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L'Apostolat des Oiseaux


Par : Loiseau
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 17 : L'île damnée


Publié le 03/03/2014 à 22:31:37 par Loiseau

[c]Duc

L’île damnée[/c]



Depuis la création de l’Apostolat j’ai vu un certain nombre de choses affreuses, violentes ou contrenatures, me créant ainsi une carapace psychologique me permettant de résister lorsque je suis confronté à une scène à la limite du soutenable, comme par exemple les exécutions publiques Christopoliennes, les Écorchés de Sao Paulo ou Vellere au réveil. Mais rien au monde ne peut préparer psychologiquement à l’Australie. Me voici donc embusqué derrière un mur à moitié écroulé, contemplant quelque chose que je ne voulais pas, ni n’aurais dû contempler.
En face de moi, dans les décombres de ce qui devait autrefois être un bar, se tient Radovan Vesela, dit « La Mâchoire », l’un des criminels les plus recherchés au monde. Je ne suis pas spécialement surpris de le voir à Sydney. Les ruines abritent un grand nombre de dégénérés en tous genres. Certains sont là pour échapper à la justice, d’autres pour se défouler selon leur bon plaisir, d’autres encore car ils sont persuadés que l’Australie, « l’Île Damnée », est en fait un temple ancestral gigantesque dissimulant les dieux. Vesela fait partie des trois. Et il est pour l’heure en train de pratiquer ce qu’il sait faire de mieux : la mastication.

Radovan Vesela est connu internationalement pour son goût immodéré pour l’ultraviolence, la torture, les lames en dents de scie et la chair humaine. Dans un monde aussi décadent que le nôtre, ce n’est pas si choquant. Ce qui l’est plus, c’est que les cadavres de ses victimes étaient toujours retrouvés en totalité, bien qu’en plusieurs morceaux. Vesela diffère en cela des autres cannibales qui ont pour habitude d’emporter quelques pièces de viande chez eux après le meurtre : plutôt que de dévorer la chair, il préfère la mâcher. Pendant que sa proie est encore vivante.

J’ai donc en face de moi un homme dont la tête est mise à prix pour plusieurs millions de dollars et qui se livre à un viol mêlé de machouillâge intensif sur un cadavre décapité, en grande partie décomposé et, selon moi, pas totalement humain. Pas totalement animal non plus, par ailleurs.
Transcendant un désir soudain de me déverser de l’acide dans les yeux, je recule lentement et détache le fusil que je porte dans le dos. A cette distance, impossible de le fumer. Mon fusil est plutôt prévu pour déchiqueter à bout portant. D’un autre côté, me rapprocher de l’assassin n’est pas dans mes intentions. D’une part je ne sais pas s’il est armé ou non, d’autre part son apparence générale, sa saleté évidente et les bouts de métal enfoncés dans ses gencives en guise de dents me font penser que je pourrais choper une maladie mortelle rien qu’en respirant un peu trop près de lui.

Un bruit me fait tourner la tête vers les gravats derrière moi. Rien. Du moins en apparence. J’enfile mon masque d’Apôtre et regarde à nouveau. Quelqu’un en tenue de camouflage parfaitement adaptée au gris béton de la ville en ruines se tient là. Et il braque un long fusil de précision dans ma direction. Au loin une explosion retentit. Le tireur sursaute et recule précipitamment, un autre bruit me fait à nouveau faire volte-face et je dois retenir un cri.

Radovan s’est déplacé et je ne suis désormais séparé de lui que par un mur à moitié écroulé. Le regard satisfait du psychopathe glisse sur mon corps et un sourire d’acier lui fend le visage. Je me demande comment il fait pour supporter la douleur que ses « dents » doivent lui infliger en permanence. Puis je réalise qu’il s’est probablement infligé ce traitement tout seul et en a sans nul doute retiré du plaisir.


-Salut Radovan, dis-je posément.

-Salut Hibou. Que vient donc faire l’Apostolat sur cette terre sacrée ?

