Noelfic est temporairement en accès limité.
Envie de discuter en attendant ?
Accédez au SkyChat
Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Les Fantômes Peuvent Mourir


Par : BaliBalo
Genre : Polar, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2


Publié le 25/11/2012 à 17:09:46 par BaliBalo

Line repoussa doucement la porte de l’appartement. Il était minuit passé, Laurent s’était probablement endormi, s’il n’était pas déjà rentré chez lui. A pas de loup, la jeune femme se glissa dans le salon et ôta ses escarpins, assise sur le sofa. Elle se releva sans bruit et se servit un deuxième ti punch. Le breuvage faisait partie du rituel, d’ordinaire Line le buvait en rentrant du travail et se limitait à un seul verre, mais la situation justifiait quelques entorses au rituel. Affalée non loin de la lueur diffuse du lampadaire de salon, elle ressassa la nouvelle, gardant le cocktail dans sa main.

Maintenant qu’elle avait l’adresse de sa mère, qu’allait-elle faire ? Rendre visite à cette femme lui apparaissait comme une évidence. Pourtant elle ne pouvait s’y résoudre. Cela revenait à remuer trop d’éléments douloureux, à commencer par l’affaire Ariès, cette sombre histoire qui avait provoqué l’éclatement de la famille Bertau et ruiné la carrière, pourtant prometteuse, de la jeune Ariès. Sept ans auparavant, alors le monde de la musique était dominé par les superproductions américaines et asiatiques, Ariès avait surgit dans le domaine, révolutionnant la musique avec une sonorité nouvelle, accessible, et pourtant profondément recherchée où se mêlaient tous les genres musicaux. Mais surtout, ce style hétéroclite avait été porté par la voix de la jeune chanteuse. Chaque note, chaque timbre, chaque thème, chaque instruments jouait et résonnait pour la voix d’Ariès. Ariès était un prodige, un Mozart de l’époque moderne, autant compositrice qu’interprète. Personne ne pouvait se dresser contre cette harmonie parfaite entre la voix et la musique. Ariès avait réduit les plus célèbres stars de l’époque à l’état de pantins discordant et séduit les plus amers, les plus aigris des musiciens ou critiques. Telle une bombe, elle avait déboulé un jour et tout fracassé sur son passage, anéantissant les plus grands. Line avait été une de ses plus ferventes admiratrices, Ariès constituait pour elle un modèle et avait inspiré cette envie de créer sa propre révolution. A sa façon, Line avait réussi avec Bertaus, même si la compagnie n’avait pas la même envergure que celle d’Ariès. A l’époque, les ailes d’Ariès s’étendaient chaque jour un peu plus, touchant le plus petit comme le plus grand. Mais dans son ascension fulgurante, la chute ne fut que plus rude. Adulée, Ariès se devait d’être parfaite : une conduite irréprochable et des actions illustres, car là où penchait Ariès, l’opinion publique penchait. La chanteuse se prêtait volontiers au jeu, consciente de sa responsabilité, se glorifiant un peu plus par son noble comportement. Ainsi, Ariès constituait l’être le plus proche de l’ange.

Cependant, la presse parvint à bout d’Ariès. C’était le 19 juillet 2012 que tous les journaux français affichaient la même une, traitant le sujet selon les mêmes mots : Ariès était née d’une liaison extra-conjugale. Ravis de pouvoir coincer enfin cet être visiblement parfait, les journaux avaient crachés des éléments plus ou moins vrais, désignant Ariès comme une moins que rien, parfois même reprise de justice ou toxicomane. Le seul élément qui subsistait était le nom de la mère d’Ariès : Valentine Bertau, mariée, quatre enfants. La vie était brusquement devenue impossible pour la famille Bertau, assaillie par la presse. De même pour Ariès, la jeune femme s’était retrouvée poursuivie chaque seconde par des journalistes indiscrets. Ariès n’avait pas pu soutenir la pression et son étoile avait peu à peu perdu de son éclat, avant de s’éteindre complètement. Humiliée, elle avait préféré tomber dans l’oubli, disparaissant dignement aux yeux de ses admirateurs. Tout comme Satan, l’ange Ariès fut déchu des cieux, creusant sa cachette au plus profond des entrailles de la terre.

