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[Confédération][2] Rêves Mécaniques


Par : Gregor
Genre : Science-Fiction, Action
Statut : Terminée



Chapitre 10


Publié le 08/11/2012 à 19:10:27 par Gregor

9.



2123.

Marcus regardait la rue au travers des carreaux, ternis par la crasse. Là, en bas, une agitation perpétuelle animait le macadam depuis quelques jours, source de bruits, de vibrations, de poussières. L'immeuble qui faisait face à son appartement tombait lentement sous les coups de dizaines d'hommes, emportant avec lui son histoire.
On faisait table rase du passé.
Civimundi. Cela n'avait été qu'une utopie urbaine des années durant, un projet qui devait arrivé une fois la guerre terminée. La paix était venue, la Ville-Monde, avec elle. Le vieux Paris, ses immeubles crasseux et ses rues centenaires ployaient sous la force du présent, arrachant les souvenirs heureux et malheureux, nettoyant d'une pacifique violence les pierres, les pavés, le zinc, les ardoises, le bois, le plâtre, la peinture, le verre. Marcus sentait une pointe d'amertume serrer son cœur, prenant acte de cet immense changement.
Il se sentait presque déplacé dans ce paysage.

Personne ne l'avait prévenu. Il avait feint la surprise, ne lâchant qu'un simple « oh ! » de circonstance, donnant le change à ses geôliers. Personne n'était dupe, cependant. L'arrivée du Très Saint Magister Oddarick suivait un cheminement logique, qui puisait ses racines près de vingt ans en arrière.
La nostalgie étreignait bien trop souvent Marcus ces temps-ci. Un sourire triste barra son visage, avant de disparaître aussi brusquement. Tout ceci était trop lourd à évoquer, à reconnaître. Pourtant, il devait bien l'admettre, tout était arrivé par sa faute.
Depuis le début de cette relation conflictuelle, il avait signé son arrêt de mort.


Oddarick ne devait pas avoir plus de douze ou treize ans lorsqu'il avait accompagné son père dans cet antre, un appartement somptueux mais tombant en lambeaux, quelques parts dans le dix-septième arrondissement.
Jusqu’alors, le Regalium n'avait jamais qu'entendu parler de son aïeul qu'en des termes vagues de la part de Kristian. Celui-ci l'avait décrit comme un collaborateur exceptionnel, génial, mais aux idées parfois dérangeantes, perverties. Oddarick n'avait compris le sens de ces termes que d'après un aspect purement mécaniste. Il n'était pas parvenu à assimiler la complexité du personnage, bien malgré les renseignements de son père.
La scène s'était déroulée en mai, dans une après-midi attiédie de soleil. Une odeur d'encaustique embaumait l'air de la cage d'escalier, tandis que le bois foncé par les années craquait sous le poids du corps du Magister. Oddarick le suivait, tendu et admiratif, tandis que les plis de la longue pelisse rituelle confédérée balayaient en courant poussiéreux son champ visuel. Oddarick avait été surpris qu'aucune escorte n'accompagnât son père. Il avait noté la présence de quelques soldats sur le pas de la porte, qui s'inclinèrent respectueusement à leur passage.
Et ils étaient entrés.
La vision d'un homme sénescent l'avait troublé. Le génie génétique était utilisé en masse depuis les débuts de la Confédération, palliant les effets du vieillissement. Voir cet homme vouté, à la peau ridée, avec cette voix rocailleuse, cela l'avait mit très mal à l'aise. Il baissait les yeux tandis que Marcus lui demandait s'il allait bien. Il lâchait un simple « oui », sifflé entre ses dents comme un aveu arraché sous la torture.
Quelque chose sans son regard l'avait comme mis à jour, niant son humanité, ses valeurs et ses croyances. Marcus émanait de cette force sombre, insidieuse, un sourire perpétuellement figé sur ses lèvres.
Et lorsqu'il avait vu Marcus et Kristian se retirer dans une pièce à côté, cette impression s’était renforcée.
Le Magister avait assigné le capitaine de la garde à la surveillance de son fils. Un cyborg, dénommé Günther Von Pahl, allemand saxon qui servait la Confédération depuis sa fondation. Un homme incorruptible mais chaleureux, et dont la présence avait aussitôt rassuré le jeune Regalium. Oddarick enviait son protecteur temporaire, lui qui représentait l'archétype du confédéré : un soldat valeureux, cybernétique de surcroit, puits de connaissance et de réflexion, vissé au culte du Dieu-Machine dans une conviction qui dépassait l'entendement.
Maladroitement, Oddarick avait demandé ce qu'était Marcus. Le regard du capitaine s'était porté sur lui, après quoi il afficha un sourire et répondit de façon énigmatique « Il n'est pas si fou qu'il en a l'air ».
L'entrevue avait duré à peine dix minutes. Le Magister était sorti les joues empourprées, tandis que sa voix avait résonné une dernière fois dans l'appartement. Un avertissement en guise de salutations.
« Reparles-en encore une fois en des termes pareils, et je te tue de mes mains, Marcus ».
Oddarick avait frissonné, et avait suivi son père sans piper mot.
Ce que hélas il n'avait pas compris ce jour-là, c'est qu'il était la source de la discorde entre les deux hommes.
Et puis de longues années s'étaient écoulées. Marcus avait comme disparu de sa conscience, un point devenu trop flou pour s'ériger en menace, en aiguillon de sa conscience.
Kristian avait attendu qu'il fût revenu du front, à quelques semaines de sa disparition programmée, pour lui révéler les rapports conflictuels qu'il avait entretenus avec son géniteur. Tout à coup, sa vision de Marcus avait évolué. Un goût amer de rancœur lui avait subitement brûlé les lèvres.
Kristian n'avait épargné aucun détail. De sa propre naissance à l'assassinat du fac-similé cybernétique de celui qui était encore le président de l'Eurocorp, puis sa déchéance, sa prison dorée, ses travaux sur l'interaction homme-machine. Leur empoignade, au sujet d'Oddarick, si elle avait été unique, n'en était pas moins demeurée troublante. Kristian, d'un ton monocorde et lisse, lui avait rendu compte de l'aversion du scientifique pour son propre petit fils, qu'il ne considérait plus que comme l'outil d'une organisation monstrueuse, prisonnier de chaînes que lui-même avait semblé prendre plaisir à porter. Le Regalium était sorti de son habituelle réserve, et il avait fallu toute la patience de son père pour qu'il parvînt à se calmer.
Et si Oddarick avait consenti à oublier, un temps, de laver son honneur, ce fut pour mieux se recentrer sur ce qu'il considérait comme le furoncle abject d'une société idéale.
À peine le deuil officiel fut-il terminé que Marcus devint sa nouvelle cible.