J’envisage un court instant de répondre au psychopathe. Mais à quoi bon ? Le résultat sera le même et là, au moins, j’ai l’effet de surprise pour moi.
Mon bras se tend, mon doigt se plie et les lames de rasoir tachées de sang et de pus qui occupaient la bouche de Vesela passent à travers son cervelet avant d’aller clinquer sur le sol. Effectivement, l’effet de surprise reste une valeur sûre. Un pas en avant et je toise le cadavre du serbe. Son visage est ravagé par la maladie, ses longs cheveux noirs et gras forment une auréole nauséabonde autour de ce qui reste de son crâne, d’énormes poches lui cernent les yeux… Cousu sur sa chemise, près de son cœur, le logo des Fervents : un soleil noir entouré d’un Ouroboros. J’espère que ses amis fanatiques ne sont pas dans les parages.
Une question pointe dans mon esprit : comment Vesela pouvait-il me connaitre ? Je porte mon masque et aucune photo de moi, à visage découvert ou non, n’a jamais circulée. D’un autre côté, je doute qu’énormément de gens se baladent à Sydney en arborant un masque de hibou. Pas aussi travaillé que le mien, du moins.
Je pivote sur mes talons et cherche du regard le sniper de tout à l’heure. Plus personne. Tant mieux, je décale.

Après une bonne heure d’errance dans les ruines – sans recroiser qui que ce soit – je jette un coup d’œil à la carte approximative que m’a envoyé Vellere. Des pointillés, une croix… Digne d’un mauvais film sur la piraterie. La seule indication manuscrite étant : « Cherche un abattoir désaffecté. » Malheureusement aucun panneau n’indique un tel lieu et personne n’est là pour me renseigner sur le chemin à prendre. D’un autre côté, même s’il y avait eu âme qui vive ici, pas sûr que je me sois arrêté pour lui demander la route la plus courte pour « l’abattoir désaffecté ».
Je finis par m’asseoir sur un vieux banc et je m’allume une clope. Le tabac est presque moins cher que la bouffe, de nos jours. Et de meilleure qualité. Si seulement nous n’avions pas abusé des ressources terrestres il y a des années, peut-être que nous n’en serions pas réduits à manger de la nourriture synthétique aujourd’hui. L’humain est vraiment… Une main se pose sur mon épaule, interrompant mes réflexions sinistres et me faisant sursauter.


-Heureux de te voir, Duc.


Je laisse échapper un soupir de soulagement.


-Moi aussi Aquila.


Je serre mon frère dans mes bras.


-Tu sais où se trouve l’abattoir ? demande-je.

-Ouais. Pas très loin d’ici. C’est Vellere qui m’a envoyé te chercher.

-Comment est-ce qu’il a su que j’étais arrivé ?

-Il l’a senti, comme d’habitude.

-Je vois. D’autres Apôtres sont déjà là ?

-Corbin, Corax, Pel’, Luscinia et un type que je ne connais pas.

-Tu sais si Lynot va venir ?


Il hausse les épaules avec une mimique dubitative.


-Franchement je ne sais pas. Je l’ai appelé mais c’est Moyno qui m’a répondu. Apparemment Lynot se serait pris un jet d’acide dans la gueule après avoir récupéré les documents sur les transactions bancaires de Shell. La valise était piégée.

-C’est grave ?

-Pas d’après leur médecin. Il est juste défiguré.

Un sourire amer traverse mon visage. Le problème avec Lynot c’est qu’il place son apparence avant tout. Il est donc tout à fait capable de refuser de venir au Concile sous prétexte qu’il est défiguré… Mais s’il faisait ça Vellere le tuerai probablement, comme il a souvent – plus ou moins sérieusement – menacé de le faire. J’ose donc espérer qu’il fera passer l’Apostolat avant son narcissisme.

-On y est.

