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L'Apostolat des Oiseaux


Par : Loiseau
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 16 : Des vers dignes de Baudelaire


Publié le 19/02/2014 à 03:01:54 par Loiseau

[c]Balearica

Des vers dignes de Baudelaire.
[/c]

29 jours plus tard




L’Émeraude vogue paisiblement dans le ciel dégagé au-dessus de l’océan Pacifique. Pas d’avions, pas de drones, notre zeppelin n’a connu aucun trouble depuis le début du voyage. Le principal avantage de ce moyen de transport est qu’il passe beaucoup plus facilement pour un véhicule de tourisme qu’un hélicoptère ou un jet, nous pouvions donc survoler sans trop de danger à peu près n’importe quel pays. En outre, c’est très confortable.
Calée dans un élégant fauteuil rouge, je savoure un dernier moment de détente avant notre arrivée à Sydney. Gorgée de vin je laisse la musique diffusée dans la cabine me bercer. Il s’agit d’une vieille anthologie de musique baroque que j’ai eu la brillante idée de récupérer lors d’un accident malencontreux entre un convoi des Censeurs et la moitié d’un pont de béton, mystérieusement effondrée au moment précis où le camion débordant d’œuvres « subversives » passait en-dessous.
Sur le fauteuil en face du mien Poussin nettoie le canon d’un fusil à pompe automatique avec application, la langue légèrement tirée. Suivant les conseils d’Aquila nous nous sommes préparées pour quelques altercations avec les autochtones. Je n’ai amené que ma chère lieutenante à ce Concile, laissant les affaires courantes à Gazza, une de mes favorites.

-Dis-moi Poussin… Est-ce que tu sais pourquoi l’on se bat réellement ?

La jeune fille aux cheveux en bataille me regarde sans comprendre.

-L’Apostolat. Est-ce que tu sais pourquoi l’Apostolat se bat ?

-Pour un monde meilleur ? répond-elle après un moment de silence.

Je hoche la tête, un peu engourdie par l’alcool. Je comprends sa réponse, bien qu’elle m’amuse, d’une certaine façon.

-Ça c’est ce qu’on espère atteindre après nous être battus. Mais tu sais… Nous ne connaitrons probablement jamais ce monde meilleur.

Les grands yeux de Poussin me regardent avec interrogation, elle attend la suite.

-Depuis quelques années on œuvre plus ou moins discrètement, on se prépare, on s’entraine, on récupère des informations, on fait de la propagande çà et là… Et on évite généralement de se faire tuer. Mais tu te doutes bien qu’il nous faudra passer à l’action un jour et que ce ne sera pas avec une armée de guerriers surentrainée et équipés à la pointe de la technologie. Ce sera l’Apostolat contre les Dirigeants, pas de batailles officielles, juste des attentats, des meurtres de sang-froid. Nous serons probablement tués dans la tentative. Mais si nous réussissons, nous ouvrirons la voie à d’autres, qui apprendront de nos erreurs et ne commettront pas les mêmes ! Si nous nous battons c’est avant tout pour préparer le terrain à nos successeurs.

Ma lieutenante continue de me fixer, elle réfléchit intensément.

-Mais je ne vois pas la différence, c’est bien un monde meilleur qui arrivera au final. Même si nous n’en serons pas les responsables, nous serons les initiateurs du mouvement !

-Et cette pensée te réjouit ?

-Ben… Oui.

-Ça ne te rend pas malheureuse de savoir que nous finirons dans ce monde de merde, tuées par les mercenaires des Dirigeants ?

-Si, mais je reste heureuse pour ceux qui viendront après nous.


Poussin… Si l’optimisme béat s’était incarné sur Terre, nul doute qu’il l’eût choisie comme enveloppe corporelle. Elle ne paraît jamais ni inquiète, ni excédée, ni désespérée. Je ne sais pas comment elle fait.



Nous atterrissons finalement, après plusieurs heures de mutisme méditatif, sur un terrain vague en bordure des ruines de Sidney. Mes compétences en aéronautique nous permettant de nous poser sans encombre. Reste à trouver nos amis Apôtres.

