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La Machine à écrire la Mort


Par : faces-of-truth
Genre : Fantastique
Statut : Terminée



Chapitre 1


Publié le 07/01/2013 à 17:57:56 par faces-of-truth

Le jour où Harry Stillman, soixante-quinze ans, apprit qu’il était atteint d’un cancer du foie jugé inopérable par les médecins, il avait plu des torrents d’eau pendant des heures dans toute la région.
-C’est le bon Dieu qui me pleure, disait-il en riant, mais qu’il se rassure ! Le temps qu’il m’a gracieusement accordé sur ce monde n’a pas été galvaudé, oh ça non…
Il avait tenu fermement entre ses doigts les mains de ses deux filles, Claire et Laura, âgées respectivement de vingt-huit et trente-deux ans. Les deux malheureuses pleuraient à chaudes larmes à la vue de leur paternel affaibli.
-J’ai pu offrir à ce monde, continuait-il, deux femmes extraordinaires ; ma cadette… ma si belle chérie… en voie de devenir une brillante avocate ; et mon aînée, une scientifique… que tu ressembles à ta pauvre mère… Paix à son âme, je la rejoindrai bientôt et pourrai l’embrasser de nouveau…
Il avait regardé un long moment par la fenêtre de sa chambre d’hôpital le ciel déverser son déluge. Mais il quittait ce monde non pas avec de la peine, mais avec de la gratitude.

Un matin, le docteur Jack Harmon se rendit à son chevet pour une prise de sang.
-Qu’est-ce donc que cela, docteur ? demanda le vieillard. Mon sort n’est-il pas scellé ?
Jack Harmon, un grand homme brun aux yeux bleus, la cinquantaine, le fixa avec un air navré. Il aurait tant aimé apporté une bonne nouvelle à ce pauvre bougre… Harry, de par sa bonne humeur et son optimisme, avait attiré la sympathie de la totalité du service de soins. Ce qui rendait son funeste destin d’autant plus attristant.
-Je dois juste prélever un échantillon de votre sang pour les formalités… Cela ne m’enchante guère, croyez-le bien, mais je suis obligé de…
-Quelles formalités… ?
Harmon avala sa salive, et garda le silence quelques instants avant de reprendre.
-Vous savez… la Réforme des hôpitaux… Celle qui nous contraint à…
Les yeux de Harry se plissèrent lorsqu’il comprit alors.
-Ah oui, je vois… Cette maudite machine…
Le médecin resta immobile un moment, puis s’assit sur le bord du lit de son patient.
-Sachez que je suis contre, Monsieur Stillman, mais la loi est sans appel.
Harry tourna son regard fatigué vers son interlocuteur.
-Oh je ne vous blâme pas, docteur, soyez rassuré…, murmura-t-il faiblement. Je ne vous empêcherai pas de… « m’affranchir » comme ils disent… Mon sort en est déjà jeté, n’est-ce pas, de toute façon… ? Ce que cet ordinateur délivrera comme sentence ne sera pas une surprise.
-Non… effectivement…
Le vieil homme se redressa pour tenter tant bien que mal de se mettre à la même hauteur que Harmon.
-Vous devez le savoir, docteur, je ne vais rien vous apprendre de votre métier bien entendu, mais avant que cette abominable machine ne soit conçue, la mort n’avait pas le même goût pour ceux et celles qui l’accueillaient ; voyez-vous, il est bien différent d’accepter la mort lorsque l’on nous l’annonce humainement que de la subir lorsqu’un bout de papier sort de cette fente pour déclarer en un mot et en toute froideur ce qui causera votre perte…
Harmon expira calmement.
-Si cette… machine, continua Harry, a été reliée ainsi au système hospitalier, ce n’est absolument pas pour ôter l’illusion de la survie aux patients ou encore même pour leur apprendre qu’ils ne mourraient pas de leurs blessures actuelles mais d’autre chose… Non… Le gouvernement a rendu le dépistage vital obligatoire dans les centres de soins pour savoir qui survivra et qui ne survivra pas, afin d’opérer une distribution des soins sélective et économique. On parle déjà de tester certains employés pour savoir s’il est rentable d’investir dans leur formation.
Le médecin ne répondit pas. Il savait très bien cela ; cette décision des politiques avaient soulevé le pays entier et un nombre important des professionnels de santé -dont lui- avait manifesté dans la rue leur protestation… en vain.
Harry retroussa la manche de sa chemise blanche, et tendit son bras à Harmon. Ce-dernier fit une moue par dépit, et pressa le membre de son patient. Il inséra l’aiguille dans les veines gonflées et préleva son échantillon.
-Puisse-t-elle me surprendre, plaisanta le vieil homme en riant.
Harmon sourit à contrecœur et partit dans son bureau. Par moments, il détestait son métier. Et aujourd’hui plus que jamais.

