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Red Brenn


Par : Conan
Genre : Polar, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 34 : Afrique


Publié le 06/04/2013 à 17:34:00 par Conan

Les pâles du climatiseur fixé au plafond tournoient au-dessus de mon crâne luisant de sueur.

Je baisse les yeux sur ma chemise. Autrefois beige, la transpiration l'a faite virer au brun. Le maillot de corps sur lequel elle est ouverte n'a quant-à-lui plus de couleur distincte.

Je suis assis sur une petite chaise en bois, dans un poste crasseux de la milice locale paumé en plein milieu de la savane, au fond du trou du cul de l'Afrique Noire, les panards enfoncés dans mes chaussures de marche délassées, posés sur la table aussi rustre que ma chaise.

Je joue avec la machette accrochée à mon ceinturon, en attendant des nouvelles du prisonnier qu'on a choppé ce matin, en train d'essayer de saboter un des camions de transport de la milice. Un vieux GMC Américain tout droit sorti de la dernière guerre mondiale.

Le chef du poste a tenu à l'interroger lui-même. Je ne suis ici, avec une petite poignée d'autres Européens, qu'en tant que conseiller militaire. Grassement payé par le gouvernement corrompu de ce pays, lui-même financé par l’État Français, non-pas moins corrompu. Voilà déjà deux mois que j'ai atterri ici pour servir les intérêts de Gustave Tambana, dit Maréchal Tambana, le grand chef de cette république bananière.
Pas du tout content que son peuple ne supporte plus d'être dominé par une lignée de dictateurs narcissiques et autoritaires depuis l'indépendance du pays en 1960, il a décidé que les manifestations anti-gouvernementales étaient illégales et passibles de la peine de mort.

Justice expéditive que celle qu'il a fait rendre il y a six mois en faisant écraser son propre peuple sous les chenilles des chars de son Armée de Défense Populaire. Drôle d'ironie.

Depuis, le peuple est encore moins content. Mais avec l'arrivée fracassante des islamistes dans le pays suite aux révoltes du Moyen-Orient et tous les flingues qu'ils apportent, que nous, la France, leur avons d'ailleurs fournis l'année dernière, la donne n'est plus la même.

Exit les caillasses et les bâtons, bonjour Monsieur Kalachnikov et Madame RPG-7. D'autant que les barbus en djellaba ont trouvé un bon public : un président Chrétien à la tête d'un pays qui compte près de quatre-vingt pour cent de musulmans, ça peut faire jaser dans les chaumières. Pardon, les cases.

Bref. Vinny, Greg et moi, on a été engagés pour aider au développement et à la pérennité du nouveau groupuscule paramilitaire pro-gouvernemental, les Forces Spéciales de Sécurité, dont tous les chefs sont des frangins ou des cousins du gouvernement. Bien entendu, ce n'est pas uniquement pas pur esprit familial que tous ces gugusses en tenue vert-olive et béret rouge aident le Maréchal à foutre sur la gueule aux rebelles. Ils espèrent bien avoir une belle place attribuée au sein du gouvernement au sortir de la guerre. Parce qu'apparemment, pour eux la victoire est déjà acquise.

Sur le terrain, c'est pas la même sauce.

La lourde porte en bois de la salle de repos qui pue la sueur dans laquelle je me bourre la gueule au gin-tonic s'ouvre avec fracas pour laisser entrer un géant qui pourrait de prime abord faire penser à un troll sorti furibard de sa caverne.
-Monsieur ! Monsieur ! Il a parlé ! Me dit d'une voix pleine d'excitation le gros Moussa, deux mètres pour cent-vingt kilos.

Je me lève et réajuste ma tenue pour le suivre dans la pièce d'à coté.

Le prisonnier est assis sur une chaise, les mains liées dans le dos. Une bande de loustics s'affaire à beugler, à lui hurler dessus en exhibant grigris et lames.
-Moussa, fait faire le silence.

Le gros Moussa gonfle son poitrail et crie d'une puissante voix :
-Fermez vos gueules !

