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Les Fantômes Peuvent Mourir


Par : BaliBalo
Genre : Polar, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 15 : Incertitudes


Publié le 07/04/2013 à 17:43:52 par BaliBalo

Barrais ne put se retenir d’allumer une cigarette. En principe c’était interdit dans les locaux mais l’affaire prenait une telle tournure qu’il en avait le vertige. Or fumer l’aidait à éclaircir ses idées, geste naturel, rituel qui marquait une pause et lui permettait de réfléchir librement. Il tira une bouffée sur le tube de tabac et ouvrit la fenêtre pour cracher la fumée au dehors. Les aveux de Marco l’avaient secoué. Le jeune ingénieur avait admis sa présence sur les lieux du crime dans un état second et même plus, il avait confirmé sa volonté de tuer sa mère. Non-sans résistance, bien entendu, puisqu’il avait fallu près de six heures d’interrogatoire ininterrompu avant qu’il ne livre la version finale, sanglotant sous la pression que le commissaire Planchet, implacable, lui avait imposée. Ce même commissaire observait Barrais, silencieux dans son fauteuil de cuir, lui aussi semblait quelque peu sonné par les dernières révélations.

« Ils sont cinglés, tous sont de potentiels tueurs. Annonça Planchet.

— Ne vous avancez pas trop commissaire, on n’a encore rien sur les deux plus jeunes…

Mais Line est complètement instable, pensa le lieutenant, s’abstenant toutefois de faire part de sa pensée à son supérieur, lequel reprit alors la parole :

— Ce n’est qu’une question de temps.

Barrais ne releva pas, conscient que ceci menaçait leur association avec Line que le commissaire voyait désormais d’un mauvais œil. Il était méfiant, et cela se comprenait. Néanmoins, le faible qu’il avait pour la jeune femme la protégeait, pour l’instant. Le lieutenant répondit :

— Reprenons depuis le début : le soir du meurtre, Caroline Bertau s’est rendue chez sa mère sans aucun but apparent. Elle assure que sa mère ne lui a pas ouvert. En quittant les lieux elle croise…

— Son frère aîné, Marco, le plus taré de la bande, pété comme un coing.

— Ils se sont mis à se protéger l’un, l’autre, sous prétexte que les deux autres Bertau n’apprécieraient pas que leurs aînés rendent visite en cachette à leur mère. Ici, cela me parait un peu louche : on peut imaginer que Paul et Line réprouvent ces cachotteries mais pas qu’ils condamnent leurs aînés pour cela.

— Je suis du même avis, approuva le commissaire, ce qui m’amène à penser que toute la vérité n’a pas été dite ou qu’ils ont conclu cette alliance juste avant leur premier interrogatoire. Cependant, Caroline et Marco n’ont pas discuté dans la Salle Grise, ils étaient surveillés. Comment ont-ils donc pu s’entendre sur ce qu’il fallait faire ? Je ne vois qu’une explication : ils étaient au courant pour le meurtre bien avant nous, ce qui fait d’eux les suspects numéros un.

Le lieutenant tira une dernière fois sur sa cigarette et la regarda s’éteindre entre ses doigts, le temps pour lui de réfléchir au raisonnement du commissaire qui désignait sans équivoque les deux aînés Bertau comme les coupables et complices du meurtre. La démonstration tenait la route, d’autant plus que les deux Bertau avaient bel et bien eu l’occasion de commettre le crime. Néanmoins, un aspect de la pensée du commissaire dérangeait le lieutenant : le moment où les deux aînés avaient conclu l’alliance. Il y avait quelques jours, le lieutenant avait enfin compris comment les Bertau avaient organisé leur défense lors de leur premier interrogatoire, une question que le commissaire, lui, n’avait visiblement pas pris le temps de se poser. Ceci changeait considérablement la démonstration du commissaire et le lieutenant hésitait à lui faire part de sa thèse, angoissé à l’idée d’outrepasser ses fonctions une nouvelle fois. Le mégot était éteint, il le jeta par la fenêtre et reporta son attention sur le commissaire. Ce dernier le regardait, en attente d’un commentaire sur ses dernières affirmations : il faisait confiance au lieutenant. C’est pour cela que Barrais n’hésita plus :