Les résultats arrivèrent quatre jours après ; la petite fiole avait été envoyée à l’Institut Central qui détenait la Machine ; les scientifiques y recevaient les échantillons, les inséraient dans la centrifugeuse analytique et retiraient de la fente à l’arrière de l’appareil le petit bout de papier qui indiquait en un mot la nature de la mort de l’individu étudié. Le message ne devait, selon la loi, pas être lu sur place mais être immédiatement rangé dans une enveloppe qui serait envoyé directement à l’hôpital qui avait envoyé le sang.
La découverte du message de la Machine était réservée au médecin responsable et au patient lui-même. Ce fut ainsi que le docteur Harmon pénétra dans la chambre de Harry et y découvrit toute sa famille réunie.
Il ouvrit alors l’enveloppe et en sortit le petit bout de papier rectangulaire. Il regarda le résultat et confirma avec froideur que le cancer serait bel et bien la cause de la mort du vieil homme.
-Nous voilà plus avancés, souffla ironiquement ce dernier.
Ses deux filles lurent à leur tour le message glacé qui indiquait uniquement « CANCER ». Elles pleurèrent de nouveau, déçues car un espoir était apparu l’espace de quelques jours. Harmon quitta la pièce, écœuré par ce protocole minable. Il avait cinq autres messages de la Machine à lire aujourd’hui.

Plusieurs semaines plus tard, Harry se leva de son lit d’hôpital et alla se promener dans le jardin de l’établissement ; à sa grande surprise, il passa l’intégralité de l’après-midi à marcher et à discuter. Ce ne fut que le soir, lorsque son infirmière lui demanda comment s’était passée sa journée qu’il réalisa que ses aptitudes étaient extraordinaires pour un mourant.
Harmon lui fit passer une séance d’IRM pour tenter d’élucider le mystère. Et ce qu’il vit lui arracha une exclamation de surprise.
Lors de son compte-rendu à Harry, le médecin lui expliqua que son cancer avait été, par un miracle inexplicable, phagocyté par son organisme. Il avait déjà été mention de faits similaires, mais ceux-ci étaient extrêmement rares, et Harmon lui-même n’en avait jamais été témoin tout au long de sa carrière.
-Mais alors, docteur… Cette machine… peut se tromper… ? interrogea Harry lors de la visite quotidienne.
Harmon reprit alors un ton désolé. Ce miracle était en réalité à double-tranchant.
-Non, monsieur Stillman. Il est statistiquement et scientifiquement prouvé que la Machine ne commet jamais d’erreur sur son jugement…
Il déglutit et déclara la sentence.
-Cela signifie donc que vous êtes actuellement guéri. Et que ce cancer ne devait pas vous tuer. En revanche…
-Un autre s’en chargera…, coupa Harry, j’ai bien compris…
Un désagréable silence s’installa.
-Et… y aurait-il moyen de refaire un examen, docteur ? Remettre de mon sang dans cette machine pour voir si… si elle n’aurait pas… fait d’erreur ou… bien qu’elle précise quel genre de cancer serait…
Le grand homme l’interrompit aussitôt.
-La Machine ne se trompe jamais, et même si nous voulions revérifier, ce serait impossible. Elle possède une mémoire qui rejette tous les cas déjà traités. On n’aurait pas de réponse. Les créateurs disent que… dès que l’on lit la sentence, c’est fini.
-Ah… Mais…
Harmon se pencha vers son patient et lui tint fermement la main.
-Monsieur Stillman. Harry, si vous me permettez. La maladie qui vous tuera pourra arriver n’importe quand. Elle peut survenir autant demain que dans vingt ans. Ecoutez mon conseil. Profitez de votre famille, et du temps qu’il vous reste. Voyez cela comme un sursis bénéfique, comme une bénédiction.
Harry ne répondit pas et tourna ses yeux vers la fenêtre de sa chambre ; le ciel était radieux, aucun nuage ne volait dans les airs.
-Croyez-vous, docteur, que Dieu connait notre fin ? Ou que seule cette machine possède ce pouvoir ?

