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Quand Viendra l'An Mille après l'An Mille (Vae Victis)


Par : Conan
Genre : Action, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3


Publié le 02/11/2013 à 00:58:22 par Conan

Après avoir pris une profonde inspiration, il ouvre vivement l'entrée et se place debout, face à la troupe qui a pénétré ses terres, les jambes écartées à largeur des épaules, les pieds bien enfoncés dans le sol. Le canon de son fusil est orienté vers le Poilu, légèrement baissé, mais même s'il ne menace pas directement l'homme de son arme, sa position et l'attitude qu'il adopte convainc d'emblée le chef de la troupe de la détermination de celui qui vient de sortir de sa demeure.

''Qui êtes vous ? Qu'est-ce que vous venez faire ici ?'' Interroge fermement Paul, mais sans crier, à la destination de tous ces types en arme, qui orientent instantanément leurs fusils vers lui. Tous, hormis le Poilu, qui s'avance légèrement, en levant ses mains.
''Allons, allons. Calmons nous.''
Bernac est immédiatement frappé par la douce voix du soldat, et par son calme communicatif tandis qu'autours de lui, tous sont prêts à s'étriper. Mais il ne se laisse pas berner, et réitère sa question.
''Je suis le capitaine Berger, du 117ème régiment d'infanterie. Tous ces hommes appartiennent à la première compagnie, et je suis leur commandant d'unité.
L'ours sorti de sa tanière ne s'était donc pas trompé en s'adressant à lui, les yeux dans les yeux, et le drôle de capitaine des tranchées l'a bien remarqué.
-Cela ne me dit pas ce que vous faites chez moi.
-Je serais ravi de vous répondre, rétorque le capitaine Berger, mais ne voulez-vous pas en premier lieu baisser votre arme ? J'ai du mal à converser sereinement avec un fusil pointé sur le ventre.
-Faites d'abord baisser les leurs à vos hommes, mon capitaine !

Décidément, le rugueux paysan ne se dégonfle pas, même face à la cinquantaine d'hommes prêts à l'envoyer ad patrès d'une simple pression du doigt. Néanmoins, il ne peut qu'ordonner à ses soldats de mettre leurs canons en berne, et tous s’exécutent sans protester.
-Bien. J'ai rempli ma part, et je ne dirais plus un mot tant que vous n'aurez pas fait de même.

Après quelques instants d'hésitation pendant lesquelles il se fige, Paul imite finalement les soldats.
-Que venez-vous faire ici ? Il n'y a rien qui pourrait vous intéresser chez moi. Répète le campagnard.
-Monsieur, nous marchons depuis Toulouse, notre garnison, sans relâche depuis une semaine. Mes hommes sont épuisés, nous avions seulement besoin d'eau, et le hasard a fait que votre maison se trouve près du fleuve dans lequel nous comptions remplir nos gourdes.

L'homme parle bien, et semble cultivé et éduqué. Mais l'Auvergnat ne compte pas se laisser faire aussi facilement.
-Vous aviez aussi repéré le poulailler, non ?
Le capitaine esquisse un furtif sourire nerveux, mais reprend rapidement l'air sérieux qu'il adoptait jusqu'alors.
-Monsieur, nous ne sommes pas des voleurs, mais bien des soldats, même si le triste état de notre équipement peut sembler dire le contraire. Nous ne faisons que passer, et cela ne nous prendra pas plus de dix minutes.
Sans s'en rendre compte, Paul baisse peu à peu sa garde. Voilà que la crosse de son Berthier est posée au sol, tandis qu'il maintient l'arme en équilibre en la tenant par le canon.
-Bon, et bien... Ma foi, je n'peux pas vous interdire de prendre un peu d'eau.

Le capitaine se tourne vers ses gaillards et lance un ''Dix minutes de pause ! Buvez un coup !'' assez vif, qui tranche avec la manière de parler qu'il avait adopté avec Bernac, et tandis que les hommes mettent leurs armes en bandoulière et avancent en colonne vers la source en saisissant les gourdes en fer blanc accrochées à leurs ceinturons ou rangées dans leurs musettes, un grand soupir de soulagement embaume l'atmosphère.

Alors que, bras croisés et fusil dans le dos, Paul observe la troupe s'abreuver, il remarque que certains ôtent les godillots qui leurs pèsent aux pieds, et dévoilent de profondes blessures, parfois encore sanguinolentes, qui maculent d'une teinte pourpre leurs chaussettes, et font grimacer les suppliciés lorsqu'ils les ôtent.
Il sent dans l’instant une présence à coté de lui, qu'il devine être celle du capitaine Berger. Il se tourne vers lui et le remarque en train de regarder ses soldats de la même façon.
-Je ne sais même pas comment vous vous appelez. Lui dit ce dernier alors qu'il lui fait face.
-Paul Bernac.
-Louis Berger, répond le capitaine en souriant. Merci pour eux.

