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Comment tuer sa mère (en cinq façons) ?


Par : faces-of-truth
Genre : Nawak
Statut : Terminée



Chapitre 8


Publié le 06/06/2011 à 12:33:48 par faces-of-truth

Ooooh here she comes, watch out boy, she will chew you up, Ooooh here she comes, she is a maneater…
Maman a programmé sa chanson préférée sur la chaîne radio ; les paroles enflammées de Hall and Oates traversent les murs et mes tympans. Sylvie aime cet air, elle le trouve doux et romantique, et donc magnifique. Moi je le trouve doux et romantique, donc insupportable. Et dire que mes albums de Metallica sont tous étiquetés persona non grata en dehors de ma chambre…
La madre est seule à la cuisine, elle sort la viande du frigidaire. Sylvie et moi sommes au salon assis à la table que ma frangine a nettoyée pour l’occasion pendant que je regardais une émission débile à la télé. En signe de bonne foi, j’ai mis les couverts en tas dans un coin sur la nappe. Faut bien que je m’implique un peu.
Ooooh here she comes…
Maman revient, un saladier dans les mains. Nous nous servons mutuellement des carottes râpées et dégustons l’entrée. Je jette un coup d’œil dépité à la brique de jus d’orange déposée devant moi, mais ravale ma rancœur : ma vengeance va sonner de nouveau d’ici quelques minutes et nous fêterons, ma sœur et moi, notre pot de départ de la maison avec ce même nectar.
Je mens sur la qualité du repas et me moque de l’autre blonde qui vient de mettre une tache sur sa chemise blanche.
Watch out boy, she will chew you up…
Oui, oui, c’est vrai qu’elle en est capable.
Ma cible se lève alors et s’avance dans la cuisine. Je la hèle. Elle se retourne vers moi. Je lui dis « non, rien ». Je veux juste voir son visage une dernière fois. Je me retiens d’éclater de rire et la laisse reprendre sa route. Il manque 666 sur la porte de la cuisine, dis-donc.
La madre saisit la viande, un couteau et une poêle. Va y avoir de la bidoche cramée… Mais pas celle que tu crois Maman. Mais ne t’en fais pas, la vérité va vite éclater.
Ooooh here she comes…
Oh oui, et plus vite que tu ne l’imagines.
Elle pose l’ustensile sur la plaque, saisit une bouteille d’huile d’olive à sa droite, en verse sur la surface, la repose à sa place, et allume les gaz. Maman, sais-tu ce qui caractérise ma colère ?
She is a maneater…
SPLAAACHHH !!!!!!
Une boule de feu apparait alors sous les yeux de ma madre chérie et, en enflant, lui fait ressentir une vive chaleur au niveau des joues et de la tempe. Jamais elle n’aurait pensé avoir aussi chaud un jour. Mais passée cette vague de température volcanique qui lui rougit la peau, le corps même du brûlant lui embrase les traits. Les flammes lui dévorent le visage de la pointe du nez aux cheveux les plus en retrait tellement vite qu’elle n’a pas le temps de hurler à l’aide. Alors que son organe s’acharne à délivrer un message désespéré, le verre de la plaque de cuisson entre à son tour dans la danse et est projeté sur elle, la transperçant de toutes parts et lui perçant ses pupilles déjà rendues aveugles par le feu. Elle chute en arrière, le buste et la tête rongés par les geysers de l’Enfer.
Ma sœur se lève de suite après avoir entendu l’explosion. Moi je ne bouge pas. C’est le passage instrumental de la chanson. « MAMAAAN !!!!! » Le cri strident de Sylvie se fait entendre dans toute la maison. Je l’entends remuer des torchons pour étouffer le feu. Un cri d’horreur. Je peux y aller. Je me lève. Je me rends dans la cuisine, au rythme de la batterie du morceau Maneater. Tu l’aimeras moins maintenant, soeurette, pas vrai ?
