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[Confédération][3] Semper et Ubique


Par : Gregor
Genre : Science-Fiction, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 21


Publié le 29/11/2013 à 10:38:30 par Gregor

Pour Flinn, la tension qui avait bandé ses muscles se retira à l'instant même où il dégraffa son aug'. L'instrument, rendu inutile par le brouillage du bâtiment, retomba mollement sur le cou de l'officier, encore attaché par une simple boucle de cuir et d'acier. Après avoir servi de longues années, l'interface venait de sucomber de fatigue, vaincu par un ultime effort qui avait achevé de griller ses circuits et son intelligence embarquée. Il avait accompli sa mission.

Le mensonge du Naneyë avait fonctionné bien au delà de ses espérances. Vaincu, Trent n'oserait pas aller réclamer une revanche dans les lois de la Confédération. Son honneur lui interdisait toute considération d'aide publique après la prise de pouvoir abusive dont il avait été l'instigateur sur Prime. Il avait joué, il avait perdu, et son adversaire se relevait grandi de cette épreuve. Un adversaire qui foulait d'un pas souple le sol de l'astroport, revenant à bon rythme vers ses hommes, un sourire de triomphe acroché solidement à ses babines.

- Tout va bien, commandant ? osa Leenk.
- A merveille, sergent.
- Mais... L'amiral...
- Il s'en remettra.

Un grognement commun s'étira entre les soldats. Tous avaient comprit le sort qu'avait réservé leur supérieur à cet homme.

- Sergent, veuillez contacter le bureau personnel du Très Saint Magister. Faites savoir que la captive est entre de bonnes mains, et que nous souhaitons la laisser le plus rapidement possible aux bons soins de la justice séculière. Précisez qu'il s'agit là d'une consigne fournit par le Très Saint Magister en personne, et qu'aucun retard ne l'amuserait.
- Tout de suite, Commandant.

Flinn acquiesça d'un hochement de tête, avant de reprendre.

- Quant à vous autres, messieurs, emportez vos effets avec vous. Nous partirons avec un transporteur vers le Palais, et nous ne revenons plus ici. Veillez donc à laisser le superflu dans la navette.

Tous s'exécutèrent, à l'exception de Guillhem.

- Adjudant de Choire, n'avez-vous donc rien à prendre ?
- Rien d'important, commandant. Rien de ce que je possède n'est à bord.

Le Naneyë s'apprêtait à lui faire rejoindre le reste de l’escouade lorsque Leenk se rapprocha, la mine grave. Il se pencha vers son officier, lui délivrant un message que Flinn nota, avant de congédier Leenk. A son tour, sa mine s'assombrit. « Un élément qui arrive à point nommé » songea-t-il. L'imprévu faisait parti de son quotidien, mais à cet instant, il aurait préféré qu'une routine grisâtre prenne la place de ce qui venait de bousculer son plan.


Le palais étalait sa masse anguleuse dans la nuit chamarrée de Civimundi. Çà et là, des lueurs naissantes éclairaient quelques fenêtres, ainsi que la petite cour qui venait mourir au pied du tarmac de la zone d’atterrissage. Flinn avait vu une silhouette se déplacer le long d'une coursive, aux troisième étages. Une silhouettes, puis quatre à sa suite, et une masse indistincte de bras et de tête se dessinant dans le clair-obscur baignant les lieux. Il se savait attendu, mais il n'espérait pas que le Très Saint Magister aurait eu la patience et le temps d'observer de ses propres yeux la descente des Externes sur ses terres. L'honneur que leur faisait le maître des lieux par cette discrète mais évidente présence le gonfla d’orgueil et lui laissait apercevoir les ors et l'agrément d'une soirée où sa gloire personnelle serait un motif de satisfaction accepté et encouragé. Seulement, avant les plaisirs de la récompense dûment mérité, un dernier obstacle se dressait sur sa route.

Guillhem n'avait pas ouvert la bouche depuis le départ de l'astroport. A intervalles réguliers, il dévisageait l'officier, sans ouvrir la bouche, sans ciller, sans bouger. Il semblait attendre quelque chose. Flinn savait qu'il ne pourrait pas lui cacher la vérité plus longtemps sans le mettre dans un embarras qui auarit pu ruiné la confiance et l'assurance nouvellement acquis par le jeune homme. Tandis que les Externes débarquait en s'extasiant avec une certaine discrétion sur la beauté brut des lieux, Flinn décida qu'il devait définitivement régler la situation.

- Adjudant de Choire ?

Guillhem ne feinta pas la surprise. Une moue indifférente ceignait son visage d'une tension molle, flegmatique, où une certaine fatigue pouvait se deviner dans les cernes et les ridules de son front.