Line bu une gorgée du liquide sucré et alluma une cigarette. La suite de l’histoire n’avait pas été plus glorieuse, surtout pour elle, Line, qui avait été dévastée tant elle idolâtrait Ariès. D’autant plus après la disparition de sa mère et l’instance de la presse. Line aussi s’était enfouie sous la terre, préférant s’effacer et perdre sa propre personnalité. La jeune PDG se força à ne pas revenir sur cette sale période, se remémorer l’affaire Ariès était suffisant. L’alcool prenait son effet et diluait les spasmes émotionnels qui continuaient de s’épanouir dans la tête de la jeune femme, les réduisant à de molles vaguelettes à peine perceptibles. Arrivée à cet état de langueur, Line estima qu’elle pouvait se coucher. Elle éteignit discrètement la lumière du salon avant de se glisser dans la chambre. Laurent était là, allongé sur le dos, lisant un épais polar au travers de ses fines lunettes. Il détourna la tête vers Line et lui sourit. Elle s’excusa pour son retard qui avait fait tomber leurs plans à l’eau mais il lui fit comprendre que cela n’avait aucune espèce d’importance d’un simple hochement de tête. Elle lui sourit tout en achevant de se déshabiller et se lova contre lui. Il déposa un simple baiser sur le front de la jeune femme et, alors qu’il passait son bras sous la tête de Line, celle-ci s’endormit, épuisée par l’enchaînement d’émotions fortes. Vraiment, Laurent avait le mérite d’être apaisant.


A peine installée à son bureau, Line sonna sa secrétaire et lui demanda de convoquer ses frères et sa sœur. Qu’ils cessent toute activité et la rejoignent, il s’agissait d’une affaire de la plus haute importance. Elle exigea ensuite de ne pas être dérangée tant que sa famille n’aurait pas quitté les lieux. La secrétaire acquiesça et s’en retourna à son propre bureau. Line alluma son ordinateur et reprit l’épluchage du rapport sur la BM-B. Quelques minutes plus tard, Marco pénétra dans la pièce, interrompant le travail de Line.

« Qu’est-ce qui te prend de m’appeler ? commença-t-il, J’étais en plein briefing avec les ingénieurs de la branche sécurité. Sérieusement Line, tu as intérêt à avoir une bonne raison, le boulot n’attend pas.
— Attendons les autres. »

Marco se remit à vociférer et Line put admirer à loisir les boucles de cheveux bruns, qui ornaient le crâne de son frère, s’agiter en tous sens, au rythme des allées et venues agacées du jeune ingénieur. Marco était de la même trempe que sa sœur : ordonné et travailleur. Bertaus était sa seule et unique raison de vivre, sa progéniture disait-il. Si Line détenait les idées, Marco était le premier à croire en elles et à les développer, sans son soutien et son intellect, la Bertaus-1 n’aurait jamais vu le jour. Et pour cause, il avait conçu entièrement le moteur électrique qui avait servi au prototype de la Bertaus-1 et l’avait agencé dans la vieille 2CV de son père. C’était ce prototype qui avait rendu célèbre ce grand jeune homme, le propulsant au statut de génie. Nombreuses entreprises lui avaient fait des offres alléchantes pour l’introduire dans leur équipe. Mais Marco les avait refusées, sachant bien qu’en soutenant sa sœur et en développant sa propre firme, il obtiendrait une position bien plus avantageuse que celles qu’on lui offrait. Car il avait de l’ambition, le défi de s’élever au rang de pionnier de l’industrie de l’automobile électrique l’excitait, lui offrant pouvoir et renommée. Ce désir transpirait entièrement de son être gigantesque qui écrasait à chaque pas quiconque se mettait sur son chemin, balayait le moindre obstacle de son regard de miel, étouffait les plus faibles d’un mouvement de son illustre couronne de boucles, enfonçait les arrogant de sa voix grave et calme, séduisait les plus robustes du sourire enjôleur qui étirait sa bouche déjà trop grande. Marco était taillé pour aller toujours plus haut dans son domaine, pour devenir le meilleur et dominer ses rivaux qui s’écrasaient face à ses rêves aux envergures disproportionnées.