Il y a encore quelques flammèches par terre et sur le plan de travail, mais rien de dangereux. Par contre, il y a du verre partout. Je vois ma frangine penchée sur un corps, celui de notre génitrice. Je m’approche, curieux d’admirer mon œuvre. Son ventre est démoli. Les vêtements du haut sont détruits, on perçoit presque ce qui reste de sa poitrine, la peau est rouge vif. Le visage quand à lui est méconnaissable, entre le bleu, le noir et le rouge foncé. Un œil a fondu. Une goutte tombe alors sur le cadavre. « Pitié, Maman, pitié... » Le corps est tellement chaud que la larme s’évapore de suite à son contact.
La chanson s’achève.
-Maman, pitié… Parle-moi…

-Oui, oui, c’est bon ça va, y a pas matière à s’affoler, je m’en remettrai, dit alors ma mère.
Maman se releva en attrapant la main tendue de ma sœur et tapota à petits coups son manteau pour chasser la poussière.
-Il est vieux, je devais en acheter un nouveau depuis longtemps, il avale plus rien ! s’offusqua-t-elle en désignant l’aspirateur détruit. Mais je ne pensais pas qu’il expirerait ainsi…
Oui, bien triste réalité… Vous qui venez de nous rejoindre, laissez-moi vous narrer les palpitants évènements qui venaient de se produire : l’antiquité qui nous servait d’appareil ménager depuis des lustres venait de rendre l’âme en faisant exploser contre toute attente le sac plein de déchets qu’il contenait et en en foutant donc partout. Maman avait été si surprise qu’elle s’était étalée par terre. Je regardais la scène, assis sur une marche de l’escalier, la tête appuyée sur une main, dépité.
-Bon, Sylvie, mets ton manteau, on va chercher le gigot, fit la madre. Ah oui, il faut que je pense à acheter des croquettes à… au chat. Matthieu, au lieu de te tourner les pouces, tu prends un balai et tu nettoies ça s’il te plait.
L’art de commander.
-Et tu sortiras la poubelle aussi.
Et d’accumuler.
-Et tu mets la table.
Mais stop, ça suffit !!!
Les femmes quittèrent la maison et me laissèrent seul, avec mes tâches à accomplir. Je laissai échapper un soupir. Je détestais quand elle faisait ça. « Tu fais ci, tu fais ça, tu fais ceci, tu fais cela ». Tous ces ordres, enchaînés les uns après les autres, dans une même phrase, d’un seul coup. Personnellement, je trouvais ça dur à digérer. Et cette façon de parler… TU-FAIS-ÇA. Ce n’était pas une demande, ni même un ordre au final… C’était une affirmation, comme s’il ne pouvait pas en être autrement. En temps normal, j’aurais appliqué la méthode TOUBENEF. En gros, chers lecteurs, quand ma madre me gonflait, me donnait des ordres qui me déplaisaient et commettait l’erreur de déserter, je passais un appel à des membres de ma famille et les invitais à venir chez nous. A leur arrivée, je leur faisais promettre de ne surtout pas parler de mon initiative à ma maternelle, sous prétexte que je ne devais pas me servir du téléphone pour ça mais que j’avais eu cependant une folle envie de les voir. A son retour, j’expliquais à ma mère que la présence totalement fortuite du tonton ou des cousins ne m’avait pas laissé le temps de faire ce qu’elle m’avait demandé (eh oui, il faut s’occuper des invités, même des incrustes) ; et pour le même prix, je pouvais assister à son regard honteux face au désordre du salon. C’était TOUBENEF. Mais aujourd’hui, j’acceptais ma sentence ; après tout, elle allait bientôt mourir, je pouvais quand même lui faire cette faveur. Et puis, ce que j’avais prévu ne devait se dérouler qu’entre nous.
Je me munis d’une balayette, d’une pelle et d’une poche et m’attaquai aux entrailles de moutons de poussière qu’avait libérés l’aspirateur dans son râle ultime. Alors que j’avais nettoyé à moitié le sol, Croquette s’approcha pour inspecter les travaux et mit ses pattes dans la saleté.
-Mais casse-toi, abruti ! Non !!!! N’en fous pas part… Et merde. Connard de chat.
