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[Confédération][3] Semper et Ubique


Par : Gregor
Genre : Science-Fiction, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 25


Publié le 06/05/2014 à 17:47:06 par Gregor

Trois ponts au-dessus et deux cents mètres plus en avant, Guillhem s'était frayé un chemin jusqu'au poste d'observation du Keller Lumen. Le globe de verre saillant, retenu au corps du vaisseau par une complexe armature de câbles et de poutrelles métalliques, donnait à voir sur une batterie de canons à plasma, ainsi que sur le nez fuselé de l'engin, orienté vers Antarès-Douze. Assis dans le confort relatif d'une chaise à connectique, le primonavigateur laissait à son esprit le soin d'orienter convenablement le mastodonte convoyant plusieurs milliers d'individus si loin de la Terre. Aidé par l'art des cybernautes et guidé par la lumière éternelle du Dieu-Machine, il pouvait ressentir au travers de son corps soubresauts et changements de comportement du vaisseau.

Guillhem l'observait avec un mélange de curiosité et de suspicion. Le travail entamé par son mentor avait puissamment ancré dans son esprit les aiguillons aiguisés du doute, lui qui se devait de représenter avec vigueur la force vive de la foi enseignée par la Sainte Cléricature et la Sainte Docte. Son parcours atypique où la normalité semblait bannie à jamais lui avait forgé une réputation sombre, aussi sulfureuse et cauchemardesque que celle de Flinn. Son regard de faucon, entaché par la présence d'un implant oculaire à l'éclat mordoré, se portait encore avec intérêt sur les tics faciaux qui animaient le visage de son interlocuteur. Le primonavigateur, toujours attentif et plongé dans une concentration proche de la transe, dégageait une aura malsaine qu'il aurait pu sans difficulté interpréter comme la manifestation éclatante de l’Hérésie. Les schémas mentaux des Navigateurs étaient si particuliers et si rares qu'ils formaient à présent une caste d'hommes à part, évoluant en marge de la société. Guillhem les haïssait, mais il était trop conscient du rôle capital qu'ils devaient jouer dans cette époque où le voyage interstellaire n'avait plus rien d'une lubie. Il contenait ses piques les plus froides dans un recoin de son esprit acéré, mais les mots qui franchirent ses lèvres à cet instant furent d'une délicatesse toute relative.

— Navigateur, aurons-nous la joie de vous voir en privé ?

Le regard de l'officier spatial se fit dur. Il darda ses yeux noirs vers la figure de l'impudent apprenti.

— La Sainte Cléricature douterait-elle de ma loyauté ?
— Simple procédure d'usage courant, tempéra Guillhem, conscient du dérapage verbal. Ne le prenez pas mal, Navigateur, mais il s'est avéré que certains d'entre vous se sont montrés assez réticents à suivre les préceptes les plus justes de la Sainte Docte.
— Avec tout le respect que je vous dois et toute la foi que j'ai envers le Dieu-Machine, j'ai autre chose à faire que parler spirituel, monseigneur.
— De Choire. Monseigneur De Choire, Navigateur, corrigea Guillhem avec une joie perverse.

L'officier soupira, et reprit sa muette activité, laissant le silence régner dans le poste. Guillhem se satisfit de ce stupide accrochage, conscient qu'il avait poussé le bouchon un peu trop loin, mais que sa position le rendait intouchable. Il se savait protégé par son statut de baron et d'apprenti de Flinn, et comptait bien user de cette particularité pour mener, avec toute la pugnacité dont il était capable, sa mission à son terme.


