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Les Fantômes Peuvent Mourir


Par : BaliBalo
Genre : Polar, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 13 : Instinct


Publié le 17/03/2013 à 19:16:01 par BaliBalo

Après l’avoir bu d’un trait, la jeune femme posa brusquement son verre sur le bois verni à l’endroit exact où il avait laissé un cercle humide un peu plus tôt. Elle jeta un coup d’œil derrière le comptoir, le barman avait le dos tourné, captivé par le mauvais guitariste qui régalait la salle de sa musique simplette : c’était le moment. Elle glissa un billet sous son verre vide et se faufila discrètement derrière la porte de service. Arrivée dans la petite cour jonchée de détritus à cause des tirs manqués des serveurs vers la poubelle, elle se demanda ce qu’elle foutait. Elle était venue ici sur un coup de tête, obéissant à l’une de ses impulsions et maintenant elle attendait la suite, le prochain message de l’instinct. C’était une habitude chez elle que de se laisser porter par des désirs fugaces, il fallait sans cesse qu’elle les assouvisse et ce le plus vite possible, avant qu’ils puissent lui causer du tracas. Agir ponctuellement pour amputer les soucis, ne pas se poser de questions et se fier à son instinct, voilà comment elle fonctionnait. De ce fait, elle avait du mal à comprendre les gens qui s’entravaient, fixaient des limites et s’efforçaient de ne pas sortir du chemin qu’ils traçaient à l’avance. A ces yeux, il était plus simple de réagir dans l’instant puisqu’anticiper relevait de l’impossible. Elle le savait, toute bonne mathématicienne qu’elle était, les possibilités de futur étaient infinies, certaines plus probables que d’autres certes, mais on ne pouvait jamais écarter la moindre issue, c’était cet aspect infini qui l’effrayait car elle savait pertinemment que si elle se laissait le temps de réfléchir avant d’accomplir, elle chercherait à anticiper et se perdrait dans cet infinité de futurs possibles, incapable de réagir. Ainsi, ses actions ponctuelles presque irréfléchies lui permettaient de ne pas évaluer ce qui l’attendait, de ne pas se retrouver dans la tourbière des probabilités. Mais en cet instant, elle maudissait ces pulsions incontrôlables qui dirigeaient ses pas à travers le hall de l’immeuble, la faisant gravir les escaliers molletonnés au rythme de la guitare qu’elle entendait encore vaguement.

C’est une fois sur le palier, devant la porte en bois de l’appartement qu’elle bloqua : elle ne savait toujours pas ce qu’elle était venue faire. Il lui semblait vaguement qu’elle avait dans l’idée de discuter, de tenter d’arranger les choses maintenant qu’elle le pouvait, ou alors seulement de s’assurer qu’elle n’avait pas rêvé cet après-midi, que tout était bien vrai. A présent, elle n’arrivait plus à savoir que faire, elle attendait, tranquille, qu’un désir lui apporte la réponse. Lentement, comme un chat qui s’étire puis entame sa toilette, il apparut et, sans attendre, elle écrasa la sonnette, obéissant à l’impulsion, désireuse de vérifier. Elle entendit des pas derrière la porte, s’approchant rapidement puis s’arrêtant, elle entendit le bruit du clapet du judas que l’on soulève, mais pas un mot de celle qui se tenait derrière la porte. Le désir de vérifier la véracité des évènements de l’après-midi se faisant plus fort, elle déclara :

« Ouvre, je sais que tu es là.

La réponse se fit attendre, la laissant plonger doucement dans le tourment du désir non-assouvit, une sorte de panique terrible à ses yeux, la pire des angoisse car elle ne vivait que pour exécuter ce que son instinct lui dictait. Enfin, une voix se fit entendre, la rassurant autant par son ton, que par ses intonations bien connues :

« Va-t’en »

Elle n’obéit pas, simplement parce que son instinct ne le lui suggérait pas. Cependant, elle ne savait pas quoi faire pour autant, ses pulsions restant enfouies au fond d’elle-même, ne cherchant pas à revenir à la surface. Voulait-elle renchérir, répondre à cette voix ou bien rester là, murée dans le silence, écoutant la présence de l’autre derrière la porte ? Elle resta longtemps ainsi, sans rien faire, ne sachant même pas si elle était seule ou si l’autre l’observait encore. Finalement, l’ennui la gagna et le souhait de le faire disparaître apparu de lui-même successivement. Elle décida de parler pour tromper sa langueur :