Le jour où le vieil homme quitta le centre hospitalier, entouré de ses deux filles, une chaleur tenace rendait l’air difficilement respirable. Quelques étudiants passèrent à côté du trio en route pour la voiture et se retournèrent pour reluquer les postérieurs de Claire et Laura. Elles ignorèrent leurs sifflements et les rires forts et vulgaires. Harry pensa aussitôt à ces jeunes, qui avaient toute la vie devant eux ; ou du moins qui ne savaient pas quand celle-ci prendrait fin. Il se surprit à jalouser leur ignorance heureuse.
De retour dans sa maison, il retrouva ces lieux qui lui étaient si chers et qu’il avait cru ne jamais pouvoir revoir un jour. Mais quelque chose était différent. Cela ne venait pas des murs, ou même de ses filles ; c’était lui.
Il observa son jardin, la pelouse bourrée de mauvaise herbe, les haies qui attendaient d’être taillées, les frelons qui tournaient en rond autour d’un arbuste. Il ne pensait à rien d’heureux, ni à rien de malheureux d’ailleurs. Juste une interrogation hantait son esprit.
Quand ?

Harry passa tout l’été et tout l’automne à s’occuper de son habitation, ses filles venant très fréquemment lui rendre visite. Il n’avait pas le temps de s’ennuyer ; ses voisins veillaient toujours à ce qu’il ne manque de rien et à lui porter les sacs de courses trop lourds. Les mamies du quartier lui faisaient même du charme.
On pouvait dire que, vu comme ça, Harry avait la vie rêvée pour un retraité. Bonne santé et entourage dévoué, ce brave homme était tout sauf dépressif.
Mais en vérité, Harry dépérissait de l’intérieur. La moindre migraine, un simple malaise, une étrange boule dans sa poitrine, des douleurs dans ses parties intimes… dès que quelque chose n’allait pas, il entrait dans des accès de panique incontrôlés. Il s’était dit en sortant de l’hôpital qu’il attendrait que le mal se manifeste, et qu’il ne protesterait pas lorsque cela se produirait. Mais il réalisait à présent qu’attendre la mort à sa porte tous les jours le rendait de plus en plus faible. Et qu’il était impossible de rester impassible face à l’arrivée imminente de cette funeste invitée.