Une fois que j’eus fini, je mis la poche et le cadavre de plastique dans un grand sac noir et sortis dans le jardin. Je traversai la petite impasse dans laquelle se trouvait notre maison et jetai mon calvaire dans une grande poubelle bien sale. Le temps était nuageux aujourd’hui, le ciel menaçait d’une bruine. Je retournai dans la maison.
Je passai un coup d’éponge sur la nappe de la table du salon-salle à manger, essuyai avec un sopalin, pris les couverts dans un tiroir de la cuisine, déposai trois fourchettes, trois couteaux et deux cuillères (Oh mince, je t’ai oubliée ma chère sœur !) à leurs places respectives, mis les assiettes de façon conventionnelle et apportai au centre de la table le saladier.
Je m’étais bien appliqué et me dis que Maman n’avait plus rien à m’apprendre sur les règles de vie et qu’elle pouvait partir sereine ; je savais parler la bouche vide, manger les mains sur la table et y poser mes coudes lorsque je cessai de piquer dans mon assiette pour écouter quelqu’un raconter sa vie. Toutes ces habitudes et normes enseignées et encouragées par la société pour que l’homme puisse endormir son véritable caractère : celui d’un rustre.
Il était temps pour moi de poser les échafaudages de mon piège anti-mère. Saisissant la télécommande, je programmais Wake up de Lostprophets sur la chaîne hi-fi. Je jetai l’objet sur le sofa et me rendis dans la cuisine en claquant des doigts au rythme de l’intro. Je souhaitai le bonjour à la plaque de cuisson et ouvris un tiroir à la recherche de mon outil de travail. Je sélectionnai un couteau extrêmement fin (il avait plus l’air d’une vis) et le tournai dans tous les sens pour m’assurer qu’il ferait bien l’affaire. Pour faire comme dans les films aussi.
Une petite porte sous la plaque donnait accès aux tuyaux de gaz et aux valves, mais je n’avais pas prévu d’y toucher. Je me penchai vers les brûleurs, et choisis celui que Maman utilisait pour faire cuire sa boucherie. Je me dis alors que si la viande prévue au repas de midi était halal, je devais m’assurer que tout pète avant le plat principal. Torturer et affoler une bête pour en faire une viande dure et immangeable était d’une stupidité ahurissante. Mais passons, on va pas demander aux arabes d’être intelligents.
Comme si elle m’avait entendu, Virginie appela sur mon téléphone dans ma poche. Je laissai sonner. J’enfonçais la lame dans l’un des petits trous que présentait le brûleur et remuai pour abîmer autant que possible la machinerie. J’en fis de même à chaque sortie de gaz. Doutant de l’efficacité de cette simple manœuvre, je réfléchis à ce qu’il serait judicieux d’appliquer en plus. Je me saisis du portable qui ne cessait de vibrer et répondis.
-Ouais ?
-Matthieu ? Mon amour…, fit la voix claire de Virginie à l’autre bout du fil.
-Ça va ?
-Tu me manques…
-Toi aussi, Virgie...
Je levai l’épaule et baissai la tête pour coincer le mobile entre les deux et commençai à tourner le disque supérieur des deux mains.
-On pourrait se voir, dis ? J’en peux plus, je ne fais que penser à toi…
-Bah écoute, là ça va être un peu tendu parce que ma mère va crever et je voudrais surtout pas manquer ça.
-Je n’entends pas, Matthieu, la musique est trop forte…
-T’as qu’à tendre plus l’oreille, j’ai dit que là c’était pas vraiment faisable.
-Ah…
-Mais plus tard ne veut pas dire jamais.
J’avais réussi à enlever l’ustensile de cuisson, et ce qu’il cachait était désormais à l’air libre. Je bidouillai l’intérieur, dévissant ce qui me paraissait être une sorte de fusible, et détériorai tout ce qui pouvait être facilement endommagé. Il me fallait maintenant mettre la vodka. Celle-ci était à l’étage, et ma mère n’allait pas tarder à revenir. Je devais me presser.
-Pardon, chérie, mais je suis dans la cuisine et j’ai un truc sur le feu là, tu peux rappeler plus tard ?