—Pardonnez-moi commissaire mais je vois une autre possibilité, commença-t-il prudemment. Il observa brièvement Planchet et constata que celui-ci attendait la suite avec intérêt. Rassuré, le lieutenant continua : Souvenez-vous lors de leur premier interrogatoire, les Bertau ont tous dit la même chose : ils n’étaient pas allés voir leur mère. Comme ils étaient sous surveillance dans la Salle Grise et qu’ils sont tous venus séparément sans savoir pourquoi, nous avons pensé qu’ils disaient la vérité. Cependant, le témoignage du serveur nous a prouvé que les Quatre mentaient et que tous disaient presque mot pour mot le même mensonge, comme si cette mascarade avait été prévue, commandée. Je me suis alors demandé comment ils avaient tous pu dire la même chose, exactement le même mensonge, et j’ai trouvé : lors de leur premier interrogatoire, dans la Salle Grise, ils ont eu une unique conversation, menée par Line, elle racontait un vieux souvenir d’enfance et elle a conclu ainsi : « on ne l’a jamais vu. ». Nous pensions qu’elle parlait du fantôme de son souvenir mais en vérité il s’agissait de sa mère : Line a indiqué aux autres le mensonge à proférer.

— Intéressant, mais je ne vois pas ce que cela change à mes conclusions.

— Deux choses, répondit rapidement le lieutenant en fermant la fenêtre, d’abord leurs témoignages : Caroline et Marco ont raconté le même mensonge que les autres, pas besoin de se couvrir l’un l’autre, il leur suffisait de faire confiance à leur cadette. Ils ont donc pu conclure leur alliance après ce premier passage chez nous. D’autre part, Line devient suspecte : non seulement elle a incité les trois autres de mentir mais elle a aussi anticipé que nous finirions par comprendre sa combine, c’est pourquoi elle nous a expliqué durant son interrogatoire comment elle avait compris qu’elle était ici à cause de sa mère, qui plus est à cause d’un meurtre. Une technique habile pour endormir notre méfiance vis-à-vis d’elle : avant que l’on ait pu se poser la question, elle y avait répondu.

— Ne nous emballons pas lieutenant, je comprends votre point de vue, néanmoins nous n’avons aucune preuve que Line s’est rendue chez sa mère le soir du meurtre. Tandis que pour Marco et Caroline, nous avons un témoignage solide.

— Il y a le collier, il appartenait à Line et a été trouvé sur les lieux du crime. Elle assure ne pas porter de bijoux pendant le travail mais elle a très bien pu se changer avant le meurtre. C’est là qu’elle l’aura perdu.

— Et c’est aussi là que ça ne colle pas, lieutenant.

— En effet, une femme aussi intelligente n’aurait pas commis une si grossière erreur.

Un silence accueilli cette déclaration, où chacun des deux hommes méditait les faits. Il était évident que Line n’avait pu perdre si simplement le collier, et pourtant ce dernier l’inculpait directement dans l’affaire, faisant d’elle l’assassin le plus plausible. Le bijou était un élément essentiel et inexplicable. Bien que Barrais ai pu déterminer sa provenance, la question de sa présence sur les lieux du crime subsistait. L’objet faisait une preuve trop évidente contre Line, par conséquent, le lieutenant et le commissaire ne pouvaient en tirer qu’une unique conclusion : le véritable meurtrier voulait faire tomber la jeune femme de son piédestal doré. Cependant, et Barrais n’était pas certain que Planchet ai mesuré cet aspect-là, Line aurait pu laisser délibérément le collier sur place, sachant que le lieutenant en viendrait à penser qu’elle ne pouvait avoir commis une erreur si stupide, gardant ainsi une longueur d’avance. Néanmoins, malgré ses doutes à l’égard de la jeune femme, le lieutenant préférait croire en son innocence et préserver ainsi leur association et la confiance que Planchet accordait à la jeune femme. Barrais fit alors le choix de taire au commissaire ses dernières réflexions allant à l’encontre de Line. Planchet, voyant à l’évidence que le lieutenant n’avait rien à ajouter, rompit brusquement le silence :

—Placez les deux aînés en détention provisoire. »


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