Heureusement pour Harry, un merveilleux évènement se chargea d’estomper légèrement l’ombre de la mort sur son palier : Laura était enceinte. Le vieil homme allait être un grand-père. Il espérait juste que le sort lui permettrait d’être vivant assez longtemps pour rencontrer son petit héritier.
Durant plusieurs mois, il s’attela à construire un berceau et à préparer la chambre qui appartiendrait plus tard au nouveau-né.
Les journées étaient joyeuses et pleines de vie. Ce n’était que la nuit, lorsque Harry était seul dans son lit, qu’il ressentait cette torpeur nauséabonde lui pourrir l’âme. Une fois, une voiture était passée dans l’allée et il aurait juré que la lumière des phares à travers les volets avait dessiné une faucheuse sur son mur l’espace d’un instant.
S’occuper de son jardin ne l’intéressait plus, faire le ménage et parler aux voisins étaient devenus des corvées qu’il ne parvenait plus à supporter.
Il devint même acariâtre, lui qui était normalement toujours doux et gentil et le « cœur sur la main ».
Ce fut un dimanche où il fit le plus gros dérapage de sa vie. Une des mamies du quartier était venue sonner à sa porte pour lui proposer de boire du thé avec des petits gâteaux. Harry n’avait pas dormi cette nuit-là, persuadé qu’une tumeur était dans son cerveau à cause d’un interminable mal de crâne ; il refusa l’invitation d’abord poliment, mais lorsqu’il vit que la vieille dame insistait lourdement en mettant en avant l’argument de la « bonne éducation », il sortit de ses gonds.
-Ecoute-moi, salope, ne viens pas me parler de mon éducation devant moi, c’est clair ??! Mon père était un militaire et il m’a parfaitement enseigné les bonnes manières !! Ca n’a pas du être ton cas, grosse vache, quand on dit non, c’est non !!! Point barre !!! Et arrêtez de me tourner autour, bande de vieilles pies, vous croyez que je vois rien ??? Vous voulez m’attendrir et me prendre ma maison, c’est ça ??!! Bande de négresses !!! Sales vautours !! Le cancer me tuera peut-être avant, mais vous toucherez rien de ce que j’ai bâti en une vie !!! Rien !! RIEN !!!
La vieille dame fut choquée par ce torrent de vindicatives et rentra chez elle en silence, toute déconfite, une main sur la poitrine. Les autres voisins ayant été témoins de la scène appelèrent sa fille Claire pour la prévenir que son paternel avait un problème.
Lorsqu’elle l’appela sur son téléphone, elle eut droit à son tour à de sévères objurgations.
-Papa, calme-toi.
-Ne me dis pas de me calmer !!
-Si, je t’en prie, personne ne te veut du mal, tu n’as aucune raison de crier…
-Aucune raison de crier ?? TU TE FOUS DE MA GUEULE ???!!
-S’il te plait…
-PRENDS GARDE, CLAIRE, PRENDS GARDE !!! TU ES PEUT-ETRE ADULTE, MAIS JE PEUX TOUJOURS TE GIFLER !!! JE SUIS TON PERE, NOM DE DIEU !!!
Jamais personne ne l’avait vu dans cet état. On mit ce nouveau comportement sur le compte de son âge. Mais Harry, lui, savait la vérité. Il pleurait en silence toutes les nuits. Et l’ombre de la faucheuse l’observait chaque soir.

Un an plus tard, Harry reçut la visite de ses deux filles, d’Eric le fiancé de Laura, et du petit Josh, d’à peine quelques mois. Le vieil homme sourit avec joie en caressant la joue du bébé.
-Qu’est-ce qu’il te ressemble, ma chérie, dit-il à Laura. On dirait toi quand tu sortais juste du ventre de ta mère…
Elle fit une bise sur le front de son enfant.
-Tu dis bonjour à Papy ? Hein ? fit-elle.
Le bébé émit un petit cri plaintif.
-Je peux ? demanda Harry.
-Bien-sûr ; tiens, Papa.
Alors il saisit l’enfant dans ses mains et le cala contre sa poitrine.
-Oh que tu es déjà lourd, dis-moi. Eh, tu seras costaud toi ! Un vrai petit Musclor.
Le nourrisson eut un petit rire amusé.
-Il a l’air bien dans vos bras, dis donc, s’amusa Eric.
Une larme perla le long de la joue de Harry.