Le capitaine tend sa main à celui qu'il ne voyait pas aussi grand. Bernac y plonge sa grosse patte, et les deux hommes se serrent chaleureusement la main en s'évaluant du regard.
Le physique rustique de son hôte fait penser à Berger qu'il doit vivre ici depuis longtemps, peut-être même n'a-t-il jamais quitté ce terrain perdu.
-Oh, je ne pouvais pas vous laisser comme ça. Relativise le bonhomme. Et puis, je me doutais bien que vous étiez des soldats lorsque je vous ai vu.
-La tenue de Poilu ? Demande Berger, goguenard.
Bernac lui répond d'un clin d’œil en direction de sa manche sur laquelle sont brodées trois barrettes dorées, correspondant au grade de capitaine.
-J'ai reconnu le galon. Dit simplement Paul.
-Vous en étiez ?
-J'ai fait mon service, il y a près de dix ans maintenant.
-Ah oui ? Et dans quelle arme ?
N'a pas l'air de poser cette question par simple courtoisie, mais semble au contraire visiblement interessé.
-Dans les transmissions. En Alsace.
Cela veut tout dire. Faire ses classes dans l'est de la France signifie automatiquement un stage sur la ligne de front, et le baptême du feu qui l'accompagne.

La bonhomie rustre de cet Auvergnat semble plaire a ce petit capitaine Méditerranéen. Il y a si peu de gens comme cela chez lui !
-Vos gars, là, ils ont l'air épuisés mon capitaine.
-Ils le sont. Heureusement, l'été est fini et les températures sont acceptables pour pouvoir marcher en journée.
-Mais, si vous venez de Toulouse, vous montez vers le nord-est ?
-Exact.
-Vous n'êtes pas au courant ? Pour le nuage chimique ?
-Si, je le suis.
Décidément, il semble mieux aimer poser les questions plutôt qu'y répondre. Il faudrait presque lui arracher les mots de la bouche.
-Et vous ? Vous êtes au courant qu'il arrive ici ? Demande Berger en triturant sa fine moustache brune du bout de l'index.
Bernac ne lui offre pour toute réponse qu'une onomatopée évasive.
-Je le suis. Dit-il après quelques secondes de silence. Mais cette maison est le seul bien qu'il me reste. C'est pas grand chose, mais c'est chez moi.
-Vous mourrez donc avec vos poules et votre potager ? Sourit Berger.
-C'est toujours mieux que de finir bouffé par un paria.
-Si cela fait bien dix ans que vous avez fait votre service, quel âge avez-vous ?
-J'en ai... J'en aurais eu trente au printemps.
-J'en ai eu trente-deux cet été.
Bigre ! Chacun semble surpris que l'autre soit aussi jeune. Le Capitaine, avec son air de vieux briscard, sa moustache taillée et son uniforme de grand père, et Paul, avec sa carrure massive d'homme dans la force de l'âge, ses cheveux coupés très courts et son air naturellement sévère. Visiblement, ces deux là n'ont pas été gâtés par la vie pour qu'elle les marque autant à un âge aussi jeune.
-Nous aurions pu nous côtoyer sur les bancs de la faculté ! Ironise Louis.
-Nous aurions pu, oui, si j'avais été au delà du cours élémentaire.

Un homme portant un galon d'adjudant-chef sur le torse se dirige vers Berger.
-Mon capitaine, tous les hommes ont bu un coup, ils seront prêts à repartir d'ici deux minutes.
Berger regarde sa montre. Il leur en reste trois.
-Bien, qu'ils ne perdent pas de temps.

Tandis que l'adjudant-chef tourne les talons et crie ses ordres, Bernac regarde Berger droit dans les yeux.
-Vous ne restez donc pas plus longtemps ? Les hommes semblent à bout, et je pourrais vous héberger pour quelques heures.
-Votre sens de l'accueille me touche, Bernac, mais je ne peux pas me permettre de halte à ce stade.
-Jusqu'où comptez-vous aller comme ça?
-Clermont-Ferrand. De là nous embarquerons dans des véhicules qui nous emmèneront sur le front, et entre Clermont et l'Alsace, nous ferons plusieurs escales qu'il me serait aussi fastidieux qu'inutile de vous citer.
-Attendez. Dit Subitement le débrouillard à son hôte avant de partir en trottinant vers sa maison, laissant le capitaine interdit. Il revient, moins d'une minute plus tard, toujours en courant doucement, les bras chargés de bocaux et de boites de carton qu'il pose aux pieds du militaire.
-Tenez. C'est pas grand chose, mais j'en aurai plus besoin d'ici peu de temps. Autant que ça profite à quelqu'un.

Berger ramasse un bocal de verre, fermé hermétiquement par une capsule renforcée d'un joint. A travers le verre, il voit des fèves, de la saucisse et du lard. Un cassoulet, parfaitement conservé. Dans les autres, c'est du lapin, de la poule ou encore de la potée. Les cartons renferment, eux, plusieurs sachets de biscuits au son, semblables à ceux qu'on trouve dans les rations militaires. Le capitaine ordonne à deux de ses soldats, prêts avant les autres, de les ramasser et les mettre dans leurs sacs. Louis Berger est ému par le geste de l'ours, qui l'avait pourtant accueilli le fusil à la main. ''Si vous voulez, j'peux aussi vous donner des poulets'' renchérit Bernac. Mais le capitaine refuse cette nouvelle offrande d'un geste de la tête, et, dans le même élan, tend sa main à ce drôle de personnage. Cette fois, la poignée de mains est forte et fraternelle.
-Et vous ? Qu'allez-vous faire ? Demande le militaire.
-Attendre. C'est encore ce que je sais faire de mieux. Sourit amèrement Paul.

La troupe se remet en marche, en colonne, son capitaine en tête. Et, alors qu'il se trouve déjà en haut du chemin qui monte vers la ligne de crête, il se retourne, et voit la grande silhouette de Bernac, et sa main tendue vers le ciel. ''Bonne chance !'' Retentit soudain sa voix grave et éraillée.


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