Tout le monde se tait. Ici c'est simple d'être le chef : il suffit de faire une tête de plus que tout le monde.

Je m'approche du prisonnier, un jeune d'une vingtaine d'années en short et tongs, dans un état beaucoup plus lamentable que ce matin, quand je l'ai laissé entre les mains de la milice.
Deux petits bouts de viande sanguinolents pendouillent de chaque coté de sa tête. Je me retourne vers l'assemblée qui a du mal à cacher son excitation.
-Qu'est-ce que vous lui avez fait ?

L'un d'entre eux, un nerveux, sec et musculeux, exhibe sa machette :
-Coupé ! Coupé !
-Coupé quoi ?
Il enfonce les mains dans ses poches de treillis et en sort deux oreilles, encore tièdes et rougeoyantes.
-Coupé oreilles !

Les autres se remettent à gueuler de plus belle.
-Moussa, fait faire silence.
-Vos gueules !

Je me retourne vers le jeune gars, vraisemblablement épuisé.
-Alors, tu es décidé à nous dire où est la planque rebelle ?

Je lui tend la carte. Un vieux bout de papier daté de 1950. Il pose son doigt sur un point. Un village. Sissisoko
-Combien vous-êtes là bas ?
Il hausse les épaules.
-Vous avez des armes ?
Il hoche la tête.
-Combien ?
Haussement d'épaules. On dirait qu'il va tourner de l’œil.
-Quel type ?
-AK 47. Grenades. Bazooka. Murmure-t-il du bout des lèvres dans un accent plus accentué encore que celui des loustics qui me servent de subordonnés.

Je quitte la pièce.
-Qu'est-ce qu'on fait du prisonnier patron ? Me demande Moussa
-Tu fais selon les ordres que t'a filé ton chef, c'est pas mes affaires. Prépare tes hommes. Tenue de combat, paquetage léger, armement, double dotation de munitions. On va aller visiter le Sissisoko avant la tombée de la nuit.

Il retourne dans la pièce en hurlant ses ordres en Mandé. Je prend mon téléphone cellulaire et appelle Vinny. « C'est bon, il a parlé. Préparez vos gars, et rejoignez-moi. »

Une heure, à peine, plus tard, Greg et Vinny sont autours de la table sur laquelle la carte est étendue.
-Faut pas qu'on tarde pour attaquer. S'ils savent qu'on tient un de leurs gars, ils vont sûrement se faire la malle ailleurs. Dit Greg.
-C'est quoi les consignes pour l'attaque du village ? Demande Vinny.
-On prend la tête de la milice, j'ai pas envie que ça tourne en bordel général. Les mecs avaient nettoyé leur matos ?
-Ouais, je fais en sorte qu'ils l'entretiennent régulièrement. Me répond-t-il.
-On va y aller en force, ça m'étonnerait qu'ils osent nous attaquer en voyant toutes les FSS leur tomber sur le coin de la gueule. Si ça tire depuis le village, on fait débarquer tout le monde, et on progresse en ligne et en ripostant. Les gars sont particulièrement tendus, et apparemment bien énervés, alors faites gaffe niveau exaction et compagnie.
-Ça fait trois semaines qu'ils ont pas fait de sortie, ils vont vouloir castagner. Dit Greg.
-C'est pour ça qu'on va y aller avec eux. Vinny, tu t'occupes de la topo et tu nous trouves un itinéraire, Greg, vérifie que tout le monde soit prêt.
-Ça roule.
-Ok.

Tout le monde est sous tension. Les gars s’énervent. Ils se mettent à chanter des chants guerriers et à sortir plein de grigris et de talismans magiques pour les protéger du mauvais œil en enfilant leurs brelages et leurs casques.

Je met mon gilet pare-balle et charge mon AK-47.