La famille au complet passa un séjour dans la grande maison de Laura et Eric. C’était la période des vacances et ils purent savourer plusieurs moments ensemble. Laura s’occupait de la cuisine, épaulée par sa frangine, tandis que Eric et Harry étaient aux petits soins avec le bambin.
Le cadre était parfait, et Harry aurait souhaité que ces quelques jours durent une éternité. Car ses angoisses n’étaient pas éteintes, loin de là.
Elles empiraient même. Il avait eu le temps de réfléchir à ses conditions de vie et un plan avait germé dans sa tête. La dernière bonne action de sa vie.

Quelques semaines plus, on sonna à la porte de chez Harry. Ce dernier alla ouvrir. Comme il l’espérait, le docteur Harmon se trouvait sur son palier et lui tendit le « courrier ».
-Vous savez que je risque mon métier et peut-être même ma liberté en faisant cela, dit-il sèchement au vieil homme.
Celui-ci saisit sa commande et le fixa longuement dans les yeux.
-Je sais ce que vous avez fait pour moi, Jack, cela restera entre nous, vous n’aurez aucun litige, je vous en donne ma parole.
Le médecin le salua de la tête et déguerpit aussitôt.
-Au revoir, Harry.
-Merci, Jack.

Harry s’assit lentement sur son canapé, qui grinça sous son poids. Le pauvre bougre prenait du poids à cause du manque d‘exercice, mais sa vieille carcasse ne lui permettait plus beaucoup d’efforts. C’était la première fois depuis sa sortie de l’hôpital que Harry ne ressentit pas la peur de la mort. Non, son esprit appréhendait autre chose ; et ce qu’il allait accomplir dépassait son entendement personnel.
Il saisit le « courrier » que lui avait laissé le docteur Harmon et sépara les trois enveloppes qui étaient empilées les unes sur les autres.
Son regard s’envola vers le tableau de sa défunte femme ; son regard parfaitement retranscrit sur la toile lui indiqua que ce qu’il faisait était le mieux, et qu’elle était fière de lui.
Il posa les enveloppes sur la table basse et se leva. Il rejoignit le cadre de son épouse. Sur le buffet que le portrait surplombait, se trouvait une lettre. Il l’avait écrite dans la matinée. Il la lut une dernière fois et eut un petit rire en constatant qu’il avait oublié un « s » à un mot au pluriel.
-Je me disais bien que je devais avoir fait une petite faute, plaisanta-t-il à haute voix.
Il corrigea son erreur avec un stylo bille qu’il dut remuer pour le faire marcher, puis il rejoignit son sofa.
Il se saisit des enveloppes et les ouvrit. Il tenait dans sa main les diagnostics de la Machine à écrire la Mort de Claire, Laura et Josh. Il avait réussi à voler deux échantillons sanguins de ses deux filles dans le labo personnel de son aînée scientifique et à faire une prise de sang à son petit-fils lorsqu’il était seul avec lui. Il avait réussi à convaincre le docteur Harmon d’envoyer les trois fioles en analyse vitale et ce dernier venait juste de recevoir les résultats.
Il était sûr de faire ce qui était le mieux pour sa famille, mais il fondit en pleurs et cacha son visage dans ses mains. Comment pouvait-il penser rester de marbre alors qu’il tenait dans sa paume la nature de la mort prochaine de ses enfants ? Il sanglota bruyamment un long moment. En remuant le stylo, il avait projeté de l’encre sur le tableau de sa femme ; on aurait dit qu’une goutte perlait sous l’œil du portrait.
Alors, il reprit son souffle. Il devait le faire. Il se remémora les paroles du docteur Harmon :
« La Machine possède une mémoire qui rejette tous les cas déjà traités. On n’aurait pas de réponse. Les créateurs disent que… dès que l’on lit la sentence, c’est fini. »
Harry essuya une larme qui le gênait et commença sa macabre lecture.