-Bien-sûr, excuse-moi de t’avoir dérangé…Je t’aime…
-Ouais, pareil. Bisou.
Je raccrochai et filai direction ma chambre à toute allure, montant les marches quatre à quatre. Cette maison allait enfin se voir libérée de la domination de sa propriétaire. Peut-être deviendrait-elle une sorte de musée ? Les gens paieraient pour visiter la demeure où une adorable mère de famille avait été retrouvée carbonisée vive par ses deux enfants choqués. Ou alors elle serait laissée à l’abandon pour des années et des années, les voisins la considérant comme un lieu maudit. Des enfants feraient des paris pour y pénétrer et croiraient à la présence d’un fantôme vengeur. Ce serait vraiment la classe. J’ouvris mon placard et saisis la bouteille.
Je pourrais vraiment tirer profit de la situation. Nous serions toujours propriétaires de la baraque Sylvie et moi une fois adultes. Je m’arrangerais pour la vendre à un bon prix. La mort de ma mère serait bien utile, même des années après. J’aurais alors le beurre et l’argent du beurre. Au final, je ne me retrouverais pas couillonné comme ce gros dégueulasse d’Œdipe. Je quittai l’étage en dévalant l’escalier et revins dans la cuisine. Je soulevai le couvercle du brûleur. Il y avait eu du grabuge, mais ce n’était pas tellement visible. Si une enquête avait lieu, il serait difficile de parler de préméditation, d’autant plus que l’explosion suffirait à tout faire péter.
Il était temps. Je me dis que Croquette participerait à mon toast en l’honneur de Maman, comme au bon vieux temps où je le forçais à être alcoolique.
-Tu fais quoi ?
-OH PUTAIN !
Je me retournai en hâte et me retrouvai nez-à-nez avec ma sœur. Je ne l’avais pas entendue approcher à cause de la musique. Je me tenais droit face à elle. Dans mon dos, le disque était enlevé et présentait de manière parfaitement visible la machinerie endommagée. Derrière mon talon, la bouteille de vodka se dandinait. Elle était posée au sol mais mon mouvement brusque lorsque j’avais bondi l’avait touchée et elle se balançait un peu. Une bouteille de verre en mouvement fait du bruit, et le morceau que passait la chaîne hi-fi (que je ne connaissais pas, ou du moins ne reconnaissais pas, et puis merde qu’est-ce que ça change ?! Mon cerveau était pris de cours) touchait à sa fin. Elle allait l’entendre. Le son baissait progressivement alors que derrière moi ça amplifiait. Je n’avais même pas besoin de mimer un état de tachycardie car ce dernier était bien réel. D’où elle sortait ?
-Ça va pas de me faire ça ?! m’emportai-je.
-T’as qu’à baisser le volume, tu aurais entendu la voiture dans la rue, tu es sourd comme un pot, mon pauvre, dit-elle avec un air dédaigneux.
Dans une seconde, le son serait trop faible. Je reculai mon pied et plaquai le récipient à alcool contre le meuble, bloquant sa chute.
-Je répète donc, qu’est-ce que tu fais ? reprit Sylvie.
J’étais en équilibre et je cachais trop gros. Je devais trouver un moyen de reprendre ma position de défense.
-Je cherche du vinaigre blanc pour nettoyer la nappe, il n’y en a plus dans le cagibi alors je regarde si Maman n’en a pas rangé dans le coin, improvisai-je, ça te va, inspecteur Harry ? Ou devrais-je dire Hannibal Lecter ? T’as une façon d’apparaître dans le dos des gens, on dirait un personnage dans un film d’épouvante.
Je levai les yeux vers ses cheveux.
-T’as même une saloperie dans ta moumoute, tu te rends compte…
-Quoi ?!
Elle fourra ses doigts dans ses cheveux pour chasser la saleté imaginaire. Réflexe con. Tu pourrais pas aller vers un miroir, connasse ? Profitant de la diversion, je pivotai sur moi-même, reposai simplement le disque sur le brûleur, me penchai, attrapai la vodka, ouvris la petite porte qui donnait sur la réserve à vinaigres (et aux tuyaux à gaz), déposai la bouteille et fis mine de vérifier chaque étiquette à la recherche du fameux vinaigre blanc. Je restai plusieurs dizaines de secondes dans cette position afin d’avoir l’air le plus calme et le plus naturel possible.