Lorsque Caroline débarqua à son tour dans le bureau de sa sœur et constata que Marco jacassait pour rien, elle mit rapidement fin aux jérémiades de son frère en tapant du poing sur le bureau de Line, ce qui eut pour effet de faire sursauter la PDG et d’attirer l’attention de Marco. Appuyant son premier geste d’un regard menaçant à l’adresse de l’ingénieur, Caroline obtint le silence. Marco s’en fut s’appuyer contre un mur, l’air bougon, tandis que les deux sœurs échangeaient un sourire. Caroline, cette rousse au visage constellé de taches de rousseur et de grain de beauté, savait être aussi ferme que douce. Pour Line, elle restait la grande sœur qui aimait jouer à la maman dans leur enfance, pressant sa petite sœur contre sa poitrine et la berçant doucement dans ses bras déjà gras. Caroline était une fille sacrément ronde qui respirait la jovialité, mais cette apparence gentillette dissimulait un esprit acéré et calculateur. Ces douces rondeurs abritaient un être dont la force tranquille pouvait diriger une section entière de comptables, commerciaux ou techniciens qui s’écrasaient face à l’intellect surdéveloppé de Caroline. Car la force de la jeune femme résidait principalement en son génie mathématique et logique, génie qui lui avait conféré une répartie cinglante, si bien que personne n’osait aller à l’encontre des décisions de Caroline. C’était cette force de persuasion qui était mise au service de Line car la grosse rouquine avait une confiance absolue en sa sœur et la soutenait dans tous ses combats.

Paul arriva quelques minutes plus tard et les salua brièvement avant de s’installer dans un fauteuil, Line enregistra son travail et fit glisser sa chaise de bureau en arrière. Elle se leva et passa de l’autre côté du bureau en verre, s’installant au côté de Caroline, comme elle avait l’habitude de le faire lorsqu’elle recevait quelqu’un. Marco n’attendit pas :

« Tu en as encore pour longtemps ? J’ai une équipe d’ingénieurs qui m’attend moi et…
— J’ai trouvé l’adresse de notre mère. »

Line l’avait coupé d’une phrase sèche, nette. Une simple déclaration, si courte qu’il était difficile de croire qu’elle pouvait causer un silence si profond. Les trois frères et sœur digéraient la nouvelle dans une sorte de recueillement étonné, assimilant l’information comme Line avait dû le faire la veille. Heureusement, ils étaient ensemble, le choc était plus aisé à encaisser et finalement, Paul rompit rapidement le silence pesant :

« Allons la voir. »

Trois visages se tournèrent vers lui, mi effrayés, mi enthousiastes. Le jeune juriste reprit :

« Il est temps d’en finir avec toute cette affaire. Sept ans que ça dure, nous ne sommes plus des enfants, nous devons être capable de faire face à cette femme.
— Nous serons ensemble, ajouta Line, nous ferons front. Moi-même je n’avais pas le courage d’y aller seule, mais j’ai envie de la voir. Je pense que c’est nécessaire parce que ça nous permettra de tirer un trait sur cette histoire. Qu’en pensez-vous ?
— Nous n’avons pas le choix, répondit Marco, il est vrai que cette rencontre pourrait mettre un terme à cette rancune que nous gardons, mais cela pourrait tout autant raviver cette haine. Que ferons-nous si la famille éclate de nouveau ?
— Nous n’éclaterons pas, assura Caroline, c’est arrivé une fois et ça ne se reproduira pas. »

Chacun acquiesça silencieusement cette affirmation qui clôtura le débat. Line s’en retourna à son rapport et congédia discrètement sa famille qui s’en fut dans le silence le plus absolu. Silence qui traduisait leur état d’âme mitigé. Tous savaient que l’affaire était importante et tous angoissaient depuis que la décision était tombée, fataliste. Comme leur sœur, Line, ils avaient peur mais ils étaient tout autant curieux. Avant tout, ils étaient conscients de la nécessité de l’épreuve, car revoir leur mère constituait un pas de plus vers la maturité qu’ils parvenaient tous à feindre. D’une certaine manière, cette rencontre reflétait leur passage à la case suivante, une nouvelle évolution. Il s’agissait là d’une rupture avec leur jeunesse fragmentée, et de briser le lien qui les clouait au sol car cette relation douloureuse les freinait dans leur évolution de par ce qu’elle leur évoquait. C’est pourquoi tous craignaient de passer cette porte qui les mènerait à l’âge adulte véritable.


Commentaires