Sous les ordres de Greg, la troupe de cent bonshommes embarque dans les camions de transport et les pick-up. Greg, Vinny et moi avons à notre disposition une P4 SAS. Un 4x4 militaire monté d'une mitrailleuse lourde 12-7 à l'arrière et d'une ANF1 en 7,62 à la place passager. Reliquat de ce que les Forces Françaises ont laissé lors de leur dernière intervention dans le pays à l'armée gouvernementale. Je prend le volant, Greg s'installe à coté de moi et Vinny à la 12,7.

Nous avons un quatrième passager. Thierry Diatti. Dit Titi. Originaire du pays, bien qu'ayant toujours vécu en France. On l'a rencontré alors qu'on squattait une soirée embourgeoisée à Paris, quelques mois plus tôt. Il était étudiant en journalisme. Les heurts venaient d'éclater dans le pays, et il avait appris quelques jours plus tôt que des djihadistes avaient ratissé le village dans lequel vivaient ses grands parents et plusieurs de ses cousins. Nettoyage ethnique oblige, ils se sont tous retrouvés contre un mur ou sous la lame d'un coupe-coupe.

Fort de son éducation élevée et de ses contacts dans le pays, il ne lui a pas été difficile de se faire engager dans les forces de sécurité en tant que lieutenant. Titi est quelqu'un d'équilibré et son aide nous est souvent précieuse.

Le blindé que nous avons à notre disposition, un vieux BTR Russe, ouvre la voie sur la piste caillouteuse et jaunasse.

Tandis que nous quittons l'avant poste, deux gardes exécutent le prisonnier d'une balle dans la nuque près de la route. Derrière, on entends toujours les mecs chanter dans leurs camions. Reste à savoir si les chants seront toujours là quand nous serons aux abords du villages.

Village que nous atteignons une petite heure plus tard. Ses toits en chaume et ses cases de terre cuite se dessinent à l'horizon. Il ne semble pas y avoir de grande activité. C'est mauvais signe.

Quand nous nous trouvons à trois-cent mètres, les premières rafales claquent et les balles commencent à siffler. Toute la colonne s'arrête.

Titi et Greg font descendre rapidement les troupes des camions tandis que Vinny riposte à la mitrailleuse lourde.

-Faites-les sortir du village, on les attendra avec mes gars ! Hurle Vinny
-Ok ! En ligne ! Mon groupe, à moi !
Moussa et sa bande arrivent vers moi en courant, serrant fermement leurs armes contre eux. Les chants se sont arrêtés.
-On va avancer jusqu'aux abords du village en appui mutuel avec les groupes de Greg et du Lieutenant Diatti, ça marche ?

Moussa hoche sa tête trop grosse pour le casque posé dessus.
-Ok patron.

Je sais qu'il n'a rien compris à ce que je viens de lui dire, mais il est brave, et il fera en sorte que tout le monde me suive jusqu'à l'ennemi.


Chaque groupe avance d'une dizaine de mètres en ligne, appuyé par les deux autres équipes, puis tombe à couvert pour appuyer à son tour les autres assaillants.

Derrière, la mitrailleuse de Vinny ne refroidit pas. Nous arrivons sans trop de problèmes aux premières huttes.
-On fait quoi patron ? Me demande un des gars, le jeune Jamba.
-On va les faire sortir pour le groupe de Vinny.

Greg me parle au talkie-walkie.
-Ici Golf deux. Sommes aux abords du village.
Il est repris quelques secondes plus tard par Titi.
-Ici Golf quatre, avons atteint le village.
Je répond à mon tour :
-Ici Golf un, c'est bon pour moi. Ça bouge chez vous ?
-Golf deux négatif.
-Golf quatre, pas plus.
-Golf un, on commence le ratissage.

Nous pénétrons dans le village, en ligne toujours. Les troupes sont nerveuses, j'ai peur que ça dérape. Mais j'ai aussi mes propres priorités, et celle du moment est de rester en vie.
-Moussa, fais fouiller les maisons.
-Ok patron.

Les gars commencent à défoncer les portes des cases en sortant tous ceux qui y vivent.
-Qui nous a tiré dessus ? Qui c'est ? Demande Moussa en faisant les gros yeux à un couple de petits vieux.