-Mais je n’ai rien ! se lamenta l’autre au bout d’une minute.
-Merde, il n’y en a pas…, fis-je en l’ignorant.
-Depuis quand tu nettoies la table après avoir mis les couverts ?
-J’ai oublié, je dois les enlever.
-Je crois qu’il en reste dans l’étagère habituelle, non ?
-J’ai vérifié. Quoique non. Et si… Enfin je sais pas…
« Reprends-toi, Matthieu, reprends-toi !!! »
-Tu ne cherchais pas le vinaigre blanc, devina ma sœur.
Je me relevai et lui fit face. Qu’est-ce qu’elle cherchait ?
-Où est Maman ? demandai-je.
-Dehors, elle parle à un voisin.
-Et tu en profites pour me voir ?
-Oui, tout à fait.
J’avalai ma salive, ça n’annonçait rien de bon. Ses yeux exprimaient la fureur.
-Q… Qu’est-ce que tu as ? Les menstrues, ça passe, tu sais…
-Je peux savoir ce que tu as dit à Julien hier ?
Merde… Il fallait qu’elle parte. Je n’avais pas remis correctement le couvercle sur la plaque, j’étais à découvert.
-Quoi ? dis-je bêtement pour gagner du temps.
Ce qui était stupide, je devais au contraire accélérer les choses pour ranger mes affaires avant que Maman ne revienne. Mais ma panique l’emportait sur ma réflexion.
-Julien s’est comporté de manière étrange hier, il m’a dit t’avoir croisé.
-Oui, je l’ai vu, acquiesçai-je.
-Et de quoi avez-vous parlé ?
Je détestais les interrogatoires, mais pour me sortir de cette situation, je devais aller dans son sens.
-On n’a pas parlé, on s’est vu l’espace de dix secondes, on s’est serré la main et je lui ai dit que t’habitais ici.
-Et c’est tout ?
-Oui… Pourquoi ?
-Il m’a posé des questions sur Benjamin, figure-toi, acheva-t-elle sèchement.
Mon cœur battait la chamade, les vagues de sang au niveau de mes tempes étaient si fortes et si puissantes qu’elles m’empêchaient presque d’entendre ce que me disais ma sœur. La musique était coupée. Maman avait dû rentrer.
-Je… Je ne connais pas Benjamin…
Je ne me souvenais pas avoir rangé le couteau fin qui m’avait permis de manipuler la plaque. De mémoire, il devait se trouver à ma gauche, bien en vue de Sylvie. Mais celle-ci ne semblait pas l’avoir remarqué. Je devais m’en saisir.
-Benjamin est un mec que j’ai connu il y a quelques temps. Il était gros, moche, et complètement obsédé par mes fesses.
-Ah, c’est un brave type.
Je simulai une crampe à la jambe et m’assis sur le plan de travail, en posant de suite ma main sur le couteau. Elle ne me vit pas le glisser dans mon dos et je le mis délicatement dans la poche arrière de mon jean.
-Et tu sais quand je l’ai revu pour la dernière fois ? me questionna l’autre.
-Non, répondis-je en fixant le plafond.
Il fallait que je respire, que je respire…
-En CP.
Mon souffle fut coupé.
-Ce qui signifie que Julien ne peut pas le connaître, donc il n’avait aucune raison de m’en parler, donc on lui a mis ce nom dans la tête.
-Quelqu’un a dû lui faire une mauvaise blague.
-Oui, et ce quelqu’un c’est toi, accusa-t-elle.
-Va te faire foutre !
-Non, toi, va te faire foutre ! Pourquoi tu t’obstines à me pourrir la vie ? Je t’ai jamais emmerdé avec Virginie, je me trompe ?
-Quoi ? D’où tu places Virginie dans la conversation ?
