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Les Fantômes Peuvent Mourir


Par : BaliBalo
Genre : Polar, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 6


Publié le 09/12/2012 à 16:18:22 par BaliBalo

Line n’avait pu fermer l’œil de la nuit, tourmentée par la voix du fantôme maternel qui répétait inlassablement « Tu n’es plus ma fille ». Comme une comptine morbide, la phrase tournait en boucle, se distordant dans les tons les plus alarmants, amputant la moindre pensée que Line avait essayé de formuler. Néanmoins, au matin et malgré son esprit embrumé de sommeil, elle avait constaté le paradoxe que constituait cette hantise. En effet, Line haïssait sa mère, c’est pourquoi entendre la voix de cet être détesté lui dire qu’elle la reniait n’aurait pas dû l’affecter sinon la réjouir. Sans comprendre, la jeune femme déchira le calendrier et mit en route la machine à café. C’est alors que son téléphone sonna.

Les Quatre s’étaient rendus docilement au poste du 14ème, persuadés d’avoir affaire à un contrôle de routine. Ils avaient commencé à s’inquiéter lorsqu’ils avaient remarqué que toute la fratrie avait été convoquée. L’intérieur du poste grouillait de policiers en action, si bien que les Quatre passèrent inaperçu durant quelques longues secondes. Heureusement, un jeune policier les remarqua alors qu’il était visiblement en conversation avec un autre, plus âgé. Le jeune se dirigea vers eux et Line reconnu Barrais avec un certain effroi, lequel, sourire aux lèvres, les salua avant de leur serrer la main tour à tour tout en se présentant :

« Messieurs dames, je suis le lieutenant Barrais, veuillez me suivre je vous prie. »

Sans hésiter, les Quatre emboîtèrent le pas au jeune lieutenant qui les mena dans une salle close, grise et munie de seulement quelques chaises. Il invita les nouveaux venus à s’asseoir puis s’éclipsa sans un mot d’explication. Assise dans cette pièce impersonnelle, Line commençait à se douter de quelque chose, retrouvant de vieux réflexes que son esprit avait effacés mais dont son corps conservait la mémoire. Dans son passé proche, elle avait eu de nombreuses démêlée avec la police, ainsi était-elle rompue à toutes les techniques de déstabilisation en usage avant un interrogatoire. Ici, ils les laissaient dans l’embarras afin qu’ils paniquent, probablement observaient-ils leurs réactions et leurs propos, espérant qu’un des Quatre se trahisse dans sa terreur. La jeune PDG savait qu’il fallait rester calme, ou alors donner le change ce que Marco accomplit à la perfection :

« Que nous veulent-ils bon sang ? J’ai du travail moi ! J’ai une équipe m’attend, nous allons prendre du retard avec cette histoire. Ils pourraient au moins nous expliquer ce qu’ils attendent de nous !
— Calme toi, l’enjoignit doucement Line, le lieutenant ne va sans doute pas tarder à revenir pour nous interroger. D’ailleurs ça me rappelle un vieux souvenir : Vous vous souvenez ce château que la famille avait loué pour l’anniversaire de mariage de nos grands parents ?
— Le Château de Prais, ajouta Paul, placide, une magnifique demeure.
— Tout à fait, continua Line, il y avait un gardien, un vieux monsieur qui avait pour habitude de faire peur aux touristes. On n’était que des gosses et on l’avait cuisiné pour savoir où trouver les fantômes.
_ Quel rapport avec notre situation ? s’enquit Caroline
_ Nous allons être interrogés, comme à l’époque on a cuisiné le vieux à propos de ses fantômes, répondit Paul avant que Line ai pu émettre le moindre son, seulement ils vont probablement nous faire parler à propos de Bertaus et d’une quelconque magouille, soyez prudents.
— A mon avis, il n’est pas question de magouille, intervint Line, on est à la Brigade Criminelle, ici on traite surtout les meurtres. Mais je ne pense pas qu’on pourra les aider à trouver leur fantôme, après tout même avec les infos du vieux on ne l’a jamais vu. »