Pour Marcus, tout avait été très simple. Kristian n'aurait jamais dû avoir d'enfant. Le fait qu'Aïda et Oddarick soient nés constituait à ses yeux une conséquence désastreuse. Le fruit défendu avait été mordu, donnant à l'humanité un mouvement qui s’avérerait fatal des décennies plus tard.
Oddarick était une abomination. Le fils d'un cyborg, un être qui serait de par sa nature profonde un carrefour symbiotique entre l'organique et la mécanique, et dans ce sens, l'origine d'un changement de société bien plus radical encore que l'avènement de la Confédération.
Marcus ne pouvait pas considérer Oddarick comme un homme. C'était viscéral, absolu. Qui, avait-il pensé, aurait pu le faire ? Sa conscience s'était éveillée entre une intelligence artificielle perverse et des cyborgs, bien souvent incapable de répondre sincèrement à ses questions les plus importantes… Faire de Keller son parrain avait été une grave faute, puisqu'il le conditionnait depuis son plus jeune âge vers des théories obscures et extrêmement violentes, et dont l'aboutissement serait synonyme d'anéantissement de la race humaine en tant que telle…
Tout ceci n'avait aucun sens. Il fallait contrer Oddarick. Kristian n'en était pas plus responsable qu'un autre, et il avait exprimé par son fils son désir trop humain de perpétuer sa lignée.
Marcus s'en voulait, à tort ou à raison. Il avait fallu qu'Oddarick soit mécanisé pour qu'il finisse par prendre ses distances avec le Magister, totalement au fait des opinions du Commandus Magnus, et qui était devenu à cet instant le véritable chef spirituel de la communauté cybernétique.
L'ironie de la situation lui rappelait amèrement ses choix. Il avait créé une entité monstrueuse et tragiquement, il en subissait de plein fouet les conséquences. Non content de lui signifier son statut de prisonnier, la Confédération lui renvoyait au visage sa propre déchéance, dans un corps qui résistait outrageusement malgré les excès et les frasques qui avaient constitué une partie de sa vie… Sans la science aboutie des cyborgs, il n'aurait jamais tenu si longtemps. Il n'aurait pas non plus achevé bon nombre de ses travaux, dont une remarquable théorie sur le voyage interstellaire. Si certaines de ses œuvres finiraient rapidement par aboutir, beaucoup n'étaient guère que des bribes, des borborygmes égarés en secrets divers, remplissant des milliers de pages.
Marcus avait, dès la naissance des héritiers, compris qu'il lui faudrait agir en silence, tout en acceptant les demandes présentes de la Confédération sur certains dossiers scientifiques. Et s'il avait par maints de ses travaux renforcés les Conversions, il en avait tiré un certain bénéficie.
Un projet nommé très justement Socrate.
Un projet qu'il savait en bonne voie, lorsqu'Oddarick s'était rappelé à son bon souvenir.