-Parce que tu m’emmerdes grave alors que je n’ai jamais mérité ça, voilà ! Je fais ce que je peux pour vivre ma vie de mon côté, et toi tu te fais un deuxième trou dans le cul pour y fourrer ton nez !
-Okay, c’est comme tu veux, je te laisse en paix, achevai-je, je vais commencer de suite.
Je devais partir au plus vite pour l’éloigner d’ici. Oh putain de merde, Sylvie, tu pouvais pas te manifester un peu plus tard… ?
Alors que je retouchais le sol et m’apprêtais à quitter la pièce, mon interlocutrice me saisit à la gorge et me fit reculer.
-On a pas fini ! Qu’est-ce que tu foutais ici ? reprit-elle.
-Oh, je t’en prie, tu vas pas remettre ça…
-Ça devait être important pour que tu caches ce couteau…
Je perçus comme le son d’un moteur d’avion en train de crasher dans ma tête.
-Je dois le ranger, je sais très bien que si je le laisse traîner, tu vas le répéter à Maman et elle va exploser si elle apprend ça…
-Et à quoi il t’a servi ?
-A m’imaginer en train de te poignarder avec, crachai-je.
Son regard haineux changea d’expression. Le nouvel air qu’exprimaient les yeux bleus de Sylvie était pire que tout ce que j’avais redouté jusqu’à présent : c’était le soupçon.
-Quelqu’un vient m’aider à soulever les bouteilles ?! héla notre mère du salon.
Sylvie me fixait toujours, c’était horrible, je me sentais nu ; je devais parler, je savais que je devais m’exprimer pour essayer, juste tenter de renverser la situation, mais j’en étais incapable. J’étais tétanisé.
-Allô ?! insista Maman.
-Vas-y, commanda ma sœur.
-Quoi ?
-Va l’aider, répéta-t-elle sèchement.
Mes muscles refusaient de bouger, et je dus faire un effort inhumain pour les forcer à obtempérer. Je devais obéir. La seule solution qui me restait pour m’en sortir n’en était pas une : je misais tout sur la chance. Je devais rester le plus calme et le plus normal possible, même si c’était quasiment impossible dans l’état actuel des choses. Je contournai mon aînée et m’avançai lentement vers la porte de la cuisine. Rester calme, rester concentré. J’avais réussi à enfoncer le plus possible le disque du brûleur lorsque j’étais assis. Il n’y avait plus trop de raisons de s’inquiéter à ce sujet-là.
-Et range ce couteau, entendis-je derrière moi d’une voix froide.
Je m’exécutai et le plaçai dans un tiroir parmi les cuillères. Je n’étais pas en état de faire les choses correctement. Je quittai la pièce et jetai un dernier regard à Sylvie. Elle n’avait pas bougé. Elle était debout, droite, et fixait toujours la plaque de cuisson.
M’arrachant à cette vue cauchemardesque, je rejoignis Maman qui me jeta un regard réprobateur.
-Ah beh c’est pas trop tôt !

Le repas de midi fut l’un des plus glauques et des plus dérangeants de tous ceux que j’avais vécus. Maman était la seule à parler, et nous ses enfants faisions semblant d’écouter et d’approuver ce qu’elle disait. Jusque là, rien d’anormal. Le seul truc, c’était que Sylvie m’épiait sans arrêt, à l’affût du moindre geste, du moindre sursaut. J’étais un détenu assis dans sa cellule, sous surveillance.
La madre partit faire cuire la viande, nous laissant seuls. Je comptais les secondes et mettais trois plombes à finir mon entrée, histoire de ne pas avoir à lever les yeux vers ma sœur qui, elle, avait les bras croisés sur la table et n’avait de cesse de me fixer. Je percevais ses yeux bleus m’observer de long en large, comme si un rayonnement à ultra-sons me parcourait le corps entier.