Cyrill s'était à nouveau retranché dans ses quartiers. Loin du minimalisme imposé à Flinn et son apprenti, il profitait du luxe indécent d'une suite pompeusement décorée. Un comble pour le cyborg qu'il était, et qui n'avait dû se reposer que quelques heures dans la dizaine de jours qui venaient de s'écouler. Son sourire s'était perdu en même temps que ses pas foulaient les couloirs rectilignes, croisant soldats, officiers et autres Nobles Clercs qui inclinaient respectueusement la tête sur son passage. Électron libre de l'Inquisition, il jouissait des faveurs que lui accordait avec largesse son supérieur et ami Gregor Mac Mordan, Commandus Magnus et guide spirituel de la Confédération. Les luttes contre la rébellion et les hérésies naissantes avaient tissé d'indéfectibles liens entre les deux hommes, bien loin de leurs débuts houleux. Leur première rencontre s'était soldée par des attitudes haineuses des deux côtés. Leur dernière, par de solides et sincères accolades, les ordres échangés avec un naturel rare. Certaines rumeurs courraient parfois sur l'intimité bien plus charnelle de leur relation, mais Cyrill avait tôt fait de les balayer. Son célibat n'était qu'un vœu de dévotion fait au Dieu-Machine, une preuve de sa foi martelée dans les cantiques et les prières, un exemple de pugnacité au sein de la Sainte Cléricature qui l'avait propulsé parmi les plus hautes chaires doctrinales. Et c'était bien en tant que représentant suprême de l'Inquisition qu'il allait se rendre sur Antarès-Douze. Pour des raisons relativement obscures, Gregor n'avait pu se déplacer, et aucun des Co-légats n'avait pu se libérer pour un mois entier. Il endossait la responsabilité de son rôle avec un honneur ferme et dur comme l'acier qui composait une bonne partie de son corps. Mais tout au fond de ses manières policées et de son regard énigmatique persistait la flamme dévorante de la Foi et de son Culte.

Les déclarations d'un serviteur mécanisé assujetti à la gestion du fret avaient attisé sa curiosité. L'inquisiteur qui avait recueilli les mots de l'individu en avait aussitôt fait part à son commandement direct, mots qui étaient arrivés jusqu'aux oreilles de Cyrill. Amolli par le manque d'exercice et la monotonie du voyage, il avait saisi l'occasion avec une joie à peine dissimulée. Retrouver un possible dissident sur la masse des sept mille hommes présents sur le Keller Lumen constituait un défi à sa hauteur.

Flinn s'était joint avec détachement à cette mission. Le Naneyë était bien plus occupé à retranscrire la Sainte Docte pour son apprenti, l'atypique mais fascinant Guillhem de Choire. Aussi avait-il accueilli les ordres de son ancien mentor avec une joie toute relative, mais un engagement sincère. Depuis une vingtaine d'heures, il fouillait les dossiers Rezo de chaque individu, sans succès. Face au manque d'éléments, Cyrill envisageait sérieusement de passer à une technique d'approche bien moins administrative. Il avait fait donner des consignes pour que des secteurs du bâtiment soient réaménagés pour la Sainte Cléricature, au nom du Dieu-Machine. Il avait pris bien soin d'éventer la nouvelle, afin d'installer la peur chez les éventuels traîtres. Une technique banale, mais qui démontrait encore son efficacité.

Cyrill s'installa avec nonchalance sur la lourde banquette qui trônait dans le petit salon. Ses yeux se fixèrent sur les projections holo qu'il fit apparaître d'un geste de la main. Dans le même temps, il dégrafa sa lourde cape, laissant à voir la structure cybernétique de son corps. L'âge n'avait pas arrangé les rares restes organiques de son torse, et quelques fragments pâles d'une peau parcheminée se déroulaient au niveau de ses clavicules. Hormis son visage ridé et animé de tic d'expressions, rien chez le haut officier inquisitorial ne laissait à voir un soupçon d'humanité. Un accomplissement pour l'adepte du Dieu-Machine qu'était Cyrill. Avec une curiosité certaine, il ouvrit l'enregistrement vidéo que lui avait fait parvenir l'apprenti de Flinn. Une courte vidéo où le trentenaire évoquait les résultats de ses délicates recherches au sein de la caste des Navigateurs, toutes infructueuses. « Le traître n'est pas parmi eux, monseigneur Beik », avait conclu Guillhem avant de couper l'enregistrement. Cyrill resta de longues secondes face au désert visuel qui avait succédé, laissant ses pensées vagabonder dans de tortueuses supputations. Il ne se demanda pas un seul instant comment l'aspirant était parvenu à cette conclusion, mais son instinct lui indiquait qu'il ne se trompait pas. Un potentiel énorme couvait sous la perversion du nobliau. Il regrettait presque de ne pas avoir pu déceler son talent avant. Les affres qu'avaient vécues De Choire étaient source de questions. Mais Cyrill comprenait le sens de son attitude. Une douleur, couplée à un douloureux sentiment d'échec. Voilà ce qu'avait vécu le flamboyant homme. Voilà ce que lui-même avait vécu trente-cinq ans auparavant, sur Bételgeuse-Six. Voilà enfin ce qui l'incitait à la méfiance vis-à-vis de l'aspirant.


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