mais morte j’en suis bien certaine. Encore une fois vous faites partie de la Criminelle, vous enquêtez sur des crimes donc des homicides, il est donc logique de penser que ma mère tient le rôle de victime et que moi et ma famille sommes des suspects.
— Votre réflexion m’impressionne, dit Planchet, vous avez raison, votre mère est morte cette nuit. Auriez-vous la bonté de me dire comment à l’aide de votre remarquable esprit d’observation ?
— Ne vous moquez pas, vous savez bien que je n’ai aucun moyen de le savoir : je n’ai vu ni le corps, ni aucun autre indice.

Planchet ne répondit que par un sourire, se disant que si Line était l’assassin elle jouait rudement bien la partie en avouant délibérément ce qu’elle savait pour se rétracter face à des détails trop précis. Par conséquent, le commissaire se demandait s’il fallait insister sur ce point pour que la jeune femme se trahisse. Il fit signe à Barrais de s’approcher et lui murmura quelques mots à l’oreille. Le lieutenant était doué pour les interrogatoires, d’un naturel intimidant, il n’avait qu’à fournir peu d’effort pour que les suspects crachent le morceau. De son côté, Line était de plus en plus inquiète et s’évertuait à le cacher. Elle redoutait que Barrais l’interroge sur son emploi du temps de l’après-midi de la veille. La jeune femme savait mentir mais les gens qui l’interrogeaient étaient formés pour repérer le mensonge, de plus Barrais la connaissait par cœur. Line avait délibérément attiré l’attention des deux policiers sur le crime en lui-même, attisant les soupçons contre elle pour mieux les éloigner ensuite avec sa véritable ignorance au sujet du meurtre. Si ses interrogateurs continuaient sur cette voie-là, elle ne risquait rien. Barrais reprit :

— Il est étrange que vous en sachiez autant par simple déduction. Je reste persuadé que vos « réflexions » vous ont aussi montré comment votre mère a été tuée.

Line retint un soupir de soulagement et fixa le lieutenant « dans les yeux ». En vérité, Line regardait le nez de Barrais, sachant pertinemment que soutenir le regard du lieutenant revenait à signer son arrêt de mort. Le pouvoir hypnotique de ces yeux lui aurait fait tout avouer, fort heureusement Line connaissait les risques et il lui semblait que Barrais était resté en retrait durant tous les interrogatoires, épargnant ainsi le reste de la famille à son étrange pouvoir. Rassérénée, Line affirma :

— Je ne vois pas comment de simples déductions auraient pu me mener à une conclusion si précise. Je vous le répète : aucun indice ne me permet de réfléchir à ce sujet. Cependant, vos questions répétées à ce sujet m’amène à penser que vous n’avez pas encore découvert l’arme du crime, ai-je raison ? »

Vexé, Barrais se leva alors brutalement du bureau sur lequel il s’était appuyé, faisant sursauter la jeune femme, et regagna sa place près de la porte, la rage au ventre. Décidément, Line était trop rusée. Elle cachait quelque chose il en était certain mais il ne parvenait pas à mettre le doigt sur son mensonge. Dans son dos, il entendit les chaises racler le sol et le commissaire serrer la main de la jeune femme, la remerciant pour son aide, Barrais pouvait presque voir le sourire triomphant de Line. Elle l’avait vaincu à son propre jeu et cela le rongeait profondément. Il raccompagna la jeune femme sans un mot, blessé dans son amour propre. Line ne lui adressa qu’un au revoir glacial lorsqu’elle lui serra la main avant de regagner sa minuscule automobile. Le lieutenant regarda la Bluecar s’éloigner, sentant sa dernière piste quant à l’enquête s’éloigner. Lorsque la voiture eut disparu, il se dit que c’était maintenant qu’il allait piétiner.


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