Un silence. Un long silence. Pourvu qu’un évènement se produise. Il fallait que Maman meure. Il fallait que mon piège marche, mais qu’il la tue. Que tout ceci ait servi à quelque chose. J’entendais notre mère tourner en rond, faire des allers-retours dans la cuisine. Une explosion, pitié, une explosion…
Les secondes s’écoulèrent mais rien ne se produisit. Un haut-le-cœur me prit, je ne me sentais vraiment pas bien, il fallait que je m’allonge, que j’inspire profondément et que je respire. Sylvie le remarqua, elle devait attendre ça depuis le début. Je la vis du coin de l’œil se redresser et passer sa langue sur ses lèvres pour les humidifier. Elle gonfla son thorax pour me parler mais un bruit sourd résonna dans la pièce d’à côté.
Sylvie se leva en trombe et fonça rejoindre Maman.
-Ça va ? l’entendis-je dire.
-Oui, ça va, c’est cette saleté de plaque qui marche pas, je sais pas ce qu’il y a aujourd’hui, entre ça et l’aspirateur.
Je reconnus le bruit d’une poêle que l’on ramasse, Maman avait dû la jeter de colère. Elle s’énervait beaucoup en ce moment. Ça se comprenait.
J’étais à bout, mon nouveau plan avait échoué. Mes intentions avaient encore conduit à un échec. J’aurais voulu que le monde brûle à cet instant, que les flammes détruisent tout, n’importe qui et n’importe quoi. Qu’elles me prennent aussi. Ma nausée s’aggrava. Je tapais des pieds sur le sol. Je cachais mon visage dans mes mains en m’appuyant avec mes coudes sur la table. La position d’un animal vaincu. Celle d’un homme pris au piège.
Sylvie m’observait toujours.

Je passai ma journée à attendre. A attendre quoi ? Que le temps passe, et qu’il emporte mon angoisse avec lui, si possible. Sylvie n’avait pas lâché mon visage de l’après-midi. Au bout de quatre heures, je me décidai à la fixer à mon tour. Qu’avais-je à me reprocher ? Rien. Je n’avais rien fait. Je n’étais coupable que d’une chose, c’était de m’être payé la tête de son jules. Je le reconnaissais. Mais j’avais compris, je ne récidiverais pas ; elle n’avait pas à me harceler ainsi du regard. Du moins, si elle n’avait rien d’autre à faire de sa journée, je n’en aurais cure. Mais c’était son choix. Chez moi, tout allait bien.
Elle dut lire dans mes yeux toutes mes pensées, car elle se leva et brisa enfin le lien visuel. Son doute persisterait, mais il s’estomperait, comme tout avec le temps. Je pouvais dormir sur mes deux oreilles. Quand on est dans un état de stress intense, nous sommes plus récessifs à ce que nous n’acceptons pas d’habitude. On est plus docile. Eh bien, j’étais en train de regarder une série que je détestais avec Maman, tous les deux assis sur le canapé.
Le dîner fut légèrement plus détendu, dans la mesure où Sylvie m’ignorait comme à son habitude. Nous regardâmes la télévision et mangeâmes en silence. Elle avait finalement compris. N’empêche, cette garce m’avait coûté cher, et j’avais failli me faire pincer. Je devais ajouter un nouveau paramètre à mes activités : la prudence. Je dus reconnaître que ce dernier point fut légèrement… Non… complètement négligé. Mais ce n’était pas grave, la journée qui venait de s’achever m’avait au moins appris une chose : surveiller ses arrières était d’une importance capitale ; ainsi préparé, je ne voyais pas comment Maman pourrait m’échapper la prochaine fois. Et pourtant… J’en étais à ma troisième tentative et j’essuyai une troisième défaite. Je me surpris à désespérer. Alors je me giflai mentalement. Je n’avais pas à déprimer. J’étais destiné à réussir, cette mission ne pouvait qu’aboutir. Cela prendrait autant de temps que nécessaire, mais je parviendrais à mes fins !
L’existence de Maman sur Terre était encore en sursis.

A la fin du film du soir, qui fut un véritable navet, nous gagnâmes tous les trois nos chambres respectives. Je souhaitai la bonne nuit à Maman en lui faisant la bise, et me dirigeai vers ma porte. Au moment de pénétrer dans mon domaine, je lançai un regard à Sylvie. Elle me fixait, ses yeux avaient une expression étrange, mais je n’en comprenais pas le sens. Elle finit par disparaître de mon champ de vision et s’enferma chez elle.