[c]Mes chers enfants, mes douces filles, mon petit-fils adoré

Si vous lisez cette lettre, alors je ne serais plus de ce monde, j’aurais rejoint notre Créateur et retrouvé votre mère bien-aimée dans son jardin.
Je tiens à ce que vous sachiez avant tout que j’ai passé ma vie à vous chérir ; je vous ai aimé du berceau lorsque vous avez poussé votre premier souffle jusqu’à mon dernier. Et il en va de même pour toi, mon petit Josh. Je ne t’ai pas vu bien longtemps, mais je te prie de me croire sur parole lorsque je te dis que je t’ai autant aimé que ta mère et ta tante en si peu de temps. Ne pas te voir grandir est la seule chose que je regretterai dans notre relation.
Votre amour fut ce qui m’a été donné de plus précieux.
Vous apprendrez peut-être des choses sur moi, vous serez notamment informés que j’ai fait quelque chose d’illégal ; sachez que j’ai agi de mon propre chef et avec comme complice ma seule détermination.
Votre mère vous a un jour donné la vie, mes enfants, et il était de mon devoir de vous la garantir. J’ai voulu vous protéger.
[/c]

Il lut : « Claire Stillman : ACCIDENT »

[c]Un jour, il vous sera demandé un don de vous-même, et on se servira de ce que vous avez donné pour déterminer une chose que l’on vous apprendra contre votre gré. Et cette chose, cette monstrueuse chose, vous détruirait. Et je refuse de vous laisser victimes de cette abomination. Mes chéries, vous n’aurez pas à le subir.[/c]

Il lut : « Laura Stillman : MALADIE »

[c]J’ai moi-même connu ce que je vous épargne, et j’ai appris ce qu’était en réalité la vie. Nous naissons dans un océan de possibles, dans un arbre d’un milliard de choix, tout ce que nous faisons, nous avons la chance de le choisir, de ne connaître que comment tout a débuté et n’avons même pas besoin de savoir comment tout va s’achever. J’ai fait l’expérience, mes enfants, de la connaissance ; de celle qui nous fait regretter l’ignorance. Car si nous connaissons la vie, nous ne voyons qu’elle et l’infini qu’elle peut nous offrir; mais si nous apprenons la mort, c’est cette éternité qui nous est si chère qui s’envole en fumée.
[/c]
Il lut : « Josh Stillman-Briders : CHUTE »

[c]Je regrette tous les moments tristes mais ne garde que les meilleurs en mémoire, et je remercie Dieu de les avoir faits si nombreux. Vivez ! Vivez donc et soyez heureux ! Le temps est traître mais peut être si bien employé.
Je vous laisse sur un sourire lorsque j’écris cette phrase, car je sais que vous profiterez comme vous le méritez de ce qui vous revient de droit.
Je vous souhaite une longue vie de bonheur, de joie et d’épanouissements.
Et par-dessus tout, je vous aime.

Votre père
[/c]

Harry Stillman lâcha par terre les papiers funèbres en sanglotant avec horreur. Ce qu’il venait de découvrir lui fendait le cœur. Mais il savait qu’en privant sa famille de ces informations, leur vie n’en serait que plus intense. Et finalement, elle serait tout simplement normale.
Il ramassa les trois papiers et les jeta dans la cheminée. Au contact du feu, ils émirent un petit bruit aigu mais le vieil homme n’en eut cure.
Il rejoint avec fébrilité son canapé et s’affala contre le dossier avec lourdeur. Cette épreuve était celle de trop, il ne pouvait pas en supporter davantage. La peur de son cancer l’avait tué. En quelque sorte, il était mort en sortant de l’hôpital, car ce qui avait suivi n’était pas de la vie, quoi qu’on en dise. Il se sentait mal, les nausées de ces derniers jours ne faisaient que s’accentuer.
Alors son regard se posa sur l’ombre sur le mur, toujours la même ombre.
Harry la reconnaissait et il eut un dernier sourire.
-Allez viens ma belle, je crois que tu as obtenu le droit de faire ton office…


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