Marcus affichait 91 ans. Un âge respectable, qui s'expliquait tout autant par les traitements de faveur que Kristian lui avait accordés tout autant que par une chimiothérapie mensuelle forcée. Son âge biologique ne progressait plus que de dix pour cent par ans, ce qui lui permettait de continuer à se pencher sur ses travaux sans se soucier de son état physique.
Les seuls ennuis de santé auxquels il avait face et où les traitements chimiques ne pouvaient plus rien étaient palliés par deux solutions radicales. La première, une amputation de ses mains et de ses avant-bras pour les remplacer par de légers et audacieux implants en carbone, l'avait définitivement éloigné de tremblements sans cause pathologiques connus. Il avait gagné en souplesse, se débarrassant dans le même temps d'une arthrose qui lui avait interdit depuis de nombreuses années l'étude pratique de la robotique.
La seconde, un exosquelette amovible qui se composait de structure porteuse en poteau, adjointes d'articulations relativement souples, mélange savant de dizaine de vérins et de servomoteur. Il avait accepté de bonne grâce la seule solution viable face à son rachitisme, sans passer par une lourde chirurgie et une cybernétisation qu'il avait jusqu'alors réussi à repousser.
Son quotidien était devenu un équilibre précaire. Un équilibre que la mort de Kristian, quelques semaines auparavant, avait bouleversé.
— Vos derniers documents sont partis, Marcus. Il n'y a plus rien à craindre, ils ne retrouveront rien.
L'accent guttural de Von Pahl résonnait dans l'appartement assombri par la tombée du jour. Le technocapitaine avait pris un risque inconsidéré en bravant à peu près toutes les règles morales que lui dictait sa position. Si un inquisiteur avait pu observer la scène, il aurait crié à l'hérésie la plus absolue. Comment un cyborg militaire pouvait se permettre ce genre de déviance ?
Dans un sens, il n'avait été que la marionnette de Marcus, qui avait allègrement abusé de ses connaissances en cybernétiques et d'une certaine forme de culpabilité pour faire changer de camp l'officier en charge de sa surveillance.
— Merci, Günther.
Le cyborg ne pipa mot, à peine afficha-t-il un discret sourire, et s'éloigna vers le vestibule. Plusieurs ordres avaient dû arriver sur son terminal de communication, car déjà, son attitude se raidissait. Marcus notait froidement que la mécanique des esprits s'imprimait sur celle des corps, et réciproquement. Déjà, la sympathie discrète s'était évaporée ne laissant plus sur le visage du cyborg qu'une indifférence que répartissaient mal ses traits un peu ronds, sa peau trop claire tranchant avec l'acier et la silice teintée de rouge qui avait remplacé son oeil gauche.
— Günther ?
Le cyborg se retourna.
— Günther, il faut faire honneur à nos hôtes…
Une lumière explosa dans son oeil organique. Un feu de sentiments semblait avoir jailli, plus violent que tout ce qu'il avait connu. Il se surprit à sourire une nouvelle fois, bien plus sincèrement.
Marcus l'imita, bien plus caustique. Tout se dessinait comme dans ses prévisions.