Une fois couché, j’éteignis la lumière et attendis. Les lumières des réverbères dehors transperçaient mes volets de bois et formaient des dessins au plafond. Je m’étais souvent surpris à les interpréter comme des formes cohérentes et vouées à une analyse. Allez chercher pourquoi, je voyais un chiot mort devant sa mère qui lui tournait le dos.
Mon esprit commençait à délirer, la fatigue envahissait mes membres les uns après les autres, tel un poison lent. Je fixai l’heure. Minuit. Je devais encore tenir. Un chat se disputait dehors avec un de ses pairs, puis une bagarre éclata en feulements et cris aigus ; j’espérais juste que ce fût Croquette qui se prenait une tannée. Des voitures et des scooters circulaient devant notre impasse sans y pénétrer. Minuit et demi. Sylvie était une garce, mais une fille bien. Je la taquinais méchamment, parce que nos relations n’avaient jamais été autrement. Depuis notre plus jeune âge, nous ne faisions que nous battre. Je devais vraiment être crevé pour oser dire quelque chose de positif à l’encontre de ma frangine, oubliez ce que je viens de dire, chers lecteurs, c’est le sommeil qui a parlé. Une heure du matin. Et si je pouvais apprendre que j’avais été adopté ? Et que je n’avais plus aucune raison valable de rester ici ? Je pourrais partir. Une heure et demi. Et tout serait fini. Tout ceci s’arrêterait. Je serais libre. Tout le monde serait libre. Maman. Sylvie. Le monde m’empoisonne alors j’empoisonne le monde. Ce n’est que pure nature comme réaction. Je n’étais pas un modèle de vertu, mais je n’étais pas un monstre pour autant. J’étais un être humain. Et les être humains sont condamnés à cultiver la cruauté et la vengeance, alors pourquoi lutter contre le courant ? Les humains ne sont pas faits pour être dans l’eau.
Deux heures du matin. Je glissai lentement hors de mes draps et filai vers la porte. Je l’ouvris. Silence et obscurité. Je ne serais que calme et ombre le long de ce couloir. Je passai devant les portes de ma mère et ma sœur et arrivai aux escaliers. Je descendis avec plus de discrétion que jamais je n’en avais fait preuve dans toute mon existence. Même Croquette était plus bruyant.
Le salon abandonné plongé dans le noir. Heureusement que je n’avais pas maté de film d’horreur récemment. Je progressais en longeant le sofa, mes yeux étant habitués à l’obscurité. Je m’avançai vers la cuisine. J’y pénétrai.
Le contact glacé de mes pieds nus sur le carrelage provoqua un frisson qui parcourut l’ensemble de mon corps. Je marchai à pas de loup vers la plaque. Je priai pour que personne ne descende à cette heure-ci. J’étais bien trop loin des chiottes pour prétendre l’envie pressante. Maman avait mis une feuille de papier d’aluminium sur le brûleur endommagé. Mais ce n’était pas ce que je cherchais.
Je me mis à croupis et tendis ma main vers la portière qui donnait sur la réserve à huiles et vinaigres. J’ouvris. Il faisait tellement sombre à l’intérieur qu’il me fallut une bonne minute pour y distinguer quoi que ce soit. Alors je vis ma bouteille à sa place. Je la saisis. Personne ne devait trouver ça sinon les choses empireraient. Mais quelque chose n’allait pas. Je rapprochai le récipient de mes yeux. Ce n’était pas ma vodka ! C’était du vinaigre blanc ! Je replongeai mes mains à l’intérieur du meuble. Rien. Nulle part. Aucune trace de mon alcool.
Je tombai sur les fesses et mis mes mains sur la tête. J’étais foutu. Je comprenais ce message. Je comprenais surtout le regard que m’avait lancé Sylvie ce soir, avant d’aller se coucher.
-Oh merde…
Le monde tournait autour de moi, les ténèbres m’avalaient, le sol tremblait à mes pieds, et j’étais nu…
Ses yeux exprimaient une phrase claire, très nette.
Ils disaient « Je sais tout ».


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