Sidney fut, pendant longtemps, une ville prospère et presque aussi riche que Megalopolis. Puis l’explosion d’une centrale nucléaire, suivie de près par plusieurs séismes, tornades et autres catastrophes naturelles, ne laissèrent de la capitale que des débris de béton, des résidus de gloire humaine. Aujourd’hui, tout le pays a été officiellement déserté. Officieusement, il s’agit d’un des endroits les plus dangereux du monde. C’est ici que s’exilent les criminels pour échapper à la justice et que des restes d’expériences scientifiques ont élu domicile. Il n’est donc pas rare d’y voir des scènes surréalistes comme celle d’un ancien mercenaire de la Légion du Pourpre combattre une araignée géante avec une tronçonneuse-mitrailleuse fabriquée à l’aide de bouts de tôle.

Alors que nous nous dirigeons vers le cœur de la ville, nos armes en évidence, je me surprends à prier pour que personne ne meure. Pourquoi Vellere a-t-il choisi pareil endroit pour le Concile ?

-Bal ?

C’est au moment où nous pénétrons sur ce qui fut une place bucolique et propice à boire une bière en fin d’après-midi que la voix tremblante de Poussin me fait me retourner immédiatement, je suis son regard terrifié et lâche un petit cri.

A une vingtaine de mètres de nous, une masse noire et gluante s’agite près du cadavre putréfié d’un dingo d’environ deux mètres cinquante au garrot. Il me faut un moment avant de réaliser que cette masse est en fait un ver. Un seul et unique ver, encore plus gros que la carcasse du dingo, en train de festoyer de la plus répugnante manière. Ses anneaux bougent au rythme des bruits de succion émis par la ventouse qui lui tient lieu de bouche tandis qu’il pompe goulûment les entrailles du canidé.

-Il y en a d’autres, regarde…

Ce n’est plus qu’un murmure qui s’échappe des lèvres de ma lieutenante. Des ruines glacées s’échappent lentement des colonnes de vers, pour la plupart moins démesurés que le premier que nous avons vu, mais d’une taille cependant trop conséquente pour ne pas être inquiétante. Des bataillons noirs dignes d’un poème baudelairien, voilà ce qui nous fait maintenant face. Je lève mon bras, armé d’un flingue dont les munitions sont plus proches de la grenade à fragmentations que de la balle classique, mais ne tire pas. Je ne sais pas à quelle vitesse ces saloperies peuvent se déplacer, mais s’il s’avère qu’elles sont plus rapides que nous… Un frisson de dégoût me parcourt la nuque. Bouffée vivante par des vers… Je baisse mon bras et ouvre la bouche pour signaler notre départ à Poussin.

L’explosion m’en empêche.

Sans que je comprenne pourquoi ou comment, je me retrouve propulsée dans les airs, les tympans à moitié déchirés. Le souffle de la déflagration me propulse contre un mur et je m’affaisse douloureusement. Poussin n’a pas connu un sort plus clément. Malgré la douleur, je cherche désespérément la source de l’explosion. S’il s’agit, comme je le pense, d’une roquette tirée par un ennemi, alors nous sommes foutues.

-CREEEEEEEEEEEEEEEEEEVEEEEEEEEEZ !

Une seconde explosion suit le cri de rage et je plaque les mains sur mes oreilles. Sur la place, les vers se consument en s’agitant. S’ils avaient possédé des organes vocaux, nul doute qu’ils seraient en train de pousser des hurlements de douleur à l’heure actuelle.
Je parviens enfin à localiser le tireur. Posté sur le toit d’un immeuble encore à peu près debout, un homme assez grand, mince et aux vêtements étranges est en train de recharger rageusement son lance-roquette. Ce n’est qu’au moment où je le vois sauter depuis le toit comme le premier suicidaire venu que je réalise qui il est.
Je me redresse, le corps encore douloureux, et beugle dans sa direction.

-La prochaine fois que t’es confronté à ta phobie, vérifie que tes amis ne trainent pas dans le coin avant de tout déglinguer !

Je titube vers le cratère fumant où finissent de brûler les vers. Poussin me rejoint, l’air sonné.
En suspension dans les airs, sans rien pour le retenir, Threskion descend doucement vers nous, un sourire aux lèvres.


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