Oddarick fut sommairement annoncé. Il franchit sans cérémonie le vestibule, accompagné du Commandus Magnus, visiblement maussade.
Marcus s'inclina respectueusement face au nouveau Magister, sans piper mot.
— Arrêtons ces simagrées, Marcus, s'impatienta Oddarick.
Toujours silencieux, le vieil homme se redressa, carcasse filiforme qui se découpait dans la luminosité agaçante de l'automne. Une pluie fine s'était mise à tomber, détail qui n'échappa pas à Marcus. Et tandis qu'il se positionnait face à ses hôtes sur son bureau, une immense table au plateau de verre griffé par l'usage, il ne cessait de fixer son descendant.
— Que me vaut l'honneur de votre visite, Magister ?
Son sourire de surface masquait mal son exultation. Avoir fait venir Oddarick ici n'était pas le fruit du hasard, encore moins un acte subit. Un lent travail de sape, de propos subtilement dosés, de comptes-rendus scientifiques suffisamment déviants pour en intéresser le Magister… Il avait usé de nombreux stratagèmes pour se faire rappeler au bon souvenir d'Oddarick. Un souvenir fumeux, douloureux, empreint d'un cynisme réaliste.
Oddarick serait obligé de se salir de son sang, amer breuvage au goût inoubliable, inqualifiable punition pour le chef confédéré.
Oddarick le fixait sans le lâcher, son œil artificiel diffusant une lueur malsaine et inquiétante.
— Doit-on vraiment s'imposer cette mise en scène, Marcus ? Pourquoi ne pas avoir éclaté une fiole de cyanure ? Cela aurait était tellement plus simple…
— Renonceriez-vous à vos devoirs les plus élémentaires, Magister ?
Marcus jouissait. Oddarick semblait imperturbable, pourtant il crut voir dans cette attitude la marque d'une lutte intense contre sa propre colère. Il aurait été si simple pour Oddarick de bondir sur le nonagénaire et de le projeter au travers de la baie vitrée, son corps fragile se serait brisé comme un éclat de bois trop sec, trop vieux.
— Je ne suis pas un monstre de sauvagerie, Marcus. Je n'ai pas à me laisser aller à ce genre de comportement… Non, je suis venu pour tenter de comprendre votre attitude.
Nouveau sourire du scientifique. Bien plus triste et plus sincère que celui avait accueilli son geôlier.
— Tu lui ressembles tellement par certains côtés. Kristian devait être un bon père finalement.
— Ne parlez pas de feu mon père, lâcha sèchement Oddarick.
— Il en serait gêné, vexé peut-être ?
— Ne salissez pas son nom, Marcus, sinon…
— Sinon quoi, tu me tues, Oddarick ?
Marcus éclata de rire.
— Non, décidément, je pensais que tu pourrais comprendre un peu de ce qui me faisait tenir droit sur cette terre… Je ne suis pas du genre à m'épandre en sentiments, Oddarick. Tu dois sans doute mieux connaître ma vie que moi-même, je te laisse le bénéfice de me juger, de me condamner même.
Il laissa un court silence tomber, avant de reprendre.
— Je n'ai pas à me justifier, Oddarick.
Oddarick sembla soupirer, visiblement lassé. Marcus ne lâcherait rien, c'était une évidence.
— Et bien si vous permettez, Marcus, je vais vous donner une excellente raison qui, à coup sûr, vous amusera. Vous souvenez-vous de notre première rencontre ?
— Notre première…
Marcus éclata à nouveau de rire.
— Tu as fini par découvrir notre petite altercation, entre ton père et moi ?
— Vous n'êtes qu'une ordure, Marcus…
— Kristian était si influençable, si malléable…
— Blasphème ! Cracha Keller en s'approchant d'un pas.
— Non, effectivement Oddarick, je ne t'ai jamais porté dans mon cœur… Tu sembles si surpris pourtant.
— Si le monde est ainsi fait Marcus, c'est à cause de vous. De vos travaux, de votre façon de voir les choses…
— Kristian a façonné le monde, j'ai façonné Kristian. Point. Aller plus loin serait une conjecture fallacieuse et vulgaire…
Déjà Marcus se dirigeait de l'autre côté l'immense salle, passant avec indifférence devant le Magister et le Commandus Magnus.
— Marcus, assumez ce que vous êtes !
— C'est trop tard Oddarick… Cela fait des années que tout est terminé, que nous jouons la comédie… La mort de Kristian m'a donné une excellente raison de quitter le navire. N'était-ce pas là un de tes désirs le plus chers ?
— Perdre un collaborateur et un éminent scientifique ne me réjouit pas, Marcus.
— Allons bon ! Je ne suis plus un traître à présent ?
— Marcus…
— Je n'aurais pas trahi mes convictions, au moins… je n'aurais pas asservi l'humanité sous couvert d'un Dieu aussi artificiel que ton corps et que ton esprit, Oddarick.