Nouveaux coups de feu du coté de Greg. La tension monte.

Une porte s'ouvre juste en face de mon groupe. Un type en sort et se met à courir. Mes quinze gars le rafalent jusqu'à ce que son dos ne ressemble à du steak tartare enveloppé dans du tissu.
Moussa donne ses ordres. Ça consiste en :
-Balance une grenade dedans !

Le gars jettent deux, qui explosent quelques secondes après. Ils y rentrent et en sortent un autre type, blessé. Le dernier soldat exhibe un fusil d'assaut dans l'encolure de la porte.
-Patron ! Patron ! Il avait ça chez lui !
Moussa met l'homme à terre.
-Pourquoi t'avais ça ? Hein ? Dis-moi !
-Mouss ! Fais calmer tes gars, et laisse-moi le prisonnier.
-Faut le faire parler maintenant patron !

Nouveaux coups de feu chez Greg. Je décroche ma radio :
-Golf 2 ici 1, qu'est-ce qu'il se passe de ton coté ?
-On a été pris à partie, ça tire dans tous les coins. Et toi, de ton coté ?
-On a un prisonnier pour le moment.

La fouille continue. De plus en plus brutale. Les gens sont sortis de chez eux par mes gorilles sans ménagement. Tous les hommes jeunes sont rassemblés, accusés d'être des combattants.

Je ne comprendrais que bien plus tard que la seule faute de ce village était d'être l'unique village musulman de la région. Et les FSS vont leur faire payer très cher.

Les jeunes hommes sont mis en ligne et abattus d'une rafale. L'ordre de les abattre a été donné en Mandé. Je n'ai pas compris ce qu'ils se disaient. Mais j'ai su ce qui allait arriver lorsque les premières exécutions ont commencé.

Au loin, les premières huttes commençaient en brûler. Le torchis, ça prend vite au feu.

Dès qu'une arme était retrouvée dans une maison, les habitants étaient abattus sans distinction. Les corps ont commencé à s'entasser sur le sol. Tout le village prenait feu.

Au fur et à mesure de la progression dans le village, les différents groupes se rejoignaient, et ce qui devait être une opération de pacification et de recherche de renseignement s'est transformée en une grande purge générale.

Nous n'avons rien pu faire pour empêcher le massacre. Après les hommes, les vieux et les enfants. Puis les viols. Et d'autres meurtres encore.

Les survivants ont tenté de prendre la fuite. Ils se sont retrouvés droit sous les canons de Vinny et son groupe. A trois-cent mètres, on ne fait pas tout de suite la distinction. On voit juste des formes courir vers soi, dans un no man's land enfumé. Et ce n'est qu'après une cinquantaine de cartouche de mitrailleuse tirées qu'il s'est rendu compte qu'il venait de massacrer un groupe de femmes qui essayaient de fuir la barbarie que nous avions apportée dans le village. Le temps qu'il ordonne à ses hommes d'arrêter de tirer, c'était déjà trop tard. Les formes étaient allongées sur le sol chaud, le sable épongeant leur sang.

Greg et moi tentons de démêler la situation. Aucun ordre n'est possible dans un tel chaos. Nous avançons entre les cases, en direction de trois soldats en train de vider leurs chargeurs sur quelque chose masqué par une maison.

L'horreur que nous avons ressenti était indescriptible quand nous avons vu une dizaines de femmes et de gosses au sol, percés de partout, les yeux grands ouverts. Et les trois, qui continuaient à tirer en hurlant, sur leurs corps inertes. Greg en a abattu un de sang froid d'une balle en pleine tête.

Alors seulement, le calme est revenu. Mais c'était déjà trop tard.

Nous avons quitté le village en silence, alors que le soir commençait à tomber.
La nuit qui a suivi, j'avais décidé d'arrêter les contrats. Je ne voulais plus semer la terreur dans un pays qui n'était pas le mien pour cinq-mille euros par mois. Désormais, je ne combattrais plus que pour une cause.


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