Le silence suivit cette déclaration, chacun ressassant la parabole et digérant la raison de leur présence au poste de police. Ils s’inquiétaient tous de ce qu’on allait leur demander et de la façon dont ils devraient répondre : l’ordre absolu était de ne pas se trahir. Marco et Caroline auraient volontiers demandé quelques conseils supplémentaires à Line, la sachant habituée à l’exercice. Eux s’inquiétaient de ne pas passer l’épreuve haut-la-main et de ne pouvoir retourner travailler. Marco n’avait de cesse de consulter sa montre, grimaçant à chaque minute que l’aiguille dépassait, songeant au retard que son travail prenait. Caroline, elle, paraissait plus calme, mais ses sourcils constamment froncés traduisaient une certaine frustration. De l’autre côté de la pièce, Paul, imperturbable, ne se faisait que peu de soucis, ayant compris rapidement ce qui les attendait et comment il devait réagir. Il nourrissait seulement une certaine inquiétude à l’égard de Marco et Caroline qu’il savait capables de perdre facilement leur sang-froid. Line, quant à elle, réprimait à grand peine un sourire en songeant qu’elle allait affronter le lieutenant Barrais. Contrairement à Paul, elle faisait confiance à ses aînés pour préparer le terrain, les jugeant plein de ressource. Elle n’aurait plus qu’à achever le lieutenant. Ce dernier se présenta peu après, leur annonçant qu’ils allaient être interrogés tour à tour, Marco insista pour passer en premier, arguant qu’il était pressé et que du travail l’attendait. Barrais laissa faire et accompagna le jeune homme jusqu’au bureau de Planchet. Marco s’assit face au commissaire qui l’observait avec un sourire engageant. L’ingénieur se lança :

« Je croyais que les interrogatoires se faisaient dans des salles insonorisées, avec un type qui vous regarde derrière un miroir.
— Non mon brave, lui répondit Planchet, légèrement amusé, ça c’est dans les films. Pourriez-vous nous décrire votre emploi du temps d’hier je vous prie ?
— Travail, travail, travail et travail. D’ailleurs, j’aimerais en finir au plus vite, du travail m’attend.

Planchet esquissa un sourire et répondit calmement :

— Cela ne dépend que de vous, pourriez-vous être plus précis ? N’avez-vous pas mangé par exemple ?

Marco regarda le commissaire d’un œil exaspéré, pris une grande inspiration et déblatéra :

— Si, je suis arrivé vers sept heures. A huit heures, la réunion avec mon équipe a commencé mais nous avons été interrompus à peine quelques minutes après le début. Une demi-heure plus tard, la réunion a repris et nous avons travaillé jusqu’à midi. J’ai déjeuné, effectivement, mais dans mon bureau et j’ai repris le travail tout de suite après. Je suis parti du bureau vers dix-neuf heures, je crois, et je suis directement rentré chez moi. C’est assez précis ?
— Tout à fait, confirma Planchet en jetant un coup d’œil à Barrais, appuyé contre la porte, qui prenait consciencieusement des notes, le commissaire reprit : cependant un élément me chiffonne : qu’est ce qui a interrompu votre réunion ?
— Ma patronne m’a convoqué d’urgence.
— Votre patronne… il s’agit bien de votre sœur, n’est-ce pas ? intervint Barrais
— Oui. Répondit l’ingénieur sans se retourner
— Et pourquoi vous a-t-elle appelé ?
— Il s’agit d’une affaire familiale sans importance aux yeux de la police.
— Ca dépend, assura Planchet, vous êtes bien le fils de Gilles Bertau et Valentine Bertau née Jeannet ?
— En effet.
— Dans ce cas, tout ce qui peut concerner votre famille nous intéresse, Planchet marqua une pause, ménageant son effet dramatique et annonça finalement : votre mère a été assassinée la nuit dernière.

Marco ne montra pas le moindre étonnement, ni aucune autre réaction ce qui intrigua le vieux commissaire qui s’attendait à voir au moins de l’étonnement sur le visage du suspect. En vérité, le jeune ingénieur bouillonnait et luttait de toutes ses forces pour paraître impassible. La nouvelle ne le choquait pas outre mesure mais la joie qu’il éprouvait en apprenant la mort de cette femme qu’il haïssait plus que tout au monde, dernière chaîne qui l’empêchait de prendre son envol et qu’il tentait de briser depuis des années, le bonheur de se savoir libéré tentait de tordre ses lèvres en un sourire radieux. Il devait se contenir jusqu’au bout, retenir l’intense soulagement qui voulait éclater sur son visage. Alors Marco pensa au travail. Il pensa à la BM-B, revit la liste des objectifs qu’elle devait atteindre, les solutions qu’il avait envisagées avec son équipe, les premiers crash test qui allaient arriver… et peu à peu, la tempête de joie qui grondait en Marco s’évanouit pour laisser place au vent de poupe qui poussait le jeune homme en avant, lui ordonnant d’aller plus loin, au-delà de ce que Line exigeait. Et il put enfin répondre, sans que cela ait pris plus d’une seconde :