Une série de cliquetis métallique informa Marcus que le Magister se tendait, subtilement.
— Je te plains, mon pauvre Oddarick. Condamné à gouverné, sans autre choix… Tu es peut-être plus à plaindre que les prisonniers que tu lobotomises…
— Marcus, insista Oddarick. Il est hors de question que je vous tue.
— Pour mieux vous rejoindre ? Pour qu'à mon tour, je devienne une de tes nombreuses marionnettes ? Pour qui me prends-tu donc Oddarick ? Un crétin de ton espèce ?
Son ton était devenu si méprisant qu'il se demanda s'il n'avait pas franchi un cran trop rapidement.
— Non, décidément, Kristian n'est pas mort en vain… Il a condamné l'humanité par son suicide assisté…
— Père n'est pas mort ! Rugit Oddarick.
Lui aussi s'était avancé. Les traits hargneux, prédateur, son corps tendu d'un élan qui ne laissait plus de doutes possibles sur ses intentions.
— Je serais même surpris de voir à quoi il ressemble, maintenant que vous l'avez élevé vers des régions supérieures… Il ne doit guère valoir plus qu'une intelligence artificielle à présent…
— Comment osez-vous, Marcus ?! Il vous a loyalement épargné, vous qui l'avez dupé !
— Tu es la lie de l'Humanité, Oddarick ! Un empereur fantoche, perdu au milieu de ceux qu'il gouverne ! Tu as érigé la perversion en raison d'état ! Tu as proprement écrasé tout ce que Kristian avait construit d'humain dans cette Confédération ! Comment peux-tu seulement comprendre un seul instant ce que je suis, ce que je vis ? Dis-le-moi, Oddarick !
— Faites le taire, Keller, reprit froidement le Magister.
— Tu ne pourras jamais posséder ce pouvoir absolu… Jamais Oddarick. Et tu sais pourquoi ? Tu es trop éloigné de ta propre humanité… Trop chimérique pour être véritablement Homme…
Ils se faisaient face, dans la même conviction des propos. Keller entamait de menotter Marcus, qui se laissait faire, sans broncher.
— Quand bien même tu fouillerais cet appartement, tu n'y trouverais rien. Tous les documents sont partis à l'extérieur…
— Je le sais Marcus, et je m'en doutais...
— Et tu as préféré me laisser faire ? Étonnant… Cela ne te ressemble pas pourtant. Tu n'as pas oublié de faire « évoluer » mes gardiens vers d'autres postes peu après ton ascension… Et que dire de Von Pahl ?
— Il a toujours été loyal et honnête…
— De ce que tu en sais…
Il laissa à nouveau retomber un court silence.
— Pauvre Oddarick…
Keller le bouscula sans ménagement, l’entraînant vers le vestibule.
Marcus le fixa une dernière fois, d'un regard hésitant entre la colère et la pitié. Un aiguillon s'était dressé dans sa main droite.
— Marcus Standberg, pour haute trahison et blasphème envers les personnes du Magister Kris et du Magister Oddarick, je vous condamne à mort.
Marcus le fixa d'un regard qui frôlait la folie.
— Tu n'es rien, Oddarick...
Sans attendre, il harponna le cou de Marcus, qui tressaillit.
Son esprit se tordit sous la douleur. Un violent spasme le secoua, lui faisant cracher un liquide sanglant et bileux, tandis qu'une mousse putride s'échappait de ses lèvres. Quelque chose d'irrémédiable, de terriblement violent emportait son esprit. Au prix d'un insupportable effort, il braqua son regard vaporeux vers la silhouette que représentait le visage d'Oddarick.
Il tenta de sourire. Se contractura une dernière fois. Cracha une nouvelle fois une énorme quantité de sang. Puis son regard, son beau regard semblable à deux opalines d'un bleu azuréen, s'éteignit, laissant sur son visage la preuve irrémédiable de sa courte mais terrifiante agonie.
Marcus était mort. Définitivement cette fois-ci.
— C'est terminé, Magister, constata Keller.
— Il semblerait, hélas.
Il fit signe à Von Pahl de les rejoindre.
— Capitaine, j'aimerais que vous vous occupiez du corps de ce traître. Faites-en un exemple, une mise en garde pour les générations futures…
— Bien Magister.
Tandis qu'Oddarick et Keller s'en retournaient déjà vers l'escalier et l'extérieur, le Magister ne put s'empêcher de fixer une dernière fois, le corps minable et contracturé de Marcus, emporté vers un sombre dessein dans les bras de celui qui, bien malgré lui, avait contribué à construire une œuvre monumentale, presque disproportionnée.
Une œuvre humaine. Née voilà bien des années.


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