- Adjudant, reprit l'officier, je souhaiterai vous voir quelques minutes. Seul à seul.
- C'est une urgence ?

Flinn ne répondit pas, se contenant de hocher la tête discrètement. D'un geste qu'il voulait doux, il invita Guillhem à revenir dans le transporteur, vidé de ses occupants. Le pilote demanda à l'officier s'il devait rester, avant de comprendre qu'il n'était pas invité à conserver ses commandes. Silencieux, il laissa les deux hommes seul à seul, prenant un soin exagéré à refermer les portes du sas.


Le cœur de Guillhem aurait du battre la chamade. Il n'en avait plus. A la place, une seur glacé dégoulinait de sa tempe gauche, venant mourir sur la omette osseuse de sa joue. Ses mains crispé sur les cuisses, il attendait avec douleur que les paroles de son supérieur surgisse de sa bouche. Le commandant avait ce regard presque creux, vide, débarrassé de son aug', un regard planté dans un lointain impalpable qui transperçait Guillhem sans qu'il ne puisse s'emparer de la lame qui le clouait ainsi dans cette réalité trop concrète, trop solide. Les détails de la soute lui sautaient au visage comme autant d'insectes hostiles, qu'il tentait de déloger de son esprit sans y parvenir. Puis, avec une lenteur relative, Flinn croisa ses mains face à lui, planta son regard dans le sien, et soupira.

- Adjudant, j'ai reçu voilà trente minutes une nouvelle dont je me serais bien passé. Une très mauvaises nouvelles.
- Cela me concerne-t-il ?
- J'ai bien peur que oui.

Un silence de plomb s'écrasa sur les épaules de Guillhem. Il entendit les souvenirs de son souffle pénétrer au creux de ses oreilles. Puis, sans retenu, Flinn acheva.

- Votre père, la baron-général Alfred de Choire … Votre père a trouvé la mort dans un grave accident de transport il y a trois semaines... Il semble que le transporteur qui le convoyait vers ses terres se soient écrasés suite à une avarie moteur générale.
- Je …

Flinn attrapa la main droite de Guillhem, le fixa du regard, et poursuivit.

- Votre mère, la baronne Ameline de Choire, a été retrouvé dans la propriété familiale sans vie il y a un peu plus de deux semaines. Suivant la coutume, leur corps ont été enterré dans le caveau prévu par votre père.
Une nouvelle pause, qui avait pour Guillhem, la consistance d'un choc sur son crâne.

- Je suis désolé, Guillhem... Profondément et sincèrement désolé... Si je peux faire quoi que ce soit pour vous...

L'adjudant hocha la tête, tandis qu'une larme perla de son œil. Flinn se permit de poser avec bienveillance une main sur son épaule.

- Nous ne vous laisserons pas ainsi, adjudant. Soyez sûr que tous les Externes se joignent à moi pour vous présenter leur plus sincères condoléances.
- Merci, mon commandant.

D'un geste maladroit, Guillhem attrapa la larme qui pendait à ses cils, et l'essuya avec douceur.

- Comment … Quand avez-vous …
- Dès notre arrivée, adjudant. Une série de message à l'attention de l'escouade était adressé dans notre attente. Le sergent Leenk m'a prévenu de cette missive avec une certaine délicatesse, mais je ne voulais pas vous faire l'offense de l'annoncer devant tous.
- Merci de cette attention, mon commandant.

Flinn, mal à l'aise, se leva et adressa un sourire triste à Guillhem. Il ouvrit le sas, laissant le jeune homme seul quelques instants. Le silence de la soute résonnait à ses oreilles. Et soudain, comme une digue démunie face à un gigantesque raz de marée, son sens commun vola en éclat.
Une symphonie d'émotion contradictoire le balaya. Les poils de sa barbe mal rasées se hérissèrent, tandis qu'un violent tremblement lui serra les mâchoires. Sa pupille se dilata, et un flot de larmes mal contenu s'ébranla vers le sol. Il passa une main contre ses lèvre, ferma l'oeil, le rouvrit, recommença ce geste dix fois, et dix fois cependant, ne put l'empêcher. Une horrible douleur vrilla ses entrailles disparues, tandis que le poids sur ses épaules devint intolérable. « Pourquoi ? » puis « Non, c'est impossible » furent les premiers vecteurs de sens qui le traversèrent en fusant dans son esprit. Son père … Et sa mère ? Morts ? Disparus ? Les photos de deux portraits officiels lui revinrent en mémoire, l'un en habits militaires de cérémonie, couvert d'une cape semblable à celle dont on avait ceint ses épaules, et l'autre, plus petit, plus intime, d'une femme assise sur une chaise, le regard porté au loin, un regard qui rappelait en écho la soie de sa robe et l'éclat du chapeau sur ses longs cheveux. Les deux portraits disparaissaient, reprit par le reflux d'une mer impitoyable, une mer de réalité et de contingence qui les éloignaient de son nécessaire deuil.