— Dans ce cas, ce que je vais vous communiquer va sans doute tous nous inculper : Line nous a convoqués au matin pour nous avouer qu’elle avait découvert l’adresse de notre mère. Mère que nous n’avons pas vu depuis sept ans. Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps de nous rendre chez elle, la nouvelle nous a beaucoup secoués.
— Je vois… Avez-vous cependant arrêté une date pour lui rendre visite ?
— Non, répondit Marco imperturbable, nous avons conclu que nous devions aller la voir mais n’avons rien concrétisé. J’en suis bouleversé, je n’aurais plus jamais l’occasion de la revoir.
— Je suis moi aussi navré, ajouta Planchet, je vous remercie pour votre aide. »

Le commissaire se leva et serra la main de l’ingénieur tout en faisant signe à Barrais de le raccompagner. En chemin, Barrais demanda à Marco s’il savait quelles obligations importantes devaient remplir ses frères et sœurs au siège de Bertaus. L’ingénieur répondit que lui-même aurait besoin de Caroline au plus vite, que Paul avait peu de travail ces temps-ci étant donné qu’il avait obtenu la majorité des droits pour la BM-B et que Line travaillait surtout le soir, lorsqu’elle recevait tous les comptes rendus du jour. Le lieutenant le remercia et lui serra la main à la sortie du poste, non sans s’assurer que Marco Bertau quittait bel et bien les lieux dans son Audi sportive. Barrais se dirigea alors vers la salle où attendaient les trois autres suspects. Tous avaient trouvé une occupation : Line lisait attentivement l’Argus de l’année précédente, Paul tentait visiblement d’appeler quelqu’un et Caroline griffonnait sur un petit carnet. Barrais appela la rouquine tout en signalant à Paul que les téléphones ne passaient pas dans cette pièce. Le jeune homme rangea l’appareil, la mine frustrée, tandis que Barrais refermait la porte et emmenait Caroline jusqu’au commissaire. Elle n’attendit pas la permission du vieil homme pour s’asseoir et attendit bras croisés que le commissaire réagisse. Planchet, quelque peu surpris et malmené par la rapidité de son interlocutrice, mit quelques instants avant de penser à engager la conversation.

« Mademoiselle Caroline Bertau, commença le vieil homme, pourriez-vous me décrire votre emploi du temps d’hier ?
— Ma foi, il ne s’est rien passé d’exceptionnel. Au matin ma sœur m’a convoquée puis j’ai travaillé toute la journée, j’ai quitté seulement deux fois le bureau.
— Pourquoi êtes-vous sortie ?
— D’abord pour manger et ensuite en fin d’après-midi j’avais un rendez-vous d’affaire avec un cadre de Citroën. Rien de bien important.
— C’est tout ?
— Oui, suite à ce rendez-vous je suis repassée par le bureau pour récupérer mes affaires et je suis rentrée à la maison.
— Autrement dit rien d’exceptionnel, résuma Planchet, cela dit, votre frère nous a avoué un fait intéressant : au matin Line, votre sœur, vous a tous convoqué pour vous communiquer une information importante.
— C’est juste, affirma Caroline, mais je ne vois pas en quoi cela regarde la police. C’est une affaire strictement privée.
— Elle l’était jusqu’à hier soir.
— Ah. Et qu’attendez-vous de moi ?
— Que vous nous disiez ce que vous avez réellement fait de votre journée.
— La vérité, je viens de vous la donner, je peux néanmoins rajouter un élément si mon frère vous l’a déjà donné : Line nous a convoqué pour nous donner l’adresse de notre mère que nous n’avons pas vue depuis qu’elle a disparu.
— Disparu ? interrogea Planchet sous l’œil attentif de Barrais
— Oui, après le divorce, nous n’avons plus jamais entendu parler d’elle.