Je reste un instant coi devant le bâtiment face à moi. C’est sans doute l’une des seules constructions de Sydney encore debout. C’est sans doute aussi l’une des plus malsaines.
Il s’agit d’un énorme bloc de béton, digne des plus grandes œuvres d’Albert Speer, percé de quelques fenêtres aux vitres brisées. La porte d’entrée en métal pend tristement sur ses gonds, rongée par la rouille. D’étranges tâches recouvrent la façade et en y regardant de plus près je réalise qu’il s’agit de champignons. Probablement la seule forme de vie capable de proliférer ici. Aquila gratte sa barbe fournie par-dessous son masque et toussote.


-J’ai dit à Vellere que ce n’était pas une bonne idée de faire le Concile ici. Mais tu le connais…

-En même temps c’est un vautour, il est supposé être attiré par la mort et la putréfaction.

-Ce serait s’impliquer un peu trop, non ?


J’acquiesce doucement et, avec un long soupir, pénètre dans le bâtiment. L’odeur de moisissure me prend à la gorge. Il fait un froid atroce et l’ambiance ruinerait même le moral d’un drogué à l’endorphine. Au moins il est certain que personne ne viendra nous chercher ici.
Aquila ne semble pas particulièrement mal à l’aise, mais je sens malgré tout que sa démarcher est plus raide que d’habitude. Je lève les yeux vers le plafond et les crocs de boucher qui y pendent. Pourquoi y a-t-il des crocs dans le couloir d’entrée ? Question stupide au vu de la situation, j’en conviens. Pourtant ça me dérange.
La lumière dans le couloir n’est dispensée que par quelques lampes posées à même le sol, rendant l’atmosphère un peu plus oppressante. Comme par contraste, j’entends des rires au loin et sent mon cœur se réchauffer. La voix aiguë de Corbin domine les autres.

-… et là il tente de m’attaquer avec sa matraque, vu qu’il avait vidé toutes ses munitions. Du coup j’attrape l’objet le plus proche, à savoir une louche, et je fais ce que je peux pour me défendre… Et je lui arrache l’œil droit !

Il part dans un gloussement frénétique, accompagné par les croassements de Corax. La voix de Vellere les interrompt.

-Messieurs, il semblerait que nous ayons un nouvel arrivant !

Je rentre dans la pièce où se trouvent les autres Apôtres. Il devait s’agir d’une ancienne salle de repos pour les ouvriers de l’abattoir car s’y trouvent encore de vieilles chaises et tables. Vellere est perché au sommet d’un empilement branlant de caisses en bois. Pelecanus joue distraitement avec une machette tout en discutant avec Luscinia et un parfait inconnu. Corax et Corbin, eux, sont presque écroulés de rire sur une table. Ils se redressent avec difficulté en nous voyant entrer.

-Aaaaah ! La Tristesse est enfin là ! se réjouit le chef du Cercle de la Corneille.

Je salue mes amis par notre geste rituel : les deux mains sur le cœur, puis une profonde révérence en étendant les bras comme des ailes. Nous signifions par-là que nous remettons notre cœur, et donc notre vie, aux autres Apôtres. Nous admettons que nous ne pouvons pas survivre sans eux.


-Il manque encore quelques personnes ce me semble, dit Corax.

-Threskion, Bal’ et Lynot, confirme Vellere.

-Ils arrivent, je crois.

C’est Aquila qui prononce ces mots, la tête tournée vers le couloir. Un bruit de cavalcade se fait entendre, quelques coups de feu, un long sifflement, puis le silence.
Une poignée de secondes plus tard, nous voyons entrer un Threskion radieux, une Balearica décoiffée et l’air passablement énervé, une Poussin dans le même état et un Lynot masqué et à la cape tâchée de sang.


-Pardon pour le retard, on a croisé des vers, des serpents et un Fervent, annonce Threskion, l’œil brillant.

-Heureux de l’entendre. Asseyez-vous donc, mes amis, répond Vellere.


Il descend de son perchoir et s’installe sur une chaise. Je fais de même, imité par tous les autres.

L’Apostolat est réuni, le Concile peut commencer.


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