« Ouvre, nous pourrions discuter… mais seul le silence lui répondit. J’aimerais tout arranger, avoua-t-elle, que l’on reparte à zéro mais tu ne comprends pas, tu ne fais pas d’effort… à nouveau, elle attendit mais aucune réponse ne lui parvint, elle reprit : je suis désolée de ce que je t’ai dit cet après-midi, ouvre nous pouvons discuter, entre mère et fille, régler le problème… »

Toujours aucune réponse. Pourtant elle savait que sa mère était là, juste derrière la porte, mais de toute évidence, l’autre ne se manifesterait pas ce qui l’agaça et provoqua un nouveau désir : celui de partir, loin de cet être détestable qui n’avait pas évolué depuis toutes ces années. Alors sans un regret, elle tourna les talons. C’est à ce moment-là qu’elle prit conscience de sa rage envers cette femme qui ne faisait aucun effort pour comprendre, pour se faire pardonner, elle qui avait mis au monde quatre enfants qu’elle avait ensuite abandonnés sans regret. Cette femme ne ressentait pas une once de culpabilité, fière d’avoir détruit la vie de quatre enfants, fière d’avoir conçu puis réduit à néant une icône de la musique, fière d’avoir liquidé la confiance d’un mari, elle était un être méprisant et détestable dont rien ne pourrait racheter l’âme. Après ce qu’elle avait fait subir aux autres, elle aurait dû ramper, implorer le pardon de ses proches, supplier qu’on veuille bien lui accorder une quelconque attention mais ce n’était pas ce qu’elle faisait, au contraire : on lui courait après, on lui faisait doucement comprendre qu’elle devait se repentir, on tentait une réconciliation mais elle s’en fichait, elle se moquait de ses enfants qui la haïssaient vainement. C’était cela qui les faisait tant souffrir, l’indifférence dont elle savait faire preuve face à eux, un désintérêt cruel pour la chair de sa chair, voilà ce qui la rendait dégoûtante et ce qui attisait la hargne de ses enfants. Tout était de sa faute, elle ne voulait pas les comprendre, elle n’en avait rien à foutre, la seule chose qu’elle regrettait peut-être c’était leur réussite car si elle était restée auprès d’eux, elle aurait bénéficié de leur argent, de leur renommée qui leur conférait un certain pouvoir. Cette femme était l’incarnation de la cruauté, de la cupidité et de l’égocentrisme. Telles étaient les pensées de Caroline, revigorée dans sa colère noire envers sa mère.

Alors qu’elle descendait les escaliers, laissant derrière elle cet être qui la répugnait, elle entendit des pas grimper lourdement les marches. On se rapprochait d’elle à allure irrégulière : un pas, deux pas frappant la moquette et faisant craquer le bois puis plus rien, un bruit raclant le mur, un froissement de tissus et à nouveau quelques pas, une respiration saccadée qu’elle pouvait entendre distinctement tant elle était bruyante et on grimpait à nouveau, marquant une pause au bout de cinq marches, épuisé. Caroline, qui avait marqué un arrêt pour écouter, fascinée, cette ascension pénible, reprit sa descente tranquille, ruminant sa colère. C’est au détour de la cage d’escalier qu’elle croisa les pas irréguliers, elle reconnut immédiatement l’homme qui peinait tant à gravir les marches de bois : Marco. Reconnaissant sa sœur, il cacha la bouteille qu’il tenait à la main dans son dos et, semblant se concentrer de toutes ses forces, il lâcha :

« Tu ne m’as pas vu.

— Toi non plus. » répondit Caroline

Silencieusement, un accord fut scellé : l’un comme l’autre ils se tairaient, car quoi qu’ils aient pu dire ou faire avec leur mère les deux autres ne devaient pas savoir, sinon ils les considéreraient comme des traîtres pour avoir rendu visite au spectre maternel et donc avoir ressenti l’envie de voir cette femme immonde.


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