Caroline parlait d’une voix froide, s’efforçant de cacher sa colère et son dégout à l’égard de cette femme. Elle avait adopté ce ton monocorde dès le début de la conversation, jugeant qu’il mettrait toutes ses déclarations au même niveau. Planchet continua :

— Et elle ne vous donnera jamais plus de ses nouvelles : elle est morte cette nuit.
— Je vois, lâcha seulement la rouquine, que s’est-il passé ?
— Elle a été assassinée.
— D’où notre présence en ces lieux, déduit la mathématicienne rousse, je suis désolée je ne peux vous aider plus que je ne l’ai déjà fait. Je vous prierais de ne pas m’inviter à l’enterrement, je n’ai pas envie que ma dernière image d’elle soit un cercueil, mentit-elle avec conviction, quel dommage ! Alors que nous avions les moyens de la revoir, nous aurions dû y aller le jour même, pour d’ultimes retrouvailles.
— Je suis désolée de devoir vous avouer cette mort, s’excusa le commissaire, merci de votre aide mademoiselle et navré du dérangement occasionné. Barrais, raccompagnez-là. »

Le lieutenant se décolla du mur et ouvrit la porte à Caroline qui sortit brusquement en ayant à peine murmuré un au revoir au commissaire. Elle marchait vite et Barrais avait de la peine à suivre son rythme. Sans un remerciement, la rousse fondit hors du poste de police et s’installa au volant d’une voiture de sport tape à l’œil qui poussa un rugissement agressif lorsque la jeune femme mit les gaz. Barrais l’observa s’éloigner, fasciné par la différence entre les véhicules de la fratrie. Finalement, il détourna les yeux et, au lieu d’aller vers la salle où attendaient les deux derniers Bertau, il se dirigea vers le bureau du commissaire. Celui-ci l’accueilli par un froncement de sourcils interrogateur. Le lieutenant fondit sur le bureau de son supérieur, frappa du plat de sa main le meuble de bois blanc et, les yeux braqués sur ceux du commissaire, il demanda expressément :

« Monsieur, laissez-moi interroger seul Line Bertau pendant que vous vous occupez de son frère.

Incrédule, Planchet considéra son assistant d’un œil inquiet avant de déclarer :

— Mais enfin lieutenant Barrais, que vous arrive-t-il ?
— S’il vous plait mon commissaire ! Je serais plus efficace si je l’interroge, j’en suis sûr.
— Mais enfin ! Arrêtez de raconter des inepties ! s’énerva le vieux Planchet, qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— Ecoutez… commença Barrais, il faut que je vous avoue quelque chose. Je pense que ça pourrait être le meilleur de nos atouts. Je connais personnellement Line Bertau, j’ai fait mes études avec elle et nous étions, disons, très proches. Elle sera plus apte à parler si je suis en face d’elle.
— Ou plus apte à se méfier lieutenant. Pourquoi avoir dissimulé une information aussi importante ?
— Il ne servait à rien de vous en faire part mon commissaire.

Planchet ne répondit pas tout de suite, semblant considérer la réponse du lieutenant avec une profonde attention. Barrais tremblait. Jamais il n’avait été aussi certain de sa réussite et jamais il n’avait été aussi effrayé par un suspect. Néanmoins, il devait convaincre le commissaire de le laisser interroger la PDG, il en allait de l’affaire son instinct le lui dictait. Cependant, le lieutenant jouait là son rôle auprès du commissaire dans cette enquête et la confiance que le vieux policier lui accordait. Enfin, Planchet s’éclaircit la gorge et déclara :

— Non mon cher Barrais, pour un premier interrogatoire je souhaite me faire une idée. Nous verrons par la suite. Allez me chercher le suivant lieutenant, et n’outrepassez-pas vos fonctions. »

Penaud et déçu, Barrais se retourna, la rage au ventre. Non seulement il était passé pour arrogant devant le commissaire mais en plus, il n’avait pas obtenu ce qu’il souhaitait. L’enquête allait se planter : les Bertau étaient en train de les piéger, il en avait la certitude. Quelque chose dans leur déclaration ne collait pas, mais quoi ? Le lieutenant n’arrivait pas à mettre le doigt sur la contradiction. Il rumina cette pensée jusqu’à la salle d’attente où il intima à Paul de le suivre. Sans un mot, les deux hommes pénétrèrent dans le bureau du commissaire.


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