Après la tristesse, la colère se dessina plus clairement en lui. Son père … Il osait disparaître alors qu'il revenait, lui, le fils prodigue, auréole de gloire ? Quand enfin l'avenir souriait à Guillhem, son ascendant choisissait le tragique et stupide accident pour esquisser un pas en dehors de la scène. Lucide, Guillhem savait que jamais il ne tiendrait sa vengeance. Que son frère seul pourrait le regarder tel qu'il était à présent : une sorte de héros encore fragile, mais prometteur. Il ne pourrait pas tenir la dragée haute à son père, simplement accepter la charge pour laquelle il existait : devenir le maître de sa baronnie, en priant secrètement pour qu'on ne décide pas de mettre un terme à la carrière qui venait de s'offrir à lui.

Et sa mère, qu'avait-elle donc fait ? Elle avait abdiqué face au chagrin. Elle avait choisit le romantisme au pragmatisme, en se laissant mourir. Car oui, elle ne pouvait que s'être laissé glissée dans la tombe, auprès de son époux, las d'une vie dont les seules tracas consistaient à choisir une garde-robe pour l'hiver prochain et parler au creux d'un salon propret des derniers ragottages de Civimundi. Quelle vie pénible avait-elle eut... Quel calvaire que celui de cette femme, dont la punition fut d'enfanter de deux garçons qu'elle savait condamnés à grandir loin d'elle et de ce qu'elle pensait être de l'amour, et qui ne tenait pas moins de l'égoïsme le plus primaire. « Il est mort, mais elle, elle s'est suicidée ». Guillhem, à cet instant précis, aurait voulu se ruer dans le caveau s'il avait été à coté de lui, et cracher sur leur tombe, pour vomir toute la haine qui pourrissait en lui depuis si longtemps. Eux, ses propres parents, ils l'avaient ignorés. Ils en avaient fait un fils d'aristocrate sans désir ni consistance propre. Un simple pantin qui toujours les décevait, alors qu'ils auraient dû être fier, fier qu'il survive malgré tout, et que le Dieu-Machine ne l'ait pas gardé en vie par erreur.

« Et ma récompense : un héritage que je ne supporte pas ». Le cynisme supplanta la colère. Ce domaine, ce nom, cette charge, il les aurait volontiers donné à son cadet, pour mieux repartir, se perdre dans les méandres de ce futur qui avait écarté le rideau des possibles, lui laissant croire que la liberté pour lui était né avec la mécanisation de son corps et l'attention bienveillante du commandant Flinn. Flinn … Un extraterrestre. C'était pourtant lui qui tenait lieu de figure paternel, bien plus que son propre géniteur. Un être qui avait osé croire en lui pour le relever de la fange où il se noyait. Flinn, qui avait la décence de le laisser seul pour qu'il se retrouve mieux, qu'il comprenne toute la cruauté et le bénéfice de la situation.

« Que diraient-ils s'ils me voyaient ainsi ? » . Guillhem n'avait jamais véritablement quitté son statut d'enfant. En partant sur Prime, il n'était encore que le petit garçon répondant à l'injonction de son père. En revenant sur Terre, il l'enterrait, lui et ses conseils pourtant précieux. En revenant sur Terre, il enterrait dans le même temps son enfance, son histoire passée, devenait un homme neuf. Comme une renaissance, teinté d'un sentiment de différence inébranlable, indestructible.

Se ressaisissant, Guillhem essuya ses larmes. « Je ne peux pas me présenter face au Très Saint Magister dans cet état ». Avec un effort maladroit, il se redressa, et tenta d'arranger avec frénésie les plis qu'il avaient fait sur sa cape. La porte s'ouvrit, et Flinn se présenta à nouveau. Guillhem l'observa, sans haine ni bienveillance, simplement comme une évidence, un absolu. Le Naneyë se rapprocha de lui, s'agenouilla, et entreprit de remettre correctement le vêtement de son subalterne.

- Ils nous attendent, adjudant. Je sais que votre chagrin est …
- Pardonnez mon attitude, mon commandant.
- Je ne voulais pas paraître inopportun, adjudant, mais comprenez bien que le Très Saint Magister a d'autres affaires à régler après les nôtres.
- Oui, bien sûr mon commandant, je comprends.

Flinn sourit, l'aida à se relever.

- Je suis fier de vous, adjudant. J'espère que votre père l'aurait été.
Un sourire barra aussi le visage de Guillhem, plus mordant et cynique que jamais.
- Lui seul le sait, mon commandant.


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